EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La directive européenne n° 94/80/CE adoptée le 19 décembre 1994 demande aux États membres d'octroyer le droit de vote pour les élections locales aux ressortissants européens domiciliés sur leur sol. Cette mesure avait aussi pour corollaire la possibilité pour les ressortissants européens d'être élus au sein des municipalités des États membres.

Tous les États ont donc appliqué cette directive. En ce qui concerne la France, la loi n° 98-404 du 15 décembre 1998 a ainsi précisé que les ressortissants européens domiciliés dans une commune pouvaient y être électeurs et élus au sein du conseil municipal. Cette évolution recueille un très large consensus en Europe.

Ainsi, la directive n° 94/80/CE consacre la libre circulation et le droit de séjour des citoyens en leur accordant le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales, ce qui constitue une application du principe d'égalité de traitement et de non-discrimination entre les citoyens nationaux et non nationaux.

Pourtant, la pratique laisse apparaître des restrictions à ces principes communautaires fondamentaux que sont l'égalité de traitement et la non-discrimination entre les ressortissants des États membres. En effet, selon les législations nationales des États membres des garanties professionnelles sont accordées aux élus locaux mais aucune harmonisation n'existe s'agissant des élus locaux exerçant leur emploi dans un autre État membre que celui dans lequel ils exercent leurs mandats.

Dans le même ordre d'idée que la directive relative au droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales, il serait donc souhaitable de remédier au vide juridique qui subsiste dans ce domaine. En effet, dans chaque État européen, les élus locaux disposent de garanties professionnelles afin que leur employeur ne puisse pas gêner directement ou indirectement l'exercice de leur mandat. Or, ce type de garantie professionnelle n'est pas transposable au cas des élus locaux qui sont travailleurs frontaliers, c'est-à-dire qui sont élus locaux dans un pays et qui travaillent dans un autre.

Un élu local du Luxembourg qui travaille au Luxembourg dispose, par exemple, d'une protection professionnelle et de diverses facilités. Par contre, un travailleur frontalier, élu local en France (il peut être de nationalité française ou même de nationalité luxembourgeoise) qui travaille au Luxembourg n'y dispose ni des garanties professionnelles afférentes aux élus locaux en France, ni des garanties professionnelles afférentes aux élus locaux au Luxembourg.

Dans le programme « L'Europe pour les citoyens 2007-2013 », la Commission met en avant la promotion d'une « citoyenneté européenne active ». Plus précisément, le programme reconnaît qu'il « convient de poursuivre la réflexion sur cette notion de citoyenneté européenne active, mais aussi de développer des outils et des modèles adaptés à la participation active des citoyens dans la construction de l'Europe à tous les niveaux ». Dès lors, selon la Commission les « questions liées à la citoyenneté européenne active, à la participation et à la démocratie constituent (...) une priorité permanente (...). Ces questions seront dès lors abordées dans le cadre d'études et de réflexions, mais aussi de projets associant les citoyens et les organisations de la société civile ».

En outre, la Commission rappelle dans son 5 ème rapport sur la citoyenneté de l'Union [COM (2008) 85 final], « la nécessité de renforcer les droits des citoyens de l'Union » et notamment « la participation effective du citoyen européen à la vie politique dans son État de résidence ». Au regard de ces objectifs affichés par la Commission européenne, on peut considérer que l'harmonisation des règles relatives au statut des membres des conseils municipaux, et notamment les garanties professionnelles leur permettant un libre exercice de leur mandat constituerait assurément un moyen de renforcer et de promouvoir une « citoyenneté européenne active ».

Les obligations concernant l'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales dans l'Union européenne ont été intégrées dans le traité à l'article 22 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après TFUE). En outre, l'article 25 TFUE donne compétence au Conseil pour arrêter des dispositions tendant à compléter les droits énumérés à l'article 20 paragraphe 2 TFUE et notamment b) relatif au droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales : « le Conseil (...) peut arrêter des dispositions tendant à compléter les droits énumérés à l'article 20, paragraphe 2. Ces dispositions entrent en vigueur après leur approbation par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. »

En 2002 et 2004, le ministre délégué aux Affaires européennes a déjà été interrogé à plusieurs reprises à ce sujet (Q.E Assemblée nationale n° 488 du 15/07/2002, Q.E Sénat n° 14141 du 14/10/2004 et n° 15408 du 30/12/2004). Il lui était notamment demandé que la France intervienne pour faire instaurer « au niveau européen, des garanties minimales au profit des élus locaux travaillant dans un autre pays ».

À chaque fois, la réponse ministérielle a été dilatoire au motif que, d'une part, très peu d'élus seraient concernés (ce qui est faux) et que, d'autre part, les mesures à prendre relèveraient de la compétence de chaque État, une intervention de l'Union européenne n'ayant pas une « base juridique suffisamment solide ».

En 2008, la France a présidé le Conseil des Ministres de l'Union européenne et avait de ce fait les moyens de mettre ce point à l'ordre du jour. Le Gouvernement fut donc à nouveau sollicité par des questions écrites au Sénat (Q.E n° 05327 du 07/08/2008) et à l'Assemblée nationale (Q.E n° 32511 du 14/10/2008).

Hélas, une nouvelle fois, les réponses furent dilatoires, le ministre se bornant à indiquer qu'une évolution « requiert une réflexion avec nos voisins de l'Union européenne et une harmonisation sur le statut des élus locaux ». Une telle désinvolture est d'autant plus regrettable que, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, de nombreux élus locaux sont concernés. Ainsi, pour les anciennes régions Lorraine et Alsace, plus de 300 élus locaux, dont une cinquantaine de maires, d'adjoints au maire et de présidents de communautés de communes, sont des travailleurs frontaliers.

Plusieurs parlementaires saisirent alors le Premier Ministre mais hélas, sans plus de succès (Q.E AN n° 52207 du 16/06/2009 ; Q.E Sénat n° 09949 du 27/08/2009). Ces questions avaient pourtant le mérite de poser clairement le problème. L'une indiquait notamment : « Le nombre de travailleurs frontaliers est en constante augmentation au sein de l'Union européenne. Or parmi ces travailleurs frontaliers beaucoup sont aussi des élus locaux (plus de 200 élus locaux frontaliers ont ainsi été recensés pour la seule région Lorraine ; ils travaillent en Belgique, au Luxembourg ou en Allemagne). Or chaque État européen dispose d'une législation spécifique organisant le statut de l'élu local et conciliant ses obligations professionnelles avec ses responsabilités électives. Il est donc particulièrement regrettable qu'il n'y ait pas au niveau européen une réglementation communautaire qui permette de généraliser les garanties professionnelles dont bénéficient les élus locaux travaillant dans un autre État. Il peut même arriver qu'une personne de nationalité luxembourgeoise soit par exemple élue dans une commune de Moselle où elle est domiciliée, tout en travaillant au Luxembourg. Même dans ce cas, l'intéressé ne bénéficie pas des garanties accordées par le Luxembourg aux élus locaux luxembourgeois. De nombreuses démarches ont donc été effectuées à juste titre par des élus locaux intéressés. Or en réponse, une lettre du Premier Ministre datée du 29 juillet 2009 et adressée à un adjoint au maire de Cattenom indique : « En l'absence de directive européenne s'imposant aux deux États membres spécifique à ce sujet, il ne m'appartient pas de me prononcer sur ce qui relève du droit national du travail du Grand-duché du Luxembourg. Aussi, je crois que la démarche que vous avez entreprise de plaider votre cause auprès des autorités luxembourgeoises est une bonne approche ». Un tel courrier semble tout à fait dilatoire car il ne s'agit pas de régler un problème individuel, ou même seulement la situation des élus locaux frontaliers français travaillant au Luxembourg. Il s'agit bien d'un problème général concernant l'ensemble de l'Union européenne. On peut donc regretter que, saisi de ce problème précis par plusieurs questions écrites, le ministre délégué aux Affaires européennes n'ait strictement rien fait pour alerter la Commission européenne, y compris à l'époque où la France présidait le conseil des Ministres européens ».

Suite aux élections présidentielles de juin 2012 puis de 2017, les gouvernements successifs ont hélas persisté dans une indifférence regrettable à l'égard des élus municipaux qui sont travailleurs frontaliers. La présente proposition de résolution européenne tend donc à demander au Gouvernement français de saisir, soit la Commission européenne, soit le Conseil des ministres, afin que soit élaborée une directive prévoyant que tout élu local dans un pays de l'Union européenne qui travaille dans un autre pays doit s'y voir reconnaître les mêmes garanties et protections professionnelles que celles dont disposent les élus locaux de ce pays.

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