Harcèlement moral au travail
N°
168
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 21 décembre 2000
PROPOSITION DE LOI
relative au
harcèlement
moral au
travail
,
PRÉSENTÉE
par MM. Roland MUZEAU, Guy FISCHER, Jean-Yves AUTEXIER,
Mme Marie-Claude
BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO,
MM. Robert BRET, Thierry FOUCAUD, Gérard LE CAM, Pierre LEFEBVRE, Paul
LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme
Odette TERRADE,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Affaires sociales sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Travail |
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Harcèlement moral, harcèlement psychologique au
travail, ces termes recouvrent une dure réalité,
désignée sous le nom de
mobbing
par les Anglo-Saxons, une
souffrance propre au salarié, au travailleur, injustifiable au regard de
la dignité humaine ; souffrance dont l'ampleur et
l'intensité s'accentuent au fil des années.
En étudiant l'impact des conditions du travail et de son organisation
sur la santé des travailleurs, syndicalistes et spécialistes de
différentes disciplines ont mis à jour cette forme
particulière de harcèlement, sorte d'agression le plus souvent
d'origine hiérarchique, distincte du harcèlement sexuel. Des
ouvrages ont permis à un large public de mieux connaître le
phénomène en révélant la diversité de ces
manifestations, en mettant en évidence sa relation avec l'organisation
du travail et le fait que, sans intervention appuyée sur une
législation nouvelle, les salariés resteront
piégés, désemparés et sans recours juridique.
Le phénomène se manifeste sous des formes diverses, par des
attitudes, des brimades, des pressions, des vexations, voire des refus de
communication, soit tout un ensemble de comportements diversifiés qui,
de prime abord, peuvent paraître anodins, mais que leur
répétition injustifiée rend condamnable. Si aucune
étude d'ensemble n'a été faite à ce jour en France,
les études publiées dans d'autres pays européens ou
menées à l'échelle européenne
révèlent des données effrayantes : selon une recherche de
1998 menée par la
Fondation européenne,
9 % des
salariés français - 1,9 million de personnes - auraient
été victimes d'intimidations ou de brimades sur leur lieu de
travail au cours des douze mois précédents.
La victime du harcèlement moral se trouve souvent atteinte de
pathologies multiples pouvant conduire jusqu'au suicide. Des salariés
sont de la sorte contraints à démissionner pour protéger
leur santé. Une telle décision ne suffit pas toujours : ils
peuvent mettre des années à se rétablir. Une
législation spécifique est devenue une
nécessité ; la reconnaissance de leur souffrance ainsi que
les moyens d'obtenir réparation devant la justice pour les
préjudices subis apparaissant d'ailleurs comme des facteurs de
guérison.
En outre, le harcèlement moral au travail se trouve aujourd'hui de plus
en plus utilisé par le patronat comme alternative pernicieuse au
licenciement : acculer le salarié à la démission permet
à l'employeur d'éviter le recours à une procédure
de licenciement contraignante et parfois coûteuse.
Si cette forme de harcèlement moral au travail est ancienne, sa
nouveauté réside dans la gravité, l'ampleur et la
banalisation du phénomène. Le chômage massif et durable
engendré par la crise n'est pas étranger à cet état
de fait : la crainte du licenciement conduit des salariés souvent en
charge de famille à endurer des situations aussi humiliantes
qu'inacceptables.
La mise en concurrence systématique des salariés
génère également des comportements agressifs.
L'exploitation des femmes et des hommes au travail s'accompagne trop souvent de
violence. La crise nouvelle du capitalisme engendre elle-même dans la
société une dérive faite d'exclusion,
d'inégalités et d'injustices, qui provoque un climat
pénétré d'agressivité. Lequel aggrave à son
tour les relations dans les milieux professionnels.
Cette constatation invite à légiférer sur la violence au
travail - sans ignorer pour autant les limites inhérentes à une
telle loi. En effet, la place qu'occupent les entreprises dans les
sociétés industrielles assigne un rôle déterminant
au droit du travail.
Les relations dans le processus de production, comme les relations entre
salariés eux-mêmes, conditionnent largement la qualité de
la vie sociale. Ce qui se déroule dans les entreprises est donc
essentiel pour la démocratie et les droits fondamentaux. Lutter contre
le harcèlement moral au travail ne peut que contribuer à
l'exercice concret et personnel de toutes les libertés.
Il est heureux et positif que des associations, des syndicats, des collectifs
et autres personnes individuellement sensibilisées interviennent pour
aider les victimes et alerter sur les dangers de ce type de harcèlement.
Toutefois, si des dispositions du droit en vigueur
peuvent être
invoquées, force est d'admettre qu'elles restent d'une efficacité
trop limitée, mal connues, d'application lente et difficile. Or,
à l'instar d'autres législations européennes, ces
dispositions méritent d'être considérablement
renforcées.
C'est pourquoi, pour combattre efficacement le harcèlement moral, le
groupe communiste a décidé de contribuer à
l'amélioration de la législation en élaborant une
proposition de loi avec le concours d'un collectif pluridisciplinaire. Des
syndicalistes, avocats, inspecteurs du travail, conseillers prud'homaux,
psychiatres, psychologues, membres d'associations de victimes et de
réflexion sur le harcèlement moral ont contribué à
sa mise en oeuvre.
Une question a été posée en juin dernier dans
l'Hémicycle à Mme la ministre de l'emploi et de la
solidarité, qui s'est déclarée favorable à un
aménagement de la législation.
C'est pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs, que nous souhaitons que
tous les groupes de l'Assemblée apportent leur soutien à cette
proposition de loi visant à protéger l'intégrité
tant physique que morale et la dignité du travailleur.
LA DÉFINITION
De la
définition du harcèlement moral au travail dépend
l'efficacité et l'orientation choisie pour la proposition de loi.
Notre ambition n'est nullement d'imposer une définition universelle,
mais plutôt une définition téléologique qui soit
juridiquement opérante en droit du travail, en fonction
précisément du but recherché. La médecine, la
sociologie ainsi que toutes les autres disciplines qui auront besoin de nommer
le phénomène devront, sans doute, recourir à leur propre
terminologie.
C'est pourquoi nous proposons de définir le harcèlement moral au
travail comme
« un harcèlement par la dégradation
délibérée des conditions de travail ».
Inclure le terme
« harcèlement »
dans le
corps même du dispositif permet de nommer clairement les types de
comportements visés. Il renvoie à la notion de
systématisation, de répétition. Il est étroitement
lié à la médiatisation qu'a connue récemment le
phénomène. Il est devenu désormais celui qui évoque
le mieux le type de situations qu'il s'agit d'appréhender.
Or, la banalisation constitue l'un des problèmes majeurs de ce
phénomène, qui ne pourra être résolu que si les
agissements considérés comme répréhensibles sont
stigmatisés. Le recours à ce concept dont la signification est
déjà connue devrait y contribuer en permettant de tracer une
frontière nette entre, d'une part, les heurts inhérents à
tout travail en collectivité et, d'autre part, les agressions
systématiques qui relèvent quant à elles du
harcèlement moral.
La notion de
« dégradation délibérée
des conditions de travail »
peut au premier abord surprendre. En
effet, l'élément qui a conduit ces dernières années
de nombreuses personnes à se mobiliser résulte dans
l'augmentation constante de violences psychologiques au travail, visant
à porter atteinte à la dignité voire à
l'intégrité psychique des salariés. Pourtant, la
définition juridique de ces notions étant particulièrement
restrictive, circonscrire le harcèlement moral aux seuls cas d'atteintes
à la dignité ou à l'intégrité psychique
conduirait à en exclure toute une série de pressions
psychologiques.
L'attention s'est d'abord focalisée sur la personne du salarié et
sur les atteintes dont elle était victime. Toutefois, il ne s'agit
là que des conséquences et non des causes de ce
phénomène. Or, ce sont les conditions dans lesquelles le
salarié exécute sa prestation de travail qui caractérisent
le harcèlement moral.
La notion de conditions de travail recouvre, en effet, l'ensemble des
circonstances qui entourent l'exécution de la prestation de travail. La
répétition de petites vexations ou brimades au même titre
que des mutations ou encore des privations de travail relèvent des
conditions de travail. Par conséquent, quel qu'en soit l'auteur, quels
que soient les moyens utilisés, le harcèlement moral se traduit
toujours par une dégradation des conditions de travail.
Si la notion de
« dégradation
délibérée »
des conditions de travail a
été retenue, c'est parce qu'elle se révèle
extrêmement opérante sur le terrain du droit du travail.
Car, tout d'abord, lorsque le harcèlement moral est le fait de
l'employeur, elle apparaît en parfaite adéquation avec les
différentes qualifications juridiques des décisions que celui-ci
peut prendre. En vertu de la classification retenue par la jurisprudence, toute
décision de l'employeur relative aux conditions de travail constitue
soit une modification du contrat de travail, soit un changement des conditions
de travail.
Pour ce qui est de la modification du contrat de travail, laquelle touche au
contrat lui-même, celle-ci doit nécessairement être
acceptée par le salarié. En revanche, le changement des
conditions de travail, qui ne constitue qu'une modification des
modalités d'exécution du contrat, n'a pas à faire l'objet
d'un accord du salarié. C'est donc le terrain privilégié
par l'employeur dans le cadre du harcèlement moral, étant
donné que le changement des conditions de travail peut être
imposé au salarié en ce qu'il est conforme aux stipulations
contractuelles.
Il existe donc de nombreux cas où, en dépit du respect scrupuleux
du contrat, le changement des conditions de travail n'en constitue pas moins un
harcèlement moral ; or, dans ces cas, toute sanction paraît
actuellement exclue.
Dans cet esprit, la notion de dégradation délibérée
des conditions de travail permettrait, enfin, de sanctionner ces mesures
a
priori
licites, dès lors qu'elles ont pour seule finalité de
détériorer, intentionnellement, les conditions dans lesquelles le
salarié exécute sa prestation de travail.
D'ailleurs, cette notion prend toute sa signification au regard de
l'exécution de bonne foi du contrat de travail, que notre proposition de
loi tend également à renforcer.
En effet, le chef d'entreprise ou ses représentants vont abuser de
l'état de subordination dans lequel se trouve le salarié pour le
harceler. Ainsi, la notion de dégradation délibérée
des conditions de travail se confond fréquemment avec l'exécution
de mauvaise foi du contrat par l'employeur.
Lorsque ce harcèlement se manifeste par des menaces, des pressions et
des attaques systématiques envers le salarié, il constitue un
abus de droit manifeste. Dans ce cas, il pourra parfois être sur d'autres
terrains que celui de l'exécution du contrat de travail.
Mais c'est sous la forme de mesures d'ordre professionnel, c'est-à-dire
relevant
a priori
de l'exercice normal des prérogatives
patronales, qu'il se manifeste le plus souvent. Dans cette hypothèse,
ces mesures ont pour but unique de détériorer les conditions de
travail du salarié. Il s'agit alors d'un abus de droit plus subtil, et
donc beaucoup plus difficile à sanctionner, si ce n'est sur le fondement
de l'obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi.
Cette notion permet, en effet, de considérer que l'exercice par
l'employeur de son pouvoir d'organisation et de direction n'est pas pour autant
nécessairement légitime. Il faut pour cela que ce pouvoir n'ait
en outre pas été détourné de sa finalité,
à savoir l'exécution de la prestation de travail. C'est le cas
par exemple d'une mutation ou d'un changement de poste qui aurait pour objectif
de déstabiliser le salarié.
Ainsi, l'obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi
viendrait opportunément compléter la sanction de toute
dégradation délibérée des conditions de travail.
En second lieu, la définition proposée présente aussi
l'avantage de n'exclure aucun niveau de harcèlement. Il peut s'agir de
harcèlement vertical, d'un supérieur hiérarchique vers un
subordonné (ou inversement, même si le cas est plus rare), mais
également de harcèlement horizontal entre collègues, dans
la mesure où aucun lien de subordination n'est exigé.
Cependant, même lorsque l'employeur n'est pas à l'initiative du
harcèlement, sa responsabilité doit néanmoins être
engagée.
Seul détenteur du pouvoir de direction et d'organisation, il lui incombe
effectivement à ce titre de prendre les mesures nécessaires pour
prévenir ou faire cesser toute forme de harcèlement moral au sein
de l'entreprise, et ce, quel qu'en soit l'auteur. Si ce pouvoir lui
confère des prérogatives, il a pour corollaire un certain nombre
d'obligations et notamment celle d'assurer à tout salarié des
conditions de travail normales.
Il échoit donc à l'employeur de prévenir le
harcèlement moral au travail, tout comme de le sanctionner.
LA PRÉVENTION
La
prévention revêt en matière de harcèlement moral une
importance toute particulière.
En effet, les conséquences pour la victime peuvent, nous l'avons vu,
être dramatiques s'il n'y est pas mis fin rapidement.
La médecine du travail devrait pouvoir intervenir plus efficacement. Les
médecins ont des propositions intéressantes comme celle de faire
inscrire dans le tableau des maladies professionnelles les pathologies
liées aux conséquences du harcèlement moral au travail.
Une prochaine réforme de la médecine du travail étant
prévue, nous avons choisi de réserver une série de
propositions à soumettre au débat quand cette réforme
arrivera en discussion.
Actuellement, le code du travail prévoit déjà un certain
nombre de dispositions en matière de prévention dans le domaine
de l'hygiène, de la sécurité et des conditions de travail.
Notamment, une obligation générale de prévention qui
pèse sur l'employeur (art. L. 230-2 du code du travail) ainsi que des
attributions conférées aux représentants du personnel
(« droit d'alerte » de l'art. L. 231-9 du code du travail)
ou aux comités d'hygiène, de sécurité et des
conditions de travail (art. L. 236-2 du code du travail).
Si certaines de ces dispositions, qui garantissent la protection de la
santé du salarié, ont été invoquées en vue
de combattre le harcèlement moral, il apparaît clairement qu'elles
ne permettent pas d'appréhender le problème dans toute son
ampleur.
En effet, prévenir de tels agissements sur le seul terrain de la
protection de la santé pose deux problèmes.
D'une part, cela conduit à alourdir la charge de la preuve. En effet, la
victime devra non seulement démontrer l'existence du harcèlement
moral, mais également prouver que ce dernier met en péril sa
santé.
D'autre part, si tout harcèlement moral constitue à terme un
danger pour la santé de la victime, il n'en est pas toujours ainsi
dès l'origine, notamment lorsqu'il prend la forme de vexations, de
brimades ou d'insultes répétées. Aussi, même s'ils
ne constituent pas en eux-mêmes un danger pour la santé, de tels
agissements méritent néanmoins d'être sanctionnés
avant que la situation de la victime ne s'aggrave.
C'est pourquoi nous estimons qu'il n'est possible d'assurer la
prévention du harcèlement moral dans le cadre du dispositif
législatif existant qu'au prix de certains changements.
Ainsi, nous proposons plusieurs modifications du code du travail :
• L'extension de l'article L. 230-2 du code du travail, afin
d'intégrer la prévention du harcèlement moral au nombre
des missions incombant à l'employeur au titre de son obligation
générale de prévention dans le domaine de
l'hygiène, de la sécurité et des conditions de travail.
• L'élargissement de la notion de « danger grave et
imminent pour la vie ou la santé du salarié »
consacrée par l'article L. 231-8 du code du travail, afin d'y inclure le
harcèlement moral. Il est avéré que dans certains cas les
pressions psychologiques exercées sur la victime sont d'une telle
intensité qu'elles mettent en péril l'intégrité
psychologique de celle-ci. Ainsi, le salarié pourra dans ce cas
légitimement se soustraire aux pressions qu'il subit en exerçant
le « droit de retrait » prévu par cet article. Mais
surtout, dans une telle hypothèse, le représentant du personnel
pourra contraindre l'employeur à intervenir en mettant en oeuvre le
« droit d'alerte » que lui confère
l'article L.
231-9 du code du travail.
• L'intégration de la lutte contre le harcèlement moral
au nombre des missions attribuées au comité d'hygiène, de
sécurité et des conditions de travail aux termes de l'article L.
236-2 du code du travail, permettrait à cet organe, en
général particulièrement actif, de formuler des
propositions en vue d'améliorer également dans ce domaine la
prévention au sein de l'entreprise.
• Il serait tout aussi souhaitable d'inclure le harcèlement
moral au nombre des causes pouvant justifier l'intervention du médecin
du travail, à travers notamment le recours au certificat d'inaptitude
prévu par l'article L. 241-10-1 du code du travail.
LES SANCTIONS
La mise
en place d'un dispositif de prévention complet et efficace ne saurait
cependant faire oublier la nécessité de le compléter par
des mesures de sanctions. Et cela pour plusieurs raisons.
D'abord, en raison de la vertu pédagogique qui s'attache à toute
sanction et qui paraît particulièrement importante en
matière de harcèlement moral. Il s'agit, en effet, d'un
comportement qui n'est généralement pas considéré
comme répréhensible ou qui du moins est considéré
comme étant sans gravité. Or, les conséquences dramatiques
qu'il entraîne ont déjà été exposées.
Sanctionner les pressions psychologiques au travail favoriserait une prise de
conscience tant des victimes, qui ont tendance elles aussi à
considérer que ces agissements ne sont pas illégitimes, que des
auteurs de ces pressions.
Mais la sanction de ces agissements serait par ailleurs à même
d'assurer un droit à réparation pour la victime.
Comme en matière de harcèlement sexuel, le principe d'une
sanction à la fois civile et pénale nous paraît devoir
être également retenu dans le domaine du harcèlement moral.
La sanction civile
Pour ce
qui concerne la sanction civile, il nous semble qu'elle doit peser sur
l'employeur, car il incombe à ce dernier de prendre toutes les mesures
nécessaires afin d'empêcher le harcèlement moral au sein de
son entreprise.
Quant à la nature de la sanction, la nullité de la rupture du
contrat de travail, déjà consacrée pour le
harcèlement sexuel, nous paraît particulièrement opportune.
En premier lieu, parce qu'elle permet de maintenir le salarié dans
l'entreprise et ainsi de faire échec à la volonté de
l'auteur du harcèlement moral, qui consiste généralement
à obtenir le départ de la victime.
Conformément au droit commun, la réintégration pourra
d'ailleurs être demandée en référé et
être accompagnée, dans la mesure du possible, d'une modification
des conditions de travail.
Ensuite, parce que lorsque la victime ne sera pas en mesure de
réintégrer l'entreprise, une jurisprudence constante consacre la
possibilité pour celle-ci d'obtenir la résolution de l'obligation
de l'employeur en dommages-intérêts.
Seulement, à l'inverse du harcèlement sexuel, en matière
de harcèlement moral la rupture du contrat de travail est en
général le fait du salarié qui voit dans la
démission le seul moyen d'échapper aux pressions psychologiques
qu'il subit. Ainsi, nous proposons que soit considérée comme
frappée d'une nullité de plein droit toute rupture du contrat de
travail résultant d'un harcèlement moral.
Nous proposons par ailleurs que les cas les plus graves puissent faire l'objet
d'une sanction pénale.
La sanction pénale
Lorsque
le harcèlement moral vise directement à porter atteinte à
la dignité ou à l'intégrité psychique d'une
personne, la sanction civile ne saurait suffire. En effet, si le degré
d'intensité du harcèlement est tel qu'il met en péril la
dignité humaine ou l'intégrité de la victime, une sanction
d'une autre nature s'impose.
De plus, la responsabilité de l'employeur, en tant que chef
d'entreprise, ne doit pas servir à dédouaner de leur
responsabilité les auteurs de harcèlement si les faits sont d'une
gravité qui dépasse le pouvoir d'intervention de l'employeur.
En outre, l'incrimination pénale des auteurs de harcèlement moral
au travail renforcerait, par son caractère dissuasif, la
prévention. Le rôle pédagogique de la loi s'en trouverait
également conforté.
*
* *
Eu
égard à la gravité et à l'importance du
problème que constitue le harcèlement moral au travail, la
représentation nationale se doit d'y apporter une réponse dans
les plus brefs délais.
C'est pourquoi, Mesdames, Messieurs, nous vous demandons de bien vouloir
adopter la proposition de loi suivante.
PROPOSITION DE LOI
Article 1
er
Le
chapitre I
er
du titre II du livre I
er
du code du travail
est complété par un article ainsi rédigé :
«
Art L. 121-9.
- Le contrat de travail est
exécuté de bonne foi. »
Article 2
La
sous-section 2 de la section 6 du chapitre II du titre II du
livre
I
er
du code du travail est complété par trois articles
ainsi rédigés :
«
Art. L. 122-49.
- Aucun salarié ne peut faire
l'objet d'un harcèlement par la dégradation
délibérée de ses conditions de travail.
« Aucun salarié ne peut être sanctionné ni
licencié pour avoir témoigné des agissements
définis à l'alinéa précédent ou pour les
avoir relatés.
« Toute rupture du contrat de travail qui en résulterait,
toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit.
«
Art. L. 122-50.
- Est passible d'une sanction disciplinaire
tout salarié ayant procédé aux agissements définis
aux articles L. 122-46 et L. 122-49.
«
Art. L. 122-51.
- Il appartient au chef d'entreprise de
prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les
actes visés aux articles L. 122-46, L. 122-49 et L. 122-50. »
Article 3
Dans la première phrase du premier alinéa du I de l'article L. 230-2 du code du travail, les mots : « et protéger la santé » sont remplacés par les mots : « protéger la santé et prévenir tout harcèlement par la dégradation délibérée des conditions de travail ».
Article 4
Après le premier alinéa de l'article L. 231-9 du
code
du travail, il est inséré un alinéa ainsi
rédigé :
« Peut également constituer un danger grave et imminent pour
la vie ou la santé du salarié un harcèlement par la
dégradation délibérée des conditions de
travail. »
Article 5
Après la première phrase du premier
alinéa de
l'article L. 236-2 du code du travail, il est inséré une phrase
ainsi rédigée :
« Il a aussi pour mission la prévention de tout
harcèlement d'un salarié par la dégradation
délibérée de ses conditions de travail et à
l'amélioration de celles-ci. »
Article 6
A la fin du premier alinéa de l'article L. 241-10-1 du code du travail, les mots : « ou à l'état de santé des travailleurs » sont remplacés par les mots : « à l'état de santé des travailleurs ou encore à la situation de harcèlement par la dégradation délibérée des conditions de travail dont ceux-ci sont victimes ».
Article 7
Le
chapitre V du titre II du livre II du code pénal est
complété par un article ainsi rédigé :
«
Art. L. 225-15.
- Le fait de harceler un salarié dans
le but de porter atteinte à sa dignité ou à son
intégrité psychique est puni de deux ans d'emprisonnement et de
500000 F d'amende. »