EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Déclinaison opérationnelle de la stratégie pour l'industrie européenne de la défense (EDIS) présentée par la Commission européenne le 5 mars 20241(*), la proposition de règlement COM(2024) 150 final s'inscrit dans le prolongement de la déclaration de Versailles du 11 mars 2022, de la communication conjointe sur l'analyse des déficits d'investissement dans le domaine de la défense du 18 mai 20222(*) et des deux textes d'urgence adoptés en 2023 pour faire face à la guerre en Ukraine : le règlement relatif au soutien à la production de munitions (ASAP)3(*) et l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (EDIRPA)4(*).

L'exposé des motifs relève que cette proposition de règlement COM(2024) 150 final « établit un ensemble de mesures et définit un budget visant, d'une part, à soutenir la préparation de l'Union et de ses États membres dans le domaine de la défense par un renforcement de la compétitivité, de la réactivité et de la capacité de la base industrielle et technologie de défense européenne (BITDE) et à garantir la disponibilité et la fourniture en temps utile de produits de défense et, d'autre part, à contribuer au redressement, à la reconstruction et à la modernisation de la base industrielle et technologique de défense (BITD) ukrainienne ».

Le texte proposé comprend ainsi 67 articles répartis en trois piliers, reposant sur quatre bases juridiques différentes :

- un premier pilier « visant à ce que les conditions nécessaires soient réunies pour assurer la compétitivité de la base industrielle et technologique de la défense européenne (BITDE) ». Ce pilier est fondé sur l'article 173 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui stipule notamment que « l'Union et les États membres veillent à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l'industrie de l'Union soient assurées », que leur action s'inscrit dans un « système de marchés ouverts et concurrentiels » et que « les États membres se consultent mutuellement en liaison avec la Commission et, pour autant que de besoin, coordonnent leurs actions. La Commission peut prendre toute initiative utile pour promouvoir cette coordination, notamment des initiatives en vue d'établir des orientations et des indicateurs, d'organiser l'échange des meilleures pratiques et de préparer les éléments nécessaires à la surveillance et à l'évaluation périodiques » ;

- un deuxième pilier concernant le marché européen des équipements de défense (MEED), fondé sur l'article 114 du TFUE qui stipule notamment que « le Parlement européen et le Conseil (...) arrêtent les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur » ;

- un troisième pilier comprenant des mesures destinées à contribuer « au redressement, à la reconstruction et à la modernisation de la BITD ukrainienne et à son intégration progressive dans la BITDE », les opérations de l'Union européenne venant « compléter et renforcer celles menées par les États membres ». La Commission européenne se fonde cette fois sur l'article 212 du TFUE, qui stipule que « l'Union mène des actions de coopération économique, financière et technique, y compris d'assistance en particulier dans le domaine financier, avec des pays tiers autres que les pays en développement. Ces actions sont cohérentes avec la politique de développement de l'Union et sont menées dans le cadre des principes et objectifs de son action extérieure. Les actions de l'Union et des États membres se complètent et se renforcent mutuellement ». L'exposé des motifs de la proposition de règlement souligne en outre la nécessité « d'apporter une attention particulière à l'objectif consistant à aider l'Ukraine à s'aligner progressivement sur les règles, normes, politiques et pratiques (l'«acquis») de l'Union en vue de son adhésion future à l'Union ».

Les dispositions financières de la proposition de règlement reposent sur l'article 322 du TFUE, lequel stipule en particulier que « le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, et après consultation de la Cour des comptes, adoptent par voie de règlements : a) les règles financières qui fixent notamment les modalités relatives à l'établissement et à l'exécution du budget et à la reddition et à la vérification des comptes ; b) les règles qui organisent le contrôle de la responsabilité des acteurs financiers, et notamment des ordonnateurs et des comptables ». L'enveloppe budgétaire que la Commission européenne propose d'allouer au programme visant à renforcer la BITDE s'élève à 1,5 milliard d'euros en prix courants pour la période allant jusqu'au 31 décembre 2027. Des contributions financières viendraient en supplément afin de financer les actions visant à renforcer la BITD ukrainienne, sous réserve de la conclusion d'un accord-cadre entre l'Union européenne et l'Ukraine.

* * *

À l'initiative de la commission des affaires européennes, confirmée par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, le Sénat a adopté le 5 juin 2024 une résolution européenne portant avis motivé, par laquelle il a contesté le respect, par cette proposition de règlement européen, des principes de subsidiarité et de proportionnalité. La Commission européenne y a répondu le 11 octobre 2024, en défendant son approche.

La commission des affaires européennes a dès lors souhaité mener une analyse du texte sur le fond. Ses rapporteurs ont donc, conjointement avec le rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, procédé à plusieurs auditions, retracées en annexe.

Ils en retirent les principales observations suivantes, à partir desquelles ils proposent une résolution européenne affirmant un certain nombre de principes qui leur paraissent devoir guider l'équilibre final de la proposition de règlement EDIP.

L'examen de celle-ci a bien avancé au Conseil, sous présidence belge puis sous présidence hongroise, cette dernière souhaitant aboutir à une orientation générale d'ici la fin de l'année 2024. En revanche, l'examen du texte n'a pas encore débuté au Parlement européen, compte tenu des élections européennes du mois de juin dernier et des opérations de renouvellement des instances communautaires.

La présente proposition de résolution européenne ne traite pas dans le détail les dispositions des 67 articles, lesquelles ont pu notablement évoluer ou faire l'objet de compromis entre États membres lors des négociations déjà intervenues au Conseil.

Elle se concentre sur quelques points sensibles, qui paraissent aux rapporteurs conditionner l'efficacité et l'acceptabilité du dispositif proposé, et donc le soutien budgétaire qui devra lui être apporté à terme, l'enveloppe de 1,5 milliard d'euros prévue jusqu'à la fin de l'actuel cadre financier pluriannuel, c'est-à-dire le 31 décembre 2027, étant manifestement une amorce.

Les rapporteurs relèvent les menaces pesant directement sur l'Union européenne et la dégradation du contexte sécuritaire international et partagent l'objectif général, exprimé dans la stratégie pour l'industrie européenne de la défense présentée le 5 mars 2024, consistant à faire en sorte que les États membres investissent « davantage, mieux et ensemble ». Ils soulignent également la nécessité de renforcer l'autonomie stratégique de l'Union européenne et de prendre en compte les éventuelles évolutions de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) pouvant découler de la récente élection présidentielle aux États-Unis. Ils considèrent que l'affirmation de l'autonomie stratégique de l'Union européenne implique un renforcement dans la durée de la base industrielle et technologique de défense européenne, à laquelle l'Union peut et doit contribuer aux côtés des États membres, dans le respect des compétences dévolues par les traités, cette action menée au niveau de l'Union devant venir en complément et non en substitution des efforts budgétaires consentis par les États membres pour leur défense nationale.

Cela posé, ils regrettent à nouveau l'absence d'étude d'impact de la proposition de règlement présentée par la Commission européenne, réaffirment fermement les positions exprimées par le Sénat dans l'avis motivé du 5 juin 2024 et en tirent des conséquences concernant certaines dispositions importantes du texte proposé par la Commission européenne.

La proposition de résolution européenne aborde l'un des points les plus sensibles des négociations en cours, concernant les règles d'éligibilité au financement du programme pour l'industrie européenne de la défense. Ce point divise l'industrie et, dans les négociations au Conseil, la France, qui défendait une position initiale maximaliste, est apparue isolée, ce qui l'a amenée à réviser sa stratégie de négociation. En effet, s'agissant d'une négociation suivant la procédure législative ordinaire, requérant la majorité qualifiée et non l'unanimité dès lors que la base juridique relative à la PESC/PSDC n'a pas été retenue, un État membre doit moins définir des « lignes rouges » que convaincre ses partenaires de la pertinence de son point de vue pour rallier une majorité qualifiée ou, à défaut, parvenir à former une minorité de blocage, ce qui apparaît peu probable en l'espèce compte tenu de la nouvelle donne géostratégique.

Dès lors que le nouveau programme pour l'industrie européenne de la défense a vocation à être pérenne, la proposition de résolution européenne affirme qu'il faut veiller à ce que les critères d'éligibilité soient ambitieux et servent véritablement la base industrielle et technologique de défense européenne. Elle juge dès lors indispensable que les fonds du programme soient réservés au soutien de produits de défense dont l'autorité de conception, et non l'autorité de fabrication, est installée dans l'Union européenne ou les pays associés et qui ne font l'objet d'aucune restriction d'usage, afin de permettre aux États membres de demander des modifications ou adaptations rapides des produits en fonction de leurs besoins sans dépendre d'autorisations d'États tiers.

Elle juge également indispensable que les composants des produits de défense soutenus par ce programme soient très majoritairement issus d'États membres de l'Union européenne ou de pays associés. Elle considère que le texte devra refléter l'ambition la plus élevée possible, retenir un taux de composants originaires de l'Union européenne ou de pays associés qui ne saurait être inférieur à celui de 65 % retenu dans le règlement EDIRPA et, si possible, tendre vers un taux minimal de 80 %, assorti d'une perspective croissante à un horizon rapproché, afin de renforcer durablement la base industrielle et technologique de défense européenne.

Elle s'interroge toutefois sur la pertinence d'un taux exprimé en fonction de la valeur monétaire du produit et invite à prendre en compte la dimension qualitative de certains composants pour l'autonomie stratégique de l'Union européenne.

Elle s'interroge également sur la pertinence du choix consistant à subventionner des entreprises plutôt que les États, dans la perspective d'une réelle structuration et d'une consolidation de la base industrielle et technologique de défense européenne.

Elle relève le risque de saupoudrage et estime que dans une logique d'efficacité, les dispositifs proposés doivent tout autant permettre de renforcer les champions européens existants que de permettre la montée en compétences d'autres segments de la chaîne de production industrielle.

Elle invite en outre la Commission européenne à préciser ses intentions concernant la mise en place d'un véritable marché unique des produits de défense, alors que ces derniers ne peuvent être considérés comme des produits comme les autres, au regard de leur finalité, de l'autorité de commande et des utilisateurs que sont strictement les États souverains.

S'agissant des dispositions relatives à la sécurité d'approvisionnement et à la gouvernance, elle reprend les observations formulées dans l'avis motivé du 5 juin 2024, insiste sur le fait que les choix capacitaires et la capacité d'approvisionnement en matière de produits de défense reposent sur des orientations stratégiques qui relèvent des États membres dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune et souligne que plusieurs dispositions empiètent sur les prérogatives des États membres, la sécurité nationale restant de leur seule responsabilité en application de l'article 4 du traité sur l'Union européenne.

Elle exprime ainsi de vives réserves vis-à-vis de plusieurs dispositions du texte proposé par la Commission européenne et appelle à rééquilibrer ces dispositifs, s'ils devaient prospérer, afin de préserver les responsabilités des États membres, du Conseil et de l'Agence européenne de défense, cette dernière devant être redynamisée.

La proposition de résolution européenne souligne enfin que le renforcement de la BITDE suppose une forte mobilisation de financements, tant publics que privés. Elle affirme c'est à l'aune de la prise en compte, dans le texte final, des principes affirmés par le Sénat que sera évaluée la pertinence du niveau d'abondement du programme pour l'industrie européenne de la défense et du financement des mesures découlant de la mise en oeuvre de ce règlement lors des négociations relatives au prochain cadre financier pluriannuel 2028-2034. Elle appelle en outre la Banque européenne d'investissement à accroître son soutien aux entreprises du secteur de la sécurité et de la défense.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mercredi 30 octobre 2024

- Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne :

o M. Raymond LEVET, conseiller Armement.

- Groupe MBDA :

o M. Vincent THOMASSIER, directeur des coopérations stratégiques et du marketing ;

o M. Didier GONDALLIER DE TUGNY, directeur adjoint des coopérations stratégiques, en charge de la stratégie UE/OTAN ;

o Mme Anne-Sophie THIERRY BOZETTO, responsable des relations politiques et parlementaires.

- Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) :

o M. Frédéric PARISOT, délégué général ;

o M. Jérôme JEAN, directeur des affaires publiques.

- Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT) :

o Mme Isabelle DESJEUX, présidente du Cercle Europe du GICAT et directrice des affaires européennes de Safran Electronics & Defense ;

o Madame Léa BENASSEM-DURIEUX, directrice des affaires publiques France et Europe.

- Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN) :

o M. Philippe MISSOFFE, délégué général.

Mardi 5 novembre 2024

- Parlement européen :

o M. François-Xavier BELLAMY, député européen français, rapporteur de la proposition de règlement au nom de la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE).

Mercredi 6 novembre 2024

- Groupe Thalès :

o M. Gautier LEKENS, vice-président relations internationales ;

o Mme Isabelle CAPUTO, directrice des relations parlementaires et politiques.

- Groupe Dassault Aviation :

o M. Bruno GIORGIANNI, secrétaire du comité de direction, directeur des affaires publiques et sûreté.

Mercredi 13 novembre 2024

- Secrétariat général des affaires européennes :

o Mme Constance DELER, cheffe du bureau « Parlements » ;

o M. Joseph GIUSTINIANI, chef du bureau « Voisinage, élargissement, défense » ;

o Mme Claire COHADON, adjointe au chef du bureau « Voisinage, élargissement, défense » ;

o M. Naël LEITES, adjoint au chef du bureau « Voisinage, élargissement, défense ».

- Ministère des armées :

o Mme Aimée JEANNE, cheffe du bureau du droit européen à la direction des affaires juridiques (sous-direction du droit international et du droit européen) ;

o Mme Margot GENTELLE, chargée d'études au sein du bureau du droit européen à la direction des affaires juridiques.

- Ministère de l'Europe et des affaires étrangères :

o M. Olivier-Rémy BEL, chef de mission des relations extérieures de l'Union européenne à la direction de l'Union européenne.

- Groupe Airbus :

o M. Olivier MASSERET, directeur des affaires institutionelles d'Airbus Group ;

o M. Olivier LEBAS, conseiller défense ;

o Mme Nathalie ERRARD, directrice des affaires européennes et OTAN.

* 1 Communication conjointe au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, « Une nouvelle stratégie pour l'industrie européenne de la défense pour préparer l'Union à toute éventualité en la dotant d'une industrie européenne de la défense réactive et résiliente », 5 mars 2024, JOIN(2024) 10 final.

* 2 Communication conjointe au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur l'analyse des déficits d'investissement dans le domaine de la défense et sur la voie à suivre, 18 mai 2022, JOIN(2022) 24 final.

* 3 Règlement (UE) 2023/1525 du Parlement européen et du Conseil du 20 juillet 2023 relatif au soutien à la production de munitions (ASAP).

* 4 Règlement (UE) 2023/2418 du Parlement européen et du Conseil du 18 octobre 2023 relatif à la mise en place d'un instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (EDIRPA).

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