EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Plus de cinq mois après sa remise au ministre de l'Éducation nationale, en août 2023, le rapport de l'Inspection générale du sport de l'éducation et de la recherche (IGERS) portant sur l'établissement scolaire privé sous contrat Stanislas à Paris a été rendu public le 16 janvier par Mediapart, à la suite de la polémique déclenchée quelques jours plus tôt par les propos de l'ancienne ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse.

La publication de ce rapport a mis au jour l'existence de dérives graves constatées au sein de l'établissement : violences psychologiques, homophobie, prosélytisme et climat obscurantiste. Les lacunes des enseignements dispensés en cours de sciences et vie et de la terre et d'éducation à la sexualité sont susceptibles de « porter atteinte à la santé des élèves ».

Les faits décrits dans le rapport portent atteinte aux obligations légales de la protection de l'enfance et de la jeunesse ainsi qu'à la liberté de conscience des élèves, prévues aux articles L.441-1-1 et L.442-1 du code de l'éducation. En outre, selon le rapport, certains propos tenus dans les cours de catéchisme seraient « contraires aux valeurs de la République, voire pénalement répréhensibles ».

Depuis la publication de cette enquête, un remaniement ministériel a démis la ministre de ses fonctions de ministre de l'Éducation nationale.

En revanche, le contrat entre l'État et l'établissement Stanislas a été maintenu et ce malgré le vote, le 9 février, d'un voeu du Conseil de Paris demandant à l'établissement de respecter la liberté de conscience de ses élèves. Par ce voeu, le Conseil de Paris invitait également le rectorat à mener une enquête sur l'ensemble des établissements privés sous contrat, afin de vérifier la conformité de leurs pratiques avec le code de l'éducation et le respect des valeurs républicaines1(*).

Le 31 janvier, la région Île-de-France a voté le forfait accordé à l'établissement Stanislas pour le financement de son externat, au motif qu'elle avait été « informée du maintien par l'État du contrat d'établissement avec le Lycée Stanislas »2(*).

Cela illustre la situation paradoxale des collectivités territoriales, tenues de financer ces établissements, mais exclues de la mise en oeuvre du contrôle. L'article L. 442-5 du code de l'éducation prévoit en effet une obligation pour les collectivités de financer les « dépenses de fonctionnement des classes sous contrat dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public. », tandis que l'article L. 442-1 du même code dispose que « dans les établissements privés qui ont passé un des contrats prévus aux articles L. 442-5 et L. 442-12, l'enseignement sous contrat est placé sous le contrôle de l'État. »

Les dispositions applicables aux établissements scolaires privés sous contrat et à leur contrôle par l'État sont peu précises, en comparaison de celles s'appliquant aux établissements privés hors contrat, modifiées à quatre reprises entre 2018 et 2022. Dans le droit actuel, les collectivités n'ont pas compétence pour diligenter des contrôles sur les établissements sous contrat et la loi n'oblige pas l'État à rendre les résultats de ses contrôles publics, ni à les transmettre aux collectivités concernées. Enfin, faute de précision législative, les conséquences en cas de manquement au contrat liant l'établissement à l'État semblent varier d'un département à un autre. À Paris, la Préfecture a décidé de maintenir le contrat, tandis que la Préfecture du Nord n'a pas hésité à résilier le contrat d'association avec un établissement après la remise en cause de certains contenus pédagogiques3(*).

La commission d'enquête formée par l'adoption de cette résolution aurait également pour but d'obtenir des informations concernant le nombre de contrôles opérés et les administrations en charge de ces contrôles, alors qu'un rapport de la Cour des comptes de juin 2023 plaidait pour une plus grande transparence budgétaire et un renforcement du contrôle des directions régionales ou départementales des finances publiques. S'agit-il d'une compétence relevant du ministère de l'Éducation nationale, du ministère de l'Intérieur ou du ministère en charge des comptes publics ?

Après l'affaire Stanislas, de multiples témoignages publiés dans la presse ont fait état de graves dérives dans les établissements privés sous contrat, laissant penser à une défaillance généralisée du contrôle de l'État sur ces établissements scolaires privés.

Le 31 janvier dernier, le journal Libération relatait les dérives constatées dans le cadre des formations à la laïcité des enseignants employés dans le privé, dans la région du Var, dispensées par l'évêque Dominique Rey4(*). Le 1er février, c'était au sein du plus grand établissement privé sous-contrat du Béarn, l'Immaculée Conception à Pau, que des dérives et dysfonctionnements sérieux, portant atteinte à la liberté de conscience des élèves ainsi qu'à leur sécurité, ont été révélés. Ces évènements sont pourtant loin d'être récents : cet établissement a en effet fait l'objet de 19 signalements en 2020 pour atteintes à la laïcité, remontés par des professeurs5(*). Enfin, le 29 février, un article de Libération signalait 33 plaintes d'anciens élèves contre l'établissement scolaire privé sous contrat de l'académie de Bordeaux, Notre-Dame de Bétharram, contre des violences morales, physiques et sexuelles datant des années 1970 et 19806(*).

L'enseignement privé sous contrat représente aujourd'hui en France plus de 7 500 établissements selon la Cour des comptes, et 2 millions d'élèves. Chaque année, plus de 7,8 milliards d'euros de crédits publics leur sont alloués. Selon l'économiste Julie Grenet, leur place dans l'enseignement est d'ailleurs vouée à se renforcer et ils pourraient devenir majoritaires dans certaines zones du territoire, comme à Paris7(*), où, selon l'économiste Julie Grenet, ils seraient amenés à devenir majoritaires.

Il s'agit enfin de s'assurer que les crédits publics soient effectivement destinés à financer un enseignement conforme aux programmes de l'enseignement public.

Par un courrier du 30 janvier 2024, plusieurs membres de la commission de la culture, de l'éducation, de la commission et du sport ont demandé au Président de cette commission de la doter des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, sur la base de l'article 22 du Règlement du Sénat. Cette demande a été formellement refusée par courrier le 14 février, sans que la commission procède à un vote.

Dans l'intérêt des 2 millions d'élèves des établissements privés sous contrat et afin que leur liberté de conscience, leur santé et leur sécurité soient garanties dans ces établissements, il est proposé de créer cette commission d'enquête.

* 1 https://www.leparisien.fr/paris-75/ecole-stanislas-la-ville-de-paris-demande-a-letat-son-deconventionnement-sauf-mise-en-conformite-09-02-2024-3KEUXV7OBBBJJGMJRBEZYSPUQY.php

* 2 https://www.iledefrance.fr/presse/informee-du-maintien-par-letat-du-contrat-dassociation-du-lycee-stanislas-la-region-vote-le-forfait-dexternat-de-letablissement

* 3 https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/11/a-lille-le-lycee-averroes-de-l-excellence-a-la-chute_6205111_3224.html

* 4 Marie Piquemal, Elsa Maudet, Dans le Var, l'évêque ultra-réac Dominique chargé de « sensibiliser », 30/01/2024, Libération, lien : https://www.liberation.fr/societe/education/dans-le-var-leveque-ultra-reac-dominique-rey-charge-de-sensibiliser-des-profs-a-la-laicite-20240130_XAJBSXFYUVGRPLCPXFPBBPHAUE/?redirected=1

* 5 Cécile Bourgneuf, Enquête : L'Immaculée Conception de Pau, un établissement scolaire sous le joug de l'évêque ultraconservateur Marc Aillet, 01/02/2024, Libération, lien : https://www.liberation.fr/societe/education/limmaculee-conception-de-pau-un-etablissement-scolaire-sous-le-joug-de-leveque-ultraconservateur-marc-aillet-20240201_AGN5TXN7NJAMFBIZJA3SSUK5SI/?redirected=1

* 6 Lucas Zai-Gillot, École : L'établissement scolaire Notre-Dame de Bétharram, une institution ébranlée par des accusations de violences, 29/02/2024, Libération, lien : https://www.liberation.fr/societe/education/letablissement-scolaire-notre-dame-de-betharram-une-institution-ebranlee-par-des-accusations-de-violences-20240229_KEG2Y6CZPNAJ5PYARNMV7ALSJQ/

* 7 https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/03/04/a-paris-la-perspective-d-un-enseignement-prive-majoritaire-a-l-entree-au-college-source-de-nouvelles-tensions-politiques_6220046_3224.html

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