EXPOSÉ DES MOTIFS

Madame, Monsieur,

La souveraineté alimentaire et sanitaire de l'Union européenne passe par le respect de l'environnement, la réindustrialisation de ses territoires et la modernisation de son agriculture, et donc par le déploiement d'innovations de rupture au service de son appareil productif.

Cette approche s'inscrit dans le temps long, d'abord celui de la recherche fondamentale, exploratoire, nécessairement non finalisée, qui se nourrit d'itérations, d'errements et d'audaces, et qui peut aboutir à des découvertes valorisables ; puis celui de la valorisation de ces découvertes à l'aide de services de transfert de technologie qui accompagnent le laboratoire académique dans la maturation de la technologie sous-jacente. Une fois les preuves de concept obtenues et les résultats protégés par le dépôt de brevets, la création de start-ups ou le partenariat avec des entreprises existantes, pour assurer le développement préindustriel de la technologie ; enfin, le temps du déploiement de la solution sur le marché et sa distribution, très souvent portés par un industriel positionné en aval de ces start-ups.

La recherche fondamentale, qui permet de faire aujourd'hui les découvertes qui déboucheront demain sur des produits développés à grande échelle par les industriels car demandés par la société, est donc non seulement essentielle pour faire avancer les connaissances de l'humanité, mais également vitale pour l'innovation d'un pays et pour son économie.

Ce temps long de la recherche fondamentale dicte l'urgence, tant il s'avère bien souvent difficile, voire impossible, de rattraper un retard de plusieurs années en matière d'avancées scientifiques et technologiques.
À titre d'exemple, la crise sanitaire a révélé au grand jour le retard pris par la France, en particulier sur le développement à l'échelle industrielle de vaccins à ARN messager (ARNm) déployables à très grande échelle dans un temps très contraint.

La prise de conscience de ce retard aura eu l'effet d'un électrochoc pour les industriels européens, notamment dans le domaine de la santé. Il aura du moins permis de faire entrer pour de bon la notion d'« acides ribonucléiques », ou ARN, dans le vocabulaire commun. Comme l'acide désoxyribonucléique (ADN), l'ARN possède un alphabet relativement simple de 4 nucléotides ; mais tandis que l'ADN intègre le schéma directeur de tous les gènes d'un organisme, l'ARNm indique à la cellule les protéines à fabriquer et régule également le quantum et le momentum de leur fabrication. Cette nature dynamique de l'ARN signifie qu'il peut aider les cellules à réagir à l'environnement et à lutter par exemple contre les infections.

Il est important de rappeler que l'ARNm a été identifié en 1961 par les chercheurs français François Jacob, Jacques Monod et André Lwoff, qui ont reçu le prix Nobel de physiologie ou de médecine en 1965 pour l'ensemble de leurs travaux sur le principe de la régulation génique.
D'autres découvertes fondamentales majeures, telles que la synthèse in vitro d'ARNm, l'identification de modifications naturelles de l'ARNm, qui limitent à la fois son caractère inflammatoire et le rendent plus stable, et le développement d'un système de délivrance lipidique de l'ARNm, appelés « lipid nanoparticles » ou « LNPs », ont été essentiels pour le déploiement rapide et mondial de vaccins à ARNm pendant la pandémie de Covid-19. Cette technologie pourrait également révolutionner la vaccination anticancer à l'avenir. Environ 60 ans après la découverte de l'ARNm,
la chercheuse hongro-américaine Katalin Karikó et le médecin chercheur américain Drew Weissman ont été récompensés par le prix Nobel de physiologie ou de médecine en 2023 pour leurs travaux sur les vaccins à ARNm.

Au-delà des ARNm, les cellules produisent des ARN dénommés « non-codants », qui ne participent pas directement à la synthèse des protéines. Certains de ces ARN non-codants, de petite taille, réduisent au silence l'expression de gènes en dégradant sélectivement certains ARNm,
ou en inhibant leur synthèse protéique. Ces petits ARN, appelés short interfering RNAs (siRNA) ou microARN (miARN), ont révolutionné la compréhension du fonctionnement des organismes vivants. Par ailleurs, ils ont permis le développement de nouveaux traitements thérapeutiques, dont plusieurs sont déjà commercialisés ou en voie de l'être. L'ensemble de ces travaux a par ailleurs été récompensé par deux prix Nobel de physiologie ou de médecine, l'un en 2006, pour la découverte du mécanisme de « l'ARN interference » par les chercheurs américains Andrew Fire et Craig Mello, et l'autre en 2024, pour la découverte des microARN par les chercheurs américains Victor Ambros et Gary Ruvkun.

Au-delà des ARN intracellulaires, de nouvelles découvertes fascinantes attestent que des ARN, codants et non-codants, peuvent également être sécrétés à l'extérieur des cellules et, par la suite, transférés à d'autres cellules, dans une communication intercellulaire. L'ARN extracellulaire s'est avéré clé dans toute une série de processus liés à la santé et à la maladie, par exemple dans la croissance et la métastase des tumeurs. Ces ARN extracellulaires sont produits par les bactéries, champignons, végétaux et animaux et pourraient donc jouer un rôle fondamental dans la manière dont les organismes interagissent entre eux.

De récentes études ont montré que les agents pathogènes produisent des ARN extracellulaires afin de les aider à modifier les cellules hôtes, et ainsi promouvoir leur réplication chez l'hôte. D'autres ont rapporté que les cellules hôtes peuvent produire divers ARN extracellulaires lors d'une réponse naturelle de défense, afin de promouvoir la résistance contre ces pathogènes. Ces découvertes fondamentales conduisent à de nombreuses initiatives de recherche, telle que l'action COST exRNA-PATH, visant à identifier l'ensemble des ARN extracellulaires, à mieux comprendre leurs fonctions et à explorer la manière dont ils pourraient être utilisés et exploités pour le diagnostic, les thérapies et la lutte contre les agents pathogènes.

L'ARN extracellulaire pouvant être trouvé dans différents fluides corporels, son utilisation comme biomarqueur non invasif a elle aussi suscité beaucoup d'intérêt. Plusieurs entreprises ont déjà mis au point des outils spécifiques pour le détecter et le premier diagnostic de l'ARN extracellulaire est sur le marché pour le cancer de la prostate (exosome diagnostics).
De nombreuses investigations et essais cliniques examinent actuellement la valeur diagnostique de différentes classes d'ARN extracellulaire dans les maladies.

Aussi, les vésicules extracellulaires, qui protègent et transportent certains de ces ARN extracellulaires, sont également étudiés comme nouveaux systèmes de délivrance de molécules sûrs et efficaces, pour des approches vaccinales et thérapeutiques. La meilleure compréhension des conversations moléculaires qui ont lieu entre les différents organismes vivants (microbiens, végétaux et animaux), notamment dans des contextes infectieux, pourrait nous aider à ouvrir de nouvelles voies pour traiter un large éventail de pathologies et de maladies infectieuses.

L'ARN extracellulaire existe également dans les plantes, y compris dans les plantes cultivées, et c'est l'une des molécules que les phytopathogènes utilisent pour affaiblir l'immunité des plantes.
Plusieurs études ont montré que les pathogènes filamenteux, y compris un champignon responsable de la « pourriture grise » et un oomycète responsable de l'oïdium, transportent des ARN extracellulaires dans les cellules des plantes pour réduire au silence les facteurs de l'immunité de la plante et promouvoir la maladie.

À l'inverse, les plantes se défendent également à l'aide d'ARN extracellulaire, en transportant des molécules d'ARN à l'extérieur des cellules, ciblant les pathogènes, et réduisant ainsi leur virulence et/ou leur survie. Ces caractéristiques des plantes sont maintenant exploitées dans une nouvelle approche de biocontrôle basée sur l'ARN pour concevoir et délivrer des ARN extracellulaires antimicrobiens afin de protéger sélectivement les cultures contre un ou plusieurs ravageur(s) des plantes d'intérêt agronomique. Les progrès des connaissances et des technologies autour des ARN extracellulaires sont donc essentiels pour créer des stratégies de remplacement des pesticides chimiques non sélectifs, qui peuvent, dans certains cas, être néfastes pour l'environnement et la santé de nos concitoyens. Ces nouvelles stratégies de lutte sont respectueuses de l'environnement et s'alignent donc sur les objectifs durables des politiques mondiales de sécurité alimentaire.

Toutes ces opportunités, d'ordres scientifique et industriel, autour des ARN extracellulaires et des vésicules extracellulaires, sont porteuses d'immenses espoirs pour guérir les maladies des humains, des animaux et des plantes, en privilégiant l'innocuité et dans le respect de l'environnement. C'est pourquoi il apparaît opportun d'en faire un axe stratégique de développement en Europe, où la recherche a avancé en ces domaines, en adaptant le cadre législatif et règlementaire pour permettre l'émergence et l'essor de champions européens en pointe dans ce domaine.

À l'occasion d'un colloque international organisé au Palais du Luxembourg le vendredi 25 octobre 2024, une centaine d'acteurs de premier plan dans les sciences de la vie - scientifiques, startups, organismes de recherche publics et investisseurs en capital-risque - se sont réunis afin d'identifier les actions prioritaires. Ces parties prenantes ont été claires : la recherche, l'investissement et la politique doivent être alignés pour soutenir le passage à l'échelle des innovations et passer à la vitesse supérieure.

C'est tout l'objet de cette proposition de résolution européenne.

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