N°428

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 15 juin 1999.

PROPOSITION DE LOI

tendant à permettre la création de « Chartes de participation » dans les collectivités territoriales et à déterminer les modalités de l 'intéressement des agents de ces collectivités,

PRESENTEE

Par MM. Bernard FOURNIER, Pierre ANDRÉ, Mme Paulette BRISEPIERRE, MM. Robert CALMEJANE, Auguste CAZALET, Jean CHÉRIOUX, Gérard CORNU, Désiré DEBAVELAERE, Jacques DELONG, Christian DEMUYNCK, Charles DESCOURS, Michel DOUBLET, Xavier DUGOIN, Hilaire FLANDRE, Alain GÉRARD, François GERBAUD, Francis GIRAUD, Daniel GOULET, Georges GRUILLOT, André JOURDAIN, Christian de LA MALÈNE, Gérard LARCHER, Robert LAUFOAULU, René-Georges LAURIN, Jean-François LE GRAND, Bernard MURAT, Paul NATALI, Mme Nelly OLIN et M. Jacques PEYRAT,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Collectivités territoriales.

EXPOSE DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Devant l'Assemblée consultative, le 2 mars 1945, le général de Gaulle déclarait : « qu'il est équitable et salutaire d'associer par l'esprit et par le coeur, aussi bien que par les mains, à ce qui est gestion, organisation et perfectionnement des entreprises, tous ceux qui y prodiguent leur peine ».

Quarante-cinq ans après, cette participation des travailleurs à l'activité dans divers domaines de leur entreprise n'est entrée que partiellement dans les faits.

Le terme même de « participation » qui est généralement employé lorsqu'on évoque cette idée déjà ancienne, ou son application, demeure relativement ambigu et il est souvent indifféremment employé avec celui « d'intéressement ».

Sans doute les deux termes de « participation » et « d'intéressement » sont-ils considérés comme indissociables, mais on peut pratiquer une participation à la vie des entreprises sans qu'il y ait d'intéressement financier.

La participation implique une certaine nature de relation dans le travail au sein d'une entreprise. Elle traduit les aspirations profondes des salariés à vivre dans un meilleur climat social où ils pourraient, en particulier, affirmer leur dignité et leur action personnelle dans un travail commun.

En effet, dans l'entreprise où sont confrontés les deux grands facteurs de production que sont le capital et le travail, elle peut se traduire par une amélioration des conditions de travail résultant des suggestions des intéressés eux-mêmes.

L'ordonnance du 7 janvier 1959, qui est la première traduction législative de cette notion de participation, a abordé le problème sous son aspect matériel en prévoyant des dispositions en faveur d'entreprises appliquant, à titre facultatif, un système d'intéressement de leur personnel aux résultats de ces entreprises.

En votant l'article 33 de la loi du 12 juillet 1965, le Parlement a manifesté son intention de voir la législation franchir une nouvelle étape associant les travailleurs à l'expansion et à la répartition de ses fruits d'une manière obligatoire.

D'autres dispositions résultant de l'ordonnance du 17 août 1967 relative à la participation des salariés aux fruits de l'expansion des entreprises ont constitué une étape importante dans la mise en oeuvre de la « participation ».

Certaines autres dispositions sont intervenues selon une formule différente.

Ainsi, la loi du 27 décembre 1973 prévoit que certaines sociétés peuvent procéder à une augmentation de capital par l'émission d'actions destinées à être souscrites exclusivement par leurs salariés.

Cette participation sous forme d'actionnariat des salariés a été étendue par d'autres dispositions.

Enfin, l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 a prévu des mesures en faveur de l'intéressement et de la participation des salariés aux résultats de l'entreprise et à l'actionnariat des -salariés. Dans cette ordonnance, le terme d'intéressement est utilisé lorsqu'il s'agit d'accords conclus entre les salariés et leur entreprise sous une forme volontaire alors qu'au contraire la même ordonnance utilise le terme de participation lorsqu'il s'agit d'entreprises de plus de cent salariés qui sont obligées de reconnaître les droits de leurs salariés à la participation aux résultats de l'entreprise.

Il convient donc, lorsqu'on emploie ces termes de participation et d'intéressement, d'éviter toute ambiguïté.

Il nous paraît souhaitable à cet égard d'employer le terme de participation lorsque les accords conclus, en matière de fonctionnement de l'entreprise, ne comportent pas d'incitation financière et, au contraire, celui d'intéressement lorsqu'il s'agit d'accorder certains avantages aux travailleurs en cause.

Les textes dont nous venons d'effectuer un rappel rapide ne concernent que les entreprises privées et accessoirement les entreprises publiques à statut.

Jusqu'à présent, aucune disposition n'est prévue en ce domaine en faveur des salariés de l'Etat ou -de ceux des collectivités territoriales. Plus même, les textes applicables à la fonction publique d'Etat ou territoriale ne permettent pas d'accorder certains avantages matériels sous forme de primes d'intéressement.

Il est évident pourtant que le problème qui a reçu des débuts de solution en ce qui concerne les salariés des entreprises privées se pose sous une forme assez voisine lorsqu'il s'agit des fonctionnaires de l'Etat ou des fonctionnaires territoriaux.

Les uns et les autres devraient pouvoir bénéficier des mesures relatives à la participation, c'est-à-dire les impliquant dans le fonctionnement de l'administration à laquelle ils appartiennent mais également de primes d'intéressement les incitant à faire des efforts de productivité dans le cadre du service public, c'est-à-dire en définitive .en faveur du public directement concerné par un meilleur fonctionnement au meilleur coût des administrations en cause.

Nous ne pensons pas que la participation prise dans son sens de nature des relations de travail au sein d'une administration puisse être définie dans un cadre législatif.

Elle ne peut être mise en oeuvre que si un certain état d'esprit se crée entre les responsables de l'administration de l'Etat ou des collectivités locales et ceux qu'ils emploient.

Elle peut prendre d'ailleurs des formes extrêmement variées et en particulier relever d'une amélioration des conditions de formation des personnels concernés.

Les auteurs de la présente proposition de loi, laissant au Gouvernement le soin de prévoir les modalités d'intéressement de ses propres fonctionnaires, se proposent de définir un certain nombre de conditions relatives à l'intéressement des fonctionnaires territoriaux.

Actuellement, non seulement rien n'est prévu à cet égard, mais jusqu'à une date récente, malgré certaines initiatives locales,"aucune prime d'intéressement ne pouvait être attribuée, sauf dans l'illégalité, puisque l'article 20 de la loi du 23 juillet 1983 prévoit limitativement les primes dont ils peuvent bénéficier et que parmi celles-ci ne figurent pas de primes permettant aux fonctionnaires territoriaux de bénéficier d'un intéressement aux résultats.

Il est donc indispensable qu'une proposition de loi modifie l'article 20 précité, afin d'introduire la prime d'intéressement dans la liste des indemnités pouvant s'ajouter au traitement des fonctionnaires de l'Etat ou des collectivités territoriales.

Une proposition dans ce sens fait, par ailleurs, l'objet d'un texte de la part des mêmes parlementaires.

Nous pouvons d'ailleurs remarquer au passage que cette proposition, au moins en ce qui concerne les fonctionnaires des collectivités territoriales, n'aurait pas lieu d'être si le Gouvernement respectait les mesures prévues à l'article 13 de la loi du 28 novembre 1990 relative à la fonction publique territoriale, lequel dispose :

« L'Assemblée délibérante de chaque collectivité territoriale ou le conseil d'administration d'un établissement public local fixe par ailleurs les régimes indemnitaires dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l'Etat. »

En fait, il semble que le ministre de l'Intérieur ait donné des instructions aux préfets pour que ces décisions, qui ne comportent pourtant pas obligation d'un décret d'application, ne soient pas appliquées.

Actuellement donc, il n'existe aucun fondement juridique applicable à quelque système d'intéressement qui ne soit mis en place par une collectivité territoriale.

Une décision dans ce sens est donc susceptible d'être cassée à. tout moment.

Il est regrettable que l'article 13 de la loi du 28 novembre 1990 ne soit pas appliqué.

Quoi qu'il en soit, le contrôle de légalité peut s'opposer à des dispositions allant dans le sens de l'application de cette loi.

Il est évident pourtant que sa mise en oeuvre permettrait, en particulier, aux conseils municipaux d'apprécier dans quelles conditions peuvent être attribuées des primes d'intéressement. Si cet obstacle est levé, et, en particulier par l'adoption de la proposition de loi tendant à modifier l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983, l'attribution des primes d'intéressement restera délicate.

Il sera évidemment difficile de faire admettre qu'une prime accordée une année ne soit pas reconduite l'année suivante ou les autres années si aucune raison particulière ne la justifie en matière d'accroissement de la productivité.

Par ailleurs, les collectivités qui attribueront des primes plus intéressantes que celles accordées par d'autres verront venir vers elles des fonctionnaires soucieux d'avoir un meilleur niveau de vie.

Dans les collectivités les moins généreuses pour des raisons diverses, la qualité professionnelle de l'ensemble des fonctionnaires risque de diminuer.

Il convient de constater que si la fonction publique territoriale remplit une tâche exceptionnellement motivante, elle a de plus en plus de difficulté à se moderniser car la marge d'autonomie de nombreux gestionnaires publics s'avère insuffisante. De ce fait, les gains de productivité nécessaires pour donner naissance à une prime d'intéressé ment sont limités. L'administration, dont le fonctionnement est de plus en plus lourd, gère des procédures plus qu'elle ne valorise réellement le potentiel de productivité que ses agents devraient pouvoir développer.

On peut même, sans exagération, dire que l'image des fonctionnaires se trouve de ce fait dégradée, ce qui est infiniment regrettable.

Le personnel lui-même souffre de se sentir parfois insuffisamment utilisé et de ne pas bénéficier de la reconnaissance des services qu'il rend. Le service public est pourtant un instrument exceptionnel des relations avec l'usager.

Les qualités humaines du personnel qui concourt à ce service public, en plus généralement doté d'une bonne formation initiale, devraient permettre une promotion individuelle et collective si l'environnement était porteur et dynamisant.

Or, l'administration doit nécessairement se moderniser et ceci d'autant plus que les missions du service public s'étendent bien au-delà de celles qui lui étaient confiées au début de ce siècle.

Ces missions nouvelles : de solidarité, d'aménagement, de développement économique... imposent que le personnel qui les effectue soit justement récompensé des efforts accomplis, c'est-à-dire qu'il soit intéressé à un meilleur fonctionnement des services auxquels il participe.

La présente proposition de loi a donc pour objectif, afin de créer le nouvel état d'esprit dont nous venons de parler, de proposer des avantages matériels, sous forme d'un intéressement financier, aux fonctionnaires territoriaux.

Même si toutes les collectivités territoriales ne pourront pas faire le même effort dans ce sens et si les communes ou les départements les plus importants peuvent avoir une politique d'intéressement plus attractive que dans d'autres collectivités, il nous apparaît nécessaire de ne pas se référer à un nivellement par le bas mais d'offrir au contraire aux agents des collectivités la possibilité d'acquérir une formation et des méthodes de travail leur permettant éventuellement, et s'ils le jugent souhaitable, d'avoir des gratifications de carrière plus intéressantes en changeant d'affectation.

Evidemment, le problème se pose de la détermination des critères à partir desquels seront calculées les primes d'intéressement.

Si les collectivités locales n'ont pas à avoir un souci de rentabilité, il est cependant évident, pour l'intérêt du service public, que leur gestion s'effectue au moindre coût pour les membres de la collectivité concernée.

Ainsi, même dans le secteur public, des efforts de productivité doivent être recherchés et la masse financière globale affectée aux primes d'intéressement doit être dégagée à partir de ce critère.

D'autres d'ailleurs peuvent être imaginés, mais il importe que ces critères soient objectifs et considérés comme tels au niveau contractuel que nous proposons dans notre proposition de loi.

Il apparaît ainsi que la politique d'intéressement menée ne peut être que la conséquence d'une politique active de participation car il n'est pas possible de proposer des mesures d'intéressement si les esprits n'ont pas été préparés préalablement à une politique de participation au sein de l'ensemble intéressé.

Quant aux critères de répartition, il ne nous paraît pas souhaitable qu'ils soient fonction du mérite individuel des participants.

Il semble préférable que l'intéressement ne soit pas déterminé par service, au sein des collectivités, car tous les services n'ont pas la même aptitude à des gains de productivité, suivant la nature de leur activité.

Le problème se pose de savoir si la répartition doit être égalitaire ou non.

Il est sans doute possible, suivant les éléments qui seront incorporés dans la « Charte de la participation » prévue au titre I er , de prévoir qu'une part de la prime variable pourra être attribuée en fonction du niveau hiérarchique de chacun des agents.

Tels sont les éléments que nous avons retenus, qui reprennent le texte d'une proposition de loi déposée en 1993 à l'Assemblée nationale par M. Barate et les membres du groupe RPR..

PROPOSITION DE LOI

TITRE PREMIER

CHARTE DE LA PARTICIPATION

Article 1 er

Les collectivités territoriales peuvent conclure avec l'ensemble de leur personnel une « Charte de la participation » par laquelle les parties signataires s'engagent à prévoir et à mettre en oeuvre des mesures tendant à permettre une meilleure formation et de meilleures conditions d'emploi et de productivité des personnels concernés.

Elle représente un droit à la participation dans la collectivité l'ayant conclue.

Ses modalités font l'objet d'une information individuelle des élus et du personnel de la collectivité intéressée.

Les résultats obtenus dans le cadre de cette « Charte » se traduisent par l'attribution d'une prime d'intéressement aux agents en cause selon des modalités fixées par le titre II de la présente loi.

TITRE II

DE L'INTÉRESSEMENT DES FONCTIONNAIRES ET AGENTS TERRITORIAUX

Article 2

L'intéressement des fonctionnaires et agents territoriaux tel qu'il est prévu à l'article 20 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires peut être assuré dans toute collectivité territoriale et dans tout établissement public local par un accord pris en application de la « Charte de participation » prévue à l'article 1 er et valable pour une durée déterminée.

Cet accord est passé avec les organisations syndicales après consultation du comité technique paritaire et de l'ensemble des personnels relevant de la « Charte de la participation ».

Article 3

Les accords intervenus en application de l'article 2 doivent instituer un intéressement des fonctionnaires et agents territoriaux lié à l'accroissement de la productivité, à l'évolution du budget de la commune ou d'éléments de ce budget ou à tout autre indicateur d'efficacité ou de qualité des services rendus.

Ils doivent instituer un système d'information des agents et de vérification des modalités d'exécution.

Le montant global des primes distribuées ne doit pas dépasser annuellement un dixième de la masse des traitements bruts versés.

Article 4

Tout accord doit préciser notamment :

- la période pour laquelle il est conclu ;

- les services concernés ;

- les modalités d'intéressement retenues ;

- les critères et les modalités servant au calcul et à la répartition des produits de l'intéressement, le cas échéant, selon les catégories d'agents et selon les services ;

- l'époque des versements ;

- les conditions d'information du comité technique paritaire ;

- les procédures convenues pour régler les différends susceptibles de surgir dans l'application de l'accord.

Article 5

Les sommes attribuées aux agents en application de l'accord d'intéressement ne sont pas soumises à retenue pour pension

Article 6

Dans le cas où un agent qui a adhéré à un plan d'épargne local prévu au titre III de la présente loi affecte à la réalisation de ce plan tout ou partie des sommes qui lui sont attribuées au titre de l'intéressement, ces sommes sont exonérées d'impôt sur le revenu.

Article 7

Des décrets définiront les règles de répartition des primes de l'intéressement :

- soit au sein de l'ensemble de la collectivité concernée ;

- soit au sein d'un même service.

Ils tiendront compte, en totalité ou en partie, selon les modalités définies par J'accord prévu à l'article 2, du niveau hiérarchique de chacun des agents. '

Ces décrets fixeront également les règles d'imputation budgétaire des sommes distribuées au titre de l'intéressement.

TITRE III DES PLANS D'ÉPARGNE LOCAUX

Article 8

Les collectivités territoriales peuvent ouvrir des plans d'épargne locaux permettant à leurs agents, ayant une ancienneté égale ou supérieure à six mois au sein de la collectivité, de se constituer un portefeuille de valeurs mobilières ou de participer au financement d'investissements destinés à améliorer les conditions de travail des agents et l'efficacité des services.

Les versements annuels d'un agent ne peuvent dépasser l'équivalent de trois mois de traitement indiciaire.

Un décret détermine les placements mobiliers pouvant être effectués dans le cadre d'un plan d'épargne local. Il fixe également les conditions du prêt pouvant être consenti aux opérations d'investissements prévues au premier alinéa et prévoit la durée de celui-ci et le taux d'intérêt applicable.

Article 9

Les sommes versées par les agents de la collectivité peuvent provenir soit des primes d'intéressement, soit de versements volontaires. La collectivité est autorisée à compléter les versements effectués proportionnellement aux sommes versées par chaque agent et dans des conditions également déterminées par le décret précité.

Article 10

Les dépenses éventuelles résultant de la présente loi, pour une collectivité territoriale, sont compensées, à due concurrence, par une majoration des taux d'un ou plusieurs des impôts prévus au profit des collectivités territoriales par les articles 1379 et suivants, 1586 et suivants et 1599 bis et suivants du code général des impôts.

Les pertes de recettes résultant, pour l'Etat, de l'application de la présente loi, sont compensées par la majoration, à due concurrence, des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page