EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En octobre 2024, près de 180 plans de licenciement ont été recensés en France, représentant près de 47 272 emplois menacés ou supprimés, dont 21 191 pour la seule industrie. Le ministre de l'économie et des finances et celui de l'industrie ont confirmé plusieurs fois, devant la représentation nationale et dans les médias, que des « milliers d'emplois pourraient être détruits dans les prochaines semaines ». Pire, selon l'Observatoire français des conjonctures économiques, ce sont près de 150 000 emplois qui pourraient être supprimés dès 2025 tous secteurs confondus.

Les annonces de destructions d'emplois par les groupes Michelin ou Auchan ont soulevé une indignation légitime chez les salariés, dans la population mais aussi chez les élus de tous bords politiques des territoires concernés par les destructions d'emplois ou les fermetures d'usines.

Comment une entreprise qui touche des aides publiques directes ou indirectes et verse des dividendes peut-elle licencier ? Face à cette situation, même le Premier ministre, Michel Barnier, se demande « ce qu'on a fait, dans ces groupes, de l'argent public qui leur a été donné ». 

La question mérite effectivement d'être posée et des éclaircissements doivent être apportés. Les aides publiques aux entreprises connaissent depuis plusieurs décennies et de manière structurelle une augmentation continue, sans transparence et sans conditions sociales, fiscales ou écologiques.

De plus, ces dispositifs très disparates ne sont pas (ou peu) accompagnés d'un suivi, d'obligations de résultats (souvent ce sont des obligations de moyens) et de sanctions.

Les entreprises bénéficient d'un système d'aides des pouvoirs publics - Union européenne, État, opérateurs de l'État et collectivités territoriales - toujours plus important : plus de 2 000 dispositifs sont recensés sans compter les dépenses fiscales (allégements, exonérations, etc...). Tout cela sans évaluation systématique ni contrôle de l'usage de ces aides dont le montant avoisinait pourtant les 140 milliards d'euros en 2018, près de 206 milliards d'euros en 2022 et 240 milliards aujourd'hui.

Pourtant, dès 2003, un rapport du commissariat général au plan alertait sur un système français d'aides publiques aux entreprises particulièrement illisible, sans recensement public et exhaustif des types d'aides et des montants alloués par la collectivité publique au secteur privé dont l'impact réel sur l'économie est difficilement quantifiable.

Les groupes du CAC 40 ont reçu des dizaines de milliards d'aides publiques pendant des années : CICE, prêt garanti par l'État, plan de relance, aides à l'embauche, plans sectoriels, aides aux industriels sur les prix de l'énergie, plans mis en place au nom de la « relocalisation » et de la « souveraineté économique »... et la liste est loin d'être exhaustive. Cependant, les suppressions d'emplois se poursuivent dans la plupart des multinationales françaises, alors que nous assistons à des records de bénéfices, de distributions de dividendes, de rachats d'actions, et/ou de rémunérations patronales. Tout cela, alors même que l'effort contributif des entreprises n'a cessé de se réduire, tandis que les prélèvements sur les ménages, eux, n'ont cessé de croître.

Le constat est donc sans appel : l'octroi massif d'aides publiques n'empêche pas les fermetures de sites, les licenciements, les délocalisations et les destructions d'emplois. Dès lors, quel sens donner à une participation publique aussi forte, sans aucune contrepartie vertueuse ? Le conditionnement ou la « critérisation » des aides publiques ne devraient-ils pas être « une règle » ?

La présente proposition de résolution a pour objet de donner au Sénat les moyens d'enquêter sur l'efficacité de cette dépense publique et son impact économique, social et environnemental, en recensant et évaluant les aides publiques versées aux entreprises de plus de 1 000 salariés ayant réalisé un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros ainsi qu'à leur sous-traitants, ce qui permettra également de vérifier l'efficacité des aides publiques versées dans ce contexte aux TPE-PME et ETI de nos territoires.

La réalité du chômage qui s'abat sur des dizaines de milliers de salariés exige une mobilisation économique majeure des grandes entreprises de notre pays.

Elles doivent tout mettre en oeuvre pour préserver l'emploi, facteur fondamental de cohésion de notre société sur l'ensemble du territoire de la République. L'argent public, bien commun à toute la population, qui leur est affecté pour faire face aux défis économiques, doit être utilisé à bon escient.

Un véritable contrôle de l'utilisation des aides publiques apparait donc être un impératif démocratique et économique au vu de la part croissante du poids de ces aides dans le PIB.

C'est l'objet de cette commission d'enquête.

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