EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'article 1er de la Constitution proclame que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ».

Dans la même logique, l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ».

Notre droit constitutionnel ne connaît ainsi « que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion »1(*).

L'unicité du peuple constitue un principe cardinal, qui inspire l'ensemble de notre pacte républicain. Elle implique que nulle section du peuple ne puisse s'arroger l'exercice d'une partie de la souveraineté nationale et que la forme républicaine du régime ne puisse faire l'objet d'une révision constitutionnelle. Elle est prolongée par l'égalité devant la loi, qui interdit de traiter différemment les Français en fonction de leur religion ou de leur origine.

Néanmoins, la société tend aujourd'hui à se fragmenter en une juxtaposition de communautés désunies. Les aspirations communautaires se font entendre de façon croissante, remettant en cause notre pacte républicain.

L'invocation spécieuse du principe constitutionnel de « respect de toutes les croyances » pour faire prévaloir une prescription religieuse sur la règle commune jette de plus en plus souvent le doute sur les principes applicables face aux revendications communautaristes qui se multiplient dans la société.

Ainsi, des catégories de personnes demandent à se voir reconnaître, notamment en raison de leurs croyances religieuses, des droits particuliers qui peuvent apparaître comme autant de dérogations au principe d'égalité devant la norme commune, dans le service public, à l'école ou dans le cadre professionnel.

La République ne peut pas rester sans réaction face à ces revendications qui prétendent imposer au sommet de la hiérarchie des normes des règles découlant de convictions religieuses reposant sur des appartenances ethniques.

Pour faire face à ce défi, le Sénat a adopté, en octobre 2020, une proposition de loi constitutionnelle ayant notamment pour objet d'inscrire à l'article 1er de la Constitution le principe selon lequel « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer du respect de la règle commune ».

Ce texte a cependant été rejeté par l'Assemblée nationale.

Les signataires de la présente proposition de loi constitutionnelle souhaitent remettre à l'ordre du jour ce projet de révision de notre Loi fondamentale, dans une rédaction retravaillée à la lumière des débats qui se sont déroulés en 2020.

La précision ajoutée à l'article 1er de la Constitution aurait pour avantage d'offrir une réponse claire aux revendications de traitement différencié, pour des motifs par exemple religieux, dans un cadre public ou professionnel. Cette disposition donnerait aux autorités publiques comme aux employeurs une base indiscutable pour refuser de telles pratiques.

Ainsi, il découlera de cette proposition de loi constitutionnelle l'impossibilité de faire reconnaître des motifs tenant aux origines ou aux croyances pour :

- se soustraire à un contrôle administratif (police...) ou au respect de règles de sécurité (code de la route, accès à un avion...) ;

- demander à bénéficier d'un traitement particulier dans l'accès ou l'accomplissement du service public, par exemple à l'école ou en prison (mixité des cours de sport, menus des restaurants scolaires, contenu des enseignements...) ;

- refuser l'autorité d'une femme - ou bien d'un homme -, en particulier dans un cadre professionnel, administratif, juridictionnel ou scolaire (officiers dans l'armée, policiers, magistrats, enseignants, examinateurs, contrôleurs, médecins...) ;

- ou encore, obtenir des adaptations particulières en matière d'application du droit du travail (règles d'hygiène et de sécurité, aménagement des horaires et des jours de travail, professions en contact avec l'alimentation, dérogations au règlement intérieur de l'entreprise...).

De même, cette proposition de loi constitutionnelle vise à empêcher qu'un employeur privé ou un service public soit contraint d'adapter ses prestations ou ses règles pour tenir compte des prescriptions religieuses auxquelles certains salariés ou usagers se disent attachés, par exemple en ce qui concerne les horaires aménagés, les pauses, ou les menus adaptés.

Comme cela a été indiqué, le texte proposé aujourd'hui tient compte des débats qui se sont déroulés au Sénat et à l'Assemblée nationale en 2020. La référence à la notion de « règles communes » avait pu être jugée trop imprécise par certains parlementaires, qui avaient dit redouter qu'elle ne fragilise, par exemple, les règles particulières applicables outre-mer dans le domaine des cultes, le régime concordataire en Alsace-Moselle ou encore les clauses de conscience des médecins.

Pour lever toute ambiguïté, il est désormais proposé de mentionner les « règles applicables » à un individu ou à un groupe. Si ces règles aménagent des dérogations ou reconnaissent des droits liés à la pratique religieuse, par exemple des autorisations d'absence à l'occasion de grandes fêtes ou de cérémonies, faire usage de ces dérogations ou de ces droits ne saurait être critiquable : la règle applicable à chacun, qui n'est pas nécessairement uniforme, sera en effet bien respectée. L'emploi du pluriel est une manière de souligner la diversité des règles applicables aux individus ou aux groupes d'individus (loi, convention collective, règlement intérieur...).

Ces modifications ne remettent pas en cause l'essentiel : face aux menaces contemporaines, nos règles constitutionnelles doivent être adaptées pour réaffirmer l'unité de la Nation et la force de nos principes républicains, parmi lesquelles la laïcité doit continuer à tenir une place essentielle.

* 1 Conseil constitutionnel, 9 mai 1991, Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, décision n° 91-290 DC.

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