N° 448
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 28 juin 2000 |
PROJET DE LOI
autorisant la ratification de la convention n° 182 de l'Organisation internationale du travail concernant l'interdiction des pires formes de travail des enfants et l'action immédiate en vue de leur élimination ,
PRÉSENTÉ
au nom de M. LIONEL JOSPIN,
Premier ministre,
par M. HUBERT VÉDRINE,
ministre des affaires étrangères.
( Renvoyé à la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement ).
Traités et conventions . |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La Conférence internationale du travail a adopté à l'unanimité le 17 juin 1999 la convention 182 sur l'interdiction des pires formes du travail des enfants. Conjointement, elle a adopté le même jour la recommandation 190, qui décrit le mode d'application de cette convention en dressant la liste des programmes d'action à envisager par les gouvernements, celle des travaux dangereux et les modalités de mise en oeuvre par les Etats membres de l'OIT.
Les instruments de référence en vue de l'abolition totale du travail des enfants sont la convention n°138 et la Recommandation adoptées en 1973, relatives à l'âge minimum d'admission à l'emploi. Cette convention a été à ce jour ratifiée par les deux cinquièmes de la communauté mondiale (70 ratifications sur les 174 Etats qui l'ont adoptée), parmi lesquels figurent la France et la Chine. Le congrès américain a annoncé son intention de la ratifier.
La convention de 1999, pour sa part, complète de manière significative le dispositif international existant en matière de protection des droits de l'homme et figure parmi les conventions dites « fondamentales » de l'OIT, qui engagent tous les membres de l'Organisation à rendre compte du respect des droits et principes fondamentaux du travail (interdiction du travail forcé, respect de la liberté syndicale et de la négociation collective, non discrimination dans l'emploi et la rémunération, interdiction du travail des enfants).
La convention comporte des normes contraignantes pour les Etats qui la ratifient. La recommandation qui l'accompagne, non contraignante, propose des orientations pour la politique nationale, concernant notamment les activités dangereuses interdites aux enfants.
Cette nouvelle convention présente l'intérêt de concentrer en un seul texte les dispositions les plus urgentes en faveur des enfants et diffère ainsi des normes existantes.
C'est ainsi, qu'à l' article 3 , elle donne une définition exhaustive des pires formes de travail des enfants qui englobe :
- toutes les formes d'esclavages ou pratiques analogues telles que la vente et la traite des enfants, la servitude pour dettes et le servage ainsi que le travail forcé et obligatoire, y compris le recrutement forcé ou obligatoire des enfants en vue de leur utilisation dans les conflits armés ;
- l'utilisation, le recrutement ou l'offre d'un enfant à des fins de prostitution, de production de matériel pornographique ou de spectacles pornographiques ;
- l'utilisation, le recrutement ou l'offre d'un enfant aux fins d'activités illicites, notamment pour la production et le trafic de stupéfiants, tels que le définissent les conventions internationales pertinentes ;
- les travaux , qui par leur nature ou les conditions dans lesquelles ils s'exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l'enfant.
Une telle définition transcrit bien le consensus qui s'est exprimé lors de l'élaboration de ces textes pour parvenir à des normes claires, réalistes, susceptibles de recueillir une ratification universelle, tout en apportant des progrès réels aux droits de l'enfant. La convention interdit donc toutes les formes de travaux qui sont intolérables, quelque soit le niveau de développement des pays concernés. L'inclusion dans cette définition des pires formes du travail des enfants, du « recrutement forcé et obligatoire des enfants en vue de leur utilisation dans des conflits armés », novatrice pour l'OIT, est conforme au protocole additionnel à la convention des droits de l'enfant adopté par les Nations unies en janvier 2000.
Les autres dispositions de la convention :
- prévoient que les pires formes de travail (esclavage, guerre, prostitution, trafic de stupéfiants) doivent faire l'objet d'une action prioritaire et immédiate, obligation mise à la charge des Etats ( articles 4 et 5 ) ;
- prévoient des mécanismes de suivi de l'application de la convention et des programmes d'action en vue d'éliminer les pires formes de travail des enfants ( articles 5 et 6 ) ;
- font obligation aux Etats de prendre des mesures de prévention (y compris par l'établissement et l'application de sanctions pénales), de réinsertion et de réintégration ( article 7 ) ;
- disposent qu'une attention accrue doit être accordée aux enfants exposés à des risques particuliers ( article 7 d ) et qu'il faut tenir compte de la situation des filles ( article 7 e ) ;
- appellent à la coopération et à l'assistance internationale ( article 8 ).
Il convient de préciser que ces pires formes de travail ne sont pas tant des formes directes de travail que des activités contraires au respect des droits humains de l'enfant. A ce titre, et contrairement à la convention n° 138, ce texte n'exclut pas automatiquement de son champ d'application certaines situations de formation, de sorte qu'il est interdit de faire travailler des enfants dans le cadre d'un apprentissage ou d'une activité de formation qui relèverait des pires formes de travail énoncées. De même, contrairement à la convention susnommée, ce texte ne prévoit pas non plus de dérogation pour la participation des enfants à des spectacles artistiques. En outre, alors que la première convention autorise l'emploi d'adolescents dès l'âge de seize ans sous certaines conditions, cette exception n'existe pas dans la seconde convention.
La convention n° 182 a été libellée en conformité avec les dispositions de la convention n° 138 qui fixe à dix-huit ans l'âge minimum d'admission à un emploi qui, par sa nature ou les conditions dans lesquelles il s'exerce, est susceptible de compromettre la santé, la sécurité ou la moralité des adolescents, de façon à ne pas fixer une norme inférieure alors qu'elle traite des pires formes de travail des enfants et à permettre aux autorités nationales chargées de déterminer les types de travail visés ( article 3 d ) de tenir compte des circonstances propres à chaque pays qui peuvent rendre un travail plus ou moins dangereux.
Par sa volonté d'éradiquer les pires formes de travail des enfants en exigeant une action d'ensemble immédiate qui tienne compte de l'importance d'une éducation de base, de la nécessité de soustraire au travail les enfants concernés et de celle d'assurer leur réadaptation et leur réintégration sociale, cette convention s'inscrit dans le cadre de la déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux du travail du 18 juin 1998 qui fait obligation à ses Etats membres d'abolir le travail des enfants.
Il n'existe aucun obstacle législatif ou technique à l'application des dispositions de cet instrument sur l'ensemble du territoire de la République, dont la législation sur l'emploi des jeunes de moins de 18 ans est résolument protectrice.
L' article 10 de la convention dispose qu'elle entrera en vigueur douze mois après que les ratifications de deux membres auront été enregistrées par le directeur général de l'OIT.
Celui-ci a saisi les autorités françaises afin qu'elles engagent la procédure nécessaire à la ratification de ce texte et a exprimé le souhait que la France, qui a largement contribué à l'adoption de ce texte, soit parmi les premiers Etats à accomplir cette démarche.
En effet, la France, qui a joué un rôle déterminant dans la définition d'un socle universel des droits et principes fondamentaux du travail, s'est toujours associée à toutes les initiatives contribuant à éradiquer les pires formes de travail des enfants et à faire respecter les normes de l'OIT. Une ratification de cet instrument universel permettra aussi à la France de renforcer la portée politique de ses efforts pour soutenir les pays en développement dans leurs propres engagements pour l'éradication du travail des enfants, conformément à sa situation d'important contributeur aux programmes mis en oeuvre en ce sens par l'OIT.
Telles sont les principales observations qu'appelle la convention concernant l'élimination des pires formes de travail des enfants, qui est soumise au Parlement en vertu de l'article 53 de la Constitution.
PROJET DE LOI
Le Premier ministre,
Sur le rapport du ministre des affaires étrangères,
Vu l'article 39 de la Constitution,
Décrète :
Le présent projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 182 de l'Organisation internationale du travail concernant l'interdiction des pires formes de travail des enfants et l'action immédiate en vue de leur élimination, délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat, sera présenté au Sénat par le ministre des affaires étrangères, qui sera chargé d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.
Article unique
Est autorisée la ratification de la convention n° 182 de l'Organisation internationale du travail concernant l'interdiction des pires formes de travail des enfants et l'action immédiate en vue de leur élimination, adoptée à Genève le 17 juin 1999, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Fait à Paris, le 28 juin 2000
Signé : LIONEL JOSPIN
Par le Premier ministre :
Le ministre des affaires étrangères,
Signé : Hubert VÉDRINE
Convention sur les pires formes de travail des enfants
La Conférence générale de l'Organisation internationale du Travail,
Convoquée à Genève par le Conseil d'administration du Bureau international du Travail, et s'y étant réunie le 1er juin 1999, en sa quatre-vingt-septième session;
Considérant la nécessité d'adopter de nouveaux instruments visant l'interdiction et l'élimination des pires formes de travail des enfants en tant que priorité majeure de l'action nationale et internationale, notamment de la coopération et de l'assistance internationales, pour compléter la convention et la recommandation concernant l'âge minimum d'admission à l'emploi, 1973, qui demeurent des instruments fondamentaux en ce qui concerne le travail des enfants;
Considérant que l'élimination effective des pires formes de travail des enfants exige une action d'ensemble immédiate, qui tienne compte de l'importance d'une éducation de base gratuite et de la nécessité de soustraire de toutes ces formes de travail les enfants concernés et d'assurer leur réadaptation et leur intégration sociale, tout en prenant en considération les besoins de leurs familles;
Rappelant la résolution concernant l'élimination du travail des enfants adoptée par la Conférence internationale du Travail à sa quatre-vingt-troisième session, en 1996;
Reconnaissant que le travail des enfants est pour une large part provoqué par la pauvreté et que la solution à long terme réside dans la croissance économique soutenue menant au progrès social, et en particulier à l'atténuation de la pauvreté et à l'éducation universelle;
Rappelant la Convention relative aux droits de l'enfant, adoptée le 20 novembre 1989 par l'Assemblée générale des Nations Unies;
Rappelant la Déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi, adoptée par la Conférence internationale du Travail à sa quatre-vingt-sixième session, en 1998;
Rappelant que certaines des pires formes de travail des enfants sont couvertes par d'autres instruments internationaux, en particulier la convention sur le travail forcé, 1930, et la Convention supplémentaire des Nations Unies relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage, 1956;
Après avoir décidé d'adopter diverses propositions relatives au travail des enfants, question qui constitue le quatrième point à l'ordre du jour de la session;
Après avoir décidé que ces propositions prendraient la forme d'une convention internationale,
adopte, ce dix-septième jour de juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, la convention ci-après, qui sera dénommée Convention sur les pires formes de travail des enfants, 1999.
Article 1
Tout Membre qui ratifie la présente convention doit prendre des mesures immédiates et efficaces pour assurer l'interdiction et l'élimination des pires formes de travail des enfants et ce, de toute urgence.
Article 2
Aux fins de la présente convention, le terme enfant s'applique à l'ensemble des personnes de moins de 18 ans.
Article 3
Aux fins de la présente convention, l'expression les pires formes de travail des enfants comprend:
a) toutes les formes d'esclavage ou pratiques analogues, telles que la vente et la traite des enfants, la servitude pour dettes et le servage ainsi que le travail forcé ou obligatoire, y compris le recrutement forcé ou obligatoire des enfants en vue de leur utilisation dans des conflits armés;
b) l'utilisation, le recrutement ou l'offre d'un enfant à des fins de prostitution, de production de matériel pornographique ou de spectacles pornographiques;
c) l'utilisation, le recrutement ou l'offre d'un enfant aux fins d'activités illicites, notamment pour la production et le trafic de stupéfiants, tels que les définissent les conventions internationales pertinentes;
d) les travaux qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles ils s'exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l'enfant.
Article 4
1. Les types de travail visés à l'article 3 d) doivent être déterminés par la législation nationale ou l'autorité compétente, après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs intéressées, en prenant en considération les normes internationales pertinentes, et en particulier les paragraphes 3 et 4 de la recommandation sur les pires formes de travail des enfants, 1999.
2. L'autorité compétente, après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs intéressées, doit localiser les types de travail ainsi déterminés.
3. La liste des types de travail déterminés conformément au paragraphe 1 du présent article doit être périodiquement examinée et, au besoin, révisée en consultation avec les organisations d'employeurs et de travailleurs intéressées.
Article 5
Tout Membre doit, après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs, établir ou désigner des mécanismes appropriés pour surveiller l'application des dispositions donnant effet à la présente convention.
Article 6
1. Tout Membre doit élaborer et mettre en oeuvre des programmes d'action en vue d'éliminer en priorité les pires formes de travail des enfants.
2. Ces programmes d'action doivent être élaborés et mis en oeuvre en consultation avec les institutions publiques compétentes et les organisations d'employeurs et de travailleurs, le cas échéant en prenant en considération les vues d'autres groupes intéressés.
Article 7
1. Tout Membre doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la mise en oeuvre effective et le respect des dispositions donnant effet à la présente convention, y compris par l'établissement et l'application de sanctions pénales ou, le cas échéant, d'autres sanctions.
2. Tout Membre doit, en tenant compte de l'importance de l'éducation en vue de l'élimination du travail des enfants, prendre des mesures efficaces dans un délai déterminé pour:
a) empêcher que des enfants ne soient engagés dans les pires formes de travail des enfants;
b) prévoir l'aide directe nécessaire et appropriée pour soustraire les enfants des pires formes de travail des enfants et assurer leur réadaptation et leur intégration sociale;
c) assurer l'accès à l'éducation de base gratuite et, lorsque cela est possible et approprié, à la formation professionnelle pour tous les enfants qui auront été soustraits des pires formes de travail des enfants;
d) identifier les enfants particulièrement exposés à des risques et entrer en contact direct avec eux;
e) tenir compte de la situation particulière des filles.
3. Tout Membre doit désigner l'autorité compétente chargée de la mise en oeuvre des dispositions donnant effet à la présente convention.
Article 8
Les Membres doivent prendre des mesures appropriées afin de s'entraider pour donner effet aux dispositions de la présente convention par une coopération et/ou une assistance internationale renforcées, y compris par des mesures de soutien au développement économique et social, aux programmes d'éradication de la pauvreté et à l'éducation universelle.
Article 9
Les ratifications formelles de la présente convention seront communiquées au Directeur général du Bureau international du Travail et par lui enregistrées.
Article 10
1. La présente convention ne liera que les Membres de l'Organisation internationale du Travail dont la ratification aura été enregistrée par le Directeur général du Bureau international du Travail.
2. Elle entrera en vigueur douze mois après que les ratifications de deux Membres auront été enregistrées par le Directeur général.
3. Par la suite, cette convention entrera en vigueur pour chaque Membre douze mois après la date où sa ratification aura été enregistrée.
Article 11
1. Tout Membre ayant ratifié la présente convention peut la dénoncer à l'expiration d'une période de dix années après la date de la mise en vigueur initiale de la convention, par un acte communiqué au Directeur général du Bureau international du Travail et par lui enregistré. La dénonciation ne prendra effet qu'une année après avoir été enregistrée.
2. Tout Membre ayant ratifié la présente convention qui, dans le délai d'une année après l'expiration de la période de dix années mentionnée au paragraphe précédent, ne fera pas usage de la faculté de dénonciation prévue par le présent article sera lié pour une nouvelle période de dix années et, par la suite, pourra dénoncer la présente convention à l'expiration de chaque période de dix années dans les conditions prévues au présent article.
Article 12
1. Le Directeur général du Bureau international du Travail notifiera à tous les Membres de l'Organisation internationale du Travail l'enregistrement de toutes les ratifications et de tous actes de dénonciation qui lui seront communiqués par les Membres de l'Organisation.
2. En notifiant aux Membres de l'Organisation l'enregistrement de la deuxième ratification qui lui aura été communiquée, le Directeur général appellera l'attention des Membres de l'Organisation sur la date à laquelle la présente convention entrera en vigueur.
Article 13
Le Directeur général du Bureau international du Travail communiquera au Secrétaire général des Nations Unies, aux fins d'enregistrement, conformément à l'article 102 de la Charte des Nations Unies, des renseignements complets au sujet de toutes ratifications et de tous actes de dénonciation qu'il aura enregistrés conformément aux articles précédents.
Article 14
Chaque fois qu'il le jugera nécessaire, le Conseil d'administration du Bureau international du Travail présentera à la Conférence générale un rapport sur l'application de la présente convention et examinera s'il y a lieu d'inscrire à l'ordre du jour de la Conférence la question de sa révision totale ou partielle.
Article 15
1. Au cas où la Conférence adopterait une nouvelle convention portant révision totale ou partielle de la présente convention, et à moins que la nouvelle convention ne dispose autrement:
a) la ratification par un Membre de la nouvelle convention portant révision entraînerait de plein droit, nonobstant l'article 11 ci-dessus, dénonciation immédiate de la présente convention, sous réserve que la nouvelle convention portant révision soit entrée en vigueur;
b) à partir de la date de l'entrée en vigueur de la nouvelle convention portant révision, la présente convention cesserait d'être ouverte à la ratification des Membres.
2. La présente convention demeurerait en tout cas en vigueur dans sa forme et teneur pour les Membres qui l'auraient ratifiée et qui ne ratifieraient pas la convention portant révision.
Article 16
Les versions française et anglaise du texte de la présente convention font également foi.