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N° 124
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010
Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 décembre 2009 |
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
PRÉSENTÉE AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 QUATER DU RÈGLEMENT,
sur le déploiement de systèmes de transport intelligents (STI) dans le domaine du transport routier et d 'interfaces avec d' autres modes de transport (E 4200),
PRÉSENTÉE
Par M. Roland RIES,
Sénateur
(Envoyée à la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire)
(1) Cette commission est composée de : M. Hubert Haenel , président ; MM. Denis Badré, Michel Billout, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Pierre Bernard-Reymond, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Charles Gautier, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Jean-Claude Peyronnet, Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les systèmes de transport intelligents (STI) désignent les applications des technologies de l'information et de la communication au secteur des transports. En d'autres termes, il s'agit de l'informatique embarquée et des informations routières interactives. Le système repose sur des informations recueillies par des capteurs, localisées et traitées par le calcul de façon à assurer des fonctions dites intelligentes telles que la mémorisation, la communication, la réactivité.
Il y a d'ores et déjà des applications courantes, qu'il s'agisse de localisation, du calcul d'itinéraire, de paiement électronique, ou de l'affichage des temps d'attente des transports publics.... Mais les potentialités sont énormes, qu'il s'agisse de l'information individuelle, telles que l'analyse des distances entre véhicules, le signal des dépassements de vitesse autorisée, l'information automatique des centres de secours en cas d'accident, ou bien de l'information collective sur les transports urbains telles que l'annonce des temps de parcours, l'information sur des itinéraires de délestage, l'automatisme des feux de circulation à l'approche des véhicules de transport en commun... On peut même imaginer qu'un conducteur coincé dans un embouteillage serait informé de son temps de trajet présumé, d'un délestage recommandé sur une autre voie ou sur un transport en commun, avec une information sur le temps de transport et l'heure du train, mais aussi le lieu, la disponibilité et les tarifs de parking, etc. Tout cela sur un mini ordinateur embarqué...
Que propose la directive ? La directive a pour but d'organiser la correspondance - l'interface - des systèmes. De faire en sorte que les systèmes d'information puissent communiquer entre eux. Ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. Pour aller du Portugal au Danemark, par exemple, un chauffeur routier doit disposer de cinq équipements différents pour utiliser le télépéage.
Le but est de fixer des spécificités fonctionnelles et techniques de façon à ce que les systèmes déployés par les gestionnaires d'infrastructures et les équipementiers privés d'informatique embarquée puissent dialoguer entre eux. Il faut par exemple que lorsqu'une collectivité établit une limitation de vitesse sur un tronçon de route, cette information puisse être lue et comprise par tous les systèmes de navigation nationaux ou européens.
Le citoyen va applaudir à de telles performances. L'informatique semble ne pas avoir de limite. C'est la clef de son succès et peut-être aussi son principal danger.
Mais il convient aussi de ne pas être dupe des mirages technologiques et de prendre conscience assez tôt des conséquences qu'ils peuvent avoir, en particulier pour les élus locaux.
Quelles sont les conséquences politiques de la proposition de directive ?
La question ne se pose pas en termes de subsidiarité ou de proportionnalité mais en termes de cohérence et d'implications politiques.
Il faut distinguer les deux applications - privative et collective - qui semblent poser des problèmes de nature différente.
1. Pour l'individu , l'informatique embarquée est bien entendu avant tout une aide à la conduite. Il ne faut pas être grand clerc pour savoir que c'est aussi une sorte de mouchard permanent qui identifie votre localisation, vos pauses, votre parcours, votre vitesse, vos infractions éventuelles. L'information sur le véhicule est aussi une information sur le conducteur.
Ces dangers avaient été évoqués par le contrôleur européen de la protection des données. Certes, la directive qui précise que « les États veillent à ce que les données des STI soient protégées contre toute utilisation abusive » est censée apporter un garde-fou. Mais est-il suffisant ?
On peut ajouter que l'équipement de la voiture n'est pas neutre sur un plan industriel et commercial. L'informatique embarquée peut être un élément d'innovation utile pour les constructeurs spécialisés dans le haut de gamme mais présente aussi un coût pénalisant les constructeurs positionnés sur des véhicules d'entrée de gamme, pour une clientèle pour laquelle chaque euro compte.
C'est sur ce terrain industriel et des libertés publiques que nos collègues de l'Assemblée nationale ont choisi d'interroger le Gouvernement.
2. Mais il faut insister aussi sur les conséquences politiques collectives des STI présentées comme un outil de lutte contre la congestion des trafics, en évoquant trois questions.
La première question est une question de cohérence . Il est bien sûr tentant de justifier toutes les propositions technologiques par la lutte contre le changement climatique. Mais si l'objectif est connu et accepté par tous, si les initiatives se multiplient - moteur hybride, bonus/malus, STI... - n'y a-t-il pas des priorités à définir, des sélections à opérer... On ne peut pas tout faire en même temps.
Deuxième question : qui décide effectivement des spécifications fonctionnelles et techniques ?
Afin de préciser les mesures d'application de cette directive-cadre, la Commission se fait assister par un comité composé de représentants des États membres ainsi que par un groupe consultatif européen, composé de personnalités « de haut niveau » , qui « la conseille sur les aspects techniques et commerciaux de l'utilisation des STI dans la Communauté » . On retrouve là le couple Commission/experts maintes fois évoqué. Est-ce aux experts de déterminer comment un individu peut librement se déplacer ? Il paraît essentiel de garder un contrôle politique de ces propositions et des travaux qui vont suivre.
Enfin, troisième question : qui va payer ?
Les services techniques des ministères se retranchent derrière la lettre de la directive : il ne s'agit pas d'adopter un plan d'équipement mais de prévoir des correspondances entre systèmes.
Certes, mais il va de soi que cette directive n'a de sens que si les automobilistes et les infrastructures sont équipés (par des capteurs, des caméras...). L'exposé des motifs précise d'ailleurs que le bon fonctionnement des STI suppose « une installation synchronisée dans le véhicule et sur l'infrastructure » . Et donc sur la collectivité locale.
Ces STI n'intéressent pas seulement le conducteur avide de technologie, mais elles impliquent aussi les collectivités locales et particulièrement les grandes villes. Qui doit payer la lutte contre la congestion des abords de ville ?
Sur cette question centrale, il n'y a rien. Cela dépasse le champ du texte, disent les techniciens. Mais en réalité, c'est la condition de son succès.
Est-ce à la commune urbaine de payer pour les automobilistes des autres communes ? Puisqu'il s'agit d'un défi national, n'est-ce pas à l'État d'aider les collectivités ? Puisqu'il s'agit d'un défi européen, n'est-ce pas aussi au budget communautaire de cofinancer ces équipements ?
Passé le moment d'exaltation technologique, ce texte soulève des questions de fond et de financement.
Si l'Assemblée nationale a été dans son rôle en s'interrogeant sur le respect des libertés publiques, il nous semble que le Sénat est dans le sien quand il prend en compte l'incidence de ce texte sur des collectivités locales, en particulier les grandes villes de France. Elles doivent d'une façon ou d'une autre « entrer dans la boucle ». Sans aller jusqu'au mandat de négociation, il est indispensable qu'elles soient régulièrement informées des avancées de ces travaux. Soit directement, soit par l'intermédiaire du Sénat.
Il est heureux que les initiatives sur la mobilité urbaine se multiplient, mais qui paiera ?
Il convient de mettre en garde contre une conception curieuse de la subsidiarité, une forme de subsidiarité financière, qui consiste à prendre une décision au niveau communautaire et à en laisser le coût aux collectivités locales. Les collectivités locales doivent être vigilantes à ne pas supporter des transferts de charges. Le débat n'est pas nouveau. Il existe aussi au niveau national. C'est une nouvelle occasion de le rappeler. Il me paraît donc opportun de demander au Gouvernement de réaliser une étude d'impact de la mise en place des STI, tout spécialement destinée aux collectivités locales.
Pour ces raisons, votre commission des Affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui suit :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant le cadre pour le déploiement de systèmes de transport intelligents (STI) dans le domaine du transport routier et d'interfaces avec d'autres modes de transport (texte E 4200),
- Considérant que l'un des buts de la proposition de directive vise à « fluidifier la circulation » et « à diminuer les émissions de CO2 »,
- Estimant que cet objectif suppose que l'équipement individuel des véhicules et que le déploiement dans les infrastructures des systèmes d'information et d'analyse des flux du trafic soient menées de pair,
- Rappelant que l'équipement des infrastructures routières repose essentiellement sur les collectivités territoriales,
- Jugeant que cet aspect a été totalement négligé par la proposition de directive,
- Refusant une interprétation de la subsidiarité qui consisterait à imposer des règles au niveau communautaire en en laissant la charge aux États et aux collectivités locales,
- Estimant que ces questions touchant à la vie quotidienne de nos concitoyens et ayant des incidences évidentes sur les charges des collectivités locales, en particulier les grandes métropoles, ne peuvent être laissées aux seuls « comités » et « groupes d'experts»,
Demande :
- que « le représentant de haut niveau » au sein du « groupe consultatif sur les STI » prévu à l'article 9 de la proposition, agisse en concertation avec l'association des maires des grandes villes de France,
- que le Sénat, assurant la représentation des collectivités territoriales de la République, soit informé régulièrement des débats au sein du « comité européen des STI » et au sein du « groupe consultatif européen sur les STI »,
- que le Gouvernement présente au Sénat une étude d'impact qui aurait pour objet de déterminer les impacts financiers d'un tel dispositif notamment à l'égard des collectivités territoriales.