EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Après ses nombreux travaux sur le statut de l'élu local fin 2023, qui ont abouti à l'adoption à l'unanimité, le 7 mars 2024, de la proposition de loi portant création d'un statut de l'élu local, la délégation du Sénat aux collectivités territoriales a lancé, en juin 2024, une mission flash sur l'efficacité du fonctionnement des conseils municipaux, dans un contexte marqué par plusieurs initiatives sénatoriales sur ce sujet. Cette mission transpartisane, conduite par Françoise Gatel, Nadine Bellurot, Éric Kerrouche et Didier Rambaud, a achevé ses travaux mi-septembre 2024. Ses conclusions ont été adoptées par la délégation le 3 octobre 20241(*).
Afin de nourrir sa réflexion et prendre le « pouls du terrain », la délégation a confié à l'institut CSA la réalisation, en juin 2024, d'une enquête téléphonique auprès d'élus des communes de moins de 3 500 habitants. Il ressort de cette consultation comme des auditions menées par la mission, notamment des associations d'élus locaux, que les améliorations apportées fin 2019 par la loi « Engagement et Proximité » ont, lors des élections municipales de 2020, produit des effets limités. Cette situation résulte de la persistance d'une crise de l'engagement local, qui touche particulièrement les communes rurales. Cette crise, multifactorielle, se traduit par :
- une tendance à la baisse du nombre de candidats aux élections municipales ;
- une hausse continue du nombre de démissions en cours de mandat. En 2020, après le dernier renouvellement général des conseils municipaux, 345 communes ne disposaient pas d'un conseil municipal complet, contre 228 en 2014, soit + 51%. Selon l'Association des Maires de France, les démissions d'élus municipaux ont atteint en 2023, soit à mi-mandat, un « niveau sans précédent ». Le ministère de l'intérieur indique qu'au 1er octobre 2024, 1 787 maires élus en 2020 avaient démissionné de leur mandat, soit plus de 5 % des maires. S'agissant des conseillers municipaux, 29 214 d'entre eux avaient démissionné de leur mandat, soit environ 6 % d'entre eux.
Il apparaît donc nécessaire d'apporter plusieurs améliorations au fonctionnement des conseils municipaux, dans la perspective des élections municipales de 2026. La première d'entre elles consiste à étendre le scrutin de liste paritaire aux communes de moins de 1 000 habitants. C'est l'objet de la présente proposition de loi.
L'architecture centrale du scrutin municipal français est issue de la loi n° 82-974 du 19 novembre 1982. Cette dernière a opéré une distinction entre les communes de moins de 3 500 habitants, dans lesquelles le scrutin majoritaire avec panachage était maintenu, et celles de plus de 3 500 habitants, dans lesquelles était mis en place un scrutin proportionnel de liste avec une prime majoritaire.
La loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 a ensuite abaissé le seuil du vote majoritaire de 3 500 à 1 000 habitants. A également été mis en place le « fléchage » permettant l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, élus en même temps et dans les mêmes conditions que les conseillers municipaux ( art. L. 273-6 du code électoral).
Le système électoral municipal se caractérise donc par la coexistence de deux modes de scrutin très différents selon la strate démographique :
- dans les communes de moins de 1 000 habitants (71 % des communes représentant 13 % de la population), le scrutin est plurinominal majoritaire, avec possibilité de panachage : le candidat doit recueillir la majorité absolue des suffrages exprimés et un nombre de suffrages égal au quart de celui des électeurs inscrits pour être élu au premier tour. Au second tour, la majorité relative suffit ;
- dans les communes de plus de 1 000 habitants, le scrutin, même s'il est proportionnel, est empreint d'une logique majoritaire : en effet, la liste qui obtient la majorité absolue des suffrages exprimés obtient 50 % des sièges à pourvoir, les autres sièges étant ensuite répartis à la représentation proportionnelle entre toutes les listes - y compris celle majoritaire - ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés.
Ces dernières années, nombreuses ont été les initiatives visant à étendre le scrutin de liste aux communes de moins de 1 000 habitants, en visant trois objectifs : répondre aux exigences de parité, favoriser la cohésion des équipes municipales et mettre fin à des différences artificielles entre communes.
S'agissant du premier point, l'article 1er de la Constitution dispose, depuis 1999, que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».
Si la législation en matière de parité s'est considérablement renforcée au cours des dernières décennies, elle comprend néanmoins encore des « angles morts », notamment au sein des communes de moins de 1 000 habitants, c'est-à-dire 71 % des communes françaises (qui représentent 13 % de la population).
L'application du scrutin de liste généralisée permettrait d'accroître le nombre de femmes dans les conseils municipaux et renforcerait également leur présence au sein des EPCI.
S'agissant du second point, le panachage, c'est-à-dire la faculté d'ajouter ou de supprimer des candidats, est certes censé être une liberté laissée aux électeurs qui permet de gagner en représentativité. Toutefois, ce sont celles et ceux qui prennent les décisions les plus difficiles, par exemple en matière d'urbanisme, qui peuvent être sanctionnés par une logique de « tir aux pigeons », selon l'expression triviale couramment utilisée.
À l'inverse, le scrutin de liste aboutit à une dépersonnalisation relative du vote et, surtout, permet de se prononcer avant tout sur un projet plutôt que pour des individus. Cet argument prend encore plus de poids dans un contexte marqué par des rapports de plus en plus tendus entre citoyens et élus. Le scrutin proportionnel garantit ainsi la cohésion de l'équipe municipale. Ce scrutin favorise ainsi l'engagement local par la création d'une « dynamique démocratique » autour d'un projet de territoire.
Enfin, s'agissant du troisième point, appliquer le scrutin de liste aux communes de moins de 1 000 habitants permettrait d'uniformiser et de simplifier les modes de scrutins, alors qu'il est difficile de justifier que la différence de traitement résulte d'une différence objective de situation entre les communes, selon qu'elles comptent plus ou moins de 1 000 habitants. Appliquer le scrutin de liste à toutes les communes reviendrait à supprimer une frontière inutile entre les communes, frontière qui participe actuellement de l'idée d'une différence de degré, sinon de nature, entre communes.
De la même façon, l'application du scrutin de liste paritaire à toutes les communes présenterait l'avantage d'unifier le mode de désignation des conseillers communautaires.
Pour favoriser la mise en oeuvre de cette mesure, la proposition de loi prévoit un assouplissement aux règles de droit commun pour permettre le dépôt de liste incomplète dans les communes de moins de 1 000 habitants.
Dans ces communes, le conseil municipal issu d'un scrutin au cours duquel une seule liste incomplète aurait été déposée serait réputé complet.
Cette généralisation du scrutin proportionnel est consensuelle puisque l'Association des maires de France (AMF) et désormais l'Association des maires ruraux de France (AMRF) y sont favorables.
Elle est accompagnée, par cohérence, d'une proposition de loi organique tirant les conséquences de l'extension du scrutin de liste aux communes de moins de 1 000 habitants.
L'article 1er a pour objectif de généraliser le scrutin de liste dans toutes les communes, sans distinction de population. Il prévoit de simplifier les règles électorales en rendant possible le dépôt de listes incomplètes aux élections municipales.
Les articles 2 et 3 en tirent les conséquences sur la désignation des conseillers communautaires et sur celle des adjoints au maire.
L'article 1er prévoyant une incomplétude des listes de candidats, l'article 4 propose de permettre aux conseils municipaux des communes de 500 à 999 habitants d'être « réputés complet » même s'ils comptent deux conseillers de moins que l'effectif légal. Ce dispositif vise ainsi à étendre la dérogation prévue par la loi dite « Engagement et Proximité » adoptée en 2019 et qui ne concerne aujourd'hui que les communes de moins de 500 habitants. Cette extension, souhaitée par les acteurs locaux, permettrait également aux communes de 500 à 999 habitants de trouver plus aisément des candidatures pour les élections municipales. Cet article prévoit également de garantir aux communes appliquant cette disposition qu'elles conserveront le même nombre de délégués au collège électoral des sénateurs.
L'article 5 propose de sécuriser la période transitoire des communes nouvelles avant le retour au droit commun. Actuellement, si le siège de conseillers municipaux devient vacant pour quelque cause que ce soit, il demeure vacant jusqu'au prochain renouvellement de la commune nouvelle. En revanche, si cette vacance concerne plus du tiers du conseil municipal, le Conseil d'État considère qu'il n'est pas possible de faire appel aux suivants de liste et qu'il convient alors d'organiser de nouvelles élections municipales intégrales, ce qui a pour effet de faire basculer le conseil de la commune nouvelle dans la règle de l'effectif de la strate immédiatement supérieure (d'où une forte baisse du nombre de conseillers). Cet article ouvre donc la possibilité de faire appel aux suivants de listes.
L'article 6 procède à trois coordinations.
L'article 7 prévoit que l'extension du scrutin de liste entre en vigueur à compter du prochain renouvellement général des conseils municipaux, soit en mars 2026.
L'article 8 vise à assurer la recevabilité financière de la proposition de loi.
* 1 https://www.senat.fr/notice-rapport/2024/r24-009-notice.html