N°529

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 30 juin 1998

PROPOSITION DE LOI

portant création d'un fonds de garantie destiné à l 'indemnisation des Français établis hors de France victimes d'événements politiques graves dans leur pays de résidence,

PRESENTEE

Par MM. Jacques HABERT, Hubert DURAND-CHASTEL et André MAMAN,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

Français de l'étranger

EXPOSE DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Voici un peu plus d'un an, Brazzaville, lieu symbolique, rallié dès l'été de 1940 à la France combattante, d'où le Géneral de Gaulle définit, en janvier 1944, les rapports nouveaux de la France avec ses territoires africains, Brazzaville, l'ancien chef-lieu de l'Afrique équatoriale française devenue en 1963 la capitale du Congo indépendant, Brazzaville, soudain, le 8 juin 1997 et les jours suivants, se trouvait prise dans un violent conflit politique qui, bientôt, dégénérait en guerre civile.

Dans le désordre général, nos compatriotes se voyaient menacés, agressés, pillés. En quelques heures, nombre d'entre eux -dont certains installés au Congo depuis plusieurs générations -perdaient leurs biens, leurs maisons, leurs entreprises, tous les fruits de leurs années de labeur. Leurs vies étaient en danger. Venues à leur secours, les forces d'intervention rapide de l'armée française réussirent à les sortir de ce piège. Mais, obligés de partir en quelques instants, ils durent tout abandonner !

Depuis, la plupart de ces rapatriés forcés vivent en France (tout en gardant l'espoir et la volonté de retourner dans leur pays et notamment à Brazzaville, dès que les conditions le permettront). Leur réinsertion a été des plus difficiles : beaucoup ne possédaient pas les documents qui leur auraient permis de bénéficier des aides normalement accordées à leurs compatriotes de la métropole. La mère-patrie les a accueillis, mais ce n'est qu'après de longues et multiples démarches qu'ils ont pu obtenir des prestations sociales minimales. Ils espéraient des compensations pour tout ce qu'ils avaient perdu. Mais c'est en vain qu'ils ont attendu une quelconque indemnisation : rien n'est arrivé.

La cause de cette carence est que la législation française est muette sur ce point. Aucune loi, aucun texte, ne permet d'indemniser les victimes de tels événements. Il existe là une grave lacune qu'il faut combler, une injustice qu'il faut réparer. La présente proposition de loi s'y efforce.

Une proposition analogue, dont le premier signataire était le même, avait été déposée au Sénat le 9 octobre 1990, à la suite des événements du Koweït. Elle était paraphée par les douze sénateurs des Français établis hors de France. Les trois signataires de la présente proposition de loi auraient souhaité qu'il en fût de même cette fois-ci. Cela n'a pas été possible. La proposition de 1990 n'ayant pas été agréée, et les objections qui lui avaient été opposées demeurant les mêmes en 1998, il a été estimé qu'une demande semblable n'avait aucune chance d'aboutir, et donc qu'il était inutile de la réitérer.

Cependant, il s'agit là d'une question de principe. Nous pensons que dans la situation planétaire actuelle, il est indispensable de prévoir des possibilités d'indemnisation et de créer un fonds de garantie pour les Français résidant à l'étranger. C'est cette nécessité, ce principe, que notre proposition de loi veut affirmer.

L'enjeu est d'autant plus crucial qu'à l'heure de la mondialisation des échanges, et alors que la francophonie traverse des heures difficiles, jamais la présence de Français établis hors de France n'a été aussi souhaitable qu'actuellement et aussi importante pour l'avenir. Le monde actuel est agité par des foyers d'instabilité et de tensions de plus en plus nombreux. Ceci est vrai notamment dans des pays avec lesquels la France entretient des biens historiques et affectifs particuliers, comme l'Algérie, le Tchad, le Cambodge et aujourd'hui les deux Républiques du Congo.

Les coups d'état, guerres civiles et autres secousses politiques, avec leurs cortèges de violences, de confiscations, de pillages et d'autres exactions risquent, bien évidemment, de décourager ceux de nos compatriotes qui ont accepté de servir les intérêts de la France au-delà de nos frontières.

Il faut mettre fin à un paradoxe, qui est le suivant : alors que chacun reconnaît qu'il est indispensable que des Français se trouvent à l'extérieur pour défendre nos intérêts économiques et culturels, alors que nos gouvernements encouragent nos concitoyens, particulièrement les jeunes, à s'expatrier, et alors, par ailleurs, que le préambule de la Constitution de 1946, repris par celui de 1958, proclame la solidarité de tous les Français devant les charges résultant de calamités publiques, les communautés françaises résidant à l'étranger sont abandonnées lorsqu'elles perdent brusquement leurs biens en raison d'événements imprévus et brutaux.

La solidarité nationale, inscrite dans les Constitutions, n'est pas seulement un principe. Elle existe vraiment et elle a trouvé son application dans plusieurs circonstances de la vie du pays : indemnisation des personnes sinistrées à la suite de catastrophes naturelles, ou, plus simplement d'intempéries comme le gel ou la grêle, aide aux victimes d'accidents de circulation ou de chasse lorsque le responsable des dommages est inconnu ou non assuré, création de fonds destinés à indemniser les victimes du terrorisme, ou celles du sang contaminé. Les fonctionnaires en poste à l'étranger reçoivent, pour leur part, une indemnisation lorsqu'ils perdent des biens lors d'événements survenant dans le pays où ils exercent leurs fonctions. Pourquoi une disposition analogue n'existe-t-elle pas pour les autres catégories de nos compatriotes ?

L'équité exige qu'un fonds de garantie soit enfin créé pour que les Français résidant à l'étranger, victimes d'une perte de tout ou partie de leur patrimoine résultant de graves événements politiques, soient, eux aussi, indemnisés.

L'existence d'un tel fonds permettra, non seulement de rassurer nos compatriotes établis dans des régions instables, mais également d'encourager les Français désireux de partir s'installer à l'étranger, autrement dit tous ceux que les risques d'une soudaine ruine pourraient faire renoncer à une expatriation dont chacun reconnaît l'utilité pour la France.

Telles sont les raisons pour lesquelles, dans un esprit de solidarité et de justice, la présente proposition de loi est soumise à votre approbation.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Il est créé un fonds de garantie public chargé d'indemniser les personnes physiques de nationalité française qui, au moment où elles résident hors de France, sont victimes d'événements politiques graves entraînant la perte totale ou partielle de leurs biens.

Article 2

Ce fonds, doté de la personnalité civile, est alimenté par des crédits nécessaires et suffisants prélevés sur le budget de l'Etat. Il est subrogé à concurrence des sommes versées, dans les droits que possèdent les victimes contre toute personne physique ou morale responsable des dommages à indemniser.

Article 3

Les événements politiques graves, ayant affecté des Français résidant à l'étranger, sont constatés par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où ont eu lieu ces événements, ainsi que la nature des dommages résultant de ceux-ci et ouvrant droit à indemnisation par le fonds de garantie institué à l'article 1er de la présente loi.

Article 4

Pour bénéficier d'une indemnisation, les victimes doivent adresser au fonds de garantie une demande justifiant de leurs préjudices, dans un délai de six mois à compter de la date de publication de l'arrêté interministériel.

Article 5

Sauf disposition contraire, les modalités de constitution et les règles de fonctionnement du fonds de garantie sont fixées par décret en Conseil d'Etat.

Article 6

Les dispositions de la présente loi sont applicables aux événements survenus depuis le 1er janvier 1997.

Article 7

Les dépenses résultant de la présente loi sont couvertes par une augmentation à due concurrence des droits prévus à l'article 575 A du code général des impôts.

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