EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Nos territoires sont en mal de liberté.
Pour qui va à la rencontre de nos concitoyens, c'est une évidence : les bonnes volontés existent, les initiatives locales fleurissent, les élus locaux emploient leur énergie au service de leur territoire. Pourtant, à l'enthousiasme de l'élection succède souvent la fatigue du mandat et à l'allégresse de la conception des projets la lassitude de ne pouvoir les mener à bien, malgré la volonté et le temps consacré.
La raison en est simple : le sentiment - largement partagé - de libertés locales atrophiées. Partout, sur le territoire de la République, des élus locaux dévoués à leurs concitoyens et investis pour le développement de leur territoire voient leurs initiatives entravées.
Cette amputation du pouvoir d'agir des élus locaux nous place à l'aube d'une crise de la démocratie locale sans précédent. Signe annonciateur de cette crise qui vient et que nous devons conjurer, le nombre de démissions apparaît aujourd'hui en forte hausse : en avril 2023, 1 293 maires avaient démissionné depuis le renouvellement général des conseils municipaux du 28 juin 2020, ce qui représente environ 3,7 % des maires, laissant craindre une crise de l'engagement pour le prochain renouvellement général de 2026.
Face à cette situation, c'est donc avant toute chose un renforcement de l'efficacité de l'action publique locale qui doit être recherché. Nos concitoyens attendent de voir les responsables locaux qu'ils ont élus à l'oeuvre, disposant des moyens de leurs missions et capables de faire évoluer leur quotidien. Renforcer l'action publique locale, c'est redonner à nos concitoyens foi en la démocratie locale - et plus largement en la politique.
Si les collectivités territoriales ne souhaitent ni big bang ni grand soir, un consensus se dégage quant aux effets négatifs de la recentralisation rampante que connaît notre pays, 40 ans après les premières lois de décentralisation, et qu'il convient, sans plus attendre, d'enrayer.
Telle est l'ambition des 15 propositions du Sénat pour rendre aux élus locaux leur « pouvoir d'agir »1(*), présentées le 6 juillet dernier à la suite du rapport de François-Noël Buffet, rapporteur général, Mathieu Darnaud, Françoise Gatel, Jean-François Husson, co-rapporteurs du groupe de travail présidé par le Président du Sénat, Gérard Larcher.
Nécessitant pour certaines des modifications constitutionnelles, organiques ou de la loi ordinaire, ces propositions doivent pouvoir trouver désormais une application concrète. À cette fin, le rapporteur général et les co-rapporteurs du groupe de travail ont souhaité déposer trois propositions de loi destinées à apporter à notre législation les aménagements nécessaires pour retrouver la voie d'une décentralisation effective, au plus près des territoires et de leurs besoins.
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La présente proposition de loi tend à traduire les préconisations du groupe du travail qui relèvent de la loi organique.
Son chapitre Ier, relatif à l'autonomie financière et fiscale, détermine les conditions d'application des dispositions consacrées aux finances publiques locales de la proposition de loi constitutionnelle résultant des travaux du groupe de travail. Cette dernière prévoit que la loi organique garantit que le produit des impôts locaux sur lesquels les collectivités disposent d'un pouvoir d'assiette ou de taux représente une part significative des ressources des communes et une part minimale des ressources des départements et des régions. Alors que les années récentes ont été marquées par une érosion importante de la fiscalité locale, une telle mesure sera ainsi de nature à préserver la part que celle-ci représente dans les paniers de ressources actuels des collectivités territoriales.
Pour la mettre en oeuvre, l'article 1er de la présente proposition de loi organique prévoit que cette part de fiscalité locale soit au moins égale au niveau constaté en 2023.
Mettant en oeuvre le principe fixé par la proposition de loi constitutionnelle selon lequel les exonérations et abattements obligatoires décidés par l'État sur les impôts locaux font l'objet d'une compensation financière, l'article 2 de la présente proposition de loi organique détermine les conditions d'application de ces dispositions. Il détermine notamment les modalités de calcul du droit à compensation. Celle-ci, versée annuellement à ce titre, devra être au moins égale à l'application du taux voté par la collectivité l'année précédant l'entrée en vigueur de la mesure d'allègement à l'assiette constatée au titre de l'année d'entrée en vigueur de cette mesure. Cette garantie permet également de mettre fin à la pratique consistant à minorer d'année en année les allocations attribuées au titre de la compensation de mesures d'allègements fiscaux, qui fragilise les budgets locaux et le lien de confiance entre l'État et les collectivités territoriales.
Enfin, la proposition de loi constitutionnelle entend donner corps au principe de compensation des transferts, créations, extensions ou modifications des compétences des collectivités territoriales, en prévoyant un réexamen régulier des ressources attribuées au titre de cette compensation. L'article 3 de la présente proposition de loi organique détermine les modalités d'application de ce réexamen régulier en précisant qu'avant le 1er octobre de la cinquième année suivant le transfert de compétence, puis tous les cinq ans, le Gouvernement remet au Parlement un rapport exposant les mesures envisagées pour ajuster les ressources attribuées aux collectivités territoriales au regard des charges qu'elles supportent pour l'exercice de la compétence concernée. Il est prévu, dans la proposition de loi ordinaire du groupe de travail, une évaluation de l'évolution de ces charges par la commission consultative d'évaluation des charges (CCEC).
Le chapitre II entend permettre aux collectivités de disposer des ressources nécessaires à l'exercice de leurs compétences dans la durée, en créant les conditions d'un débat lisible et transparent sur l'évolution des charges des collectivités territoriales. À cette fin, l'article 4 renforce le cadre organique relatif aux études d'impact en prévoyant spécifiquement que lorsqu'un projet de loi prévoit un transfert de compétences aux collectivités territoriales, la création, l'extension ou la modification d'une telle compétence, celles-ci exposent avec précision non seulement l'évaluation de l'augmentation des charges qui en résulte pour les collectivités concernées mais également les modalités de compensation envisagées. Au cours de la dernière décennie en effet, les lois de décentralisation ont trop souvent « passé sous silence » la question financière, faute de transparence suffisante sur ce point de la part de l'État. À titre d'exemple, la loi « NOTRe » de 2015 a ainsi prévu d'importants transferts de compétences en matière économique aux régions, sans en prévoir les modalités de financement et sans que les travaux préparatoires ne permettent au législateur d'en mesurer précisément l'impact.
La loi organique relative aux lois de finances, dans sa version en vigueur, n'impose pas aux lois de programmation des finances publiques (LPFP) de donner des précisions quant à l'évolution programmée des transferts financiers de l'État aux collectivités territoriales alors même que ces précisions seraient de nature à offrir aux collectivités la visibilité nécessaire sur leurs ressources. Dans ce contexte, l'article 5 de la présente proposition de loi organique a pour objectif de renverser la logique présidant actuellement à la conception des projets de LPFP, en faisant de ces dernières non pas un outil de contrainte sur les budgets locaux comme elles le furent trop souvent par le passé mais bien un instrument d'accompagnement, en prévoyant une trajectoire la plus complète possible des ressources en provenance de l'État qui détaillera l'ensemble des prélèvements sur les recettes de l'État, des crédits du budget général de l'État alloués aux collectivités et des impôts d'État transférés ou partagés. Sur ce dernier point, les ressources attribuées pour la mise en oeuvre des règles prévues au cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, c'est-à-dire à la suite d'un transfert, de la création, de l'extension ou de modifications de l'exercice d'une compétence, devront désormais être identifiées de manière distincte.
Le chapitre III vise à renforcer l'efficacité de l'État territorial et la cohérence de son action par une extension du pouvoir de dérogation reconnu aux préfets. Il complète ainsi la proposition de loi constitutionnelle susmentionnée, en faisant du représentant de l'État dans les territoires le garant tant du respect que de « l'application » de la loi.
Afin de favoriser la cohérence de la réponse de l'État en cas de crise, l'article 6 tend à élever au rang organique et à élargir le champ des dispositions législatives permettant de conférer temporairement au préfet de département une autorité sur les services et les établissements publics de l'État ayant un champ territorial.
L'article 7 vise à consacrer au niveau organique le pouvoir de dérogation ouvert aux préfets de département et de région dans un certain nombre de matières relevant de la compétence de l'État. Il s'agit d'encourager le recours à ce dispositif, qui constitue un outil d'adaptation de l'action de l'État aux réalités et aux projets locaux.
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* 1 Rapport de François-Noël Buffet, rapporteur général, Mathieu Darnaud, Françoise Gatel et Jean-François Husson, co-rapporteurs, Quinze propositions pour rendre aux élus locaux leur « pouvoir d'agir », 6 juillet 2023.