Responsabilité de l'État et indemnisation des victimes du chlordécone (PPL) - Texte déposé - Sénat

N° 27

SÉNAT


SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

                                                                                                                                             

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 octobre 2024

PROPOSITION DE LOI


relative à la reconnaissance de la responsabilité de l’État et à l’indemnisation des victimes du chlordécone,


présentée

Par M. Dominique THÉOPHILE,

Sénateur


(Envoyée à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)




Proposition de loi relative à la reconnaissance de la responsabilité de l’État et à l’indemnisation des victimes du chlordécone


Article 1er

L’État reconnaît sa responsabilité dans les préjudices moraux et sanitaires subis par les populations de Guadeloupe et de Martinique résultant de l’autorisation de la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques à base de chlordécone et de leur usage prolongé comme insecticide agricole.

Il indemnise toutes les victimes de cette contamination dans les conditions fixées par la présente loi, que celle-ci ait eu lieu dans le cadre d’une activité professionnelle ou non.

L’État met en place une campagne de prévention sur l’ensemble du territoire national afin de mettre en avant l’existence de la chlordéconémie.

Il renforce également la prévention sanitaire de la population en mettant en place un dépistage systématique du cancer de la prostate à partir de quarante-cinq ans pour les populations de Guadeloupe et de Martinique.


Article 2

I. – Toute personne souffrant d’une maladie, inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d’État conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale et résultant d’une exposition au chlordécone due aux autorisations de commercialisation et d’épandage délivrées par la République française, peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi.

La demande de réparation doit être présentée dans un délai de six ans suivant la promulgation de la présente loi pour les personnes souffrant d’une maladie résultant d’une exposition au chlordécone lorsque la maladie s’est déclenchée avant la promulgation de la présente loi.

La demande de réparation doit être présentée dans un délai de six ans suivant le déclenchement de la maladie lorsqu’elle s’est déclenchée après la promulgation de la présente loi.

II. – Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit. Si elle est décédée avant la promulgation de la présente loi, la demande doit être présentée par l’ayant droit avant le 31 décembre de la sixième année qui suit la promulgation de la présente loi. Si la personne décède après la promulgation de la même loi, la demande doit être présentée par l’ayant droit au plus tard le 31 décembre de la sixième année qui suit le décès.

III. – Toute personne souffrant d’un préjudice d’anxiété résultant d’une exposition au chlordécone due aux autorisations de commercialisation et d’épandage délivrées par la République française et qui n’a pas encore développé de maladie liée à cette exposition peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi si elle a résidé ou séjourné en Guadeloupe ou en Martinique, au moins cinq ans, entre le 1er janvier 1972 et le 1er janvier 1992.

La demande de réparation doit être présentée dans un délai de six ans suivant la promulgation de la présente loi.

IV. – Toute personne dont l’enfant souffre d’une pathologie résultant d’une exposition in utero au chlordécone due aux autorisations d’épandage délivrées par la République française peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi si l’intégralité de la grossesse s’est déroulée sur le territoire de Guadeloupe ou de Martinique, à partir du 1er janvier 1972, et si les parents ont vécu au moins cinq ans en Guadeloupe ou en Martinique entre le 1er janvier 1972 et le 1er janvier 1992.

La demande de réparation doit être présentée dans les six ans suivant la promulgation de la présente loi pour les enfants nés avant sa promulgation, et dans un délai de six ans suivant la naissance pour les enfants nés après la promulgation de la présente loi.

V. – Le demandeur justifie, en cas de besoin avec le concours des administrations concernées, qu’il a résidé ou séjourné dans les zones et durant les périodes concernées et que sa demande de réparation relève de l’une des situations définies aux I à IV du présent article.


Article 3

L’indemnisation est versée sous forme de capital.

Toute réparation déjà perçue par le demandeur à raison des mêmes chefs de préjudice est déduite des sommes versées au titre de l’indemnisation prévue par la présente loi.

L’acceptation de l’offre d’indemnisation vaut transaction au sens de l’article 2044 du code civil et désistement de toute action juridictionnelle en cours. Elle rend irrecevable toute autre action juridictionnelle visant à la réparation des mêmes préjudices.


Article 4

I. – Les demandes d’indemnisation sont soumises au comité d’indemnisation des victimes du chlordécone, qui se prononce par une décision motivée dans un délai de six mois suivant le dépôt du dossier complet.

II. – Le comité d’indemnisation, qui est une autorité administrative indépendante, comprend neuf membres nommés par décret :

1° Un président, dont la fonction est assurée par un membre du Conseil d’État ou par un magistrat de la Cour de cassation, sur proposition, respectivement, du vice-président du Conseil d’État ou du premier président de la Cour de cassation ;

2° Huit personnalités qualifiées, dont au moins cinq médecins, parmi lesquels au moins :

– trois médecins nommés sur proposition du Haut Conseil de la santé publique en raison de leur compétence dans le domaine de l’épidémiologie en santé environnementale ;

– un médecin nommé sur proposition du Haut Conseil de la santé publique en raison de sa compétence dans le domaine de la réparation des dommages corporels ;

– un médecin nommé, après avis conforme du Haut Conseil de la santé publique, sur proposition des associations représentatives de victimes de contamination au chlordécone.

Les huit personnalités qualifiées comprennent quatre femmes et quatre hommes.

Des suppléants de ces personnalités qualifiées sont désignés dans les mêmes conditions. Ils remplacent les membres titulaires en cas d’absence ou d’empêchement.



Le président peut désigner un vice-président parmi ces personnalités qualifiées.



Le mandat des membres du comité est d’une durée de trois ans. Ce mandat est renouvelable, sous réserve du septième alinéa du présent II.



En cas de partage égal des voix, celle du président du comité est prépondérante.



Dans l’exercice de leurs attributions, les membres du comité ne reçoivent d’instruction d’aucune autorité.



III. – Le président du comité d’indemnisation des victimes du chlordécone a qualité pour agir en justice au nom du comité.



IV. – Ce comité examine si les conditions de l’indemnisation du préjudice sont réunies. Lorsqu’elles le sont, l’intéressé bénéficie d’une présomption de causalité.



Le comité procède ou fait procéder à toute investigation scientifique ou médicale utile, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel.



Il peut requérir communication, de tout service de l’État, collectivité publique, organisme gestionnaire de prestations sociales ou assureur, de tous renseignements nécessaires à l’instruction de la demande. Ces renseignements ne peuvent être utilisés à d’autres fins que cette dernière.



Les membres du comité et les agents désignés pour les assister doivent être habilités, dans les conditions définies pour l’application de l’article 413-9 du code pénal, à connaître des informations mentionnées aux trois premiers alinéas du présent IV.



Dans le cadre de l’examen des demandes, le comité respecte le principe du contradictoire. Le demandeur peut être assisté par une personne de son choix.



V. – Les modalités de fonctionnement du comité d’indemnisation des victimes de la contamination au chlordécone, les éléments que doit comporter le dossier présenté par le demandeur ainsi que les modalités d’instruction des demandes, et notamment les modalités permettant le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense, sont fixés par décret en Conseil d’État. Elles doivent inclure la possibilité, pour le requérant, de défendre sa demande en personne ou par un représentant.


Article 5

Après le 33° ter de l’article 81 du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les indemnités versées aux personnes souffrant de pathologies liées à leur exposition au chlordécone ou à leurs ayants droit, de même que les personnes souffrant d’un préjudice d’anxiété lié à cette exposition ou les enfants souffrant de pathologies liées à leur exposition intra utero au chlordécone, en application de la loi        du       relative à la reconnaissance de la responsabilité de l’État et à l’indemnisation des victimes du chlordécone ; ».


Article 6

La charge pour l’État résultant de la présente loi est compensée, à due concurrence, par :

1° La création d’une taxe additionnelle de 15 % sur les bénéfices générés par l’industrie des produits phytosanitaires pour les sociétés redevables de l’impôt sur les sociétés qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros ;

2° La création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

Le produit des taxes ainsi créées est affecté pour partie au comité d’indemnisation des victimes du chlordécone, pour la réalisation de ses missions de service public, et pour partie à la campagne de prévention mise en œuvre par l’État.

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