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N° 738
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er août 2012 |
PROPOSITION DE LOI
tendant à introduire une dose de représentation proportionnelle lors des élections législatives et à limiter les risques d' arbitraire gouvernemental lors du redécoupage des circonscriptions ,
PRÉSENTÉE
Par M. Jean Louis MASSON,
Sénateur
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Un système de scrutin doit à la fois dégager une majorité stable, assurer une représentation équitable des courants d'opinion et permettre aux électeurs eux-mêmes (et non aux partis politiques) de choisir les élus qui doivent les représenter. En pratique, ces objectifs sont difficilement compatibles entre eux, les solutions extrêmes étant le scrutin proportionnel intégral et le scrutin uninominal majoritaire.
- En effet, un scrutin proportionnel intégral entraînerait une grave instabilité gouvernementale (cf., l'exemple de la IV e République). De plus, il accentuerait la mainmise des partis politiques, en privant les électeurs de la possibilité de choisir les personnes qu'ils souhaitent élire.
- Réciproquement, le scrutin uninominal majoritaire est profondément injuste. Ainsi en 2002, bien que le candidat du Front national soit arrivé deuxième aux élections présidentielles, il n'a ensuite obtenu aucun député. De même en 2012 au premier tour des présidentielles, le Front national, le Front de gauche et le Modem ont eu respectivement 6 421 426, 3 984 822 et 3 275 122 voix (soit 17,90 %, 11,10 % et 9,13 % des exprimés) ; toutefois, ils n'ont ensuite obtenu que 2, 10 et 2 députés. Au contraire, les Verts, avec seulement 828 345 voix (soit 2,31 %) aux présidentielles, ont ensuite obtenu 17 députés.
Une solution intermédiaire serait d'introduire une dose de représentation proportionnelle. Jusqu'en 1986, il y avait 493 députés élus au scrutin majoritaire. Ce nombre permet d'assurer une couverture satisfaisante du territoire par les députés ; de plus, il est suffisant pour garantir une dominante majoritaire au processus électoral global pour l'ensemble des 577 députés. Outre les 11 sièges représentant les Français de l'étranger, 73 autres sièges seraient alors l'objet d'une répartition sur une base de proportionnalité.
La répartition de ces sièges entre les partis pourrait se faire en ne prenant en compte que les voix obtenues par leurs candidats non élus au scrutin majoritaire. Ainsi, 73 sièges affectés selon ce calcul auraient le même impact de proportionnalité que 121 sièges affectés selon une proportionnelle classique. En outre, pour que les députés concernés soient réellement choisis par les électeurs et non par les partis politiques, les sièges revenant à chaque parti seraient attribués à ses candidats ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages.
Sur ces bases, la présente proposition de loi tend à ce que les 577 députés soient élus en retenant trois orientations :
- 11 députés représentant les Français de l'étranger seraient élus au scrutin proportionnel de liste avec répartition des restes à la plus forte moyenne.
- 493 députés seraient élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours ; afin d'éviter les abus constatés sous la précédente législature, le projet de découpage des circonscriptions serait élaboré par une commission technique et non par le ministre de l'Intérieur ou un secrétaire d'État.
- 73 sièges dits de répartition seraient eux, attribués proportionnellement au total des voix obtenues par les candidats non élus de chaque parti dans les 493 circonscriptions ; en outre, pour chaque parti les sièges seraient affectés aux candidats non élus au scrutin majoritaire ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages.
I - Les 11 députés représentant les Français de l'étranger
Sous la précédente législature, le Gouvernement Fillon a organisé l'élection des députés représentant les Français de l'étranger en découpant onze circonscriptions rassemblant chacune des pays très disparates. Manifestement, son but n'était pas de favoriser la proximité entre les élus et les électeurs ou une représentation territoriale cohérente. Sa principale finalité était, par l'effet mécanique du scrutin uninominal majoritaire et par un découpage discutable, d'offrir à l'UMP, une surreprésentation en sièges par rapport au nombre de voix obtenues.
Manifestement, les députés représentant les Français de l'étranger ont plus que n'importe quels autres, vocation à être élus au scrutin proportionnel car il n'est pas possible qu'ils aient une réelle territorialité. Il est donc proposé qu'à l'avenir, ces onze députés soient élus au scrutin proportionnel de liste avec répartition des restes à la plus forte moyenne.
II - Les 493 députés élus au scrutin majoritaire
Il est d'ailleurs proposé que 493 députés soient élus dans le cadre du scrutin uninominal majoritaire à deux tours actuellement en vigueur. Toutefois, lors du récent redécoupage des circonscriptions législatives, on a constaté là aussi, des pratiques discutables de la part du Secrétaire d'État chargé de ce dossier, ainsi que de l'entourage du Président de la République et du Premier Ministre.
Le département de la Moselle en est l'exemple le plus flagrant. La Commission de contrôle avait rendu un avis négatif mais le Secrétaire d'État n'en a pas tenu compte. Puis, le Conseil d'État a rendu à son tour un avis négatif mais là encore, le Gouvernement n'en a pas tenu compte. Ce département a été ensuite le seul pour lequel la Commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté un amendement rectifiant les anomalies mais le Gouvernement a persisté en imposant sa volonté par un vote bloqué. Enfin, la Moselle a été l'un des deux départements cités par le Conseil constitutionnel comme caractéristique des abus du charcutage. Malheureusement, le Conseil a estimé ne pas avoir la compétence pour censurer les anomalies constatées.
Afin de garantir un minimum d'honnêteté dans le découpage, il conviendrait donc de confier à une « commission du découpage » la mission de répartir les 493 députés entre les départements et territoires ou groupes de territoires puis de procéder à la délimitation de chaque circonscription. C'est le projet ainsi élaboré qui serait ensuite soumis au vote du Parlement.
La « commission du découpage » serait composée de deux fois trois membres désignés en leur sein par le Conseil d'État et par la Cour de Cassation, de deux fois deux personnalités qualifiées désignées par le président de l'Assemblée nationale et par le président du Sénat et d'une personnalité qualifiée désignée par le Président de la République. Cette dernière en assurerait la présidence.
III - Les 73 députés dits de répartition
Les partis désirant participer à l'attribution des 73 sièges de répartition s'enregistreraient auprès du ministère de l'Intérieur au moins quatre semaines avant le premier tour des élections législatives. Ils auraient alors le droit d'habiliter un candidat dans chacune des 493 circonscriptions. Les partis politiques dont les candidats auraient obtenu au total au moins 5 % des suffrages exprimés au premier tour dans l'ensemble des 493 circonscriptions seraient retenus pour la répartition.
Ensuite, pour chaque parti ainsi retenu, seules seraient additionnées les voix obtenues au premier tour par leurs candidats n'étant pas élus directement dans les 493 circonscriptions. Le nombre de sièges revenant à chaque parti serait calculé selon le système proportionnel avec répartition des restes à la plus forte moyenne.
Pour chaque parti, les sièges de répartition reviendraient à ceux de leurs candidats non élus au scrutin majoritaire ayant obtenu le plus grand nombre de voix au premier tour. En cas d'égalité, la priorité serait donnée aux candidats ayant le pourcentage le plus élevé de suffrages par apport aux exprimés. Chaque député dit de répartition serait considéré comme étant l'élu de son département de candidature.
IV - Transparence et clarté des candidatures
Les candidats aux élections législatives sont tenus de signer en préfecture une déclaration de candidature en fournissant certaines indications (nom, prénoms, date et lieu de naissance, domicile, profession...). Or, les arrêtés préfectoraux publiant les listes de candidats ne précisent pas ces différentes mentions. De ce fait, les électeurs sont parfois amenés à se prononcer sur des personnes au sujet desquelles ils n'ont strictement aucune indication, si ce n'est leurs nom et prénoms.
Une situation aussi opaque est incompatible avec la transparence et les principes de base de la démocratie. L'arrêté préfectoral établissant la liste des candidats devrait donc reprendre les indications obligatoires exigées pour le dépôt des candidatures. Le cas échéant, il devrait en être de même pour l'éventuel rattachement des candidats au titre de l'aide publique de l'État aux partis politiques et bien entendu pour leur éventuelle habilitation par un parti enregistré pour l'attribution des sièges de répartition.
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L'article de la présente proposition de loi qui a pour but d'éviter les dérives partisanes lors du redécoupage des circonscriptions législatives donne un nouveau rôle et des attributions élargies à la commission indépendante prévue par l'article 25 de la Constitution. De ce fait, la présente proposition de loi a pour corollaire le dépôt en parallèle d'une proposition de loi constitutionnelle modifiant cet article et d'une proposition de loi organique prévoyant que le projet de redécoupage élaboré par cette commission sert de base aux débats devant le Parlement.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
L'article L. 123 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L. 123. - Quatre cent quatre-vingt-treize députés sont élus sur l'ensemble du territoire français au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Le vote a lieu par circonscription.
« Soixante-treize députés sont élus sur une base de proportionnalité dans les conditions prévues par l'article L. 124.
« Onze députés représentant les Français établis hors de France sont élus dans une seule circonscription au scrutin de liste à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel. Sur chaque liste, les sièges sont attribués aux candidats d'après l'ordre de présentation. »
Article 2
L'article L. 124 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L. 124. - Après s'être fait enregistrer à cet effet auprès du ministère chargé de l'intérieur, au moins quatre semaines avant le premier tour des élections législatives, les partis ou groupements politiques peuvent habiliter, dans chacune des circonscriptions, un candidat susceptible d'être élu sur une base de proportionnalité. Lors de son inscription en préfecture, celui-ci fournit l'attestation de son habilitation et la fait enregistrer.
« Seuls participent à l'attribution des sièges, les partis ou groupements politiques dont les candidats habilités ont obtenu au total au moins 5 % des suffrages exprimés dans l'ensemble des circonscriptions au premier tour. Le nombre de sièges attribués à chaque parti ou groupement politique est calculé selon le système proportionnel avec répartition des restes à la plus forte moyenne en ne prenant en compte que les suffrages obtenus au premier tour par ceux de ses candidats qui n'ont pas été élus au scrutin uninominal majoritaire.
« Pour chaque parti ou groupement politique, les sièges sont attribués aux candidats non élus au scrutin uninominal majoritaire qu'ils ont habilités et qui ont obtenu le plus grand nombre de suffrages au premier tour ou, en cas d'égalité, le pourcentage le plus élevé des suffrages par rapport aux suffrages exprimés dans leur circonscription.
« Pour l'application de l'article L. 280, les députés élus au titre du présent article sont considérés comme ayant été élus dans le département ou territoire, où ils ont été candidats au scrutin majoritaire. »
Article 3
À la fin du premier alinéa de l'article L. 125 du code électoral, les mots : «, n° 1 bis pour la Nouvelle-Calédonie et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution et n° 1 ter pour les Français établis hors de France » sont remplacés par les mots : « et n° 1 bis pour la Nouvelle-Calédonie et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution ».
Article 4
Après l'article L. 155 du code électoral, il est inséré un article L. 155-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 155-1. - La liste des candidats dont la déclaration de candidature a été définitivement enregistrée et de leurs remplaçants est arrêtée et publiée par le préfet. Elle comporte les énonciations et indications mentionnées au premier alinéa des articles L. 154 et L. 155 et, s'il y a lieu, le parti ou groupement politique auquel les candidats se rattachent en application de l'article 9 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988, ainsi que s'il y a lieu, le parti ou groupement politique dont le candidat a accepté l'habilitation au titre de l'article L. 124.»
Article 5
Le premier alinéa de l'article L. 330-1 du code électoral est ainsi rédigé :
« La population des Français établis dans la circonscription mentionnée au troisième alinéa de l'article L. 123 est estimée chaque année au 1 er janvier. Elle est authentifiée par décret. »
Article 6
L'article L. 567-1 du code électoral est ainsi modifié :
I. - Au premier alinéa, les mots : « au dernier alinéa de l'article 25 de la Constitution » sont remplacés par les mots : « au premier alinéa de l'article L.O. 122-1 ».
II. - Dans le 2° et le 3° remplacer les mots : « Une personnalité » par les mots : « Deux personnalités ».
III. - Le 4° est ainsi rédigé :
« 4° Trois membres du Conseil d'État, d'un grade au moins égal à celui de conseiller d'État, élus par l'assemblée générale du Conseil d'État. »
IV. - Le 5° est ainsi rédigé :
« 5° Trois membres de la Cour de cassation, d'un grade au moins égal à celui de conseiller, élus par l'assemblée générale de la Cour de cassation. »
V. - Le 6° est abrogé.
Article 7
Au premier alinéa de l'article L. 567-6 du code électoral, le mot : « quatre » est remplacé par le mot : « six ».
Article 8
L'article L. 567-7 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L. 567-7. - Les recommandations adoptées par la commission mentionnée à l'article L.O. 122-1 sont publiées au Journal officiel. »