Reconnaissance de lois à vocation territoriale
N°
269
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 21
février 2002
Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 mars
2002
PROPOSITION DE LOI
CONSTITUTIONNELLE
tendant à la
reconnaissance
de
lois à
vocation territoriale
,
PRÉSENTÉE
Par M. Paul GIROD,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Collectivités territoriales. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs
La décentralisation a été une réforme
bénéfique pour la France. Libérant les initiatives
locales, permettant une véritable démocratie de proximité,
assurant la prise en charge des nouveaux besoins sociaux, elle s'est
également traduite par une gestion efficace des deniers publics. Les
collectivités locales ont ainsi apporté une contribution
décisive pour le respect des critères de convergence en vue du
passage à la monnaie unique.
Pourtant, cette grande réforme apparaît aujourd'hui très
largement à la croisée des chemins, faute de l'affirmation d'une
véritable ambition politique tendant à rompre
véritablement avec la tendance nationale multiséculaire à
la centralisation. Au cours de la législature qui s'achève, toute
une série de mesures législatives et réglementaires ont,
au contraire, tendu à une recentralisation qui, rampante à
l'origine, est devenue de plus en plus explicite, en particulier dans le
domaine des finances locales.
Le constat de ces dérives a été parfaitement établi
par le rapport de M. Michel Mercier, au nom de la mission sénatoriale
d'information sur la décentralisation, présidée par M.
Jean-Paul Delevoye, par ailleurs président de l'Association des Maires
de France.
Ces évolutions mettent ainsi notre pays dans une situation très
originale au sein de l'Union européenne, dont les Etats membres sont
organisés soit - comme l'Allemagne ou la Belgique - sur un modèle
fédéral - soit - comme l'Espagne ou l'Italie - sur un
modèle de régionalisation très poussée.
Si l'organisation unitaire de notre République doit être
préservée, encore faut-il faire prévaloir en son sein des
principes d'organisation institutionnelle, gages d'efficacité de
l'action publique et de renforcement de notre démocratie. Tels sont les
enjeux d'un approfondissement de la décentralisation.
Pour répondre à ces enjeux, il est indispensable d'opérer
une clarification des compétences fondée sur le principe de
subsidiarité et d'affirmer l'autonomie fiscale des collectivités
locales conjointement avec une rénovation de la fiscalité locale.
Cet approfondissement doit également résulter d'un
aménagement des règles régissant la répartition du
pouvoir normatif au sein de nos institutions républicaines. Face
à la complexité croissante des sociétés modernes,
chacun peut mesurer qu'il n'est plus possible de prétendre régler
de manière uniforme et centralisée des situations diverses. La
conjonction d'une étendue géographique et d'une faible
densité de population forme une particularité de notre pays au
regard de la situation d'États voisins. Cette particularité
justifie la recherche de solutions institutionnelles adaptées et
spécifiques qui permettent de concilier l'indispensable unité
avec la prise en compte de la diversité des territoires. Les
débats sur les conditions d'application des dispositions
législatives relatives au littoral ou à la montagne mettent
parfaitement en évidence la façon dont des principes de
protection particulièrement nécessaires peuvent aboutir à
des résultats incohérents dès lors qu'ils sont
appliqués sans considération suffisante pour la diversité
des réalités locales.
Or ces débats soulignent les limites actuelles de notre
« arsenal » juridique trop enfermé dans une
conception très centraliste de la norme juridique. A côté
de la loi, votée par le Parlement, et du règlement, pour
l'essentiel entre les mains du Premier ministre, autorité
réglementaire de droit commun en vertu de l'article 21 de la
Constitution, sous réserve des prérogatives reconnues au
Président de la république par l'article 13, les capacités
normatives des collectivités locales apparaissent très
réduites.
Exclues en matière législative pour des raisons évidentes
qui tiennent aux principes de la souveraineté nationale et à
l'indivisibilité de la République, elles sont admises par la
jurisprudence constitutionnelle et administrative en matière
réglementaire, à titre résiduel, dans des conditions et
sous des réserves strictes, qui mériteraient d'être
clarifiées.
Dans ce contexte, une nouvelle étape de la décentralisation,
souhaitée par beaucoup, exige désormais une révision de
notre Constitution, afin que le principe de libre administration des
collectivités locales prenne sa pleine dimension.
En adoptant la proposition de loi constitutionnelle du Président
Christian Poncelet, affirmant l'indispensable autonomie fiscale des
collectivités locales, le Sénat a engagé cette
démarche.
Il convient de l'approfondir en ce qui concerne les conditions d'exercice du
pouvoir normatif, pour habiliter les collectivités locales, dans des
matières et des limites précisément définies par la
loi, à fixer des modalités d'application qui tiennent compte des
réalités locales.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi constitutionnelle qui
tend, à titre principal, à reconnaître dans la
Constitution, à côté des lois organiques et des lois
ordinaires, une nouvelle catégorie de loi, les
lois à vocation
territoriale
. Adoptées selon la procédure de l'article 46 de
la Constitution, applicable aux lois organiques, les lois à vocation
territoriale seraient exécutées par les conseils
régionaux, lesquels se verraient reconnaître à cette fin un
pouvoir réglementaire spécifique.
La proposition de loi constitutionnelle mentionne, par ailleurs,
expressément les régions parmi les collectivités
territoriales de la République, énoncées à
l'article 72 de la Constitution, et précise que, en dehors de
l'application des lois à vocation territoriale dont l'exécution
relèvera exclusivement des conseils régionaux, les
collectivités locales peuvent être appelées à
exercer un pouvoir réglementaire lorsque la loi le prévoit
expressément.
L'article premier
fait réserve de ces nouvelles dispositions
relatives au pouvoir réglementaire des collectivités locales
à l'article 21 de la Constitution qui définit le pouvoir
réglementaire du Premier ministre.
L'article 2
insère un article 34-1 qui consacre l'existence des
lois à vocation territoriale. Ces lois ne pourront être
adoptées dans des matières concernant l'exercice d'une
liberté publique ou d'un droit fondamental.
Elles seront adoptées selon la procédure applicable aux lois
organiques. En vertu de l'article 46 de la Constitution, pour ces lois, le
projet ou la proposition ne peut être soumis à
délibération et au vote de la première assemblée
saisie qu'à l'expiration d'un délai de quinze jours après
son dépôt.
La procédure de la commission mixte paritaire est applicable mais, faute
d'accord entre les deux assemblées, le texte ne peut être
adopté par l'Assemblée nationale qu'à la majorité
absolue de ses membres. Les lois organiques relatives au Sénat doivent
être adoptées dans les mêmes termes par les deux
assemblées. Les lois organiques ne peuvent être promulguées
qu'après déclaration par le Conseil constitutionnel de leur
conformité à la Constitution.
L'exécution des lois à vocation territoriale serait
assurée par les conseils régionaux dans des conditions
prévues par une loi organique.
L'article 3
complète l'article 72 de la Constitution afin de
faire figurer les régions, aux côtés des communes, des
départements et des territoires d'outre-mer, dans la liste des
collectivités territoriales de la République
énoncée par cet article.
L'article 4
insère un article 72-1 qui affirme
expressément l'existence d'un pouvoir réglementaire
attribué aux collectivités territoriales dans le cadre des
compétences qui leur sont dévolues par la loi. Pour exercer ce
pouvoir réglementaire, les collectivités territoriales devront
avoir été habilitées par le Parlement à fixer
certaines modalités d'application de la loi. Ce pouvoir
réglementaire ne pourra concerner que certains aspects de l'application
de la loi votée. Il ne pourra pas concerner des matières mettant
en cause les conditions essentielles d'exercice des libertés publiques.
Le même article reconnaît aux conseils régionaux un pouvoir
réglementaire, qui s'exercera à titre exclusif, pour
l'exécution des lois à vocation territoriale.
Tels sont les motifs de la présente proposition de loi constitutionnelle
qu'il vous est demandé d'adopter.
PROPOSITION DE LOI
CONSTITUTIONNELLE
Article 1
er
Les deux
dernières phrases du premier alinéa de l'article 21 de la
Constitution sont ainsi rédigées :
« Sous réserve des dispositions de l'article 34-1, il assure
l'exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l'article
13 et de l'article 72-1, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux
emplois civils et militaires. »
Article 2
Après l'article 34 de la Constitution, il est
inséré un article 34-1 ainsi rédigé :
«
Art. 34-1
.- Sauf lorsqu'est en cause l'exercice d'une
liberté publique ou d'un droit fondamental, la loi peut avoir une
vocation territoriale.
« Les lois à vocation territoriale sont adoptées dans
les conditions fixées par l'article 46.
« L'exécution des lois à vocation territoriale est
assurée par les conseils régionaux dans les conditions
prévues par une loi organique. »
Article 3
La
première phrase de l'article 72 de la Constitution est ainsi
rédigée :
« Les collectivités territoriales de la République sont
les communes, les départements, les régions et les territoires
d'outre-mer. »
Article 4
Après l'article 72 de la Constitution, il est
inséré un article 72-1 ainsi rédigé :
«
Art. 72-1
.- Sauf lorsque sont en cause les conditions
essentielles d'exercice des libertés publiques, les collectivités
territoriales, sous réserve d'avoir été habilitées
par le Parlement à fixer certaines modalités d'application de la
loi, exercent un pouvoir réglementaire dans le cadre des
compétences qui leur sont dévolues par la loi.
« Les conseils régionaux exercent le pouvoir
réglementaire pour l'exécution des lois à vocation
territoriale. »