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N° 349
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 février 2019 |
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
tendant à attribuer à la loi la compétence de fixer les principes fondamentaux de la procédure civile ,
PRÉSENTÉE
Par M. François PILLET et Mme Muriel JOURDA,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le code de procédure civile est aujourd'hui de nature entièrement réglementaire. Pour autant, il comporte des dispositions fondamentales relatives à l'organisation et au déroulement du procès civil, en particulier dans ses deux premiers livres.
Ces dispositions concernent le droit d'exercer un recours effectif, les droits de la défense, le droit à un procès équitable ou encore les principes d'impartialité et d'indépendance des juridictions, autant de principes de valeur constitutionnelle qui se trouvent ici dépourvus de garanties légales du fait du caractère réglementaire du code.
À titre d'exemple, le code de procédure civile définit les principes directeurs du procès civil 1 ( * ) , parmi lesquels figurent les règles de fixation de l'objet du litige, le caractère contradictoire de la procédure et le caractère public des débats.
Il comporte également un dispositif potentiellement très puissant et intrusif en matière de mesures d'instruction susceptibles d'être ordonnées par le juge, à la demande de toute personne 2 ( * ) .
Il prévoit le caractère secret des délibérations des juges 3 ( * ) , alors que le Conseil constitutionnel a considéré récemment que ce principe découlait directement du principe d'indépendance des juridictions, de valeur constitutionnelle 4 ( * ) .
Il comporte des garanties contribuant au respect du caractère contradictoire et des droits de la défense lors du procès civil 5 ( * ) , indissociables du droit à un procès équitable.
Il détermine aussi la nature de l'appel, le droit de faire appel en matière civile et les effets de l'appel 6 ( * ) , dispositions fondamentales dans l'exercice du droit à un recours effectif, fixant le droit de voir son affaire jugée une seconde fois.
Ainsi, un certain nombre de dispositions de principe énoncées par le code de procédure civile pourraient aisément relever du domaine de la loi, compte tenu de leur importance pour la mise en oeuvre effective de droits et principes de valeur constitutionnelle.
Au surplus, des éléments non négligeables de procédure civile figurent déjà aujourd'hui dans la loi.
Il en est ainsi, par exemple, pour les aspects principaux de la procédure prud'homale 7 ( * ) ainsi que pour la possibilité de faire appel des jugements des conseils de prud'hommes 8 ( * ) .
C'est aussi le cas avec la procédure d'action de groupe dans le code de la consommation 9 ( * ) , instaurée par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.
C'est encore le cas avec les différentes procédures d'action de groupe en matière civile, instaurées par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle, en particulier le régime procédural commun devant le juge judiciaire 10 ( * ) et sa déclinaison en matière de discrimination 11 ( * ) , en matière de discrimination au travail 12 ( * ) ou encore en matière environnementale 13 ( * ) .
À titre de comparaison, le code de justice administrative comporte, dans sa partie législative, un certain nombre de dispositions décrivant la procédure suivie devant les juridictions administratives.
Par ailleurs, une importante réforme de la justice civile est prévue dans le cadre du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, examiné en première lecture par le Sénat en octobre 2018. Cette réforme comporte un volet réglementaire, dont certaines des mesures envisagées sont plus importantes que celles figurant dans le projet de loi. On peut évoquer à ce titre, notamment, la suppression du caractère suspensif de l'appel et l'exécution provisoire par principe des décisions de première instance : une telle réforme peut paraître problématique, compte tenu des conditions dans lesquelles les jugements sont rendus en première instance. En tout cas, cette évolution serait tout à fait fondamentale dans le fonctionnement de la justice civile française comme pour les droits des justiciables. Sont également évoquées la mise en place d'un mode unique de saisine des juridictions civiles et la dématérialisation des procédures, mesures affectant directement les conditions d'exercice du droit d'agir en justice.
En dépit de leur importance, ces réformes ne donneront lieu à aucun débat devant le Parlement.
François-Noël BUFFET et Yves DÉTRAIGNE, rapporteurs de ce texte au nom de la commission des lois, ont indiqué dans leur rapport de première lecture que ces perspectives d'évolution illustraient « la pertinence qu'il pourrait y avoir à inclure les principes fondamentaux de la procédure civile dans le domaine de la loi ».
Pour l'ensemble de ces raisons, la présente proposition de loi organique prévoit d'attribuer au législateur la compétence de déterminer les principes fondamentaux de la procédure civile. En effet, en vertu du dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution, le domaine de la loi peut être précisé ou complété par une loi organique.
Actuellement, à titre de comparaison, l'article 34 de la Constitution dispose que la loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de l'enseignement, de la préservation de l'environnement, du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales, ou encore du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale. Il précise également que la loi fixe les règles concernant la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables, de même que les règles concernant la procédure pénale.
En outre, l'article 1 er de la loi organique n° 2017-54 du 20 janvier 2017 relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes a déjà étendu le domaine de la loi, en précisant que « toute autorité administrative indépendante (...) est instituée par la loi » et que « la loi fixe les règles relatives à la composition et aux attributions ainsi que les principes fondamentaux relatifs à l'organisation et au fonctionnement » de ces autorités.
Dans ces conditions, les principes de la procédure civile pourraient, eux aussi, légitimement relever de la compétence du législateur.
Proposition de loi organique tendant à attribuer à la loi la compétence de fixer les principes fondamentaux de la procédure civile
Article unique
La loi détermine les principes fondamentaux de la procédure civile.
* 1 Articles 1 er à 24 du code de procédure civile.
* 2 Article 145 du même code.
* 3 Article 448 du même code.
* 4 Décision n° 2015-506 QPC du 4 décembre 2015, M. Gilbert A., selon laquelle l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 fonde « le principe d'indépendance, qui est indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles et dont découle le principe du secret du délibéré ».
* 5 Articles 467 et suivants du code de procédure civile.
* 6 Articles 542 et suivants du même code.
* 7 Articles L. 1451-1 et suivants du code du travail.
* 8 Article L. 1462-1 du même code.
* 9 Articles L. 623-1 et suivants du code de la consommation.
* 10 Articles 60 et suivants de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle.
* 11 Article 10 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.
* 12 Articles L. 1134-6 et suivants du code du travail.
* 13 Article L. 142-3-1 du code de l'environnement.