EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'ordonnance n° 2009-936 du 29 juillet 2009 relative à l'élection de députés par les Français établis hors de France a introduit un nouveau chapitre dans le code électoral, prévoyant les modalités de ce scrutin organisé à l'échelle du monde.

Les électeurs inscrits sur les listes électorales consulaires, qui votent en principe1(*) avec une semaine d'anticipation par rapport au reste des électeurs français pour le premier tour, reçoivent les circulaires électorales par voie postale, en vertu de l'article L. 330-13 du code électoral.

Ils sont également informés des modalités leur permettant de participer au scrutin par courrier électronique, adressé par le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.

Pour le premier comme pour le second tour, le code électoral prévoit que les électeurs peuvent voter :

- Par anticipation, par correspondance postale ou par Internet ;

- Le jour du scrutin, soit en personne soit par procuration.

Rappelons que pour tous les scrutins nationaux organisés à l'étranger, les électeurs inscrits sur une liste électorale consulaire peuvent recevoir jusqu'à trois procurations, dont une seule établie en France.

En outre, pour les élections organisées sur le continent américain et les Caraïbes, les scrutins se déroulent le samedi et non le dimanche, y compris lorsqu'ils sont organisés dans une circonscription nationale unique, comme l'élection du président de la République ou celles des députés au Parlement européen.

On le voit, afin de faciliter la participation des électeurs qui résident parfois à plusieurs centaines de kilomètres d'un bureau de vote, le législateur a déployé un arsenal de modalités d'information et de participation aux élections, faisant du droit électoral français à l'étranger un domaine tout à fait exorbitant du droit commun.

Lors de l'organisation des élections législatives anticipées de juillet 2024, particulièrement marquée par des délais courts, ont été mis en exergue tant l'impossibilité déjà constatée de faire parvenir à temps le matériel de vote et les circulaires des candidats que celle de mettre en oeuvre un vote par correspondance efficace.

Outre l'inefficacité du système qui est source d'anxiété pour tous les acteurs prenant part à l'organisation de ces élections, les dysfonctionnements de l'envoi de la propagande et du matériel de vote à l'étranger sont aussi source d'insécurité juridique.

Par exemple, il est apparu dans la 3e circonscription des Français de l'étranger (Europe du Nord) que les plis contenant le matériel de vote adressés dans la perspective du premier tour de l'élection étaient arrivés la veille du second tour et ne comprenaient que le matériel de vote et la circulaire de deux candidats, dont l'un seulement était qualifié pour le second tour. Cela a évidemment entrainé une confusion dans l'esprit des électeurs. L'absence de protestation électorale auprès du Conseil constitutionnel n'a pas permis au juge d'évaluer la gravité de cette confusion, mais le grief pourrait être soulevé à l'avenir.

Dans la 4e circonscription des Français de l'étranger, une candidate battue au second tour a contesté le résultat de l'élection au motif d'une rupture d'égalité entre les candidats ayant altéré la sincérité de l'élection, son matériel de vote n'ayant pas été adressé par voie postale. Pour écarter ce grief, les Sages ont relevé que c'est « l'ensemble des candidats qui ont été affectés par des dysfonctionnements dans la distribution de leur propagande au second tour » (décision n° 2024-6348/6377 AN du 31 janvier 2025). Le Conseil constitutionnel relève encore que les candidats ont pu utiliser un grand nombre de moyens de communication, à commencer par la mise en ligne des éléments de propagande électorale sur le site du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Pourtant, une élection législative a déjà été annulée en raison de dysfonctionnements des services postaux.

En l'absence de vote par Internet proposé en 2017, le Conseil constitutionnel a estimé qu'un nombre important d'électeurs avaient été privés de la possibilité de prendre part au scrutin (décision n° 2017-5052 AN du 2 février 2018), certains électeurs ayant demandé à voter par correspondance n'ayant pas reçu le pli contenant le matériel de vote : matériel électoral non reçu ou incomplet... Le juge a estimé que l'ordre de préférence des électeurs, privés d'un moyen de participer à distance à cette élection de façon efficace, a pu être affecté.

Le vote par correspondance, survivance d'une modalité de vote majoritairement utilisée par les électeurs qui vivent loin d'un bureau de vote ouvert à l'étranger, a été progressivement remplacé par le vote par Internet. Il était initialement proposé pour les élections des représentants locaux des Français de l'étranger, élus à un seul tour de scrutin.

Cette modalité de vote, qui n'est plus proposée que pour les élections des députés des Français de l'étranger, à l'exclusion de l'ensemble des autres scrutins organisés à l'étranger, est aujourd'hui utilisée de façon très marginale par nos compatriotes.

Alors que les électeurs peuvent indiquer leur adresse électronique à l'occasion de leur inscription sur la liste électorale consulaire et à l'heure de la communication électorale digitale, l'envoi systématique du matériel électoral et des circulaires électorales dans des circonscriptions où les services postaux sont parfois inexistants semble absurde.

Outre la fragilisation des scrutins, trois autres arguments doivent être avancés pour nous convaincre de la nécessaire suppression de l'envoi de la propagande et du matériel électoral par voie postale comme du vote par correspondance aux électeurs français établis à l'étranger pour les élections législatives.

D'une part, on s'en doute, le coût environnemental de cette procédure est colossal. 1,4 million d'électeurs sont inscrits sur une liste électorale consulaire. L'envoi du matériel de vote et des circulaires, depuis Paris, représente un bilan carbone aujourd'hui inacceptable : 4 300 arbres et plus de 80 tonnes de CO2 selon le Quai d'Orsay.

D'autre part, le budget alloué à cet envoi est considérable : quatre millions d'euros par scrutin, selon les éléments indiqués par le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. S'agissant de plis qui n'arrivent bien trop souvent pas, trop tard ou incomplets, cette dépense est injustifiable dans le contexte budgétaire actuel.

Ajoutons que depuis les élections législatives de juin 2022, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères a dû procéder à l'organisation de trois élections législatives partielles en plus des élections législatives anticipées de juillet 2024.

La multiplication des scrutins législatifs a entrainé une augmentation des frais d'organisation des élections que le ministère de l'intérieur n'a pas pu assumer. Ainsi, c'est le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères qui a été contraint d'absorber l'intégralité des coûts entrainés par l'organisation des élections législatives anticipées de 2024, ce qu'il n'a pas davantage les moyens de faire.

En outre, il est indispensable d'harmoniser les différents scrutins français organisés à l'étranger. À chaque scrutin ses modalités, à tel point que l'ensemble est totalement illisible :

- L'établissement d'une procuration est possible pour les élections des députés français et européens, l'élection présidentielle et les référendums, mais pas pour les élections consulaires ;

- Le vote par Internet, proposé pour les élections consulaires et les législatives, n'est pas possible pour les élections présidentielle, européennes et les référendums ;

- Le vote par correspondance n'est plus admis que pour les élections législatives ;

- Les élections indirectes (Assemblée des Français de l'étranger et sénatoriales) sont organisées par vote « remis en mains propres » par anticipation, mais pas selon le même calendrier, et au centre de vote (en personne ou par procuration, selon des conditions qui divergent).

Un candidat n'y retrouverait pas ses électeurs.

Enfin, soulignons que la dématérialisation des campagnes électorales est déjà appliquée s'agissant des élections consulaires, depuis la loi n° 2013-659 relative à la représentation des Français de l'étranger qui l'a prévue en son article 21. Les modalités de campagne numérique ayant été ainsi rodées, le décret n° 2017-306 du 10 mars 2017 relatif à l'élection de députés par les Français établis hors de France en a autorisé le principe dans la partie règlementaire du code électoral pour l'élection des députés des Français de l'étranger. Nous proposons que ce qui n'est aujourd'hui qu'une alternative devienne la règle, car elle est la plus réaliste s'agissant d'élections organisées à l'échelle mondiale.

C'est pourquoi nous vous proposons de prendre acte des défaillances des aspects les moins opérationnels du processus démocratique français à l'étranger en supprimant tant l'envoi de la propagande électorale aux électeurs inscrits sur une liste électorale consulaire que la possibilité de voter par correspondance pour l'élection des députés français à l'étranger.

L'article 1 de la proposition de loi supprime l'envoi postal de la propagande électorale aux électeurs, en la remplaçant par sa diffusion et sa mise en ligne de façon dématérialisée, comme la loi le prévoit s'agissant des élections consulaires et comme le règlement le prévoit s'agissant de l'élection des députés des Français de l'étranger.

L'article 2 de la proposition de loi supprime la possibilité de voter par correspondance « sous pli fermé ». Par cohérence, il apporte une modification rédactionnelle quant à la dénomination du vote par Internet, jusqu'alors désigné sous la formulation « vote par correspondance par voie électronique ».

* 1 Par exception, le décret n° 2024-527 du 9 juin 2024 portant convocation des électeurs pour l'élection des députés à l'Assemblée nationale a uniformisé les dates d'organisation des premiers tours des élections législatives anticipées.

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