EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi du 18 novembre 2016 a introduit la possibilité de recourir à la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle (AFD) pour certains délits routiers (conduite sans permis, conduite sans assurance). Le délit est constaté par un procès-verbal électronique dressé au moyen d'un appareil sécurisé. L'amende forfaitaire peut être minorée en cas de paiement rapide (dans un délai de 15 jours) et majorée en cas de paiement tardif (au-delà d'un délai de 45 jours).

Depuis septembre 2020, cette procédure a vu son champ d'application s'étendre aux infractions d'usage de stupéfiants (en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019). Depuis février 2022, des AFD sont également utilisées en matière d'occupation illicite d'une partie commune d'immeuble collectif et d'installation illicite sur le terrain d'autrui (privé ou public) en vue d'y établir une installation.

La loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) adoptée le 14 décembre 2022 et promulguée le 24 janvier 2023 a encore étendu le nombre d'amendes forfaitaires délictuelles : vente à la sauvette, filouterie de carburant, tags, intrusion dans un établissement scolaire, atteintes à la circulation des trains, « striking » (fait d'entrer sur un terrain de sport), vols simples dont les vols à l'étalage, etc. Il faut rappeler que l'intention première du Gouvernement était d'étendre les possibilités de recours à une AFD à l'ensemble des délits punis d'une simple peine d'amende ou de moins d'un an de prison, soit près de 3 400 infractions selon le rapport de MM. Marc-Philippe DAUBRESSE et Loïc HERVE réalisé pour la commission des Lois du Sénat. Suivant les préconisations du Conseil d'État, les rapporteurs avaient finalement limité l'extension envisagée du périmètre d'application des AFD.

En voie de généralisation, les AFD sont souvent présentées comme un succès statistique. Depuis leur création jusqu'au mois de mai 2023, 840 000 AFD ont été délivrées, dont 330 000 AFD « stupéfiants1(*». Dans un contexte budgétaire contraint, les AFD apparaissent comme un moyen d'assurer une réponse pénale effective quand le traitement dans le cadre de la chaîne pénale de droit commun semble matériellement impossible, tant la justice est engorgée.

Un premier bilan d'étape oblige à constater que les bénéfices sont loin d'être probants. Sur un plan strictement comptable, le taux de recouvrement des AFD avoisinerait les 20 % (50 % pour les stupéfiants), ce qui invalide pour l'essentiel l'argument de l'effectivité de la réponse pénale.

Par ailleurs, les atteintes aux droits des justiciables, préoccupations déjà largement exprimées lors des débats parlementaires qui ont créé puis élargi cette procédure, semblent désormais parfaitement documentées.

Dans une décision-cadre rendue le 31 mai 2023, la Défenseure des droits recommande de mettre fin à la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle en raison de plusieurs dérogations à des « principes fondamentaux du droit pénal et de la procédure pénale, tels que :

- le principe de l'opportunité des poursuites ;

- le droit d'accès au juge ;

- les droits de la défense ;

- le principe d'individualisation des peines. »

Cette décision-cadre fait notamment suite à plusieurs enquêtes ayant permis de révéler un usage dévoyé des AFD2(*).

Considérant l'état de surchauffe dans lequel se trouve notre système judiciaire, il semble cependant difficile à l'auteur de cette proposition de loi de supprimer purement et simplement le système des amendes forfaitaires délictuelles. Des échanges fréquents avec des acteurs du monde de la justice témoignent d'ailleurs d'un jugement ambivalent à leur égard : bien que perfectibles, les AFD conservent le mérite, aux yeux de bien des interlocuteurs, de permettre une réponse pénale, certes minimale, quand la chaîne judiciaire classique apparaît à bien des égards submergée.

Il serait cependant bien inconséquent de laisser sans réponse l'alerte de la Défenseure Des Droits et de nombreuses associations. C'est pourquoi il est proposé dans ce texte de clarifier la doctrine d'emploi de la procédure de l'AFD, d'en supprimer la possibilité de paiement immédiat, de permettre la contestation des majorations, de réformer globalement leur procédure de contestation et de permettre aux parquets de mettre en place des mesures alternatives aux poursuites.

L'article 1er a un triple objet. En premier lieu, il entend clarifier la doctrine d'emploi de la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle (AFD) en inscrivant dans la loi deux principes qui autorisent le recours à cette procédure, à savoir la reconnaissance de la matérialité des faits par l'intéressé et l'acceptation de sa part de la mise en oeuvre de cette procédure. Cette doctrine d'emploi, alors même qu'elle est rappelée par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice, n'est de toute évidente pas correctement mise en oeuvre puisque les personnes verbalisées ne sont le plus souvent pas informées de la possibilité de refuser le recours à cette procédure et du fait que la signature du procès-verbal vaut reconnaissance des faits. L'inscription dans la loi de cette doctrine, au-delà de la consécration de ces deux principes, imposera au gouvernement de les traduire en actes et notamment d'actualiser les procès-verbaux électroniques pour y faire figurer explicitement la reconnaissance des faits par l'intéressé et son acceptation à se voir appliquer cette procédure.

En deuxième lieu, l'article propose d'écarter la possibilité de recourir à la procédure d'amende forfaitaire délictuelle lorsque plusieurs délits sont constatés simultanément. Cette possibilité peut, dans certaines hypothèses, porter une atteinte disproportionnée aux droits des justiciables. En effet, en cas de recours à la procédure d'AFD pour une pluralité de délits, aucune confusion de peines ne peut être réalisée, contredisant ainsi le principe selon lequel en matière délictuelle les amendes ne se cumulent pas. Par ailleurs, chaque AFD pourrait donner lieu à une mention sur le casier judiciaire de l'intéressé, alors que dans le cadre de poursuites classiques, les infractions auraient fait l'objet d'une même procédure, entraînant une seule mention au casier judiciaire.

En troisième lieu, l'article propose d'écarter le recours à la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle lorsque l'intéressé se trouve en situation de récidive légale, ce que le droit autorise aujourd'hui pour des délits tels que le vol simple ou la consommation de stupéfiants. Pour utile qu'elle soit pour décharger les tribunaux d'un trop important contentieux, la procédure d'AFD en cas de récidive légale nous paraît très inadaptée en matière de politique pénale en raison du sentiment d'impunité qu'elle peut alimenter. Qu'un vol simple ou qu'un usage de stupéfiants puisse ne donner lieu qu'à une amende, par ailleurs de faible montant (300 euros pour le premier, 200 euros pour le second) peut s'apparenter à un permis de commettre un délit. Par ailleurs, en matière d'usage de stupéfiants, le recours possible à la procédure d'AFD y compris en cas de récidive légale peut conduire à ce qu'un même individu se trouve redevable de plusieurs milliers d'euros d'amende. Les caisses de l'État y gagneront sans doute, sous réserve que ces amendes puissent être effectivement recouvrées, mais la lutte contre l'usage de stupéfiants et la toxicomanie sans doute pas.

L'article 2 vise à supprimer la possibilité prévue par le législateur et rendue effective depuis novembre 2023 de procéder au paiement de l'amende forfaitaire délictuelle immédiatement auprès de l'agent verbalisateur. Le paiement immédiat n'est certes qu'une faculté, dès lors qu'elle implique une minoration du montant de l'amende, mais la personne verbalisée se trouve fortement incitée à y recourir sans nécessairement avoir eu ni les informations ni le temps de comprendre que le paiement immédiat entraîne une reconnaissance définitive des faits et, par voie de conséquence, l'inscription de la condamnation au casier judiciaire.

L'article 3 vise à permettre à un justiciable de solliciter le retour au montant de l'amende initiale lorsque seule la majoration est contestée. Actuellement, un justiciable qui a fait l'objet d'une amende forfaitaire majorée et ne conteste pas la réalité du délit peut seulement solliciter des délais de paiement ou une remise gracieuse, mais ne peut pas contester la majoration même de l'amende. Pourtant, en matière contraventionnelle, alors même que les montants majorés sont moins élevés, cette pratique est admise.

L'article 4 vise à réformer le régime de contestation des AFD. D'une part en supprimant l'exigence d'utiliser le formulaire joint à l'avis d'amende forfaitaire lors de la requête. L'utilisation du formulaire facilite le système automatisé mis en place par le législateur, il ne s'agit donc pas de le supprimer mais de ne plus en faire une condition de recevabilité de la contestation. L'irrecevabilité du recours comme sanction de la non-utilisation du formulaire paraît tout à fait disproportionné.

D'autre part, en supprimant l'exigence de versement d'une consignation pour la contestation de tous les délits éligibles à la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle. Les travaux conduits par la Défenseure des droits ont permis de démontrer que le montant de la consignation à verser au stade de la contestation de l'avis majoré peut être équivalent ou supérieur au SMIC, sans prise en compte de la situation financière de la personne poursuivie. Par exemple, le montant de la consignation au stade majoré s'élève à 1 600 euros pour le délit de conduite sans permis et à 1 000 euros pour le délit d'installation illicite sur le terrain d'autrui. Ces montants portent de toute évidence une atteinte grave à l'exercice du droit au recours, que la simple prise en compte de la vulnérabilité économique du requérant ne suffirait pas à respecter. Il est donc proposé de supprimer le principe même du versement d'une consignation.

Enfin, l'article 5 vise à permettre aux parquets locaux de mettre en oeuvre des mesures alternatives aux poursuites prévues à l'article 41-1 du code de procédure pénale et la composition pénale prévue à l'article 41-2 du même code. En l'état du droit, lorsqu'il est destinataire d'une contestation, un parquet ne peut que décider de classer la procédure sans suite ou décider de l'engagement des poursuites devant le tribunal correctionnel. Le procureur se trouve ainsi privé de la possibilité de recourir aux alternatives aux poursuites prévues à l'article 41-1 du code de procédure pénale, telles que le stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de produits stupéfiants, pour ne prendre que cet exemple.

* 1 Source : https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques-de-presse/reaction-au-rapport-du-defenseur-des-droits-relatif-aux-amendes.

* 2 Voir https://basta.media/30-000-euros-de-dette-et-pas-encore-18-ans-quand-les-amendes-forfaitaires , https://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2023/07/Amendes-forfaitaires.pdf ou  https://www.mediapart.fr/journal/france/010223/usage-de-stupefiants-une-justice-forte-avec-les-faibles-faible-avec-les-forts.

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