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N° 577
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juin 2012 |
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
tendant à supprimer le mot " race " dans la Constitution ,
PRÉSENTÉE
Par Mmes Nicole BORVO COHEN-SEAT, Éliane ASSASSI, M. Christian FAVIER, Mme Marie-France BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Éric BOCQUET, Mmes Laurence COHEN, Cécile CUKIERMAN, Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN, MM. Robert HUE, Gérard LE CAM, Michel LE SCOUARNEC, Mmes Isabelle PASQUET, Mireille SCHURCH, MM. Paul VERGÈS et Dominique WATRIN,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La question de la suppression du mot « race » dans la Constitution n'est pas nouvelle, posée à plusieurs reprises, elle s'est toujours heurtée à un certain nombre de résistances. Ces résistances se fondent sur des analyses erronées. Tout d'abord, la suppression se heurterait à un héritage symbolique, celui de la réaction aux horreurs de la seconde guerre mondiale et aux doctrines qui prônaient la supériorité d'une race sur une autre. C'est ainsi que le préambule de la Constitution de 1946 pose le principe de non discrimination fondée sur la race. La Constitution de 1958 a repris par la suite cette exigence. Mais, on ne peut que rappeler la genèse du terme. Quand bien même les références juridiques qui s'y rattachent ont pour objet exclusif de prohiber toute discrimination, toute hiérarchisation entre les humains, on ne peut ignorer que la consécration explicite en catégorie juridique du terme date du régime de Vichy.
N'est-ce pas là accepter et maintenir dans la Constitution française un concept profondément anti-républicain?
On ne peut que répondre par l'affirmative.
Contrairement à la Constitution, le préambule de 1946 est le reflet de principes affirmés à une date donnée. Il s'était fait l'écho pour l'essentiel du programme du Conseil National de la Résistance. Ces principes sont universels et intemporels, à l'instar de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789. Les principes de 1789 et de 1946 font partie, avec la terminologie d'alors, du bloc de constitutionnalité. Du fait de leur force historique, ils ne sont pas amendables. Ils forment un tout et forment notre patrimoine constitutionnel.
Seule la Constitution est susceptible de révision et reflète l'état actuel de la réflexion politique et institutionnelle. C'est en modifiant la Constitution que la société affirme ses évolutions.
Autre analyse erronée, la suppression créerait un vide juridique en la matière, par la diminution de l'arsenal juridique permettant de sanctionner le racisme. Il s'agit là d'un prétexte, car la disparition de terme « race » dans la Constitution n'emporterait pas d'effet. D'abord parce que rien n'empêchera les juges français de se référer à des sources européennes ou internationales, nous pensons notamment à l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Ensuite parce qu'on ne peut que constater au travers de la décision du Conseil constitutionnel du du 15 novembre 2007 (n° 2007-557DC) que le mot « race » s'inscrit dans une liste de termes redondants pouvant être employés indistinctement. Ainsi, il rappelle dans cette décision que « si les traitements nécessaires à la conduite d'études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration peuvent porter sur des mesures objectives, ils ne sauraient, sans méconnaitre le principe énoncé à l'article 1 er de la Constitution, reposer sur l'origine ethnique ou la race ».
Analyse erronée enfin, celle selon laquelle cette abrogation du terme n'empêcherait nullement la suppression du racisme. Certes, mais cette abrogation lancerait toutefois un message fort et symbolique, d'autant qu'elle s'accompagnerait d'un maintien d'une législation répressive en la matière et permettrait d'empêcher en outre l'utilisation du vocable par des mauvais esprits pour accréditer les thèses les plus ignobles. Il ne s'agit donc nullement de retirer le terme « race » de la langue française.
Par cette proposition, nous voulons rappeler avec force, que le terme « race » est aujourd'hui un facteur de haine, de discrimination et de division. Il accompagne de manière évidente la xénophobie, poison qui abîme notre société et celle de nombreux pays. La volonté qui anime les auteurs de cette proposition est celle de rappeler l'unité dans la diversité de l'Humanité, la fraternité qui, selon eux, peut, seule, créer les conditions de progrès et de justice sociale.
André Langaney, biologiste de renom, explique que « la notion de race est dépourvue de fondements et de réalité scientifique », puisqu'on ne peut, d'après lui, distinguer les populations des différentes parties du globe en se fondant sur des différences génétiques. De façon largement unanime, les scientifiques s'accordent sur l'arbitraire de la définition de races au sein de l'espèce humaine. On comprend dès lors que la pertinence biologique de cette notion est frontalement remise en cause . D'ailleurs, Luigi Luca Cavallli-Sforza, considéré comme l'inventeur de la géographie génétique, précise que « toute tentative de classification en races humaines est soit impossible, soit totalement arbitraire . »
Ainsi, il est temps d'adresser un signe important à la société française en supprimant le mot « race » de la Constitution du 4 octobre 1958, comme vous le proposent les auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Article unique
À la deuxième phrase de l'article premier de la Constitution, les mots : « , de race » sont supprimés.