EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La Loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU), promulguée en décembre 2000, visait à encourager la construction de logements sociaux en France pour répondre à la crise du logement. Or, malgré ses intentions initiales louables, cette législation apparaît peu efficiente et, aujourd'hui, quelque peu caduque et dépassée. Non seulement cette loi ne produit pas les effets attendus, mais elle grève en plus la situation financière de nombreuses communes. Ces dernières sont condamnées injustement et de manière disproportionnée à payer de lourdes amendes à l'État, alors même qu'elles n'ont pas les moyens et les opportunités de construire davantage, faute d'offre foncière. Aujourd'hui 64 % des communes concernées ne sont pas en conformité avec la loi SRU, preuve magistrale des dysfonctionnements majeurs inhérents à ce dispositif. Appliquer les mêmes règles, les mêmes contraintes et les mêmes objectifs à plus de 1 000 communes riches de leurs diversités et de leurs singularités relève d'une vision purement technocratique et dogmatique.
L'urbanisme local doit être la concrétisation d'une vision réfléchie en termes d'aménagement, d'attractivité, mais aussi de qualité de vie et de protection de la population par les acteurs locaux concernés. Le visage d'une ville, la manière dont elle s'urbanise, dont elle maîtrise l'étalement urbain, dont elle crée de nouveaux quartiers et dont elle accueille ses nouveaux habitants relèvent exclusivement, et avant tout, de décisions des élus locaux qui ont la pleine légitimité par leur élection à la tête de la collectivité. La loi SRU, aggravée sous le quinquennat de François Hollande, peut être perçue comme une entrave à cette libre administration puisqu'elle impose non seulement un taux unilatéral de logements sociaux, mais également la réalisation d'objectifs triennaux qui relèvent uniquement d'une logique arithmétique hors-sol et inadaptée à la réalité et aux singularités des territoires. Une grande loi uniforme déconnectée des réalités et du terrain, privilégiant la répartition de l'égalité dans la misère au pragmatisme et au bon sens, met en danger le pays tout entier. De surcroît, déconnecter la politique du logement de l'aménagement du territoire, et particulièrement des disponibilités ou opportunités foncières de la commune, est un non-sens.
À présent, ce dogme collectiviste de la politique du logement, hermétique aux contraintes locales, ignorant d'une intercommunalité pourtant imposée, et sourd aux explications et contraintes formulées par les maires, doit cesser. Seuls les élus locaux, qui disposent de la connaissance fine de leur territoire, peuvent penser un aménagement équilibré qui répond à tous ces enjeux. Cette réflexion restera impossible à mettre en place tant que l'État gardera un raisonnement standardisé qui repose sur des statistiques et des ratios arbitrairement imposés aux communes.
Après 25 ans d'application, il est temps de questionner l'efficacité et la pertinence de la loi SRU. Plutôt que de se contenter de quotas contraignants, il est nécessaire d'adopter une approche plus nuancée et plus flexible, prenant en compte les spécificités de chaque territoire et s'attaquant aux véritables causes de la crise du logement.
Cette proposition de loi souhaite faire primer la chaîne de l'habitat que tout maire s'évertue à mettre en place sur son territoire, en mettant fin aux frilosités à construire, comme aux logiques de concentration des logements sociaux et de ghettoïsation des quartiers qui caractérisent l'échec de l'urbanisation en raison des injonctions autoritaires de l'État. Les maires cherchent, à travers l'adoption de documents de planification urbaine (tels que le Schéma de COhérence Territoriale, le plan local de l'habitat ou encore le plan local d'urbanisme intercommunal) et leur action quotidienne de manière générale, à concrétiser une vision d'avenir pour leurs villes en prenant en compte ces considérations, en préservant et en valorisant le patrimoine bâti et naturel tout en garantissant un développement urbain raisonnable, mesuré et équilibré.
Nous devons sortir du centralisme étatique qui fait fi de toute anticipation (en termes de financement des écoles, des transports et des services publics pour les nouveaux habitants) et implique en outre des conséquences majeures en termes de marché du logement. Une telle politique asphyxie l'offre libre par la pénurie du foncier qui se voit réservé prioritairement au logement social. Elle pénalise par voie de conséquence les classes moyennes qui ne parviennent plus à se loger correctement et génère un monde de résidences secondaires haut de gamme et de logements sociaux concentrés dont on connait depuis des décennies les conséquences.
Afin de proposer une alternative à ce constat, cette proposition de loi suit les préconisations du rapport de la mission d'évaluation sur la loi SRU, daté du 19 mai 2021 et élaboré par Mesdames les Sénatrices Dominique ESTROSI SASSONE et Valérie LÉTARD. Il faut en effet adapter le dispositif sans exonérer les communes de toute obligation, tout en adoptant une vision différenciée pour les encourager. Le contrat de mixité sociale et le couple maire-préfet doivent donc « devenir la clef d'une application différenciée et partenariale de la loi » comme l'indique le rapport. Il s'agit de mettre en place un cadre contractuel inédit pour réconcilier les enjeux de mixité sociale avec les enjeux de développement des territoires. Cela ne peut se faire sans prendre également en compte les évolutions portées par la proposition de loi de Madame la Sénatrice Sophie PRIMAS adoptée par le Sénat le 10 octobre 2023, qui renforce le rôle des maires dans l'attribution des logements sociaux.
La proposition de loi souhaite baser le nouveau dispositif sur le programme local de l'habitat. Il s'agit d'un magnifique outil d'évaluation et de programmation au service des communes. Son processus d'élaboration est complet, fiable et exhaustif, mais sa finalité peut davantage être optimisée. En prenant ce programme comme référentiel pour déterminer les objectifs de réalisation de logements sociaux, on lui donne plus de sens et d'utilité. C'est faire le choix de l'optimisation locale puisque le programme local de l'habitat prend en compte non seulement toutes les contraintes réglementaires applicables aux communes (ZAN, règles d'urbanisme, sauvegarde de l'environnement, préservation des espaces, etc.), mais aussi les réalités de terrain, topographiques et économiques, qui contraignent les communes et déterminent donc leur capacité de construction de logements. C'est également faire le choix du dialogue local, entre les communes elles-mêmes, par l'intermédiaire de leur établissement public de coopération intercommunale, et entre les communes et le préfet.
La philosophie de cette proposition de loi consiste aussi à changer de paradigme, en passant d'une logique de gestion par stock à une logique de gestion par flux. Les municipalités d'aujourd'hui et de demain ne doivent plus être comptable des choix municipaux d'hier, mais seulement être responsables des politiques de mixité sociale qu'elles décident elles-mêmes de mener. La sanction ne doit donc plus se fonder sur le stock de logements sociaux de la commune, qui prend en compte aveuglément les retards du passé, mais bien sur le flux de logements sociaux construits en fonction du nombre total de logements à réaliser pour l'avenir.
Présentation du dispositif
L'article 1er propose en conséquence une réécriture totale de la section du code de la construction et de l'habitation relative aux obligations de construction de logements locatifs sociaux afin de proposer un nouveau dispositif.
Ce nouveau dispositif se base sur les programmes locaux de l'habitat (PLH) pour déterminer les objectifs imputables aux communes en matière de production de logements locatifs sociaux (LLS). L'idée est d'imposer qu'une part des logements à réaliser dans le cadre d'un PLH soit des LLS. Actuellement, les PLH permettent déjà de déterminer combien de logements devront être réalisés dans le périmètre d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) pour répondre à l'ensemble des évolutions du territoire, tout en tenant compte de l'ensemble des contraintes qui pèsent sur les communes (réalité du terrain, législation et réglementation, notamment en matière d'environnement, d'urbanisation, etc.). Cette proposition de loi prévoit donc le mode de calcul de la part de LLS qui devront être réalisés dans le cadre du PLH. Cette part tient compte de la demande de logements sociaux dans le territoire couvert par le PLH et des efforts de construction de logements sociaux réalisés par les communes de ce même territoire durant les six années qui précèdent l'adoption du PLH.
Une fois que le nombre de LLS à réaliser aura été déterminé, le programme local de l'habitat déclinera pour chaque commune un objectif de LLS à réaliser, de sorte que la somme de ces objectifs permette d'atteindre la part de LLS calculée préalablement. Ce nouveau dispositif permet d'imposer une obligation légale de réalisation de LLS tout en laissant au dialogue intercommunal le soin de répartir les efforts entre les communes, selon les contraintes normatives et locales déjà prises en compte par le PLH. Chaque commune aura donc un objectif de LLS à réaliser durant les six ans d'exercice du PLH auquel elle est soumise. La commune devra ensuite passer un contrat de mixité sociale avec le préfet départemental dont elle relève pour déterminer de manière plus précise le cadre d'engagement et de réalisation de son objectif.
Le contrat de mixité sociale sera conclu pour 6 ans entre l'État, représenté par le préfet, et la commune. L'EPCI ainsi que toute personne morale qui y aura un intérêt direct, pourront également signer le contrat. Il se déclinera en deux périodes triennales. Pour chacune de ces deux périodes, le contrat déterminera le nombre et la typologie des LLS à réaliser dans la commune. Le contrat mentionnera les informations principales de chaque projet concourant à la réalisation de l'objectif communal, notamment la date de livraison, de sorte que ces informations servent à mieux déterminer si la commune devra, le cas échéant, faire l'objet de sanctions ou si, à la lecture de ces informations, son retard de réalisation pourra être justifié. L'État devra également mentionner dans ce contrat les moyens qu'il compte mobiliser pour aider la commune dans la réalisation de son objectif de LLS, que ce soit directement ou pour l'aider à faire face à l'évolution des besoins en équipements publics. Sans que ces mentions ne soient vraiment contraignantes pour l'État, elles permettront de mieux déterminer si la commune devra, le cas échéant, faire l'objet ou non de sanctions. Il s'agit de baser la décision de sanction du préfet sur des informations plus objectives en tenant compte de la tenue ou non d'engagements étrangers à la volonté de la commune. Par ailleurs, en cas de modification du PLH ou d'adoption d'un nouveau PLH, les contrats de mixité sociale ne feront l'objet que d'un éventuel avenant s'il y a besoin d'ajuster quelques clauses du contrat, notamment les objectifs de réalisation.
Le contrat de mixité sociale devra être adopté dans les six mois après l'entrée en vigueur du PLH. Si au terme de ce délai, le préfet et la commune ne sont pas tombés d'accord, la commission nationale, chargée actuellement de rendre des avis notamment sur les arrêtés de carence, devra être saisie pour rendre un avis sur les points qui posent des difficultés aux parties. À compter de la réception de l'avis, le préfet et la commune disposeront encore d'un mois pour signer le contrat ; à défaut, la commission nationale sera à nouveau saisie pour rendre une décision qui tranchera les points litigieux persistants. En outre, si la présente proposition de loi revient sur le rôle de la commission nationale, elle ne touche en revanche pas à sa composition.
Tous les trois ans, c'est-à-dire, selon le cas, soit au terme de la première période triennale du contrat de mixité sociale, soit au terme du contrat de mixité sociale, le préfet vérifie que chaque commune a bien réalisé le nombre de LLS qui avait été fixé dans le contrat de mixité sociale. Si le nombre n'a pas été atteint, le préfet pourra décider d'engager la procédure de carence en vue d'imposer une pénalité financière à la commune déficitaire. Avant de prendre son arrêté, le préfet consultera, comme c'est déjà le cas actuellement, la commission nationale et le comité régional de l'habitat et de l'hébergement. Il devra particulièrement tenir compte du nombre de LLS manquants, des difficultés rencontrées par la commune, des projets de LLS encore en cours de réalisation ainsi que des informations et des engagements qui auront été précisés dans le contrat de mixité sociale et qui contraignent la commune dans la réalisation de son objectif, sans qu'elle ne puisse y faire quoi que ce soit. C'est notamment le cas des dates de livraison des logements initialement convenues et des engagements pris par l'État pour accompagner la commune. Au regard de toutes ces données, le préfet devra prendre en compte le contexte de réalisation des LLS et apprécier réellement le cas de la commune en fonction d'informations objectives qui ont été déterminantes pour l'engagement de la commune. La décision du préfet restera contestable devant les juridictions administratives.
Si l'arrêté de carence est pris, il fixe une somme à prélever annuellement sur les ressources fiscales de la commune jusqu'à la prochaine échéance de réalisation, autrement dit, trois ans. Cette somme se base sur une pénalité égale à 5 % des dépenses réelles de fonctionnement de la commune et elle sera ajustée au prorata du nombre de LLS qui auront été réalisés. Par exemple, si la commune n'a pas réalisé 30 % de son objectif, elle devra payer 30 % de la pénalité et si elle n'a pas réalisé 100 % de son objectif, elle devra payer 100 % de la pénalité, c'est-à-dire 5 % de ses dépenses réelles de fonctionnement. Comme c'est déjà le cas aujourd'hui, certaines dépenses engagées par la commune en faveur des logements sociaux pourront être déduites de la somme prélevée annuellement afin de favoriser les initiatives. La somme sera prélevée puis reversée selon les mêmes modalités que celles en vigueur pour l'actuel dispositif et au bénéfice des mêmes organismes qui seront soumis, le cas échéant, aux mêmes obligations et conditions de contrôle.
Il est important de comprendre que ce nouveau dispositif impose deux échéances, chacune de trois ans. Une première échéance, à la moitié de l'exécution du contrat de mixité sociale, puis une seconde échéance à la fin du contrat de mixité sociale. À la première échéance, c'est la production du nombre de LLS qui devaient être réalisés pour les trois premières années du contrat qui sera évaluée, mais pour la seconde échéance, ce sera la production du nombre de LLS qui devaient être réalisés pour l'ensemble de la durée du contrat de mixité sociale et non seulement pour les trois dernières années du contrat. Aussi, il sera possible pour la commune, et même encouragé, lors de la seconde période triennale du contrat de mixité sociale, de rattraper le retard constaté au terme de la première période triennale.
La présente proposition de loi prévoit en outre de maintenir l'inventaire imposé annuellement aux propriétaires et aux gestionnaires. Elle maintient également la production d'un rapport tous les trois ans par les acteurs soumis aux obligations de réalisation de LLS et la production d'un rapport, également triennal, par le Gouvernement à l'endroit du Parlement. Toutefois, la proposition de loi supprime la capacité du préfet à se substituer à la commune carencée, car il a été constaté que cette substitution n'était dans les faits pas efficace.
L'article 2 prévoit quelques adaptations du Programme Local de l'Habitat, essentiellement s'agissant de sa procédure d'adoption et de contestation. Actuellement, le PLH n'est exécutoire in fine que si le préfet est entièrement d'accord avec son contenu puisqu'il peut adresser des remarques à l'EPCI qui est tenu de les suivre. Avec le nouveau dispositif prévu par la présente proposition de loi, le préfet pourra continuer d'adresser des remarques à l'EPCI préalablement à l'adoption du PLH mais ne disposera ensuite que d'un délai de deux mois à compter de cette adoption pour déférer au tribunal administratif le PLH et seulement à condition qu'il ne respecte pas la part obligatoire de LLS prévus par le nouveau dispositif, qu'il porte atteinte à des principes généraux prévu dans le code de l'urbanisme ou à un projet d'intérêt général, ou qu'il comporte des informations insincères. Jusqu'à ce que le tribunal ait statué, le PLH restera exécutoire pour ne pas empêcher le déroulement des autres procédures, notamment la conclusion des contrats de mixité sociale.
L'article 3 prévoit des dispositions de coordination.
L'article 4 gage les conséquences financières de la présente proposition de loi.