EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Voilà plus d'un demi-siècle que notre pays renonce à équilibrer ses comptes. Le résultat est sans appel : avec une dette publique supérieure à 3 000 milliards d'euros et un taux d'endettement supérieur à 110 % du PIB, la France est devenue le cancre de l'Union européenne en matière de finances publiques. Il ne s'agit pas d'alimenter une austère obsession pour les chiffres, mais de comprendre que cette situation menace gravement la souveraineté de la Nation et l'avenir de la démocratie, car un pays aux mains de ses débiteurs ne serait plus libre de ses choix.

Pourtant, l'économie française s'est montrée très performante au cours des dernières années. En allégeant la pression fiscale pour attirer les investissements étrangers, en réduisant son taux de chômage par la création d'emplois, en soutenant activement la création d'entreprise et l'innovation, en accélérant à la fois la réindustrialisation et la décarbonation, la France est devenue l'un des meilleurs élèves de l'Union européenne. Malgré un taux de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés au monde et une complexité administrative maladive, notre pays a su conserver et conquérir des positions avantageuses au plan économique.

Situation financière préoccupante, performances économiques rassurantes : ce paradoxe nous rappelle qu'il est urgent d'agir et que nous disposons des ressources pour rétablir nos comptes publics. Et pourtant, notre incapacité chronique à dégager des économies structurelles, notre addiction à la dépense publique et la dérive démagogique des débats budgétaires au Parlement laissent craindre que nous ne parvenions pas à améliorer la situation, si nous ne repensons pas d'abord notre façon de piloter nos politiques publiques.

Afin d'amorcer le désendettement de l'État, de rétablir les finances publiques et de respecter nos engagements européens, mais aussi d'engager des plans d'investissement ambitieux en matière de transition écologique et de rupture technologique, il est nécessaire de reprendre la maîtrise de nos comptes. La configuration actuelle, politique comme juridique, ne permet pas d'atteindre cet objectif : il faut donc changer la méthode par laquelle on élabore le budget.

La présente proposition de loi constitutionnelle vise à répondre à l'urgence du long terme, en donnant enfin la primauté, en matière budgétaire, à la pluriannualité face à l'annualité.

Cette démarche s'ancre à une conviction forte : la liberté d'engager des dépenses ou de réduire les recettes impose d'assumer la responsabilité politique des contreparties nécessaires à l'équilibre financier. La forte dégradation de nos finances s'explique par le décalage temporel entre l'engagement d'une mesure non financée (en dépense ou en recette), dont l'intérêt politique est immédiat, et le prélèvement d'une recette supplémentaire pour la financer ou la réalisation d'une économie budgétaire, dont le coût politique est repoussé à plus tard. Le Gouvernement doit être libre d'augmenter les dépenses et de diminuer les recettes, pourvu qu'il en expose le plan de financement de manière transparente et en assume le coût politique. Il semble donc salutaire d'étendre la responsabilité politique et économique du Gouvernement sur plusieurs années, en renforçant la pluriannualité dans l'élaboration du budget.

Cet objectif suppose de revenir sur l'acquis de l'annualité budgétaire. Alors que le monde devient à la fois plus incertain et plus dangereux, que la survenue des crises s'accélère et s'amplifie, l'État doit redevenir cette force tutélaire qui maintient son cap malgré les vicissitudes économiques, politiques et géopolitiques. Il s'agit donc de renforcer le cadre de nos finances publiques à l'échelle quinquennale, afin de donner davantage de visibilité et de sérénité aux acteurs économiques et de clarifier les logiques de dépense et d'investissement publics. Cette approche impliquant une rigidification de la norme financière, il est nécessaire de conserver en parallèle des marges de manoeuvre budgétaires pour parer aux imprévus.

En effet, la discipline budgétaire ne doit pas empêcher la flexibilité.
En donnant primauté à la pluriannualité sur l'annualité, la loi de programmation fixe des objectifs dont nous souhaitons qu'ils puissent contraindre la loi de finances votée annuellement en matière de dépenses, de recettes et de solde publics. Ce cadre pluriannuel doit cependant laisser des marges de manoeuvre budgétaires pour les temps de crise, sans que celles-ci puissent toutefois être détournées de leur usage et financer un fonctionnement normal ou des promesses électorales. Aussi, le coût politique d'un écart par rapport à la programmation pluriannuelle doit être renforcé. De même, en cas de déviation par rapport aux objectifs pluriannuels, le Gouvernement devra éclairer le Parlement quant aux raisons de cet écart, et présenter des mesures de correction visant à réintégrer la trajectoire pluriannuelle.

Bien sûr, un tel renversement bouleverserait notre tradition budgétaire. Pourtant, la France pratique d'ores et déjà la pluriannualité budgétaire dans le cadre des institutions européennes.

En effet, au niveau européen, une procédure budgétaire annuelle et un cadre financier pluriannuel (CFP) contraignant coexistent depuis le traité de Lisbonne de 2009. Le CFP plafonne les dépenses que l'Union pourra engager et payer au cours de la période concernée. Son budget devant rester à l'équilibre, le montant total de ces dépenses ne peut pas excéder le montant total des recettes de l'Union européenne. À cette fin, le cadre prévoit deux types de plafond : un plafond global (toutes dépenses confondues) et un plafond par grand domaine d'action (marché unique, cohésion, environnement, migration, sécurité...).

Un modèle budgétaire où la pluriannualité primerait sur l'annualité ne nous est donc pas inconnu. Il a d'ailleurs été très sérieusement envisagé dans le cadre du projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques adopté en 2011, où les « projets de loi-cadre d'équilibre des finances publiques » répondaient déjà de cette logique. Le texte n'est malheureusement pas allé au terme de son parcours législatif, si bien que cet instrument juridique n'a jamais pu produire ses effets sur nos finances publiques. Afin de capitaliser sur le très riche travail parlementaire réalisé alors, le dispositif législatif de la présente proposition de loi constitutionnelle, tant par son architecture que par ses écritures, s'approche de ce texte.

Nous proposons d'inscrire dans notre Constitution trois séries de dispositions, de nature à modifier en profondeur la gouvernance de nos finances publiques.

Il s'agit, tout d'abord, de remplacer les actuelles lois de programmation des finances publiques par un nouvel instrument juridique, appelé « loi portant cadre financier pluriannuel ». Ce texte, telle une loi-cadre pluriannuelle, aura une valeur contraignante pour les textes financiers ordinaires annuels (lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale). Il fixera des plafonds de dépenses annuels, des objectifs en termes de solde public, une trajectoire de prélèvements obligatoires, des cibles d'économies ainsi qu'une stratégie d'investissement public. Il sera voté à la majorité simple, comme un texte financier ordinaire.

Afin de renforcer notre capacité collective à atteindre les objectifs financiers fixés en début de mandat, il est nécessaire de rigidifier la norme financière pluriannuelle, en limitant les possibilités de la remettre en cause. Pour ce faire, la présente proposition de loi constitutionnelle prévoit que la révision du cadre pluriannuel avant son terme ne peut se faire qu'au moyen d'un vote à la majorité qualifiée. Il s'agit de maintenir, pour l'exécutif, la possibilité de se dégager des marges de manoeuvre budgétaires, mais avec un coût politique exposé et assumé, et une responsabilité partagée avec les autres forces politiques en cas d'explosion des dépenses.

Cette configuration restreint le risque d'écarts justifiés davantage par des considérations politiques et électorales qu'économiques et financières, tout en permettant des accords forts en cas de crise grave. Ainsi, en 2020, lorsque la situation sanitaire commandait des mesures exceptionnelles, quatre projets de loi de finances rectificative furent adoptés par l'Assemblée nationale et le Sénat, entre mars et novembre, conformes ou après un accord en commission mixte paritaire, alors que les projets de loi de finances pour 2020 et pour 2021 n'avaient pas fait l'objet d'un tel consensus entre les deux chambres.

Enfin, à l'image de ce qui existe dans d'autres pays, et parce qu'il est important d'enrichir les débats budgétaires d'un regard indépendant et dépourvu de tout biais d'optimisme sur la réalité de nos comptes publics, nous souhaitons renforcer les prérogatives du Haut Conseil des finances publiques ainsi que son poids dans le débat budgétaire. Le Haut Conseil verrait son rôle renforcé dans l'analyse des prévisions macroéconomiques et chiffrages budgétaires effectués par le Gouvernement. Cet organe interviendrait également après l'exécution du budget, en vue de documenter les éventuels écarts vis-à-vis des objectifs fixés par le texte pluriannuel.

L'article 1er modifie l'article 34 de la Constitution.

Il vise à créer la catégorie juridique des « lois portant cadre financier pluriannuel » et en trace les contours, avec pour objectif d'assurer l'équilibre des comptes des administrations publiques. Cette nouvelle catégorie rend sans objet les lois de programmation des finances publiques, qui sont donc supprimées.

Les lois portant cadre financier pluriannuel ont pour vocation première de contraindre le pilotage des finances publiques sur le long terme, afin de donner davantage de visibilité aux acteurs économiques et aux administrations publiques. Parce qu'elles marquent l'orientation politique exprimée par le suffrage des Français, elles sont construites sur la base d'une législature de cinq ans, et deviennent caduques en cas de dissolution de l'Assemblée nationale.

Il établit également le monopole des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale pour traiter de la fiscalité et des principes fondamentaux concernant les ressources de la sécurité sociale. Cette règle vise à éviter la dispersion des dispositions relatives à la fiscalité et aux recettes de la sécurité sociale dans l'ensemble des textes législatifs et, ainsi, à mieux assurer la cohérence de notre stratégie de prélèvements obligatoires et de finances publiques.

L'article 1er prévoit également les marges de manoeuvre laissées au Gouvernement pour piloter les finances publiques en cours de période. Ainsi, il peut modifier une loi portant cadre financier pluriannuel en obtenant la majorité des trois cinquièmes du Parlement réuni en Congrès.

Les articles 2, 3, 8, 9 et 11 visent simplement à adapter les termes de la Constitution à cette nouvelle catégorie de loi de finances.

L'article 4 renvoie à une loi organique le soin de fixer les conditions d'adoption des lois portant cadre financier pluriannuel. Cet article donne également la faculté au Gouvernement de mettre en oeuvre, pour le vote de la loi portant cadre financier pluriannuel, les dispositions spéciales de l'article 47, deuxième alinéa, applicables au vote des projets de loi de finances (délais fixés à l'Assemblée nationale et au Sénat pour statuer ; réunion possible d'une commission mixte paritaire après une seule lecture dans chaque chambre), afin de garantir au Gouvernement la capacité de faire adopter une loi portant cadre financier pluriannuel, ce qui conditionne ensuite l'adoption des lois annuelles de finances et de financement de la sécurité sociale.

Les articles 5 et 6 complètent respectivement les articles 47 et 47-1 de la Constitution pour subordonner l'adoption définitive d'une loi de finances de l'année, d'une loi de finances rectificative ou d'une loi de financement de la sécurité sociale à l'existence d'une loi portant cadre financier pluriannuel. Ces dispositions visent à ce qu'il ne soit pas possible de voter l'un de ces textes en l'absence de loi portant cadre financier pluriannuel en vigueur incluant l'année sur laquelle porte la loi de finances ou de financement. Le 4° de l'article 5 précise, en outre, les conditions de perception des impôts et d'ouverture des crédits en l'absence de lois portant cadre financier pluriannuel applicable à l'année concernée.

L'article 7 inscrit dans la Constitution l'existence du Haut conseil des finances publiques, ainsi que ses prérogatives en matière de prévisions économiques et d'analyse des choix et prévisions effectués par le Gouvernement.

L'article 10 charge le Conseil constitutionnel de veiller à ce que les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale respectent la loi portant cadre financier pluriannuel. Autrement dit, une loi financière annuelle qui ne respecterait pas les objectifs pluriannuels pourrait être déclarée inconstitutionnelle.

L'article 12 précise que les dispositions organiques mentionnées dans la proposition de loi constitutionnelle fixeront les conditions d'entrée en vigueur des dispositions relatives aux lois portant cadre financier pluriannuel. Dans l'attente, les dispositions actuelles relatives aux lois de programmation des finances publiques demeureront applicables. Les dispositions relatives au monopole des lois financières pour traiter de la fiscalité et des principes fondamentaux concernant les ressources de la sécurité sociale entreront en vigueur dans les mêmes conditions.

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