EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée est une nécessité budgétaire et sociale : plus de 100 milliards d'euros en France échapperaient à l'impôt chaque année ; quant à la criminalité organisée, son montant est difficile à évaluer. En Europe, une résolution du Parlement européen du 2 mai 2023 faisait état d'une perte de recettes fiscales potentielles estimée à 1 000 milliards d'euros. Le chiffre au niveau mondial est astronomique.

Alors que la dette de la France explose (3 228,4 milliards d'euros au deuxième trimestre 2024), la lutte contre la délinquance financière sous toutes ses formes constitue un enjeu prioritaire. En novembre 2023, la Cour des comptes rappelait, dans son rapport sur la détection de la fraude fiscale des particuliers, l'absence regrettable et persistante d'estimation de la fraude et soulignait un écart fiscal compris entre 30 et 100 milliards d'euros tous impôts confondus, sans possibilité de différencier la fraude des irrégularités involontaires.

Ces dernières années ont été marquées par de très nombreuses affaires mises à jour par un consortium de journalistes venus du monde entier, réunis autour de la lutte contre la délinquance financière, l'ICIJ, dont le remarquable travail doit être transformé en réglementation, ce qui n'est pas encore le cas.

Panama papers, Swiss leaks, Paradise papers, FinCEN Files, Offshore leaks, Luxleak et, plus récemment, les Pandora Papers, à chaque scandale, son annonce, qui rapidement tombe dans l'oubli.

Nicolas Sarkozy, le 23 septembre 2009, avait déclaré « les paradis fiscaux c'est fini » ; la réalité est bien différente.

La multiplication de nouveaux produits financiers, notamment les cryptoactifs, ainsi que l'extrême rapidité, voire l'immédiateté des échanges, appellent un état des lieux des outils nationaux et internationaux en place.

L'ONU a publié un rapport le 26 février 2021 intitulé « L'intégrité financière pour un développement durable » (https://www.factipanel.org/).
Ce travail, présidé par l'ancien Premier ministre du Niger, Ibrahim Mayaki, et l'ancienne Présidente de Lituanie, Dalia Grybauskaitë, fait état des nombreuses failles dans le système bancaire mondial et de l'inefficacité des organisations en charge de lutter contre la fraude.

L'existence d'un travail international contre la délinquance financière ne dispense pas d'une vraie réglementation.

Si des progrès ont été effectués, c'est par un effet ricochet de la lutte contre le financement du terrorisme. En effet, terrorisme et criminalité financière empruntent les mêmes circuits de délinquance financière, d'évasion fiscale et de blanchiment, et les mêmes outils. Le blanchiment représenterait 3 % du produit intérieur brut (PIB) mondial et 1,3 % du PIB à l'échelle européenne (soit plusieurs centaines de milliards d'euros).

Une proposition de résolution sur ce sujet avait été déposée en 2017, sans avoir pu bénéficier d'un droit de tirage.

Depuis 10 ans, le paysage de la finance internationale a beaucoup évolué et la toute-puissance des GAFAM a montré son omniprésence lors de la crise sanitaire.

Parallèlement, la société civile et des ONG se sont mobilisées pour alerter sur ces phénomènes, comme OXFAM, Tax Justice Network ou Transparency international.

Le « quoi qu'il en coûte international » a fait sauter tous les contrôles au nom de la survie de l'économie.

Des parlementaires et des magistrats sont aussi très investis sur ces sujets comme les frères Bocquet (auteurs de deux ouvrages sur le sujet : « Sans domicile fisc » et « Milliards en fuite »), ou Charles Prats, magistrat, auteur du « Cartel des fraudes ».

La délinquance financière est évaluée à 500 milliards de dollars qui échappent ainsi à l'impôt et aux politiques de solidarité dans le monde, selon l'EUTAX Observatory (Global Tax Evasion Report 2024). Les pertes fiscales liées à l'évasion des multinationales sont estimées à 600 milliards de dollars dans le monde, dont 200 milliards pour l'Union européenne.

Il en est de même des pratiques douteuses dans les territoires non coopératifs, aussi appelés paradis fiscaux, qui semblent inspirer une crainte révérencielle de la part des gouvernements qui hésitent à agir concrètement pour les faire disparaître.

Il en est de même de l'inertie incompréhensible à l'égard des ports francs comme il en existe en Suisse ou au Luxembourg.

Il est donc indispensable que le Sénat se penche sur ces questions et contribue ainsi à renforcer les dispositifs de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière.

C'est la raison de la présente proposition de résolution aux fins de constitution d'une commission d'enquête, dont l'objet est de dresser un état des lieux et de faire des propositions concrètes pour lutter contre cette délinquance financière.

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