EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« On meurt mal en France. » Ce constat est partagé dans le pays, à l'Assemblée nationale et au Sénat. Et, malgré l'inscription dans la loi depuis 2005 de nouveaux droits en ce qui concerne la fin de vie, ce constat demeure.
Les droits établis par les lois dites « Leonetti » en 2005 et « Claeys-Leonetti » en 2016 sont mal connus, difficiles à appréhender et à interpréter par les professionnels et les patients, créant de fait une inégalité d'accès aux soins et une protection amoindrie des personnes en soins palliatifs. Pour renforcer la mise en oeuvre et la compréhension de ces dispositions, comme l'appelait le comité consultatif national d'éthique en 2019 et comme le recommandait Bénédicte Bévière-Boyer dans un rapport de 2021, nous proposons, d'une part, de les rendre visibles en les regroupant au sein du code de la santé publique dans une structure spécifique et, d'autre part, de rendre plus accessibles les directives anticipées. Mais si les lois « Leonetti » et « Claeys-Leonetti » ont permis de donner suite aux volontés de certains patients, d'autres patients souffrent que la loi ne permette pas encore que toutes leurs volontés soient respectées.
Alors que plus de 90 % des Français sont favorables à une légalisation de l'aide active à mourir, de même que la convention citoyenne sur la fin de vie dans son expression de 2019 et le comité consultatif national d'éthique en 2022, il est temps que la loi consacre, non plus seulement le « laisser mourir », mais l'aide active à mourir définie comme le suicide assisté et l'euthanasie, dans un cadre strict et seulement lorsque le patient en exprime la volonté. En outre, la pratique de l'euthanasie a déjà cours en France, mais d'une manière clandestine, pour répondre aux attentes légitimes de malades, de patients en fin de vie et en situation de souffrance. Il convient donc d'encadrer cette pratique afin d'éviter tout risque, tant pour le patient que pour le corps médical.
Cette proposition n'est pas nouvelle, elle a déjà eu l'occasion d'être exprimée au sein des assemblées. En 1978 déjà, le sénateur du Lot-et-Garonne Henri Caillavet exposait ainsi les motifs de sa proposition de loi relative au droit de vivre sa mort :
« Mourir à son heure », tel était le thème d'un colloque réuni à Limoges en octobre 1976, à l'initiative du professeur Braun. Tel pourrait être éventuellement le titre de la présente proposition de loi, qui n'a d'autre objet que de rendre à la mort sa dignité en permettant à chacun, s'il le désire, d'achever sa vie chez lui, parmi les siens, sans souffrances inutiles.
En 2014, la députée de la Vienne Véronique Massonneau et le groupe écologiste proposaient une loi visant à assurer aux patients le respect de leur choix de fin de vie :
« La loi doit assurer à chaque patient en fin de vie la réponse, la solution qui lui convient. Or, il n'existe pas une seule réponse, une solution idoine. Chaque individu est différent, les aspirations et les convictions de chacun sont différentes, aussi leurs volontés seront différentes.
La législation doit donc être en mesure d'apporter un cadre à chaque citoyen afin d'offrir à chacun la liberté de choisir sa mort. »
Depuis, des parlementaires de tous bords politiques, à l'Assemblée nationale et au Sénat, ont déposé des propositions de loi donnant le droit à une fin de vie libre et choisie et visant à assurer un accès universel aux soins palliatifs en France, à l'instar de la proposition citoyenne de l'association pour le droit à mourir dans la dignité.
Dans le monde, d'autres États ont autorisé l'aide active à mourir : les Pays-Bas, la Belgique, l'Espagne, le Luxembourg par exemple.
Il est temps, enfin, que le législateur français permette à chacune et à chacun de véritablement choisir la manière dont elle ou il souhaite vivre la fin de sa vie.
Il ne s'agit pas de demander à chaque parlementaire s'il ou elle souhaite bénéficier d'une aide active à mourir mais de permettre aux citoyennes et aux citoyens qui le souhaitent de pouvoir y requérir. Il ne s'agit pas non plus de faire de l'aide active à mourir la seule réponse aux enjeux de la fin de vie mais de donner à chacune et à chacun la possibilité de choisir soi-même sa mort, y compris lorsque ce choix ébranle nos convictions individuelles.
Notre République a bâti la liberté et l'égalité dans la vie. La loi doit maintenant garantir la liberté et l'égalité face à la mort.
Ainsi, nous proposons d'assurer pour tous les patients la dignité et le respect de leur choix dans la fin de vie, en renforçant l'accès aux directives anticipées et à la sédation profonde et continue jusqu'au décès, aux soins palliatifs et d'accompagnement et en établissant l'aide active à mourir. Tel est l'objet de cette proposition de loi.
Le titre Ier comprend diverses dispositions visant à améliorer la compréhension et la mise en oeuvre de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite loi « Claeys-Leonetti ».
L'article 1er regroupe les articles du code de la santé publique en vigueur relatifs aux soins palliatifs d'une part, à la fin de vie d'autre part, par la structuration du chapitre relatif aux droits de la personne du code de la santé publique en trois sections, et structure la nouvelle section relative à la fin de vie en trois sous-sections comprenant les articles en vigueur du code de la santé publique relatifs à l'obstination déraisonnable et à la dignité du mourant, à l'expression de la volonté des malades en fin de vie et à l'aide active à mourir.
L'article 2 précise les modalités de mise en oeuvre de l'arrêt des traitements et de la sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, définis aux articles L. 1110-5-1 et L. 1110-5-2 du code de la santé publique.
L'article 3 modifie, d'une part, les conditions de rédaction et d'application des directives anticipées en ce qui concerne leur durée de validité et l'information donnée aux patients de la possibilité de rédiger ces directives (lors des rendez-vous de prévention, lors d'un diagnostic grave et régulièrement, lors du traitement d'une pathologie grave) et, d'autre part, il précise le lien entre directives anticipées et personne de confiance et inscrit ces éléments sur la carte vitale des assurés.
L'article 4 précise l'ordre de primauté des membres de la famille appelés à témoigner de la volonté du patient lorsqu'il n'est plus en état d'exprimer une demande libre et respectée dans le cas de la mise en place de traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale.
Le titre II établit le droit à l'aide active à mourir.
L'article 5 définit l'aide active à mourir et dispose que toute personne capable, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, infligeant une souffrance physique ou psychique inapaisable ou qu'elle juge insupportable peut demander à en bénéficier.
Il définit également les modalités de bénéfice de l'aide active à mourir. Le patient fait la demande de l'aide active à mourir au médecin qui vérifie s'il entre dans les conditions de bénéfice. Le médecin fait appel à un confrère et ils vérifient ensemble le caractère libre, éclairé, réfléchi et explicite de la demande présentée lors d'un entretien au cours duquel ils informent le patient des possibilités thérapeutiques ainsi que des solutions alternatives en matière d'accompagnement. Si les médecins constatent que la situation du patient correspond aux conditions de bénéfice de l'aide active à mourir et si le patient confirme sa volonté, il est procédé à l'aide active à mourir.
Ensuite, l'article définit les modalités de bénéfice de l'aide active à mourir pour les personnes qui ne pourraient exprimer leur volonté. Seule l'expression via les directives anticipées de la volonté du patient de recourir à une aide active à mourir permet d'y recourir. Auquel cas, après examen collégial de la situation du patient, le médecin consulte la personne de confiance qui doit confirmer la volonté du patient pour que l'aide active à mourir ait lieu.
Enfin, l'article définit les modalités de contrôle des pratiques d'aide active à mourir et établit une clause de conscience des professionnels de santé concernant l'aide active à mourir et les modalités de contrôle de l'aide active à mourir.
Le titre III vise à garantir un accès universel aux soins palliatifs et d'accompagnement.
L'article 6 précise que chaque département, région et collectivité d'outre-mer est pourvu d'unités de soins palliatifs en proportion du nombre de ses habitants et prévoit que les établissements de santé publics, privés d'intérêt collectif et privés assurent l'accès à ces soins.