EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le rapport de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, publié le 5 juillet 2023, rappelait le caractère complémentaire des objectifs de lutte contre la précarité énergétique, de limitation de l'artificialisation et de préservation du patrimoine. La rénovation énergétique doit pleinement contribuer à la valorisation et à la durabilité du patrimoine architectural de nos territoires, tandis que la politique de zéro artificialisation nette renforce l'enjeu de la rénovation et de la transformation du bâti ancien.
Le rapport d'information de la commission de la culture du 28 juin 2023 sur le patrimoine et la transition faisait également le constat que la législation actuelle en matière de rénovation thermique ne tient pas suffisamment compte des qualités intrinsèques du bâti ancien.
La réglementation actuelle en matière de rénovation thermique découlant de la loi dite « Climat et Résilience » du 22 août 2021 repose, en effet, exclusivement sur des critères d'évaluation et des modèles de calculs conçus pour des bâtiments neufs. Ces mesures incitent les propriétaires à faire usage de techniques d'isolation et de matériaux contemporains dont la compatibilité n'est pas assurée avec un bâti ancien.
Pour autant, les bâtiments anciens, considérés au sens réglementaire comme tout bâtiment achevé avant 1948, représentent plus d'un tiers du parc existant en France.
L'objectif de la présente proposition de loi est de contribuer à l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments anciens tout en préservant leurs qualités intrinsèques et leur valeur patrimoniale. Nous proposons de renforcer la prise en compte des typologies de bâti dans les mesures et objectifs nationaux en matière d'efficacité énergétique, en particulier dans le diagnostic de performance énergétique et l'audit énergétique, pour inciter les propriétaires d'un bâtiment ancien à mener des travaux adaptés aux spécificités de leur bâti.
Le bâti ancien, qu'il soit rural ou urbain, a été conçu pour s'adapter à son environnement proche. Or, des travaux de rénovation inadaptés peuvent causer la perte des qualités intrinsèques aux modes constructifs anciens, à commencer par leurs qualités hygrothermiques, c'est-à-dire la capacité, liée aux matériaux bio - ou géosourcés utilisés, de régulation naturelle de la température et du taux d'humidité. Elle peut être la cause de l'apparition de pathologies, réduisant potentiellement l'espérance de vie du bâtiment et portant atteinte au confort et à la santé des occupants.
À titre d'exemple, les enduits intérieurs dans le bâti ancien sont souvent réalisés au plâtre, à la chaux ou à la terre. Ces matériaux hygroscopiques, capillaires et perspirants jouent un rôle de régulateur de l'humidité à l'intérieur des locaux. Une isolation thermique qui consisterait à imperméabiliser ces murs, en y accolant par exemple des plaques de polystyrène, pourrait provoquer une accumulation d'eau dans les murs ou panneaux et engendrer des pathologies. De même, le changement de fenêtres en bois non totalement étanches assurant la circulation de l'air et de l'humidité par des fenêtres en polychlorure de vinyle (PVC) n'est pas anodin, il peut également entraîner des effets de condensation et de moisissure.
La rénovation énergétique dans le bâti ancien est un investissement qui peut s'avérer contreproductif s'il ne respecte pas ses modes de fonctionnement, distincts de ceux du bâti moderne. De surcroît, les aides financières octroyées ne comportent aucun dispositif ciblé garantissant une rénovation respectueuse de ce type de bâti. Les propriétaires sont encouragés à recourir aux solutions standardisées, même inadaptées, dans la mesure où elles sont subventionnées, tel le remplacement des portes et fenêtres anciennes par des menuiseries en PVC.
Pourtant, alors que le secteur des bâtiments est responsable de plus du quart des émissions nationales de gaz à effet de serre, l'efficacité de la rénovation énergétique du parc immobilier vieillissant demeure un enjeu majeur pour atteindre les objectifs de transition énergétique et lutter contre la précarité énergétique. Dans son rapport annuel publié en 2024, le haut conseil pour le climat (HCC) relève que la formation des professionnels et le contrôle de la qualité des travaux de rénovation constituent les principaux freins à la massification des rénovations.
Aussi, afin que la rénovation du bâti ancien puisse pleinement contribuer à atteindre les objectifs nationaux de réduction des consommations énergétiques et d'émissions de gaz à effet de serre du secteur du bâtiment, il apparaît nécessaire de suivre une approche plus globale incluant, outre l'aspect énergétique, les dimensions techniques, environnementales et patrimoniales.
Le bâti ancien se caractérise, en effet, par des modes constructifs vernaculaires et le recours à des matériaux naturels, peu transformés et d'origine locale, tels que la pierre (grès, calcaire, granit), la terre (terre cuite ou terre crue sous différentes formes suivant les régions : enduits d'argile, pisé, torchis, adobe, bauge) ou les ossatures en bois.
Une réhabilitation responsable du patrimoine bâti se fonde ainsi sur les ressources naturelles et humaines des territoires, intégrant une logique économique vertueuse du circuit court à la fois locale et décarbonée. Cette nouvelle orientation permettrait de résoudre l'incohérence profonde dans les pratiques actuelles reposant majoritairement sur des solutions standardisées et des matériaux à haute empreinte carbone, issus de filières industrielles.
Les matériaux couramment utilisés pour la rénovation, tels que les matériaux d'origine fossile ou les isolants synthétiques, présentent généralement une empreinte carbone importante, liée à leur production mais également à leur transport et à leur installation. En conséquence, ces solutions, bien que répondant aux normes thermiques, contribuent paradoxalement à augmenter significativement l'empreinte carbone du secteur de la construction et de la rénovation. La constitution d'une filière de rénovation du patrimoine bâti, reposant sur des matériaux bio - et géosourcés à faible impact environnemental, est donc une nécessité. Ces matériaux, peu transformés, possèdent non seulement des propriétés physiques adaptées aux caractéristiques du bâti ancien -- grâce à leurs performances thermique et hydrométrique, leur porosité et leurs propriétés dites « perspirantes » --, mais ils contribuent également à la réduction des émissions de gaz à effet de serre en raison du faible impact environnemental de leur production et de leur capacité à stocker du carbone. Le recours à ces ressources permet, par ailleurs, de favoriser une économie locale qui concourt à la vitalité des territoires, tout en réactivant les savoir-faire traditionnels.
Au demeurant, le bâti ancien, dans sa richesse et sa diversité, constitue la majeure partie de notre patrimoine architectural, lequel devient vulnérable s'il n'est ni identifié ni protégé par des mesures spécifiques. Il est une composante majeure des paysages culturels des différentes régions et participe à leur attractivité. Ce patrimoine est un bien commun et une ressource non renouvelable qu'il convient de conserver.
En ce sens, la notion de réhabilitation, qui implique des travaux d'amélioration du confort et de mise en conformité du bâtiment préservant ses qualités architecturales initiales, semble plus adaptée que celle de rénovation, qui sous-entend l'idée d'une « remise à neuf » sans souci du système constructif et technique du bâtiment.
Tenant compte de ces enjeux techniques, énergétiques, environnementaux et patrimoniaux, la présente proposition de loi propose de pallier les lacunes de la législation en matière de rénovation énergétique en l'adaptant aux spécificités du bâti ancien.
L'article 1er propose d'introduire dans le code de la construction et de l'habitation les définitions des termes « bâtiment ancien » et « matériaux biosourcés et géosourcés » afin de garantir que ces concepts soient pleinement pris en compte lors de l'élaboration des prescriptions relatives aux travaux. L'article vise à réévaluer les postes de travaux prioritaires dans le cadre d'une rénovation performante d'un bâti ancien, en fonction de leur pertinence pour ce type de construction.
L'article 2 adapte les critères d'évaluation et les modalités de calcul du diagnostic de performance énergétique (DPE) aux spécificités des bâtiments anciens. Ces ajustements permettent d'offrir une analyse plus pertinente et juste, tenant compte des atouts bioclimatiques de ce type de bâti, souvent négligés par les méthodes standards.
L'article 3 intègre, dans les exigences de rénovation énergétique et dans les objectifs énergétiques nationaux, les enjeux spécifiques liés à une réhabilitation responsable des bâtiments anciens. Ainsi, l'audit énergétique, actuellement obligatoire pour tous les logements les plus énergivores classés F ou G par le DPE, parmi lesquels les bâtiments anciens sont surreprésentés, doit désormais prendre en compte les spécificités de ce type de bâti et proposer des travaux de rénovation énergétique adaptés. Ces derniers devront tenir compte des impacts potentiels sur le comportement global du bâtiment ainsi que sur la valeur patrimoniale de ses composants. Dès lors, afin de garantir la prise en compte des enjeux techniques liés aux particularités constructives de ce type de bâti ainsi que les éventuels éléments patrimoniaux à préserver, l'article 3 prévoit que l'audit sera réalisé par un architecte ou un bureau d'étude agréé lorsqu'il s'agit d'un bâti ancien. Pour intégrer ces évolutions, l'audit est renommé « audit énergétique et patrimonial ».
L'article 4 inclut les particularités du comportement physique des bâtiments anciens (sensibilité à l'humidité, ventilation naturelle assurée par la non-étanchéité des fenêtres, équilibre hygrothermique à ne pas perturber) dans les objectifs généraux de qualité sanitaire des bâtiments. Cette modification vise à garantir que ces risques soient pris en compte par le maître d'oeuvre lors des travaux et à engager sa responsabilité en cas de rénovation inadaptée entraînant la détérioration du bâtiment ancien. L'article impose également à tout maître d'oeuvre de vérifier que la rénovation n'altère pas la bonne circulation de l'air, afin d'éviter tout problème de condensation, et de conseiller le maître d'ouvrage en conséquence.
L'article 5 crée un dispositif d'aide financière ciblé garantissant une rénovation respectueuse de ce type de bâti, en majorant la prime de transition énergétique « MaprimeRenov' » ainsi que le crédit d'impôt accordé pour les travaux d'isolation.
L'article 6 est le gage de la proposition de loi.