EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 16 avril 2025, à l'initiative de 68 militaires de tous rangs et grades, une résolution citoyenne « visant à garantir le respect des articles 35 et 53 de la Constitution concernant l'engagement militaire et financier de la France en Ukraine » a été portée à la connaissance de Madame Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée nationale et de Monsieur Gérard Larcher, président du Sénat, par ministère d'huissier de justice.
La Constitution de la Ve République confie au Parlement un rôle fondamental dans le contrôle des engagements militaires et financiers de la Nation. L'article 35 prévoit que le Parlement est informé dans les trois jours d'une intervention armée à l'étranger et autorise par un vote toute prolongation au-delà de quatre mois. L'article 53 exige la ratification parlementaire des traités engageant les finances publiques ou modifiant des dispositions législatives. Le rôle du Parlement est d'autant plus crucial que la France est signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) dont l'article 25 l'oblige à garantir à tout citoyen le droit de « prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis ».
Depuis 2022, des éléments convergents font état d'une possible présence militaire française en Ukraine dans le cadre du conflit avec la Russie. Si ces informations sont exactes, une telle implication, qui dure depuis plus de deux ans, n'a fait l'objet ni d'une information officielle ni d'un vote parlementaire, ce qui soulève des questions quant au respect de l'article 35.
De plus, les accords de sécurité franco-ukrainiens signés le 16 février 2024, prévoyant un soutien militaire et financier pluriannuel (notamment 3 milliards d'euros en 2024), engagent significativement les finances publiques. Alors que ces accords sont comparables à des traités ayant fait l'objet d'une ratification parlementaire, comme l'accord entre la France et la Papouasie-Nouvelle-Guinée relatif à la coopération en matière de défense (projet de loi n° 2159 déposé le 7 février 2024 par le Premier ministre et le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères), ils n'ont pas été soumis à une telle procédure, contrairement à ce que semble imposer l'article 53.
Le 12 mars 2024, une déclaration du gouvernement sur ces accords, faite sous l'empire de l'article 50-1, a donné lieu à un débat suivi d'un vote non contraignant, sans engager la responsabilité de l'exécutif ni répondre aux exigences des articles 35 et 53.
Le 27 mars 2025, le Président de la République a annoncé une aide militaire supplémentaire de 2 milliards d'euros pour l'Ukraine, sans vote préalable du Parlement, s'appuyant sur une interprétation extensive des prérogatives exécutives. Cette décision s'ajoute aux déclarations présidentielles, relayées par les médias en février 2024, évoquant un possible déploiement de troupes en Ukraine à partir de mai 2025.
Enfin, le 3 mars 2025, une nouvelle déclaration au titre de l'article 50-1 a été faite sur la situation en Ukraine, sans qu'un vote soit organisé, illustrant une récurrence dans l'usage de cette procédure.
L'utilisation répétée de l'article 50-1, comme en témoignent les déclarations du 12 mars 2024 et du 3 mars 2025, bien qu'utile pour informer, ne permet pas un contrôle effectif par le Parlement, contrairement aux mécanismes prévus par les articles 35 et 53. Cette procédure, par son caractère non contraignant, limite la capacité des représentants des citoyens à peser sur des décisions engageant la Nation, alors que le Gouvernement doit être pleinement responsable de telles orientations devant les Français, conformément aux principes de la souveraineté nationale et de la séparation des pouvoirs.
Alors les tensions géopolitiques se font grandissantes depuis le début de l'année 2025, un sondage effectué par l'institut MIS Group pour le Sénateur de la Côte d'Or Alain Houpert les 17 et 18 avril 2025 révèle que 76 % des Français s'opposent à la guerre en Ukraine et sont en faveur de la négociation d'un règlement de paix au plus vite, un chiffre cohérent avec d'autres enquêtes récentes : 78 % s'opposent à une implication directe de l'armée française selon un sondage Odoxa/Public Sénat (février 2025), et 68 % désapprouvent l'envoi de soldats selon un sondage Odoxa/Le Figaro (février 2024).
Le même sondage commandé par le Sénateur Houpert portant sur un échantillon représentatif de 1 000 Français indique que 59 % rejettent l'idée d'un partage de la dissuasion nucléaire française avec d'autres pays européens, proposition avancée par le Président de la République qui semble en contrariété avec les dispositions de l'article 1er du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).
Enfin, les Français estiment que le Parlement doit être davantage impliqué dans les choix engageant la Nation : 70 % des répondants estiment que la France ne doit pas envoyer d'armes en Ukraine sans vote et validation du Parlement, et 74 % considèrent que l'aide à l'Ukraine doit être votée et validée par le Parlement.
Ces chiffres, ainsi que la résolution citoyenne du 16 avril 2025 déposée par voie d'huissier par plusieurs dizaines militaires de tous rangs et grades, motivent cette résolution déposée pour répondre aux attentes citoyennes et réaffirmer la souveraineté parlementaire. L'absence de débat et de vote contraignants sur ces sujets pourrait fragiliser la séparation des pouvoirs, principe consacré par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Les parlementaires ont un devoir de vigilance pour éviter que l'équilibre des pouvoirs ne soit compromis. Cette résolution vise à réaffirmer ce rôle essentiel.