N° 186
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006
Annexe au procès-verbal de la séance du 31 janvier 2006 |
PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT,
sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (E 2520),
Par M. Robert BRET, Mmes Eliane ASSASSI, Marie-France BEAUFILS, M. Michel BILLOUT, Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, M. Yves COQUELLE, Mmes Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Evelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mme Gélita HOARAU, M. Robert HUE, M. Gérard LE CAM, Mmes Hélène LUC, Josiane MATHON-POINAT, MM. Roland MUZEAU, Jack RALITE, Ivan RENAR, Bernard VERA, Jean-François VOGUET, François AUTAIN et Pierre BIARNÈS,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Affaires économique et du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Union européenne.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis plus de deux ans, la proposition de directive sur les services dans le marché intérieur suscite de très nombreuses oppositions et de vives critiques.
La proposition de la Commission européenne, adoptée le 13 janvier 2004, est soumise à la procédure de codécision, laquelle repose sur la recherche d'un accord entre le Conseil et le Parlement européen.
La proposition de la Commission a donc été transmise au Conseil et au Parlement européen.
Ce dernier examinera le texte, en première lecture, le 14 février prochain.
Le Conseil se prononcera ensuite sur le résultat de cette première lecture.
Avant cette date, le Parlement français, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, peut donner son avis sur la proposition de directive, tel est l'objet de cette proposition de résolution. Nous serons alors très attentifs à la position que prendra le Gouvernement français au sein du Conseil.
En tout état de cause, force est de constater que le processus décisionnel communautaire n'a jamais été interrompu, contrairement à ce que les dirigeants français avaient voulu faire croire à la veille du référendum sur la Constitution européenne.
En effet, à l'issue du Conseil européen des 22 et 23 mars dernier, le président de la République avait affirmé qu'il avait obtenu la « remise à plat » de la proposition de directive Bolkestein.
En réalité, on le sait, la proposition de directive n'a jamais été « enterrée ».
Le Gouvernement, qui, avant le référendum du 29 mai, déclarait que la directive était « inacceptable » et qu'elle devait « faire l'objet d'une remise à plat », a tout simplement laissé la procédure législative se poursuivre, alors même que le texte n'a pas abouti à un consensus sur les points clés du projet.
Témoins de ce débat de dupes et de totale duplicité, les françaises et les français ont clairement exprimé leur refus de la suprématie du profit financier sur le social et sur le développement humain.
Ils ont rejeté massivement la Constitution européenne fondée sur le principe de la concurrence « libre et non faussée », principe appliqué à la lettre par la proposition de directive Bolkestein.
Le rejet du traité établissant une Constitution pour l'Europe s'inscrit en cohérence avec l'opposition à la directive sur la libéralisation des services.
Le verdict du 29 mai, devenu la décision de la France, doit être respecté.
L'Union européenne doit décider une nouvelle négociation sur ses institutions et sur les politiques économiques et sociales. Cette nouvelle discussion doit s'ouvrir aux exigences des peuples, qui doivent être associés et consultés. Il faut réorienter la construction européenne dans le sens d'une Europe des peuples, démocratique, synonyme de progrès social, de coopération et de paix.
Cela nécessite, notamment, le retrait pur et simple de la directive Bolkestein qui consacre le choix de la dévotion aux règles du marché et du nivellement de la protection sociale par le bas à travers le principe du pays d'origine.
Son champ d'application est extrêmement large. La proposition de directive couvre les services fournis en tant qu'activité économique au sens du traité sur l'Union européenne et de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes, à savoir, les services aux entreprises, les services aux entreprises et aux particuliers ainsi que les services aux particuliers. La proposition de directive a donc une vocation horizontale. La Commission a choisi d'utiliser un seul acte de base et non pas de mettre en chantier une série d'actes spécifiques visant à réglementer séparément chaque secteur. Elle n'a pas pour objet de fixer des règles détaillées ou d'harmoniser la totalité des législations nationales et toutes les questions spécifiques à chaque secteur de services.
Le champ d'application constitue un problème central de la proposition de directive, en raison de son imprécision.
Il manque une délimitation claire dans les domaines de l'économie sociale et des services d'intérêt général, ainsi que des domaines déjà couverts par des directives sectorielles.
Pour des raisons d'intérêt général, et parce qu'on ne peut pas les assimiler à des services marchands classiques, de nombreux secteurs devraient en outre être exclus du champ d'application du texte, qu'il s'agisse de la santé, de la culture et de l'audiovisuel, des professions juridiques réglementées et des jeux d'argent.
En outre, la Commission a déposé cette proposition de directive sur la libéralisation des services sans avoir déposé, au préalable, une directive sur les services d'intérêt général. Pour ceux-ci, elle s'est contentée d'un Livre Blanc (COM (2004) 374 final - 12 mai 2004). Alors que ce dernier affirme (p. 4) « la nécessité d'une combinaison harmonieuse des mécanismes de marché et des missions de service public , » la directive qui est proposée soumet les missions de service public aux aléas du marché.
Les missions d'intérêt général ne sont pas explicitement exclues du principe du pays d'origine.
La notion de service public étant très différente d'un pays à l'autre, l'application du principe du pays d'origine aura de grandes conséquences sur la manière dont le service sera rendu. Un prestataire de service ne sera pas obligé de respecter les exigences du pays dans lequel il fournit le service. C'est donc l'ensemble des services publics, notamment, l'éducation, la culture, la santé et les services publics locaux, qui pourraient rentrer dans le champ d'application de cette directive.
Par ailleurs, cette proposition intervient dans un contexte où l'élargissement provoque de fortes disparités au sein de l'Union européenne, au niveau de la législation sociale, fiscale et environnementale.
Alors que l'harmonisation a été, pendant plus de quarante ans, la technique de base de l'intégration européenne, au moment précis où elle serait plus nécessaire que jamais, on y renonce afin de rendre légal le dumping fiscal, le dumping social et le dumping environnemental.
Le principe du pays d'origine constitue un renoncement à la logique d'harmonisation qui était théoriquement le système prôné par l'Union européenne.
Le principe de pays d'origine mène à une discrimination flagrante à l'encontre des ressortissants nationaux, alors même que l'objectif de la proposition est censé résider dans l'égalité et la non-discrimination lors de l'offre de services. Le choix du principe du pays d'origine est clairement orienté en faveur des producteurs de services.
Le risque de « dumping » juridique entre États membres existe, susceptible d'abaisser le niveau global de protection des destinataires dans l'Union européenne.
Le principe du pays d'origine peut soulever le problème de l'égalité des citoyens devant la loi et notamment la loi pénale. En effet, en l'absence d'indication contraire, ce principe s'applique à la loi pénale.
Par ailleurs, l'application de cette règle systématique pourrait être en contradiction avec les règles du droit international privé communautaire, en matière de conflit de lois et poser des problèmes de sécurité juridique.
Dans la mesure où la proposition de directive s'ajoute aux directives sectorielles, elle pourrait remettre en cause les dispositions de textes existants, concernant notamment la reconnaissance des qualifications professionnelles et le détachement des travailleurs.
D'une part, l'introduction du principe du pays d'origine pourrait s'articuler difficilement avec la proposition de directive relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles également en cours de discussion.
Selon cette proposition, tout ressortissant communautaire légalement établi dans un État membre pourra prester des services de façon temporaire et occasionnelle dans un autre État membre sous son titre professionnel d'origine. Cependant, une demande individuelle de reconnaissance devra être introduite auprès de l'autorité compétente de l'État membre d'accueil. Cette demande devra être accompagnée de documents et certificats. Une décision devra être prise dans un délai de trois mois à compter de la réception du dossier complet. Tout refus devra être dûment motivé et pourra faire l'objet d'un recours juridictionnel de droit national.
La proposition de directive prévoit des mécanismes de reconnaissance mutuelle pour certaines professions mais d'autres sont exclues. Ajouter le principe du pays d'origine pourrait conduire à une reconnaissance de fait de qualifications qui précisément ont été exclues du champ de la directive sectorielle, pour des motifs assurément légitimes.
D'autre part, le principe du pays d'origine est en contradiction avec la directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs, qui consacre l'application du droit du travail du pays d'accueil.
La directive proposée interdit aux pouvoirs publics de l'État membre de détachement d'exiger de l'employeur et de son personnel détaché de soumettre ses activités à autorisation et à enregistrement, de disposer d'un représentant sur son territoire et de tenir des documents sociaux à la disposition des autorités du pays d'accueil.
En outre, lorsque le personnel détaché provient d'un État qui n'est pas membre de l'Union, la directive interdit à l'État d'accueil de soumettre l'employeur et son personnel à des contrôles préventifs, en particulier en ce qui concerne les titres d'entrée et de séjour, les permis de travail ; elle interdit de même à l'État d'accueil d'imposer un contrat de travail à durée indéterminée ou de fournir la preuve d'un emploi antérieur dans l'État d'origine de l'employeur. Seule l'obligation d'un visa de courte durée pour les ressortissants des pays tiers qui ne sont pas assimilés aux pays de la zone Schengen n'est pas remise en cause.
La proposition de directive rend ainsi inapplicable la directive sur le détachement des travailleurs et met très largement fin au pouvoir des États membres de vérifier et donc de garantir le respect des législations et des réglementations qui protègent les travailleurs contre différentes formes d'abus de la part des employeurs.
L'aspiration à une Europe sociale fondée sur des droits collectifs, des droits communs, la protection sociale, l'intérêt général, les services publics, le code du travail, est aujourd'hui battue en brèche par le modèle « anglo-saxon » et, dans cette « économie de marché ouverte », se trouve laminée par toujours plus de flexibilité.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (COM [2004] 2 final, document E 2520),
- Demande résolument le rejet du principe du pays d'origine comme moyen de réaliser le marché intérieur des services. Lequel, en l'absence d'un niveau d'harmonisation suffisant des secteurs concernés, et compte tenu des disparités de l'Europe élargie, présente un risque de dumping social et juridique.
- Rappelle que cette proposition de directive repose sur les principes de libre concurrence et de flexibilité de l'emploi, principes fondateurs du Traité établissant une Constitution pour l'Europe rejeté par la France le 29 mai dernier.
- Estime que la Commission doit s'engager dans un processus d'harmonisation par le haut du droit applicable aux services, en prenant mieux en compte les particularités de chaque secteur et en procédant au préalable à une étude d'impact approfondie.
- Demande que les services d'intérêt général soient explicitement exclus du champ d'application de la proposition de directive et que la Commission s'engage à proposer une directive sur les services d'intérêt général.
- Recommande que, pour des raisons d'intérêt général, aucune directive horizontale concernant les services dans le marché intérieur ne s'applique aux professions juridiques réglementées, aux services culturels et audiovisuels, aux services de santé, d'aide sociale et médico-social et aux jeux d'argent.
- Demande que le droit pénal soit explicitement exclu du champ du principe du pays d'origine.
- Demande le respect de la directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs, afin de conserver le contrôle, par l'État d'accueil, des conditions de détachement et de réalisation de l'activité.
- Demande une définition précise de l'articulation entre la proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur et la directive concernant la reconnaissance des qualifications professionnelles.
- En conséquence, demande que la Commission retire la proposition de directive sur les services dans le marché intérieur.