EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En France, nous produisons dans les années 2020 deux fois plus de déchets que dans les années 1960 pour atteindre la quantité de 582 kg de déchets ménagers et assimilés (DMA) par habitant et par an pris en charge par le service public en 2021. La moitié, soit 249 kilos, sont non triés et constituent la catégorie d'ordures ménagères résiduelles (OMR)1(*). Ce gaspillage de ressources pose des problématiques de plus en plus difficiles à résoudre, qu'il s'agisse des dommages causés à la santé humaine et à l'environnement, au niveau des modes de traitement ou des coûts de gestion pour les collectivités.
Afin de mener une politique de lutte contre ce gaspillage, le cadre législatif et réglementaire français de gestion des déchets ménagers a été profondément révisé ces dix dernières années pour intégrer la notion de circularité. Ainsi, les déchets sont considérés comme des ressources réutilisables, ce qui sous-tend la hiérarchisation des modes de traitement dans l'ordre préférentiel suivant : prévention, réemploi, recyclage, valorisation énergétique, incinération sans valorisation énergétique et enfin, stockage en décharge. Dans son récent rapport sur l'économie circulaire de juillet 2024, le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) rappelle ainsi que : « toute stratégie ne cherchant pas à réduire le gisement [de déchets] est coûteuse en investissements, en impacts, avec des chances de succès faibles »2(*).
La possibilité d'intégrer une part incitative à la tarification des déchets ménagers est prévue depuis l'adoption de la loi Grenelle II3(*) en 2010 afin d'inciter économiquement à la réduction des déchets, en instaurant un prix proportionnel à la production de déchets, déterminé par les collectivités compétentes.
Ainsi, le cadre législatif actuel prévoit que le financement de la collecte et du traitement des déchets ménagers assurés par les communes, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou des syndicats mixtes puisse prendre les formes suivantes :
- une taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) sur la base de la taxe foncière et donc proportionnelle à la valeur immobilière de la résidence du foyer ;
- une redevance d'enlèvement des ordures ménagères (REOM) proportionnelle au service rendu et donc à la quantité de déchets du foyer ou ;
- une redevance spéciale (RS) dès lors que le service est financé par le budget général seul de la collectivité, sans taxe ni redevance additionnelle.
En 2015, la loi de transition énergétique4(*) a fixé des objectifs de déploiement du financement incitatif, qui auraient dû concerner 15 millions d'habitants en 2020 puis 25 millions de personnes en 2025. Toutefois, la réalité demeure bien en dessous de ces objectifs et la marge de progression est considérable. En janvier 2022, seulement 6,4 millions d'habitants de 200 collectivités étaient soumis à la tarification incitative.
L'intégration d'une part incitative dans leurs modes de financement conduit à une baisse drastique des volumes de déchets collectés, particulièrement dans le cadre de la redevance. En moyenne, le passage en tarification incitative permet surtout une diminution forte des tonnages d'ordures ménagères résiduelles (OMR) à savoir -31 % en moyenne, dont -34 % en redevance incitative et -16 % en taxe incitative5(*).
La généralisation de la tarification incitative à l'ensemble du territoire permettrait d'augmenter les performances de recyclage de près de 6 points - à 67 % en 2023 - selon les estimations de l'éco-organisme Citeo agréé par le ministère de la transition écologique sur la filière des emballages ménagers et papiers graphiques. Ce potentiel, s'il reste théorique, permettrait à lui seul d'atteindre l'objectif 2030 de taux de recyclage des emballages, à savoir 70 %.
Comme pour l'ensemble de la transition écologique et afin de doubler son efficacité d'une acceptabilité sociale, la fiscalité des déchets doit intégrer les principes de justice sociale. Si l'efficacité environnementale de la tarification incitative n'est plus à prouver, il convient donc de parfaire le cadre législatif afin de conduire une transition écologique qui, pour s'accomplir, doit intégrer un esprit de solidarité. C'était tout le sens du mandat de la Convention citoyenne pour le climat, qui a mis en avant dans sa proposition C3.4 l'intérêt de « modalités plus justes » dans le financement du service public de gestion des déchets afin de favoriser les comportements écoresponsables et aider notamment à lutter contre le suremballage.
Il n'existe actuellement pas de différenciation selon les revenus des foyers dans les grilles tarifaires des taxes ou redevances d'enlèvement des ordures ménagères incitatives selon le principe d'égalité devant la loi. Cet état de fait, potentiellement pénalisant pour des ménages aux parts nombreuses mais aux revenus plus modestes, peut également dissuader certaines collectivités de mettre en place ce dispositif.
Ainsi, l'introduction de la tarification incitative génère un nouveau coût élevé pour les foyers comprenant des personnes incontinentes comme les personnes âgées, enfants en bas âge ou malades de pathologie dont le traitement génère de grandes quantités de déchets médicaux. La forte hausse de facture induite par l'intégration du caractère incitatif peut ainsi aboutir à une hausse des impayés voire à un évitement du paiement du service. De la même manière, le passage de la taxe à la redevance incitative cause pour les structures associatives ou professionnelles de solidarité qui bénéficient de dons alimentaires à date de péremption courte une augmentation de facture élevée. En ce sens, le Sénat proposait déjà en 2023 d'expérimenter une tarification sociale « déchets », s'inspirant de la tarification sociale sur l'eau, afin notamment de limiter les effets anti-redistributifs potentiels du passage à une tarification incitative6(*).
Par ailleurs, la mise en place d'une modulation des coûts pourrait permettre de répondre à la multiplication des dépôts sauvages et aux pratiques d'évitement de paiement du service. Selon une étude de l'Ademe de 2024, la tarification incitative sans critère pourrait multiplier par trois le nombre de dépôts sauvages, tout en indiquant que les effets négatifs de cette hausse, issus de comportements minoritaires, sont compensés par les effets positifs des bonnes pratiques consécutives à l'instauration d'une part incitative.
En matière de collecte des déchets, l'évolution du ramassage des ordures du porte-à-porte vers la mise en place de points d'apports volontaires pose la question du maillage du service public. En 2023, le juge administratif a rappelé à l'occasion d'une décision portant sur la mise en place de la collecte en points d'apports volontaires que « le service public de collecte des déchets ne saurait répondre parfaitement à chaque situation individuelle »7(*).
Lorsque la collecte s'appuie sur des points d'apport volontaire, le nombre de points par habitant doit tenir compte de la typologie de la commune, de sa configuration, de sa densité de population ainsi que du type de matériel installé et du litrage. Le dispositif tient également compte des installations prévues sur les communes limitrophes en zone redevance incitative car l'usager n'est pas limité au périmètre de sa commune pour évacuer ses déchets.
Face à ces constats, l'objet de la présente proposition de loi est de garantir la qualité du service public de gestion des déchets en particulier pour les usagers les plus précaires ou résidents dans les territoires les moins denses. Ce texte vise ainsi à intégrer des principes de justice sociale à la trajectoire d'amélioration de la gestion des déchets.
L'article 1er vise à ajuster le financement du service de traitement des déchets en instaurant une modulation sociale de la redevance d'enlèvement des ordures ménagères et de sa part incitative en donnant aux collectivités territoriales la possibilité d'intégrer des critères socio-économiques dans la définition des tarifs. Ces critères peuvent être liés aux revenus, à la composition du ménage ou aux situations particulières générant de grandes quantités de déchets de protection ou involontaires.
L'article 2 fixe un nombre minimum de points d'apport volontaire (PAV) par habitant sur le territoire national afin de garantir l'accès au service de collecte des déchets sur l'ensemble des territoires.
L'article 3 prévoit la création par la collectivité en charge de la collecte des déchets d'un comité des usagers. Cet organe permet la création d'espaces de concertation sur la qualité du service ainsi que les difficultés éventuelles auxquelles sont confrontés les usagers afin de veiller au respect des droits des usagers.
L'article 4 vise à assurer la recevabilité financière de la présente proposition de loi.
* 1 Ademe, La collecte des déchets par le service public en France - Résultats 2021.
* 2 Secrétariat général à la Planification écologique, Économie circulaire. Juillet 2024.
* 3 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.
* 4 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
* 5 Ademe, Bilan des collectivités en tarification incitative au 1er janvier 2021, Janvier 2024.
* 6 Rapport d'information au nom de la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable relatif à la consigne pour réemploi et recyclage sur les emballages, Par la Sénatrice Mme Marta de CIDRAC.
* 7 Ordonnance du Tribunal administratif de Toulouse, 11/12/2023, n°2306402.