EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

S'il n'est pas douteux que l'arrière-pays des métropoles, tributaire de leur puissant développement économique, a connu et connaît une urbanisation anarchique auquel un coup d'arrêt doit être donné, il faut aussi comprendre que notre pays n'est pas seulement constitué de villes entourées de cités-dortoirs, de banlieues résidentielles et de zones semi-urbaines. Une grande partie du territoire français, qui mérite la considération de la Nation, trouve son équilibre en dehors de la sphère d'influence de ce monde métropolitain et sub-métropolitain. Il couvre près de 80 % de la surface de l'hexagone et accueille près du quart des Français.

Cet espace est celui de la ruralité. Il vit de l'agriculture, de l'artisanat, des PME et du tourisme. Il compte aussi quelques fleurons de l'économie nationale. L'attachement à la valeur travail y reste essentiel. La violence et l'insécurité y demeurent relativement sous contrôle malgré la dégradation observée au cours des dernières années. On y participe plus activement qu'ailleurs à la vie municipale, associative, culturelle et sportive. On y travaille près de chez soi. On y pratique la solidarité intergénérationnelle.

Cet espace n'a pas été dénaturé par l'urbanisation galopante qui a affecté le monde métropolitain. On y construit, certes. On y a renforcé les axes de communication nécessaires au développement économique local. On y a aussi consommé des terres agricoles et des espaces naturels, sans doute trop, et il faut assurément veiller à y maîtriser aussi la consommation de terres. Mais il n'y a pas de commune mesure entre l'évolution du paysage urbain observée au sein du monde rural au cours des dernières décennies et les nuisances multiples que la loi a entendu à juste titre corriger dans la sphère métropolitaine, où le développement durable a été compromis par de nombreuses nuisances affectant le mode de vie.

C'est un mal français particulièrement pernicieux que de vouloir appliquer partout la même règle alors que les situations sont différentes, que de traiter par les mêmes contraintes les territoires dont l'équilibre a été préservé et ceux que l'urbanisation a déstabilisés. Laisser les choses en l'état reviendrait à infliger au monde rural une sorte de punition sans cause, alors qu'une chance nouvelle s'offre à son développement du fait même des nuisances rencontrées là où la qualité de la vie a été dégradée. On constate en effet depuis la crise sanitaire une demande croissante de logements dans les espaces ruraux venant de citadins, que facilite le déploiement de la fibre au moment où le télétravail explose. La situation économique de certains départements ruraux est désormais favorable. Les offres d'emplois qualifiés y sont nombreuses. Des pénuries d'emploi y sont constatées. Un freinage excessif des possibilités de construction y apparaît donc particulièrement incongru et contre-productif. Il empêcherait de satisfaire une forte demande qui offre une opportunité nouvelle de compenser le vieillissement et le dépeuplement de territoires fortement impactés par l'exode rural au cours des dernières décennies.

L'espace rural ne doit pas être interdit de développement. La loi « climat et résilience » a d'ailleurs officiellement consacré comme un impératif catégorique la prise en compte, imposée aux schémas de cohérence territoriale dans la réalisation des objectifs de réduction de l'artificialisation des sols, des besoins liés au développement rural et à la revitalisation des communes rurales caractérisées comme peu denses ou très peu denses au sens de l'Institut national de la statistique et des études économiques. Mais, pour que cet appel du législateur au développement se traduise dans les faits, il faut que l'espace rural puisse saisir les chances nouvelles qui s'offrent à lui. Ce n'est pas seulement son intérêt. C'est aussi celui des espaces fortement urbanisés : ils verraient ainsi s'atténuer les tensions qui s'exercent sur eux. L'enjeu est donc de cohésion nationale, car il impose de conjuguer développement rural et développement urbain. La ville et la campagne sont désormais plus solidaires que jamais du point de vue de l'aménagement du territoire national.

Il est temps de tourner résolument le dos aux préjugés idéologiques qui ont pu conduire naguère une ministre chargée du logement à qualifier de « non-sens écologique, économique et social (...) le rêve de la maison individuelle », alors qu'il constitue toujours le modèle privilégié par les familles pour leur épanouissement. Ce choix de vie relève d'une liberté fondamentale qui doit être accessible à tous et pas seulement aux Français les plus aisés. Il peut s'accomplir dans le respect du développement durable dans les espaces ruraux qui trouvent en eux-mêmes leur propre équilibre et ne sont pas dans l'orbite des métropoles urbaines.

La présente proposition de loi s'attache à donner aux espaces ruraux les outils indispensables pour mettre en oeuvre leur droit à se développer tout en préservant l'environnement, l'agriculture et les paysages dans le cadre d'une politique de développement durable.

Elle vise, dans des conditions strictement définies et dans le cadre de la « trajectoire » fixée par la loi « climat et résilience », à inscrire dans les différents documents d'urbanisme élaborés par les collectivités et leurs groupements la possibilité de construire des maisons individuelles et d'édifier des commerces et des ateliers dans les bourgs ruraux sans que les terrains concernés soient imputés sur le calcul des terres artificialisées.

Des dispositions particulières sont prévues pour les installations agricoles. Le périmètre des espaces concernés serait celui des zones à forts besoins de développement rural, identifiées par application des critères combinés de faible densité de population et d'autonomie par rapport au périmètre d'influence des pôles d'emploi établis par l'Institut national de la statistique et des études économiques, c'est-à-dire des grandes métropoles. Ces critères constitueront une référence objective.

Les possibilités ouvertes par ces dispositions sont strictement encadrées afin que leur mise en oeuvre ne se fasse pas au détriment de l'environnement, des paysages ou de l'activité agricole (interdiction étant expressément faite d'autoriser une construction susceptible de la compromettre) et n'emporte pas de risque de « mitage ». La commission départementale compétente en matière de préservation, selon les cas, des espaces agricoles ou des zones naturelles, sera consultée. Il est expressément prévu que ces possibilités ne seront pas applicables dans les zones protégées : espaces naturels sensibles, espaces boisés, espaces de continuités écologiques...

Par son pragmatisme, le dispositif s'inscrit aux antipodes du manichéisme idéologique selon lequel le développement rural ne pourrait se faire qu'au préjudice du développement durable. Les territoires ruraux ne sauraient être condamnés à l'immobilité.

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