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N° 131
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017
Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 novembre 2016 |
PROPOSITION DE LOI
visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales ,
PRÉSENTÉE
Par MM. Vincent DELAHAYE, François ZOCCHETTO, Mme Annick BILLON, MM. Philippe BONNECARRÈRE, Olivier CADIC, Michel CANEVET, Olivier CIGOLOTTI, Daniel DUBOIS, Joël GUERRIAU, Claude KERN, Nuihau LAUREY, Hervé MARSEILLE, Pierre MÉDEVIELLE, Mme Catherine MORIN-DESAILLY, MM. Yves POZZO di BORGO, Henri TANDONNET, Mme Lana TETUANUI, MM. Jean-Marie VANLERENBERGHE et Jean-Marc GABOUTY,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'article 15 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 dispose que « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ».
Ce qui était vrai en 1789 est toujours d'actualité : l'exemplarité et la transparence sont de plus en plus exigés par la société civile envers l'État. Corollaire de cette exigence, il apparaît indispensable de renforcer la responsabilité des élus ordonnateurs et des directeurs d'administration.
Dans cet esprit, en 1993, la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite « Sapin I », avait, dans ses articles 78 et suivants, visé à responsabiliser les élus locaux en permettant qu'ils soient justiciables de la cour de discipline budgétaire et financière lorsqu'ils avaient commis des fautes de gestion à l'égard de l'État ou lorsqu'ils avaient engagé leur responsabilité propre à l'occasion d'un ordre de réquisition.
Ces dispositions sont cependant apparues à l'usage d'un intérêt assez limité, la notion de faute étant difficile à prouver.
Récemment, à la suite de changements d'exécutifs et d'analyses budgétaires dans certaines collectivités territoriales - les cas de la Seine Saint-Denis, de l'Essonne ou bien celui de l'ex-Région Poitou-Charentes ont été publiquement évoqués - de sérieux doutes ont été émis sur la sincérité des comptes présentés par ces collectivités. Des retards de paiements auraient été pratiqués de manière systématique. Selon les conclusions des audits, le total des factures reportées d'une année sur l'autre aurait atteint parfois jusqu'à 10 % des dépenses de fonctionnement.
Outre l'insincérité évidente des budgets soumis aux votes, ces dérives ont provoqué des situations de baisse drastique de l'épargne brute et une augmentation importante de l'endettement. À l'arrivée de nouveaux exécutifs, des coupes budgétaires ou bien des hausses d'impôts importantes ont dû être décidées pour redresser les situations financières.
Notons que dans le secteur privé, les faux bilans ou les comptes insincères sont sanctionnés par des peines de prisons ou des amendes quelles que soient les raisons de ces irrégularités : malveillance comme incompétence. Dans les collectivités, les responsables exécutifs comme administratifs de telles situations ne sont pas inquiétés.
Enfin, dans tous les cas, les chambres régionales des comptes n'ont pas dénoncé ces situations dans des délais qui auraient permis de corriger rapidement ces irrégularités.
La société civile est en demande d'une éthique politique forte, exemplaire et responsable. Elle n'accepte plus l'insuffisance de contrôle, la dilution des responsabilités et l'absence de sanctions.
A cette fin, la présente proposition de loi institue, au 1° de son article 1 er , au sein des collectivités territoriales locales un contrôle plus fréquent par les chambres régionales des comptes dont elles dépendent : a minima , un examen annuel limité au respect de l'annualité budgétaire (c'est-à-dire, rattachement des charges à l'exercice), pour les collectivités et leurs établissements publics, dont les recettes (fonctionnement et investissement) dépassent les 200 millions d'euros par an. Pour celles dont les recettes dépassent 100 millions mais n'excèdent pas 200 millions, ce contrôle annuel limité aurait lieu tous les deux ans. En outre, un contrôle obligatoire s'appliquerait tous les 6 ans pour les collectivités et les établissements les plus importants.
Outre ce volet préventif, cette proposition étend au 2° de son article 1 er les compétences de la cour de discipline budgétaire et financière afin que les élus soient justiciables devant cette cour et effectivement responsables pour les infractions comptables commises pendant leur mandat.
A cette fin, l' article 1 er rend obligatoire la transmission par la chambre régionale des comptes à la cour de discipline budgétaire et financière de toute(s) irrégularité(s) constatée(s).
Par cohérence, la présente proposition de loi supprime « l'ordre écrit », dispositif qui permet actuellement à un fonctionnaire de ne pas être sanctionné, s'il peut se prévaloir d'un ordre écrit signé d'un élu. Le législateur souhaite ainsi que soient justiciables le responsable exécutif comme le responsable administratif, ceci afin de limiter les risques de dérive.
La présente proposition de loi renforce également le régime de sanctions applicables, le cas échéant, avec des peines d'inéligibilité et/ou pécuniaires.
Enfin, cette proposition de loi jette les bases d'un mécanisme de protection assurantielle des chefs d'exécutifs locaux justiciables de la cour de discipline budgétaire et financière en cas de sanction pécuniaire.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
Le code des juridictions financières est ainsi modifié :
1° L'article L. 211-8 est ainsi modifié :
a) Après le premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« La chambre régionale des comptes effectue ces vérifications, au plus tard tous les six ans, dans les collectivités territoriales et leurs établissements publics dès lors qu'ils disposent régulièrement de plus de 200 millions d'euros de recettes annuelles. En outre, elle examinera annuellement le respect du rattachement des charges à l'exercice budgétaire en cours dans ces collectivités et établissements.
« La chambre régionale des comptes effectue ces vérifications, au plus tard tous les deux ans, pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics qui disposent de recettes annuelles comprises entre 100 et 200 millions d'euros. » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les faits constatés par la chambre régionale des comptes à l'occasion de l'un de ses contrôles constituent des infractions au sens des articles L. 313-1 à L. 313-7, elle en saisit le ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière. » ;
2° L'article L. 312-1 est ainsi modifié :
a) Après le a du I, il est inséré un a bis ainsi rédigé :
« a bis ) Toute personne exerçant un mandat ou une fonction exécutive locale ; »
b) Les b à l du II sont abrogés ;
3° Les articles L. 312-2 et L. 313-10 sont abrogés ;
4° Après l'article L. 313-14, il est inséré un article L. 313-14-1ainsi rédigé :
« Art. L. 313-14-1 - Les personnes exerçant un mandat ou une fonction exécutive locale reconnues coupables par la Cour de l'une des infractions mentionnées aux articles L. 313-1 à L. 313-7 encourent une peine complémentaire d'inéligibilité.
« L'inéligibilité s'applique à toutes les élections pour une durée maximale de cinq ans. »
Article 2
Un décret en Conseil d'État détermine les conditions dans lesquelles les personnes détentrices d'un mandat exécutif local peuvent s'assurer contre le risque de sanctions pécuniaires décidées par la Cour de discipline budgétaire et financière.
Article 3
Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard, un an après l'entrée en vigueur de la présente loi, un rapport mesurant l'impact de l'introduction d'un contrôle systématique du principe de l'annualité du rattachement des charges à l'exercice comptable des collectivités territoriales effectué par les chambres régionales et territoriales des comptes.