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N° 552
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017
Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 mai 2017 |
PROPOSITION DE LOI
visant à abroger la loi autorisant la ligne Charles de Gaulle Express ,
PRÉSENTÉE
Par Mme Éliane ASSASSI, MM. Pierre LAURENT, Michel BILLOUT, Patrick ABATE, Mme Marie-France BEAUFILS, MM. Éric BOCQUET, Jean-Pierre BOSINO, Mmes Laurence COHEN, Cécile CUKIERMAN, Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Christian FAVIER, Thierry FOUCAUD, Mmes Brigitte GONTHIER-MAURIN, Gélita HOARAU, M. Michel LE SCOUARNEC, Mmes Christine PRUNAUD, Évelyne RIVOLLIER, MM. Bernard VERA et Dominique WATRIN,
Sénateurs
(Envoyée à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le projet dit « CDG express » est un projet ancien. Imaginé dès 2002, il ressurgit sous chaque nouvelle législature dans des formes évolutives.
Durant le dernier quinquennat, ce projet a fait l'objet d'un coup d'accélération notable, puisque l'article 8 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron », a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi permettant la réalisation d'une infrastructure ferroviaire entre Paris et l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle.
Cette ordonnance a ensuite fait l'objet d'une ratification par la loi n° 2016-1887 relative à une liaison ferroviaire entre Paris et l'aéroport Paris-Charles de Gaulle, adoptée définitivement par le Parlement et promulguée le 28 décembre 2016.
L'arrêté inter-préfectoral de déclaration d'utilité publique modificative a été signé le 31 mars 2017.
Enfin, deux offres ont été déposées pour assumer l'exploitation de cette nouvelle ligne. D'une part, la société Transdev, associée à deux fonds d'investissements et d'autre part, une alliance entre Keolis et la RATP.
Par la présente proposition de loi, ses auteurs préconisent d'abroger la loi qui a défini les contours de ce projet. En effet, les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen contestent, depuis le début, le bien-fondé même de cette nouvelle offre de transport, inutile et coûteuse.
Un projet qui n'est pas un projet d'intérêt général du fait de son coût et des usagers concernés
Les sénatrices et sénateurs du groupe CRC considèrent, en effet, que les caractéristiques de ce projet n'en font pas un projet d'intérêt général puisque l'objet de ce transport ne vise qu'une seule catégorie d'usagers.
Sa tarification particulière, de l'ordre de 24 euros, atteste d'ailleurs de la spécificité de l'offre, qui n'intègre pas les grilles de tarification du STIF et qui se place ainsi hors « pass navigo ». Les salariés de la plateforme aéroportuaire ne pourront pas non plus utiliser cette infrastructure avec leur titre de transport.
Très logiquement, il ne constitue donc pas un élément du service public de transport collectif en ne s'adressant qu'aux hommes d'affaires et aux touristes fortunés. En effet, la plupart de nos concitoyens n'auront pas les moyens de s'offrir ce nouveau moyen de transport et continueront d'utiliser le RER B pour se rendre à l'aéroport Charles de Gaulle.
Tout dans ce projet est dérogatoire et participe à la libéralisation du service public de transport
Qu'il s'agisse des procédures d'expropriation d'urgence, prévue par la loi Macron. Qu'il s'agisse encore des conditions d'exploitation du service. L'article 2 de la loi que nous proposons d'abroger offre ainsi une dérogation au monopole de la SNCF en ouvrant son exploitation à la concurrence. Une telle mesure laisse craindre de conditions sociales tirées vers le bas pour les salariés, comme cela a été le cas lors de l'attribution de l'exploitation de tangentielle nord à une filiale de la SNCF.
Les sénatrices et sénateurs du groupe CRC n'approuvent pas ces procédures qui placent ce projet hors du droit commun, témoignant d'une volonté de libéralisation accrue des transports publics au détriment de la cohérence de l'offre et de l'unité du réseau ferroviaire .
Un coût exorbitant au regard de l'utilité de cette infrastructure, redondante avec d'autres projets liés au Grand Paris Express
Le bilan entre intérêt public et coût de cette nouvelle infrastructure ne plaide pas pour sa réalisation.
Estimé à 1,6 milliards, soit près de deux fois le coût estimé en 2007, ce projet semble en décalage avec les besoins exprimés.
Cette estimation semble également peu réaliste car certains coûts, et notamment les importants dévoiements de réseau de gaz à Mitry-Mory, n'ont pas été intégrés.
Par ailleurs, les conditions par rapport à la déclaration d'utilité publique de 2008 ont évolué. Ces évolutions font que ce projet est aujourd'hui redondant avec le projet de ligne 17 du Grand Paris Express qui reliera, au tarif du pass navigo, Pleyel à l'aéroport.
Un projet qui renforce la saturation du réseau
Enfin, la réalisation de cette nouvelle infrastructure, qui utiliserait 24 kilomètres sur 32 d'infrastructures existantes, risque de participer à la sursaturation du réseau, au détriment des usagers du quotidien. Ce risque a d'ailleurs été pointé par l'avis du STIF du 1 er juin dernier. Le STIF a ainsi estimé à 1,5 milliard la perte de ponctualité sur les autres modes de transports.
Car à l'évidence, l'arrivée du CDG Express perturbera non seulement le RER B, mais également la ligne K et P, le TER Picardie ainsi que le fret ferroviaire.
Ce projet va clairement rendre plus difficile les conditions quotidiennes de voyage de 870 000 personnes, afin de satisfaire les 22 000 usagers prévus. Il ne répond donc pas à l'intérêt général.
Un projet qui menace l'environnement
Par ailleurs, les impacts environnementaux seront lourds. Les 8 kilomètres de ligne construits le seront au prix du changement de destination de 29 hectares de terrains agricoles. Par ailleurs, la zone Natura 2000 du parc de la poudrerie n'a pas été prise en compte. Alors que le grenelle de l'environnement et les travaux de la COP 21 devraient nous conduire à utiliser avec précaution les espaces naturels, ce projet contribue à l'artificialisation des sols. Enfin, les habitants de la porte de la Chapelle vont voir leur environnement urbain dégradé. Autant de nuisances fortes, qui n'ont pas assez été prises en compte.
L'autorité environnementale a d'ailleurs considérée que ce projet était incohérent et non conforme au code de l'environnement.
Un financement incertain et totalement public
Sur la forme, la loi adoptée n'est pas conforme à l'habilitation qui a été donnée dans le cadre de la loi Macron.
En effet, la loi Macron prévoyait un financement privé, justifié par le fait que ce projet ne relève pas de l'intérêt général. Or, dans le montage qui nous est proposé on trouve partout de l'argent public notamment dans le cadre du pacte d'actionnaire proposé.
Ainsi, SNCF Réseau à 100 % et ADP à 51 % sont détenues par l'État, sans parler même de la Caisse des dépôts et consignation. Un tel montage juridique et financier, peu crédible du reste comme l'ont souligné les conclusions de l'enquête publique, ne respecte pas l'objectif initialement défini. Ainsi, alors que SNCF Réseau est exsangue, elle serait amenée à contribuer à hauteur de 400 millions d'euros. Pourtant sa dette ne cesse d'augmenter et représente près de 50 milliards. Cela a d'ailleurs conduit l'ARAFER et la cour des comptes à émettre des réserves sur ce financement. L'ARAFER a par ailleurs donné un avis défavorable sur la trajectoire financière de SNCF Réseau.
Les auteurs de cette proposition de loi estiment que c'est le rôle de l'impôt, sous toutes ses formes, que d'opérer la redistribution nécessaire afin de garantir pour tous l'exercice de leurs droits fondamentaux, dont le droit à la mobilité. Ils condamnent donc cette aventure financière hasardeuse pour des entreprises à capitaux publics, qui doivent mettre en oeuvre le service public, et non pas faire des paris hypothétiques et dangereux sur la rentabilité d'une offre de transport pour des usagers privés. L'argent public doit servir l'intérêt général. Or, l'intérêt général commande de répondre à l'exigence d'une modernisation des conditions de transports des 900 000 usagers du RER B.
Par ailleurs, le montage du projet, pointé également du doigt par la commission d'enquête, reste encore bien opaque et incertain. La loi de finances rectificative a permis la création d'une taxe sur les billets d'avion afin de financer ce projet, à hauteur de 1,4 euro par billet, à l'horizon 2024. Mais cela semble déjà insuffisant et créé par ailleurs une rupture d'égalité entre les passagers aériens.
La question du financement reste donc entière et devrait nous inciter à la prudence.
Un projet qui bat en brèche la promesse républicaine
A la lumière de ces explications, il ressort que ce projet rompt avec la notion de service public. Ce projet oppose les différentes catégories d'usagers pour donner la priorité aux usagers qui ont les moyens de financer une offre de transport dédiée. Une telle conception organise une société à deux vitesses. Or, les habitants de banlieue et des quartiers populaires doivent disposer de transports fiables, modernisés et efficaces, c'est cela aussi la promesse républicaine que ce projet bat en brèche.
Une urgence : améliorer les transports du quotidien
L'urgence est donc bien de répondre aux besoins de tous les usagers, qu'ils soient passagers aériens, salariés et notamment les salariés des plateformes aéroportuaires dont il n'est pas question dans ce projet, ou des usagers franciliens.
Pour cette raison, les sénatrices et sénateurs du groupe CRC estiment qu'améliorer les conditions de circulation du RER B, du Transilien et des TER, est la meilleure option pour améliorer les conditions de transports de tous et respecter les enjeux environnementaux de région capitale.
Améliorer les transports du quotidien, c'est notamment permettre le bouclage du RER B entre Mitry-Claye et l'aéroport, c'est permettre un meilleur cadencement de la ligne K, le doublement du tunnel entre Châtelet et la gare du nord. C'est donner les moyens de rénover le TER Picardie comme l'ensemble des voies et des matériels roulants dont le mauvais état entraine retards et gênes pour les usagers.
Face à ces propositions, il est toujours rétorqué que les financements manquent. La Région et l'État se renvoient les responsabilités et les usagers sont pris en otages de ces règlements de compte politiques.
Or, lorsque les élus communistes, républicains et citoyens proposent d'apporter des ressources nouvelles en augmentant par exemple le versement transport, les différents gouvernements ont toujours rétorqué qu'il ne fallait pas pénaliser les entreprises. Ces mêmes entreprises qui bénéficient du CICE et qui profitent pour leurs salariés et leurs clients, de bonnes conditions de transports.
Un déficit démocratique consternant
Sur la méthode encore. Celle-ci nous a semblé particulièrement méprisante envers les parlementaires, les élus locaux et les populations.
Méprisante envers les parlementaires d'abord, que la loi que nous proposons d'abroger ratifie une ordonnance. Pire, l'habilitation en a été donnée par la loi « Macron », qui a été adoptée par le recours au 49-3.
Ce projet de loi a, par ailleurs, disposé d'une étude d'impact minuscule. Les conclusions de l'enquête publique ont été connues que très tardivement, le 29 septembre 2016. Aucune des deux réserves formulées par les conclusions de la commission d'enquête, qui conditionnaient l'avis favorable, ne sont levées aujourd'hui que ce soit en matière de financement tout autant qu'en matière de saturation du réseau par la définition d'une grille de circulation.
La procédure est également méprisante envers les élus locaux qui n'ont pas été associés. Pour la plupart des 14 villes traversées, les élus y sont même opposés, tant ce projet apporte des nuisances et perturbent les projets urbains. À noter d'ailleurs, qu'aucune des réunions tenues durant l'enquête publique ne s'est tenue en Seine-Saint-Denis, département particulièrement touché par ce projet, puisque ce sont10 villes qui seraient traversées.
Méprisante envers les élus régionaux, puisque l'avis du STIF a été balayé d'un revers de main.
Méprisante enfin envers les franciliens et les salariés. Ainsi sur les 700 contributions remises lors de l'enquête publique, l'écrasante majorité conteste ce projet. En ce qui concerne la Seine-Saint-Denis, on demande en fait aux habitants de regarder passer les trains, d'en subir les désagréments, alors que leurs conditions quotidiennes de transport sont profondément indignes. Quant aux salariés des plateformes, rien n'est fait pour leur faciliter leur déplacement.
Ce projet marque donc un véritable déni de démocratie, un affront au peuple qui utilise quotidiennement les transports publics pour aller travailler et qui subit une galère quotidienne lié au défaut d'entretien des lignes comme en témoigne la succession d'incident de l'hiver lié à la vétusté des caténaires.
Pour l'ensemble de ces raisons, les auteurs de cette proposition de loi demande l'abrogation de la loi de décembre 2016 et l'abandon pure et simple de ce projet qui ne prend pas en compte les besoins prioritaires des franciliens en matière de fiabilité, de ponctualité, de qualité et de confort des transports. Ces qualificatifs ne doivent être un luxe réservé aux seuls passagers de l'aérien mais bien rester les attributs du service public pour tous.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
La loi n° 2016-1887 du 28 décembre 2016 relative à une liaison ferroviaire entre Paris et l'aéroport Paris-Charles de Gaulle est abrogée.