EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les files d'attente interminables lors des journées du patrimoine témoignent de l'attachement profond des Français pour leur héritage culturel. Mais celui-ci ne se cantonne pas qu'aux monuments historiques, il concerne également les monuments religieux, notamment les églises, qui demeurent parmi les plus visités, comme l'illustre l'élan de générosité en faveur de la reconstruction de Notre-Dame de Paris à la suite du tragique incendie de 2019.
Mais le patrimoine français est plus vaste encore que les seuls monuments classés et protégés. Notre patrimoine culturel englobe tant notre patrimoine rural, composé des maisons typiques de nos campagnes, nos moulins, nos fontaines, nos lavoirs, nos pigeonniers et nos phares, que notre patrimoine religieux, avec les églises et les chapelles de nos villages, ainsi que notre patrimoine industriel, façonné par d'anciennes usines emblématiques. Ces « trésors des humbles », pour reprendre l'expression de l'écrivain Maurice Maeterlinck, sont l'âme de nos régions. Ils témoignent d'un art de vivre à la française et d'une architecture locale. Fruits de l'histoire économique et sociale de nos territoires, ils sont la mémoire de la vie quotidienne des générations précédentes.
Cependant, force est de constater que les églises des villages de France, composantes indéniables de nos trésors patrimoniaux, sont en péril.
Or elles participent à l'identité de nos territoires et en conservent la mémoire. Elles se sont élevées au-dessus de la simple fonction religieuse et sont maintenant les dépositaires de la fierté et du charme de nos villages. Ces gardiennes immuables du temps abritent souvent de précieux vestiges et contribuent à faire perdurer la mémoire historique rurale.
Pourtant ces vestiges, qui nous sont si chers, ne sont pas perpétuels. La marche inexorable du temps et les budgets contraints des communes qui en ont la charge plongent progressivement nos églises dans le délitement. Malgré certaines aides, notamment fournies par les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), les maires esseulés ne peuvent que constater la dégradation de leurs églises. L'Observatoire du patrimoine religieux (OPR) estime ainsi que 10 % de nos édifices religieux seraient dans un état grave, exigeant de fait la conduite de travaux d'urgence, tandis que plus de 30 % se trouveraient dans un état préoccupant et devraient bénéficier, en conséquence, de travaux à moyen terme1(*). Malheureusement, certaines petites communes, désemparées face aux coûts d'entretien, n'ont d'autre choix que de procéder à leur destruction. Ce fut, en effet, le cas de 45 églises depuis l'an 20002(*) (recensement datant de 2019) et la menace concerne 2 500 à 5 000 églises d'ici 20303(*). À cette problématique s'ajoute celle de la vente immobilière des lieux de culte désacralisés. Faute de ressources financières suffisantes, les communes, propriétaires de 40 000 églises et chapelles selon le recensement de l'OPR, peuvent également faire le choix de s'en séparer par le biais de leur mise en vente sur le marché immobilier. En outre, nos églises sont souvent livrées aux actes de vandalisme, comme le constate le Service central de renseignement criminel de la gendarmerie qui dénombre 129 vols et 877 dégradations de lieux de culte en 2018. Nous ne comptons plus, chaque mois, les faits divers portant sur des attaques à l'encontre de notre patrimoine religieux. Parmi les menaces sérieuses qui pèsent sur nos églises figurent notamment les incendies, accidentels mais aussi criminels. Selon l'OPR, leur nombre s'élève à 27 pour l'année 2023 et à 12 pour le premier semestre de 2024. Bien que la majorité de ces incendies ait été causée par des accidents, un nombre non négligeable d'entre eux demeure le fait d'actes volontaires et criminels intolérables, comme en témoigne les drames dont ont été victimes l'église de l'Immaculée-Conception de Saint-Omer (Pas-de-Calais) et l'église Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers (Vienne).
Ainsi, la générosité et l'attachement des Français à leur patrimoine rendent encore plus inexcusables l'abandon et la destruction de ces atouts pour nos territoires, notamment vis-à-vis des générations futures.
La sauvegarde et la valorisation du patrimoine revêtent, par ailleurs, des implications culturelles, économiques et sociales fortes.
Avec plus de 93 millions de visiteurs étrangers en 2022, la France reste le pays le plus visité au monde, une attractivité qu'elle doit, en partie, à son patrimoine exceptionnel.
Le patrimoine porte une dimension économique et sociale importante, puisqu'il génère 63,5 milliards d'euros de retombées économiques et représente près de 1,3 million d'emplois dans notre pays, qui ne seront jamais délocalisables. Dans un monde en évolution constante, le patrimoine est un facteur de stabilité et d'identité indéniable.
Sauvegarder le patrimoine, c'est aussi favoriser l'attractivité des territoires. Chaque chantier de restauration crée des emplois directs et indirects (au moins 45 postes dans le seul secteur du bâtiment pour chaque 1,5 million d'euros engagés dans des travaux sur le bâti ancien). Valoriser le patrimoine, c'est aussi revitaliser les territoires et renforcer leur attractivité via les impacts touristiques et culturels. Toutes les zones rurales françaises, riches en patrimoines architectural, culturel et naturel, disposent donc de facteurs de développement significatifs.
Enfin, protéger le patrimoine assure la transmission des savoir-faire et des techniques traditionnelles du bâti ancien (taille de pierre, torchis, lauze, etc.). Par ce biais-là, de nombreux projets donnent lieu à des chantiers d'insertion, le patrimoine étant un excellent support de réinsertion sociale et professionnelle.
Notre responsabilité collective est donc de préserver le patrimoine culturel et cultuel français pour le transmettre aux générations futures, qui doivent continuer de pouvoir compter sur cet atout économique. Mais plus encore, c'est un des ciments de notre Nation, à préserver dans une société toujours plus individualiste, qui se veut mondialisée et parfois sans repères. Il s'agit donc d'un enjeu essentiel pour nos politiques publiques et pour notre identité collective. La problématique de la dégradation et destruction de nos églises est au coeur même de cet enjeu tant elles sont les vestiges de notre histoire commune ainsi que des composantes majeures de l'âme de la France, dont une partie disparaît chaque fois que l'une d'entre elles vient à être détruite. La France doit alors impérativement se réconcilier avec elle-même.
C'est pourquoi, dans la continuité de la proposition de résolution n°3364(*), cette proposition de loi encourage les entreprises et les particuliers à participer directement au financement, par les communes, de la sauvegarde de leur patrimoine. Ainsi, chaque entreprise locale (article 1er) ou chaque particulier (article 2) peut participer à cette initiative, ce qui renforce le sentiment d'appartenance au projet. Les participants se l'approprient pleinement, plutôt que de donner à des associations nationales qui oeuvrent pour des projets loin de chez eux.
En outre, cette mobilisation doit être étendue aux jeunes qui doivent être davantage sensibilisés à cet enjeu majeur. Ainsi, l'article 3 propose de mettre en place un enseignement pour transmettre le patrimoine de proximité en éveillant le regard des élèves sur le patrimoine matériel qui se trouve dans leur environnement immédiat. Sans toujours relever du patrimoine national connu de tous, ce patrimoine n'en constitue pas moins un patrimoine commun, à connaître et à préserver : ancienne cité minière, phare, moulin, église communale, château en ruine, ancienne usine, jardin médiéval ou pittoresque. Autant de lieux divers qui, même lorsqu'ils semblent modestes, méritent d'être explorés et qui, le plus souvent, s'y prêtent et permettent de faire l'expérience de la beauté dans son environnement immédiat. Cet enseignement pourrait prendre la forme d'un projet tout au long de l'année qui saurait susciter, chez les élèves, l'envie de participer bénévolement à des initiatives de restauration du patrimoine grâce à cette réappropriation.
L'article 4 invite quant à lui le Gouvernement à remettre au Parlement un rapport dressant un état des lieux exhaustif de l'état du patrimoine culturel français, indispensable à toute mesure de sauvegarde et de valorisation. Ce rapport devra esquisser des solutions pour permettre la préservation de ce patrimoine et fera des propositions pour permettre durablement le maintien d'un bon état de conservation de ces édifices. Il étudiera également les mesures qui permettraient de soutenir les collectivités territoriales qui protègent le patrimoine.
Enfin, la sauvegarde de notre patrimoine rural nécessite de renforcer la réponse pénale à l'encontre des auteurs d'incendies volontaires visant les édifices qui le composent. En ce sens, l'article 5 entend criminaliser de tels actes en alignant les sanctions pénales encourues au titre d'un incendie volontaire portant sur un édifice religieux ou culturel sur celles prévues en cas d'incendie volontaire de forêts. L'objectif étant d'assurer, sur le plan pénal, une meilleure considération des dommages causés à notre patrimoine historique et cultuel et de mieux le protéger en sanctionnant plus sévèrement ces actes de vandalisme, ce qui participera à une plus grande dissuasion à l'encontre des auteurs. Néanmoins, encore faudra-t-il que les peines soient prononcées avec fermeté. Il est plus que temps de passer d'une société de l'impunité à une société de la responsabilité.
* 1 Rapport d'information n° 345 (2014-2015), déposé le 17 mars 2015.
* 2 Institut Pèlerin du Patrimoine.
* 3 Rapport d'information n° 765 (2021-2022), déposé le 6 juillet 2022 au Sénat.
* 4 Proposition de résolution visant à sauver nos clochers, déposée au Sénat le 8 février 2023 par Édouard Courtial et près de 100 sénateurs.