EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le droit est aujourd'hui manifestement insuffisant pour protéger les Français de confession juive et limiter les actes antisémites en perpétuelle expansion, tout particulièrement depuis l'attaque islamiste du 7 octobre. D'après le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer, les actes antisémites ont explosé de 1 000 % en France depuis l'attaque terroriste du Hamas en Israël le 7 octobre 2023. Ces chiffres terrifiants se traduisent par un antisémitisme d'atmosphère voyant le nombre de familles françaises songeant à faire leur Alya (émigration vers Israël) augmenter de 430 %. Cette inefficacité du droit positif traduit une faille ancienne que notre législation n'a jamais su véritablement combler à travers un outil juridique opérant pour lutter plus efficacement contre l'antisémitisme.
Le 1er juillet 1972, la loi Pleven est venue compléter la loi sur la liberté de la presse de 1881 pour créer des délits spécifiques pour toute discrimination raciale, xénophobe ou religieuse. Des peines demprisonnement ont été créées, allant dun mois à un an de prison, ainsi que des amendes de 2 000 à 300 000 francs, pour toute personne ayant eu une attitude discriminatoire, haineuse ou violente « à l'égard dune personne ou dun groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Toutefois, cette loi s'est rapidement montrée insuffisante, en atteste la montée de lantisémitisme dans les années 1980.
En 1990, la loi dite Gayssot est en conséquence
venue durcir les sanctions et énoncer, sans pour autant proposer
manifestement un quelconque changement de fond, que « toute
discrimination fondée sur lappartenance ou la non-appartenance à
une ethnie, une nation, une race ou une religion [était]
interdite ». Force est de constater que les renforcements des
sanctions, pas plus que la réécriture très
légère du code pénal à l'époque, nont pu
empêcher une énième montée de lantisémitisme
par la suite. Depuis, il n'y a eu aucun changement juridique majeur en
matière de lutte contre l'antisémitisme et nous pouvons pourtant
constater que les actes antisémites ne font que croître de
manière exponentielle.
Selon le Conseil représentatif des
institutions juives de France, 1 676 actes antisémites ont
été recensés en 2023, contre 436 en 2022.
Des milliers de nos compatriotes n'osent plus ni porter la kippa, ni se regrouper devant une synagogue, prendre un taxi ou un VTC. Ils vont jusqu'à devoir ôter la Mézouza sur leur porte et changer leurs noms sur la sonnette de leur immeuble ou dans une application de livraison. 80 ans après le port de l'étoile jaune, la communauté juive de notre pays est menacée comme jamais dans notre histoire contemporaine et les Français de confession juive se posent la question de leur maintien sur le territoire national.
Pendant des décennies, vivre heureux « comme Dieu en France », proclamait un vieux dicton yiddish répandu en Europe orientale parmi les ashkénazes, fascinés par ce pays de liberté qui, le premier, émancipa ses Juifs. Aujourd'hui l'hydre antisémite a changé de visage, se nourrissant de l'immigration de masse musulmane et de l'islamisme. Comment le pays européen qui abrite la plus grande communauté juive d'Europe a-t-il pu devenir le berceau de l'antisémitisme moderne ?
C'est une très longue histoire que celle des juifs de France, qui remonte aux communautés établies dans la vallée du Rhin dans le sillage des légions romaines. Au moment de la Révolution, le royaume abrite quelque 40 000 juifs. À ceux-là sont venus s'ajouter, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle et dans l'entre-deux-guerres, des immigrants d'Europe orientale, surtout de Pologne. Enfin, dans les années 60, on a vu arriver dans la foulée de la décolonisation une quatrième vague en provenance d'Afrique du Nord, assez massive.
Les Français de confession juive sont indissociables de l'identité française. Aujourd'hui cette part de notre âme nationale est en passe d'être effacée.
Cette situation traduit une déroute
républicaine inacceptable.
La promesse républicaine
émancipatrice et protectrice de toutes les communautés est mise
à mal et relève aujourd'hui plus de la chimère patriotique
que d'une réalité tangible.
Le déferlement antisémite qui frappe la France est inédit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il va jusqu'à toucher la Présidente de l'Assemblée nationale et des députés de la nation au coeur même de l'hémicycle. Cet antisémitisme d'atmosphère fait écho à de tragiques pages de l'histoire de France, l'affaire Dreyfus en premier lieu. Mais ce mal ne date pas du 7 octobre. Le terrorisme frappe particulièrement la communauté juive en France, de Mohamed Merah à l'Hyper Cacher, et les Juifs sont une cible privilégiée du djihadisme comme le sont les représentants de l'État ou la communauté catholique. Des assassinats antisémites, de Mireille Knoll à Sarah Halimi, jalonnent l'ensauvagement de la France contemporaine. L'hydre islamiste est le carburant de ce nouvel antisémitisme.
Lheure nest donc plus seulement au durcissement des sanctions, il est devenu indispensable d'opérer un changement profond de point de vue en proposant une réécriture totale du droit pénal relatif aux actes antisémites.
Aujourd'hui, l'antisémitisme est sanctionné à travers plusieurs infractions, dispersées dans tout le code pénal et qui ne visent pas spécifiquement les actes antisémites (discriminations, injures, violences, etc.). Lantisémitisme prend la forme de circonstances aggravantes, chacune accolée qu'à certaines infractions, ce qui rend plus difficile et pas toujours possible sa caractérisation ; d'autant que la circonstance aggravante d'antisémitisme n'est pas définie précisément par le droit pénal. Elle est, en effet, regroupée dans une circonstance aggravante plus large qui couvre tantôt l'intolérance religieuse, tantôt le racisme.
En conséquence, le droit en vigueur n'est pas suffisamment opérationnel et le poison antisémite contamine notre nation qui se retrouve juridiquement désarmée pour affronter ce péril. Nos outils de droit sont dépassés et trop souvent inefficaces face aux subtilités et perversités employées par l'antisémitisme du troisième millénaire et ses singularités. L'antisémitisme a muté, se dissimulant trop souvent sur le nouvel antisémitisme qu'est devenu l'antisionisme, et passe fréquemment entre les mailles du filet de notre arsenal juridique. Ce dernier doit donc s'adapter à la menace.
La seule solution est donc de procéder à une autonomisation pénale des infractions d'antisémitisme. Tout en s'assurant de reprendre l'ensemble des actuelles infractions qui tentent difficilement de couvrir les actes antisémites, les nouvelles infractions devront être plus précises que le champ du droit positif actuel, de sorte que les forces de l'ordre et les autorités judiciaires puissent, demain, mieux caractériser l'antisémitisme et in fine qualifier pénalement une plus grande diversité d'actes de nature antisémite. En s'efforçant d'être exhaustive, cette proposition de loi souhaite faciliter le travail de toute la chaîne pénale en donnant des outils juridiques opérationnels et précis pour identifier, caractériser et punir tous les actes antisémites. Un tel dispositif pénal autonome permettra également d'adapter au besoin les sanctions pour les rendre davantage dissuasives et proportionnées au niveau particulier de gravité qui caractérise un acte antisémite.
Définition juridique de l'antisémitisme
La présente proposition de loi tente dans un premier temps de poser une définition générale mais juridiquement opérationnelle de l'antisémitisme (article 1er). Cette définition s'inspire de celle qu'avait élaborée l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste et que l'Assemblée nationale avait approuvée par une résolution du 3 décembre 2019, tout comme le Sénat par une résolution du 5 octobre 2021. En outre, une telle reconnaissance spécifique de l'antisémitisme dans la loi aura une portée symbolique et démontrera un engagement clair, celui d'arriver à protéger réellement la communauté juive. Le but de cette définition est que la loi reconnaisse explicitement l'antisémitisme comme une forme spécifique d'atteinte aux personnes et à leurs biens, qui doit donc faire l'objet d'un cadre répressif spécifiquement adapté. La définition ainsi posée de l'antisémitisme s'attache particulièrement à qualifier la communauté juive comme communauté à la fois religieuse et ethnique. On donne ainsi au droit pénal plus de moyens pour appréhender la nature de la communauté juive, ce qui permettra de mieux caractériser la circonstance antisémite.
Dispositions principales
Notre proposition de loi décline un ensemble d'infractions qui traduisent concrètement la définition générale d'antisémitisme qui a été élaborée, en faisant en sorte de couvrir le plus largement possible la diversité des actes antisémites qui existent aujourd'hui, mais qui ne sont pas forcément appréhendés par le champ pénal en vigueur.
En tout premier lieu, il est nécessaire que le fait de provoquer directement à de l'antisémitisme ou de faire publiquement l'apologie de l'antisémitisme soit puni pénalement et plus fortement lorsque c'est par l'intermédiaire des réseaux sociaux, eu égard à l'impact significatif qu'ils ont sur notre société (article 2).
Ensuite, les attaques antisémites verbales
ambiguës doivent être assurément condamnées. Par
exemple, le fait de traiter un député de
« porc », alors qu'il est juif, doit pouvoir
être qualifié comme un acte antisémite.
Le fait
d'enjoindre à la Présidente de l'Assemblée nationale,
notoirement de confession juive, de « camper »
à Tel Aviv, doit aussi pouvoir être considéré comme
une expression antisémite. En l'espèce, l'association de tels
termes à une personne de confession juive doit être
condamnée, non seulement comme une injure à son endroit, mais
surtout comme une injure à caractère antisémite. C'est
pourquoi nous proposons une définition évoluée de
l'injure pour que celle-ci soit adaptée aux situations
antisémites (article 3). Avec un tel dispositif, le but
est de réprimer des propos qui, pour l'heure, ne tombent pas sous le
coup de la loi pénale en raison de leur ambiguïté ou qui ne
sont pas caractérisés par une circonstance aggravante
d'antisémitisme.
De la même manière, la proposition de
loi vient expliciter la définition de diffamation et
l'adapter aux subtilités et aux ambiguïtés des actes
antisémites (article 4).
En réalité, derrière la vitrine antisioniste se cache l'hydre antisémite, c'est pourquoi l'antisionisme doit aussi devenir pénalement répréhensible en France. Le 28 septembre, le journal Le Parisien révélait un sondage effrayant qui démontre que 9 étudiants de confession juive sur 10 sont victimes d'antisémitisme. Cette étude indique que la haine d'Israël est la première raison des attaques qu'ils subissent. La chercheuse Nonna Mayer a mis en évidence en 2020 que « la critique d'Israël et du sionisme [en France] est clairement le détonateur des actes antijuifs, qui se multiplient après chaque opération de Tsahal dans les territoires palestiniens ». Par conséquent, cette proposition de loi complète le cadre pénal existant pour sanctionner les contestations antisionistes (article 5). L'objectif est de réprimer toute expression qui contesterait le droit d'Israël d'exister en tant qu'État.
Dans le prolongement de notre raisonnement, faire systématiquement l'amalgame entre n'importe quelle personne de confession juive et l'État d'Israël, ou encore exiger de cette personne qu'elle condamne publiquement l'action de cet État, au point parfois de la menacer d'un boycott, constitue aussi un acte antisémite qui doit être sanctionné (article 6). Il est, en effet, intolérable d'exiger plus d'une personne que d'une autre en raison de sa confession juive. Il n'est donc pas envisageable de laisser se développer plus encore sans réagir de tels agissements qui sont déjà très nombreux. Nos compatriotes juifs n'ont pas à subir spécifiquement des pressions et des contraintes qui les forceraient à critiquer l'État d'Israël.
Nous ne pouvons non plus faire fi des effets pervers des réseaux sociaux qui agissent comme un amplificateur et qui servent d'espace de non-droit pour des personnes décomplexées ou des personnes qui croient pouvoir se cacher lâchement derrière un « pseudo ». En conséquence de quoi, cette initiative parlementaire propose que les injures antisémites, les diffamations antisémites, les contestations antisionistes et les amalgames antisémites soient plus sévèrement réprimés lorsque ces infractions sont commises de manière publique, notamment par l'intermédiaire des réseaux sociaux ou par voie de presse (article 7).
De plus, une personne qui se prévaudrait d'un
droit à la satire, au blasphème ou à la caricature, ne
devrait pas pouvoir systématiquement se cacher derrière un tel
droit pour multiplier, à de nombreuses reprises, des initiatives qui
seraient en réalité bel et bien de nature antisémite.
Des humoristes du service public se sont notamment cachés
derrière le droit à la satire pour professer plusieurs fois et
régulièrement un antisémitisme caractérisé
pour lequel ils n'ont pas été sanctionnés
pénalement. Aussi, un auteur qui s'attacherait à majoritairement,
voire exclusivement caricaturer, blasphémer ou satiriser la
communauté juive ou une personne qui appartiendrait à cette
communauté, doit pouvoir être condamné pour de telles
répétitions antisémites (article
8).
Outre ces adaptations majeures du droit, qui tiennent également compte des procédures pénales spéciales (article 9), la présente initiative parlementaire reprend et modifie sommairement les définitions de droit commun de discriminations (article 10) et de violences (article 11) afin de les adapter à la lutte contre l'antisémitisme.
Autres dispositions
Afin d'avoir un éventail de sanctions beaucoup plus à la hauteur des enjeux, il est également nécessaire que le fait de diriger un groupe qui aurait pour objectif l'accomplissement d'infractions antisémites fasse l'objet d'une infraction à part entière (article 12), tout comme le fait qu'un délit antisémite qui a été commis par une personnalité politique élue, une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, soit constitutif d'une circonstance aggravante (article 13).
Par ailleurs, cette proposition de loi instaure, conformément à nos convictions plus générales en matière pénale, des peines planchers pour les infractions qu'elle définit (article 14). De plus, l'exécution de la peine en cas de condamnation pour une infraction prévue par la présente loi pourra être assortie du régime spécial de période de sûreté prévu à l'article 132-23 du code pénal lorsque cette infraction est punie de dix ans d'emprisonnement (article 15).
La proposition de loi prévoit également un certain nombre de peines complémentaires telles que lobligation daccomplir un stage de citoyenneté pour les personnes physiques (article 16), ou encore, la surveillance judiciaire ou l'interdiction d'exercer certaines activités professionnelles pour les personnes morales (article 17).
Enfin, pour que le cadre pénal sanctionnant l'antisémitisme soit le plus complet et le plus opérationnel possible, la proposition de loi crée une circonstance aggravante de droit commun (article 18) pour tous les autres délits et crimes qui seraient commis à l'égard d'une personne en raison de son appartenance ou de son association à la communauté juive.