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N° 398

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 mars 2011

PROPOSITION DE LOI

visant à garantir un droit à la scolarisation des enfants dans les écoles maternelles dès l'âge de deux ans ,

PRÉSENTÉE

Par Mmes Brigitte GONTHIER-MAURIN, Marie-Agnès LABARRE, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR, Jean-François VOGUET, Mme Éliane ASSASSI, M. François AUTAIN, Mme Marie-France BEAUFILS, M. Michel BILLOUT, Mmes Nicole BORVO COHEN-SEAT, Annie DAVID, M. Jean-Claude DANGLOT, Mmes Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mme Gélita HOARAU, MM. Robert HUE, Gérard LE CAM, Mmes Josiane MATHON-POINAT, Isabelle PASQUET, Mireille SCHURCH, Odette TERRADE et M. Bernard VERA,

Sénateurs

(Envoyée à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames Messieurs,

Des réformes qui menacent le service public d'éducation

Alors que nous assistons actuellement à une réforme globale et cohérente de démantèlement du service public d'éducation, les réformes engagées aux différents niveaux de la scolarité ont tendance à être présentées comme des mesures spécifiques, déconnectées les unes des autres, répondant à des problématiques en fonction de l'âge des enfants. Il s'agit donc urgemment de mettre ces réformes en perspective et d'en montrer les effets néfastes pour l'école avant de décliner leurs spécificités à l'école maternelle.

La France possède une longue tradition d'école laïque, gratuite, ouverte à toutes et à tous, partout sur le territoire. Le cadre national des programmes, les concours nationaux de recrutement des enseignants de la maternelle à l'université, l'affectation centralisée des personnels éducatifs ont eu pour vocation d'assurer un accès identique à l'éducation à tous les âges, sans distinction et en toute égalité. Ces principes ont rendu possible une unité, qui devrait être le souci central et fondateur de toute évolution ou réforme du système éducatif.

Or, depuis plusieurs années, ces principes sont foulés au pied. La multiplication de réformes à tous les niveaux met à mal l'égal accès à une formation de qualité gratuite et laïque, assurée par des professionnels convenablement formés.

La décentralisation et le transfert des compétences aux collectivités locales sont aujourd'hui déstabilisés. La réforme des collectivités territoriales n'est qu'une tentative de transfert des compétences resserrées sans les financements, entraînant une pénurie de moyens accentuée par la suppression de la taxe professionnelle. L'État n'assure plus son rôle régulateur, tant vis-à-vis des inégalités territoriales que sociales. La mise en place de mécanismes de régulation/compensation financière nécessite une vision globale de la diversité des territoires, de leurs avantages, de leurs contraintes comme des conditions sociodémographiques des populations qui y vivent.

Dans l'enseignement primaire par exemple, une partie des personnels et l'entretien des infrastructures dépendent des mairies. Certaines communes ont des difficultés à prendre en charge ces dépenses. De façon générale, le contexte actuel de désengagement progressif de l'État dans de nombreux secteurs, particulièrement celui de l'éducation ainsi que les contentieux actuels entre l'État et les collectivités, qui exigent à juste titre les financements promis mais pas intégralement transférés par l'État, laissent présager d'une remise en cause substantielle des missions de service public de l'Éducation nationale.

L'autonomie pour la libéralisation de l'offre éducative

Le point commun de toutes les réformes en cours réside dans l'utilisation de notions comme celles de « proximité de gestion » et d'« autonomie des établissements ». Au lieu de l'utiliser au service d'un fonctionnement démocratique des diverses institutions éducatives sur l'ensemble du territoire, l'autonomie est devenue un véritable cheval de Troie dans le monde éducatif, utilisé pour déréguler et libéraliser l'offre éducative. Par la création d'Établissements publics d'enseignement primaire (EPEP) autonomes, il est même aujourd'hui question de donner la possibilité au chef d'établissement de recruter directement des enseignants sur profil, avec le risque avéré d'avoir recours à des enseignants vacataires non titulaires, non formés, sous-payés et corvéables à merci.

Les établissements CLAIR (Collège et Lycée pour l'Ambition, l'Innovation et la Réussite) en sont l'illustration parfaite. À peine annoncés en avril 2010, seulement expérimentés sur 105 établissements sélectionnés d'office à la rentrée 2010, ils sont déjà destinés à être étendu à 1 700 établissements à la rentrée prochaine. Ces établissements fonctionnent sur un recrutement local et sur profil de tous les personnels par le chef de l'établissement, tout en permettant un système d'expérimentations qui permet de contourner les programmes, l'organisation horaire, etc.

Il en résulte une diminution des moyens d'une ampleur sans précédent accompagnée d'une précarisation inadmissible des personnels. Dans un contexte de Révision générale des politiques publiques (RGPP) visant à ne pas renouveler un départ en retraite sur deux, la suppression de 65 520 postes d'enseignants depuis 2007 (8 700 en 2007, 11 200 en 2008, 13 500 en 2009, 16 000 en 2010 et 16 120 en 2011), l'Éducation nationale est actuellement confrontée à une réelle pénurie d'enseignants. Le bilan : des classes fermées, des enseignants titulaires remplaçants sédentarisés à l'année sur des postes vacants, des remplacements de courte durée de moins en moins assurés, et ce au détriment de l'accueil des élèves et de la qualité de l'enseignement.

L'avenir incertain de l'école maternelle, pourtant fleuron du système éducatif français

Comment alors ne pas s'inquiéter de l'avenir de l'école maternelle qui présente la caractéristique d'être gratuite sans être obligatoire tout en nécessitant un personnel important dédié à l'accueil des jeunes enfants ?

La menace est réelle, qu'elle fasse les frais des réformes en cours et de la gestion uniquement comptable de l'Éducation. Considérée comme trop coûteuse, l'école maternelle ne reçoit plus les moyens dont elle a besoin alors même qu'augmentent chaque année les effectifs d'enfants de plus de 3 ans.

L'attaque porte dans un premier temps sur la scolarisation des enfants de 2-3 ans prévue depuis 1989, pour se généraliser par la suite à la maternelle toute entière. Si la scolarisation des 2-3 ans est actuellement rendue possible par l'alinéa 3 de l'article L131-1 du code de l'éducation en ces termes : « l'accueil des enfants de deux ans est étendu en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne et dans les régions d'outre-mer », la rédaction de cet article permet surtout au ministère de se prévaloir du caractère facultatif de cette possibilité pour s'en désengager largement.

L'exemple de l'école maternelle de Luz-Saint Sauveur dans les Hautes-Pyrénées l'illustre parfaitement. En effet, un arrêté de l'inspecteur d'académie en date du 6 mai 2008, supprimant un emploi d'enseignant sur les trois que compte l'école maternelle, a fait l'objet d'un recours devant le tribunal administratif. La décision de la Cour administrative d'appel de Bordeaux du 9 février 2010 (N° 09BX01610) a annulé l'arrêté de l'inspecteur d'académie au motif que cette commune est classée en zone de revitalisation rurale (ZRR) et que son école est donc considérée comme un « environnement social défavorisé » au sens des articles L. 113- 1 et L. 113-1 du code de l'éducation. Ainsi, cette décision de suppression de poste ne saurait se justifier : « l'inspecteur d'académie a omis de prendre en compte dans le calcul prévisionnel des effectifs les enfants de moins de trois ans, alors que leur scolarité doit être assurée en priorité dans un tel environnement ». Le tribunal donne ainsi droit à la requête de la commune en annulation de l'arrêté du 6 mai 2008 de l'inspecteur académique pour excès de pouvoir. Le ministère de l'Éducation nationale effectue un pourvoi en cassation auprès du Conseil d'État, au motif que si la scolarisation des moins de deux ans est prioritaire dans les zones défavorisées, elle ne serait en aucun cas une obligation pour le système éducatif et ne constituerait pas un droit pour les parents.

Cette affaire cristallise les enjeux concernant la scolarisation des enfants de 2-3 ans. L'inspecteur d'académie, selon la volonté du ministère, ne prend pas en compte les enfants de moins de 3 ans dans le calcul des effectifs des enseignants des écoles maternelles, ce qui permet également d'arguer d'un recul effectif de leur scolarisation. L'objectif n'est qu'économique, puisqu'il s'agit ici de justifier de la diminution des effectifs enseignants, et ce même en zone prioritaire, rendant de facto impossible la scolarisation des 2-3 ans actuellement conditionnée par « la limite des places disponibles ».

Cette affaire montre bien l'urgence à légiférer dans ce domaine, afin que la maternelle pour les petits comme pour les grands soit une possibilité ouverte à toutes et tous.

Tout est ici parfaitement orchestré pour faire de la scolarisation des enfants de 2-3 ans un des vecteurs d'application de la RGPP.

Pourtant, en 2005, le rapport de l'INSEE intitulé « Portrait social » démontrait l'incidence positive de la scolarisation avant 3 ans sur la réussite scolaire.

En effet, la dernière étude PISA 2009 qui pointe les difficultés de la France affirme : « Les élèves qui ont suivi un enseignement pré-primaire tendent à être plus performants. Cet avantage est le plus marqué dans les systèmes d'éducation où l'enseignement pré-primaire dure longtemps, où le ratio élèves/enseignant au niveau pré-primaire est faible et où les dépenses publiques par élève à ce niveau sont élevées. Dans l'ensemble des pays participants, les systèmes d'éducation qui affichent une forte proportion d'élèves ayant suivi un enseignement pré-primaire tendent à être plus performants » (p. 20 Résultats du PISA 2009 : synthèse ).

D'autre part, le rapport de la Cour des Comptes du 10 septembre 2008 sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale affirmait : « Cette évolution (la diminution du taux de scolarisation des enfants de 2-3 ans) apparait peu cohérente au regard de la bonne utilisation de l'argent public : le coût par enfant est moindre s'il est accueilli en maternelle plutôt qu'en établissement d'accueil des jeunes enfants (EAJE) », puisqu'en 2006 le coût annuel pour enfant accueilli en EAJE est de 13 368 euros, et celui pour un enfant en maternelle de 4 570 euros. De même, en mai 2010 1 ( * ) , la Cour des Comptes invite de nouveau à rendre la priorité à l'école maternelle, notamment parce qu'elle est trois fois moins chère que les crèches (4 995 euros par enfant et par an pour l'école maternelle en 2006).

L'école maternelle est essentielle dans le système éducatif français. Elle poursuit des missions d'éducation et de réduction des inégalités sociales. Sa spécificité est bien de permettre à l'enfant, dès son plus jeune âge, de se socialiser, de préparer aux apprentissages fondamentaux en mettant en place ses capacités à apprendre et à devenir élève. Sa vocation première est de prévenir les difficultés et de rechercher l'épanouissement des élèves, tout en respectant le développement global de l'enfant grâce à une certaine souplesse pédagogique et un aménagement adapté du temps scolaire.

Elle est une véritable école, et non une garderie où les enseignants « changent les couches » comme le disait avec un profond mépris un ancien ministre de l'Éducation nationale.

Le recul inquiétant de la scolarisation des tout petits

Alors que beaucoup affirment le caractère décisif dans le développement de la tranche d'âge 0-6 ans, la scolarisation des enfants de 2 ans est en recul constant depuis plusieurs années : dans certains départements, le taux de scolarisation a été divisé par deux. Ils étaient un enfant sur 3 en 2000, 1 sur 5 aujourd'hui 2 ( * ) . Cette diminution résulte davantage d'une volonté politique du ministère de l'Éducation nationale que d'un recul de la demande des parents, puisque les inspecteurs d'académie ne prennent plus les 2-3 ans en compte dans le calcul des effectifs, créant par là-même une pénurie organisée de places.

Le rapport de la Cour des Comptes du 10 septembre 2008 sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale faisait déjà acte d'une baisse de 27 % de la scolarisation des enfants de 2-3 ans entre 2003 et 2007, dont 29 % dans le public et 18 % dans le privé (page 354). Certains départements comme la Seine-Saint-Denis, sont plus particulièrement touchés puisque le taux de scolarisation de cette tranche d'âge est passé de 22 % en 1999 à 8 % en 2006. Ainsi, à la rentrée 2005, 5 000 enfants se retrouvaient en attente de scolarisation, dont 300 de plus de trois ans. Ce qui conduisait alors la Cour des Comptes à parler d'un « désengagement du ministère » de la scolarisation des enfants de 2-3 ans.

Permettre la scolarisation à partir de 2 ans de tous les enfants qui sont prêts et dont les familles en font la demande apparaît donc être un enjeu majeur. Il ne s'agit pas de rendre la scolarisation dès 2 ans obligatoire, mais bien de permettre à tous les parents qui le souhaitent d'y faire accéder leur enfant. Donner ce droit aux parents et créer une obligation pour l'État de donner suite à cette demande sont d'autant plus importants que les bienfaits de la scolarisation dès 2 ans, en termes d'acquisition du langage par exemple, touchent particulièrement les enfants issus de milieux défavorisés.

La privatisation de l'accueil des moins de 3 ans

Pourtant, le ministère de l'Éducation nationale, dans l'unique objectif de réduction des dépenses publiques, limite les possibilités de scolarisation précoce et préfère orienter les parents vers d'autres modes d'accueil des enfants, en créant de nouvelles structures privées payantes comme les jardins d'éveil, ou en contraignant les femmes à renoncer à leur activité professionnelle.

Ces jardins d'éveils sont une conséquence directe de la déréglementation qu'a permise la France en maintenant les établissements d'accueil collectif de la petite enfance dans le champ d'application de la directive européenne 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. Paradoxalement, elle reconnait que « les établissements d'accueil des jeunes enfants s'adressent à un public fragile qui nécessite une prise en charge dans un cadre contrôlé par les pouvoirs publics et par du personnel qualifié ».

L'accueil de la petite enfance est donc considéré comme un service ordinaire qui se doit d'être concurrentiel et ne pas entraver le libre fonctionnement du marché. Les régimes d'encadrement y sont perçus comme des entraves qui doivent être supprimées, ce qui, dans un tel secteur, constitue un véritable danger : remise en cause du pilotage de l'État, financement exclusif des familles, baisse des taux d'encadrement, augmentation des capacités d'accueil en surnombre, diminution de la formation obligatoire des personnels encadrants sont autant de paramètres sur lesquels les structures d'accueil pourront jouer.

Méprisant la qualité et la sécurité de structures d'accueil sur tout le territoire et pour toutes les familles quels que soient leurs moyens, cette déréglementation a pour principal avantage de multiplier l'offre privée de garde des jeunes enfants tout en permettant à l'État de se prévaloir d'une réaction face à la pénurie de places sans nouveaux financements.

Pour un service public de la petite enfance

La socialisation des enfants de 2-3 ans comporte des enjeux spécifiques car à cet âge, il y a une très grande hétérogénéité dans le développement affectif, émotionnel, cognitif et moteur des enfants. Cette hétérogénéité nécessite une prise en considération globale, par des offres d'accueil publiques diversifiées, répondant aux besoins de chaque enfant.

Françoise DOLTO dans La cause des enfants ne disait pas autre chose quand elle affirmait « Quand on dit 2 ans et 3 ans, c'est comme si on disait 12 ans et 25 ans. À 2 ans, de trois mois en trois mois, les enfants évoluent énormément ; leurs intérêts, leur mode de langage au sens large du terme sont en continuelle mutation. »

Notre proposition de loi qui vise notamment à créer un droit à la scolarisation des enfants de 2 ans, doit donc être considérée dans un contexte plus large d'exigence d'un véritable service public de la petite enfance, notamment sur les différents modes de garde des très jeunes enfants. Le manque de structures publiques gratuites de près de 300 000 places d'accueil montre que la situation est critique. Profitant de ce manque réel de places d'accueil, le Gouvernement tente de privatiser le secteur de la petite enfance, par le développement de lieux d'accueil privés payants sans quotient familial, dégradant les conditions d'accueil en crèche et organisant la création de regroupements d'assistant-e-s maternel-le-s consacrant des exigences sur les conditions d'accueil abaissées.

Outre les fortes disparités entre départements, en raison de son coût, le mode de garde extra-parental varie fortement selon le niveau de vie des familles, les assistant-e-s maternel-le-s étant réservé-e-s aux familles les plus aisées. On comprend l'enjeu que représente pour les familles les plus défavorisées la possibilité de scolariser gratuitement leur enfant dès 2 ans dans des structures de qualité et de proximité.

Accueillir les tout petits : des conditions particulières de moyens et d'encadrement

L'accueil des enfants de 2 ans à l'école maternelle doit se faire dans des conditions particulières et optimales. Un accueil et un encadrement spécifiques conditionnent grandement la réussite scolaire de ces très jeunes élèves, en même temps qu'ils constituent un moyen efficace de prévention des difficultés et de lutte contre les inégalités.

Cela nécessite l'affectation de moyens réels au niveau :

-  des dotations budgétaires,

-  du nombre d'enseignants et de personnels accompagnants : agents territoriaux spécialisés dans les écoles maternelles (ATSEM), Réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased), etc.

-  de la formation des enseignants, comme des personnels accompagnants.

-  de la stabilité des personnels, essentielle pour les tout petits qui ont besoin de continuité dans l'accueil et de sécurité affective et matérielle, en lien avec les familles ;

-  du taux d'encadrement adapté à l'âge des élèves, avec une baisse des effectifs d'élèves par classe (par exemple 25, et 15 en Toute Petite Section) ;

-  de la prise en compte des besoins de l'enfant en aménageant la rentrée des classes et dans le respect du rythme des enfants ;

-  de locaux adaptés aux jeunes enfants.

La formation des enseignants, tant initiale que continue, doit, dans ce domaine comme dans les autres, être renforcée. L'État doit assurer qu'une formation de qualité soit dispensée. Il doit également assurer une formation spécifique pour les enseignants en maternelle, qui aborde les enjeux propres au développement du jeune enfant. L'école maternelle ne constitue pas une anticipation des apprentissages dispensés par l'école primaire, mais un temps d'apprentissage propre, centré sur le développement de l'enfant (conceptualisation de l'abstrait, langage, etc.).

Afin de prendre en compte à la fois la question du meilleur accueil possible des enfants en maternelle ainsi que la mutabilité des enseignants, il s'agit d'envisager des modules approfondis spécifiques au développement du jeune enfant de 2 à 6 ans, dont le suivi serait obligatoire pour enseigner en maternelle, par des formations en psychologie et en développement du jeune enfant. Il s'agit de créer à la fois une obligation pour l'État d'assurer les moyens pour que ce type de formation soient dispensées, mais également d'instaurer une obligation de suivi qui conditionne les possibilités de devenir enseignant en maternelle au regard de l'importance de cette mission.

Cette condition nécessaire n'empêcherait néanmoins pas ces mêmes enseignants d'enseigner dans des classes du CP au CM2.

Étendre l'obligation scolaire dès trois ans

Afin de reconnaitre à leur juste valeur les apports fondamentaux et l'importance de la place de cette institution au sein de notre système scolaire, il nous parait indispensable de rendre obligatoire dès 3 ans le droit à l'éducation. Parce qu'elle constitue un temps permettant la mise en place de mécanismes déterminants pour la réussite de la scolarité et la réduction de l'écart entre les inégalités sociales et les inégalités scolaires, il est parfaitement cohérent d'étendre l'obligation scolaire à la maternelle.

Dans un contexte de réduction drastique des moyens et du nombre de postes d'enseignants à tous les niveaux de l'Éducation nationale, cela constitue également un moyen d'affirmer l'importance que joue cette institution scolaire ainsi que de pérenniser son existence.

La logique de gestion comptable étant actuellement le premier critère de l'action du ministère de l'Éducation nationale, prévalant même sur celui de l'intérêt de tous les élèves, la première variable d'ajustement budgétaire se trouve précisément être l'institution qui trouve le moins de garantie dans la loi, celle qui n'est pas obligatoire : l'école maternelle.

Pour autant, l'école maternelle ne représente pas un coût si important pour la France, ce que ne manque pas de relever la Cour des Comptes en affirmant dans son rapport de mai 2010 L'Éducation nationale face à l'objectif de la réussite de tous les élèves que la France est, selon les données de l'OCDE, un pays « où l'écart de coût entre l'enseignement primaire et l'enseignement secondaire est le plus élevé « (page 41). D'autre part, « selon les chiffres de 2006, les dépenses annuelles par élève s'élèvent à 4 995 dollars pour l'école maternelle, contre 7 482 pour l'école primaire, 8 265 pour le collège et 10 655 pour le lycée. La France se situe, par rapport à la moyenne de l'OCDE, à un niveau de dépenses annuelles par élèves inférieur de 5 % pour l'école maternelle (...) » (page 42).

De même, le rapport fait état d'un coût salarial par élève dans l'enseignement primaire nettement plus faible que dans la moyenne de l'OCDE (25 e position sur 30 pays) qui s'explique par un salaire des enseignants plus faible, un temps d'enseignement plus élevé, une taille de classe plus importante, même s'il s'explique aussi par un temps d'instruction plus long.

Afin que la RGPP n'accentue pas ces tendances, nous souhaitons protéger l'école maternelle qui joue un rôle primordial dans la réduction des inégalités sociales et scolaires en traduisant dans la loi ce qui est aujourd'hui une réalité : la totalité ou la quasi-totalité des enfants de 3 à 6 ans sont effectivement scolarisés en maternelle. En effet, le taux de scolarisation des enfants de 3 à 5 ans est évalué depuis 2001 à 100 % par le ministère de l'Éducation nationale dans une étude de mai 2004 sur l'École maternelle en France .

Assurer le financement

Il nous parait nécessaire de garantir à la fois un droit à la scolarisation des enfants de 2 ans pour les parents qui en font la demande, ainsi que les conditions d'accueil appropriées et spécifiques aux 2-3 ans tout en assurant la scolarisation dès 3 ans. Cependant, cette extension de la scolarisation ne sera pas sans conséquences financières : si la responsabilité financière des conditions d'un accueil convenable pour les 2-3 ans tout comme pour les 3-5 ans revient en partie à l'État, elle affecte également les collectivités territoriales.

En effet, du fait de la décentralisation, c'est aux communes qu'incombent la décision et le financement de la construction, de la réhabilitation, et de l'entretien des bâtiments en vertu de l'article L. 2121-30 du code général des collectivités territoriales ainsi que la nomination et le traitement d'un agent communal occupant l'emploi d'agent spécialisé des écoles maternelles (ATSEM) à raison d'au moins 1 pour chaque école maternelle en vertu de l'article R. 412-127 du code des communes.

Or, les collectivités territoriales évoluent actuellement dans un contexte dégradé dû à la réforme des collectivités territoriales et de leurs finances, aboutissant in fine à une diminution de leurs ressources détériorant leur capacité d'action. Faute d'avoir vu notre opposition à ces réformes dangereuses aboutir, nous pensons néanmoins que l'Éducation nationale, de la maternelle jusqu'à l'université doit, même en temps de crise, être une priorité pour tous les acteurs, tant les enjeux dont elle est porteuse sont significatifs et déterminants pour l'avenir de notre pays.

Le choix du financement et des moyens accordés à l'école maternelle nous semble relever davantage d'un choix politique que d'un choix financier. En effet, aucune corrélation ne semble pouvoir être établie entre la capacité financière des communes et les moyens effectivement consacrés au financement d'une école maternelle à même d'accueillir les enfants de 2 à 6 ans dans les meilleures conditions. Nos propositions pourraient être financées en partie par un Fonds de péréquation, afin que les villes à faibles ressources n'aient pas à supporter la charge supplémentaire que nos propositions induiraient au-delà de leurs capacités.

La création de ce fond fait l'objet d'une proposition de loi distincte (n° 305, 2010-2011) tendant à assurer la juste participation des entreprises au financement de l'action publique locale et à renforcer la péréquation des ressources fiscale. Néanmoins, il nous paraissait primordial de situer notre proposition dans une vision plus générale de financement afin d'affirmer que notre vision de l'école maternelle dans ses enjeux et ses applications ne fait pas abstraction des enjeux financiers qui sont aussi réels que déterminants.

Une politique ambitieuse doit donc être menée, en relation avec les collectivités, particulièrement les communes, afin de mettre au rang de priorité nationale le droit à la scolarisation dès 2 ans.

L'école maternelle, articulée à un véritable service public de la petite enfance, doit rester de la responsabilité de l'État, s'appuyant sur des professionnels de l'enseignement formés et titulaires, pour une égalité d'accès aux savoirs sur l'ensemble du territoire, pour un service non tributaire des capacités financières inégales des collectivités et des familles.

L' article 1 er vise à assurer la scolarisation des 3-5 ans en maternelle et à garantir le droit à la scolarisation des enfants dès 2 ans quand les parents en font la demande, en même temps qu'est réaffirmé le rôle de garant de l'État au niveau national.

L' article 2 inscrit la nécessité d'un encadrement adapté et spécifique dans les écoles maternelles pour les 2-3 ans.

L' article 3 crée une obligation d'instruction des enfants dès l'âge de 3 ans dans des conditions qui lui sont propres.

L' article 4 précise le rôle de l'école maternelle.

L' article 5 crée l'obligation pour l'État de dispenser une formation initiale et continue adaptée aux enjeux de l'enseignement en classe maternelle.

L' article 6 vise à assurer que le Gouvernement effectue, en lien avec les inspections académiques, un état des lieux annuel de l'école maternelle ainsi que l'élaboration d'un rapport d'évaluation spécifique sur la scolarisation des enfants de 2-3 ans, afin de disposer d'une connaissance précise et chiffrée de la situation des écoles maternelles.

Les articles 7, 8 et 9 viennent compenser l'accroissement des dépenses qui incombent à l'État et aux collectivités territoriales du fait des précédentes dispositions.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Les deux derniers alinéas de l'article L. 113-1 du code de l'éducation sont ainsi rédigés :

« Tout enfant est accueilli, à l'âge de trois ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine, le plus près possible de son domicile, et à l'âge de deux ans si sa famille en fait la demande.

« Ce droit est garanti par l'État à toute personne qui en fait la demande pour son enfant. »

Article 2

Après l'article L. 113-1 du code de l'éducation, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. L. 113-2. - Les enfants de deux ans inscrits dans les écoles maternelles font l'objet d'un suivi particulier et sont accueillis dans des conditions spécifiques adaptées à leur âge, notamment concernant les moyens matériels et humains, le taux d'encadrement en classe, l'enseignement dispensé ainsi que l'adaptation de la journée d'école au rythme du très jeune enfant. »

Article 3

I. - Au premier alinéa de l'article L. 131-1 du code de l'éducation, le mot : « six » est remplacé par le mot : « trois ».

II. - Après le premier alinéa de l'article L. 131-1 du code de l'éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L'instruction obligatoire des trois à six ans n'est pas soumise aux dispositions de l'article 131-6, à la suppression des allocations familiales telle que prévue à l'article 131-8, ni à l'article 131-9. »

III. - Au troisième alinéa de l'article L. 131-5 du code de l'éducation, le mot : « six » est remplacé par le mot : « trois ».

Article 4

Après le premier alinéa de l'article L. 321-2 du code de l'éducation, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :

« L'école maternelle est une véritable école. Elle ne se confond pas pour autant avec l'école élémentaire, ni dans ses missions, ni dans son organisation.

« Elle constitue un temps spécifique de la scolarité. Elle n'est pas soumise à des exigences de résultats ni à l'objectif d'acquisition de compétences précises faisant l'objet d'évaluations. Les seules évaluations possibles doivent permettre de détecter précocement les enfants en difficulté afin de mettre en oeuvre au plus tôt les aides adaptées dans un objectif de réduction des inégalités.

« L'école maternelle est caractérisée par sa souplesse, tant dans les aménagements du temps scolaire que dans l'adaptation de ses enseignements au rythme des enfants. L'instruction obligatoire ne s'y conçoit que dans cette mesure. »

Article 5

L'article L. 321-2 du code de l'éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Il assure à ce personnel enseignant une formation initiale et continue spécifique, adaptée aux enjeux de la scolarisation des enfants de deux à six ans. Cette formation est rendue obligatoire pour toute affectation du personnel enseignant en classes maternelles. »

Article 6

Après l'article L. 321-2 du code de l'éducation, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. L. 321-2-1. - Le gouvernement, en lien avec les inspecteurs d'académie, effectue un état des lieux annuel de la situation des écoles maternelles.

« Cet état des lieux est communiqué sous forme de rapport annuel aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.

« Il remet également aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat un rapport annuel spécifique sur la scolarisation des enfants de deux ans à trois ans. »

Article 7

Les dépenses résultant pour les collectivités territoriales de l'application des dispositions ci-dessus sont compensées, à due concurrence, par un relèvement de la dotation globale de fonctionnement.

Article 8

L'accroissement du prélèvement sur recettes découlant pour l'État des dispositions de la présente loi est compensé à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Article 9

Les dépenses budgétaires découlant pour l'État des dispositions de la présente loi sont compensées à due concurrence par un relèvement du taux de l'impôt sur les sociétés.


* 1 Cour des Comptes, Rapport public thématique, L'éducation nationale face à l'objectif de la réussite de tous les élèves , p. 42

* 2 Cette tendance est confirmée par les chiffres antérieurs. 1990/91 : 36 % d'enfants de 2 ans scolarisés ; 1998/99 : 34,9 % ; 2000/01 : 35, 3 % ; 2003/04 : 28,8 % ; 2004/05 : 26,1 % ; 2005/06 : 24,5 %.

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