L'entrée des vins et spiritueux sud-africains sur le marché européen
PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne (1), en application de l'article 73 bis du Règlement, sur les textes E 1882, E 1890, E 1891, E 1892 et E 1894 concernant l'application d'accords entre la Communauté européenne et la République d'Afrique du Sud relatifs au commerce des vins et au commerce des boissons spiritueuses ,
Par M.
Marcel DENEUX,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Affaires
économiques et du Plan sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions
prévues par le Règlement).
(1) Cette délégation est composée de
: M. Hubert
Haenel,
président
; M. Denis Badré,
Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jean-Léonce Dupont, Claude Estier,
Jean François-Poncet, Lucien Lanier,
vice-présidents
; M. Hubert Durand-Chastel,
secrétaire ;
MM. Bernard Angels, Robert Badinter,
Jacques Bellanger, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Jean Bizet,
Jacques Blanc, Maurice Blin, Gilbert Chabroux, Xavier Darcos, Robert
Del Picchia, Mme Michelle Demessine, MM. Marcel Deneux, Jean-Paul Emin,
Pierre Fauchon, André Ferrand, Philippe François,
Yann Gaillard, Emmanuel Hamel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec,
Aymeri de Montesquiou, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Simon Sutour,
Jean-Marie Vanlerenberghe, Paul Vergès, Xavier de Villepin, Serge
Vinçon.
Union européenne
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les cinq propositions de texte soumises à notre examen en application de
l'article 88-4 de la Constitution constituent une nouvelle étape d'un
dossier délicat. Nous en suivons le déroulement depuis 1995, date
du mandat de négociation confié à la Commission
européenne pour conclure un accord de libre-échange
intégral avec la République d'Afrique du Sud, à la suite
de l'adhésion de ce pays à la Convention de Lomé. La bonne
compréhension du dispositif proposé suppose de reprendre
sommairement l'historique de cet accord.
• La précédente procédure :
En octobre 1999, notre délégation avait été saisie,
en urgence, d'une proposition portant accord commercial entre l'Union
européenne et l'Afrique du Sud, destiné à organiser de
nouvelles relations bilatérales entre les deux partenaires.
La difficulté des discussions et le souhait d'aboutir aussi vite que
possible à un compromis avait conduit à l'époque les
négociateurs à disjoindre de l'accord général deux
questions particulièrement sensibles : celle du commerce des vins
et spiritueux, d'une part, celle de la pêche, d'autre part, ces deux
domaines devant faire l'objet d'accords particuliers dans des délais non
fixés.
Dans l'attente de la ratification complète de l'accord, des mesures
provisoires étaient par ailleurs prévues pour application
immédiate dès le 1
er
janvier 2000, notamment l'octroi
d'un contingent annuel d'importation à droits nuls de 32 millions
de litres de vins sud-africains sur le territoire de l'Union.
Le Sénat avait alors demandé au gouvernement de s'opposer
à l'adoption des mesures provisoires tant qu'un accord « vins
et spiritueux » ne serait pas formellement acquis entre les
parties
(1(
*
))
. Il avait en effet
considéré qu'il était déraisonnable d'envisager
l'application de ces mesures transitoires avant même d'obtenir un
engagement précis sur le dossier viticole, celui-ci constituant la seule
véritable contrepartie des avantages consentis à l'Afrique du Sud
par l'Union européenne. Il lui avait également paru utile de
pouvoir disposer d'un calendrier prévisionnel d'adoption sur l'accord
pêche.
Le gouvernement français, interrogé à ce propos, nous
avait assuré que l'accord sur les vins devait être
formalisé au plus tôt et le dispositif transitoire était
alors entré en application.
• Les propositions actuelles :
L'expérience a prouvé que nos réserves n'étaient
pas injustifiées puisque, après bien des avatars, l'accord
définitif n'a été conclu que le 25 juin dernier, à
Pretoria, dans le cadre d'un
« protocole d'accord sur les vins et
les spiritueux ».
Ce texte a été transmis au gouvernement le
11 décembre 2001, puis déposé au Parlement le
17 décembre suivant, pour une application prévue dès
le 1
er
janvier 2002. La brièveté des
délais nous a d'ailleurs fait craindre, un temps, d'être saisis
à nouveau dans le cadre d'une procédure d'urgence, ce que nous
n'aurions pas manqué de déplorer. Il est heureux que, notamment
sous la pression du gouvernement français, l'examen de ces textes ait
été reporté au Conseil « Affaires
générales » du 21 janvier prochain, nous
permettant ainsi d'effectuer un premier travail d'expertise sur le contenu
- complexe - du dispositif. Celui-ci se compose d'un accord relatif
au commerce des vins (E 1890), d'un second accord relatif au commerce des
boissons spiritueuses (E 1892), d'un texte modifiant le contingent
tarifaire applicable aux vins sud-africains (E 1882) et de la proposition
autorisant, avec certaines adaptations, cette modification (E 1891).
Parallèlement, un cinquième texte E 1894 a été
joint à cet ensemble quelques jours plus tard pour permettre
l'application du dispositif par anticipation dès le
1
er
janvier 2002.
• Le contenu de l'accord :
1. Le nouveau contingent tarifaire
Les textes E 1882 et E 1891 proposent, par deux voies
différentes et sans coordination interne, l'augmentation du volume du
contingent tarifaire bénéficiant aux vins sud-africains
importés en bouteilles. On se rappelle que la proposition de base,
à effet temporaire, prévoyait un contingent annuel de
32 millions de litres à droits nuls. Quatre adaptations sont
apportées à ce schéma initial :
a) le texte E 1882
Ce premier texte propose de modifier le contingent de base de 32 millions
de litres de vin pour le porter à 35,3 millions de litres à
partir du 1
er
janvier 2002, et l'affecter d'un coefficient
d'augmentation annuelle de 3 % par an à compter de 2003.
b) le texte E 1891
Cette seconde proposition expose la méthode de calcul du quota de base
et prévoit certaines mesures d'application temporaires
complémentaires :
- d'abord, le contingent de base est augmenté de 5 % par an,
avec effet rétroactif au 1
er
janvier 2000, ouvrant donc
droit à un contingent total de 33,6 millions de litres pour chacune
des années 2000 et 2001 ;
- ensuite, il sera à nouveau augmenté de 5 % à
partir du 1
er
janvier 2002 pour être porté
à 35,3 millions de litres, comme l'indiquait le texte
précédent E 1882 ;
- enfin, les contingents 2000 et 2001 n'ayant pas été
ouverts dans les faits, le volume total correspondant (soit 67,2 millions
de litres) sera incorporé et réparti sur dix ans à compter
du 1
er
janvier 2002.
Compte tenu de toutes ces modifications, la conclusion du texte E 1891 est
que
« jusqu'au 31 décembre 2011, le contingent [...] se
trouvera ainsi porté à un volume total de 420 200
hectolitres ».
Or, en affichant ce résultat global, il n'est pas tenu compte du texte
précédent accordant par ailleurs une augmentation annuelle de
3 % du contingent de base. La logique mathématique conduit à
penser que ces deux séries de dispositions sont en réalité
cumulatives, mais les textes sont si complexes qu'on en arrive à se
demander si l'objectif n'est pas d'empêcher toute lisibilité du
dispositif proposé. Dans l'hypothèse où l'on devrait
effectivement appliquer les deux textes simultanément, leur effet
cumulé aboutirait en réalité à un contingent
maximal de 52,78 millions de litres en 2011, bien supérieur aux
42,02 millions affichés par le texte E 1891.
Calcul du contingent annuel d'importation à droits nuls du vin sud-africain sur le territoire de l'Union
|
En
vertu du texte E 1882
|
En
vertu du texte E 1891
|
TOTAL
|
2002 |
35,3 |
+ 6,72 |
42,02 |
2003 |
36,36 |
+ 6,72 |
43,08 |
2004 |
37,45 |
+ 6,72 |
44,17 |
2005 |
38,57 |
+ 6,72 |
45,29 |
2006 |
39,73 |
+ 6,72 |
46,45 |
2007 |
40,92 |
+ 6,72 |
47,64 |
2008 |
42,15 |
+ 6,72 |
48,87 |
2009 |
43,41 |
+ 6,72 |
50,13 |
2010 |
44,72 |
+ 6,72 |
51,44 |
2011 |
46,06 |
+ 6,72 |
52,78 |
2012 |
47,44 |
- |
47,44 |
2013 |
48,86 |
- |
48,86 |
2. L'accord sur les vins (E 1890)
L'accord aborde les questions restées jusqu'alors en suspens,
notamment :
• La définition de
bonnes pratiques oenologiques
et de
spécification des produits, ainsi que la création d'une
instance d'arbitrage
en cas de litige.
Le texte précise ainsi en annexe les pratiques oenologiques mutuellement
autorisées, notamment les limites admises pour certains composants
analytiques. Ainsi, l'Afrique du Sud autorisera la commercialisation, sur son
territoire, des vins communautaires ayant fait l'objet de pratiques
particulières ou comportant une composition spécifique (c'est par
exemple le cas des «
vendanges tardives »
), tandis
que la Communauté autorisera, à titre dérogatoire,
l'importation de vins sud-africains à traitement spécifique (par
exemple, par addition d'acide malique).
Cette prise en compte de la protection du consommateur, des exigences de
santé publique et de la qualité des produits paraît un
progrès réel, dès lors que l'on maintiendra une grande
vigilance pour contrôler sa bonne application.
• La
protection réciproque des dénominations et
indications géographiques.
Ce point constituait un élément-clé des
négociations compte tenu de certaines utilisations abusives
d'appellations, notamment d'origine communautaire, propre à induire le
consommateur en erreur. En effet, et comme l'indiquent les considérants
introduisant l'accord,
« en raison de liens historiques de longue
date entre l'Afrique du Sud et un certain nombre d'Etats membres, l'Afrique du
Sud et la Communauté utilisent certains termes, noms,
références géographiques et marques pour désigner
leurs vins, leurs exploitations et leurs pratiques vitivinicoles, dont un grand
nombre sont semblables »
.
Dans cet objectif, il a été prévu l'instauration d'un
registre bilatéral des indications géographiques
protégées
, laissant espérer, pour l'avenir, une plus
grande sécurité juridique. La liste des dénominations
désormais protégées figure en annexe au texte de l'accord
et concerne les productions allemandes, françaises, espagnoles,
grecques, italiennes, luxembourgeoises, portugaises, britanniques,
autrichiennes, belges et sud-africaines.
On notera cependant que l'accord prévoit la protection d'indications
géographiques homonymes, «
pour autant qu'elle soit d'usage
traditionnel et constant et que le consommateur ne soit pas induit en erreur
quant à l'origine véritable du vin
»
(article 7-4-a). Il conviendra donc de veiller à
l'étiquetage rigoureux des bouteilles commercialisées pour
éviter toute confusion.
Par ailleurs, le problème des
marques conflictuelles
,
c'est-à-dire les marques existantes introduisant une confusion dans
l'esprit du grand public, demeure entier : leur élimination ne sera
effective qu'
« après une période transitoire
raisonnable »
, selon l'article 7-8-b, période durant
lesquelles la coexistence de ces marques restera autorisée. La seule
obligation datée est celle de se mettre d'accord, d'ici le 30 septembre
2002, sur ce qu'il convient de classer parmi les marques conflictuelles.
• L'entrée en vigueur de l'engagement particulier concernant
les
appellations « Port » et
« Sherry ».
Celle-ci
est fixée au 1
er
janvier 2000, date
retenue comme point de départ du décompte des périodes
transitoires avant mise en conformité par les producteurs sud-africains
(soit cinq ans sur leurs marchés exportateurs et douze ans sur leur
marché national).
• L'utilisation des fonds octroyés par l'Union
européenne pour la restructuration de l'industrie viti-vinicole
sud-africaine, soit
15 millions d'euros
, suivant un programme qui
devra être arrêté d'un commun accord.
• Enfin, il est décidé l'instauration d'un
comité mixte -
où la Communauté sera
représentée par la Commission européenne -,
chargé de veiller au bon fonctionnement de l'accord et d'examiner toute
question soulevée par son application.
3. L'accord sur les boissons spiritueuses (E 1892)
Ce texte, étroitement inspiré du précédent,
concerne la protection réciproque de la dénomination
spécifique de spiritueux (type Grappa, Ouzo...) dont la liste figurera
également dans un registre bilatéral destiné à en
accroître la sécurité juridique. La protection des produits
communautaires sera assurée à la fin d'une période
transitoire de cinq ans. Selon le même processus, l'élimination
des marques litigieuses devra n'être effectuée
qu'
« au terme de périodes transitoires
raisonnables ».
4. L'application de l'accord par anticipation (E 1894)
En raison de l'adoption tardive de ces textes, il est proposé de
procéder par anticipation à leur application, avec date d'effet
dès le 1
er
janvier 2002.
*
Le
premier sentiment qu'inspire cet accord est sans doute la perplexité. On
ne peut que s'interroger d'abord sur la
méthode de calcul du quota
annuel
d'importation à droits nuls et l'augmentation importante dont
il bénéficiera, ce qui ne manquera pas d'inquiéter les
professionnels européens, notamment français.
D'autre part, si la création d'une
instance d'arbitrage
entre les
parties en cas de litige - peut-être inspirée de l'organe de
règlement des différends institué auprès de
l'OMC - est un point positif, on constate que l'article 27 qui en
fait mention est particulièrement flou : il évoque
simplement
« une instance »
et la désignation
d'un arbitre pour chaque partie, puis d'un troisième arbitre
censé départager les deux premiers dans un délai de douze
mois. La crédibilité de cette institution appelle à plus
de rigueur dans le processus de nomination et de prise de décision de
cet organe.
Il apparaît, en outre, que les périodes transitoires consenties
sont d'une grande tolérance : on mentionnera notamment les douze
années accordées pour la vente sur le territoire sud-africain de
Porto et de Sherry non produits dans leurs régions d'origine ou le
délai simplement
« raisonnable »
pour
éliminer les marques conflictuelles, qui semble singulièrement
bienveillant.
Par ailleurs, le texte autorise l'écoulement de pratiquement tous les
stocks actuels ne respectant pas à ce jour ses exigences, tant au niveau
des pratiques oenologiques que pour ce qui concerne les indications
géographiques.
Enfin, il n'est pas prévu de protection immédiate des
«
mentions traditionnelles
»
, auxquelles la
Communauté est attachée et dont elle reconnaît l'existence
notamment dans le cadre de l'OCM « vin » (par exemple, la
mention «
Château
»). Le texte prévoit
simplement qu'il conviendra de réfléchir à un
système qui pourrait être incorporé ultérieurement
à l'accord, ce qui ne paraît pas être d'une grande exigence.
Nous comprenons parfaitement les considérations politiques et
diplomatiques qui accompagnent la conclusion de cet accord, ainsi que les
difficultés qui ont présidé à la recherche d'un
compromis acceptable par les deux parties. Il paraît cependant utile
d'attirer l'attention du gouvernement sur nos propres inquiétudes par le
dépôt d'une proposition de résolution, d'autant que ce
texte serait ensuite transmis à notre Commission des Affaires
économiques, qui revenant précisément d'une mission
d'étude sur le secteur viticole en Afrique du Sud, pourra ainsi
utilement compléter notre analyse par les observations faites sur place.
*
La délégation a conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution suivante :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le
Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu les textes E 1882 concernant l'ajustement du contingent tarifaire pour
le vin, E 1890 concernant la conclusion de l'accord entre la
Communauté européenne et la République d'Afrique du Sud
relatif au commerce des vins, E 1891 relatif à la conclusion d'un
accord sous forme d'échange de lettres entre la Communauté
européenne et la République d'Afrique du Sud relatif au commerce
des vins, E 1892 concernant la conclusion de l'accord entre la
Communauté européenne et la République d'Afrique du Sud
relatifs au commerce des boissons spiritueuses et E 1894 concernant
l'application provisoire de certains accords entre la Communauté
européenne et la République d'Afrique du Sud relatifs au commerce
des vins et au commerce des boissons spiritueuses,
Vu la résolution du Sénat TA 44 du 27 novembre 1999,
Constate que, une nouvelle fois, la volonté politique de l'Union
d'apporter une aide économique à l'Afrique du Sud conduit
à adopter un texte dont certains éléments restent
extrêmement ambigüs et sont, à l'évidence, porteurs de
contentieux pour l'avenir.
Demande en conséquence au gouvernement d'agir auprès de la
Commission :
- afin qu'une date limite soit fixée entre les parties pour
l'élimination effective des marques conflictuelles ;
- afin qu'un calendrier précis soit déterminé pour
mettre en place un dispositif de protection mutuelle des mentions
traditionnelles ;
- afin qu'elle accorde la plus grande vigilance dans l'utilisation des
fonds communautaires destinés à la restructuration de l'industrie
viti-vinicole sud-africaine, pour qu'ils bénéficient aux
productions locales de qualité et au secteur viticole dans toutes ses
composantes ;
- afin que soient définis avec plus de rigueur la nature exacte de
l'instance d'arbitrage, le mode de désignation des arbitres, les moyens
d'investigations dont ils disposent et l'étendue de leurs
compétences.
Considère par ailleurs qu'il n'est pas admissible que le Conseil adopte
simultanément deux propositions distinctes d'augmentation du contingent
d'importation à droits nuls des vins sud-africains sur le territoire de
l'Union, sans coordination interne, empêchant toute appréhension
claire du dispositif de calcul proposé.
Rappelle que, comme il l'avait déjà souhaité en 1999, il
espère voir aboutir l'accord spécifique au domaine de la
pêche dans les meilleurs délais.
(1)
Proposition de résolution n° 35 (1999-2000) de M. Hubert Haenel.
Rapport et proposition de résolution n° 64 (1999-2000) de
M. Gérard César pour la Commission des Affaires
économiques et du Plan.
Résolution européenne TA 44 du
27 novembre 1999.