EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Au 10 mai 2023, à mi-mandat, 1 078 maires parmi ceux élus en 2020 avaient déjà démissionné volontairement, ce qui représente, en à peine trois ans, plus de 3 % de l'effectif total des maires. Le niveau sans précédent de ces démissions illustre le constat, déjà dressé depuis plusieurs années par le Sénat, d'une crise de l'engagement local.
Comme le soulignait le rapport de la mission d'information du Sénat sur l'avenir de la commune et du maire, publié en juillet 20231(*), « peu à peu, sous l'effet de la dégradation des conditions d'exercice du mandat municipal, l'écart se creuse entre les aspirations des élus municipaux et la réalité de leur mandat. ». Confrontés à cette situation, les élus locaux, et particulièrement les maires, éprouvent bien souvent un sentiment de lassitude et de découragement2(*), ainsi que le relevait le groupe de travail sur la décentralisation réuni par le Président du Sénat à la même époque.
Alors que les exigences et modalités d'exercice du mandat ont évolué dans le sens d'une professionnalisation croissante, force est de constater, en dépit des avancées obtenues ces dernières années sous l'impulsion du Sénat, que les droits et garanties reconnus aux élus n'ont pas progressé au même rythme.
Citoyens quotidiennement dévoués au service de la collectivité et de la démocratie locale, placés en première ligne face aux changements de la société et au climat de défiance qui la gagne, les élus locaux méritent que leur engagement soit reconnu à sa juste valeur. Il s'agit là d'une exigence démocratique majeure, à laquelle seule la reconnaissance d'un statut de l'élu local est susceptible d'apporter une réponse appropriée.
Soucieuse de répondre à ces attentes légitimes, la délégation aux collectivités territoriales du Sénat a, dès 20183(*), consacré des travaux au statut de l'élu, en s'appuyant sur des remontées et témoignages directs des élus locaux, qui ont été à la base de premières améliorations apportées dans la loi « Engagement et proximité » de 2019. Poursuivant ce travail, elle a créé en octobre 2023 trois missions d'information portant respectivement sur le régime indemnitaire des élus, la facilitation de l'engagement dans le mandat local et l'amélioration des conditions de son exercice, et la réussite de « l'après-mandat », qui ont donné lieu à trois rapports4(*) dont la présente proposition de loi entend mettre en oeuvre les préconisations.
Face au risque latent d'un approfondissement de la crise des vocations à l'horizon 2026, il est urgent d'agir et d'instituer un véritable statut, que les élus locaux appellent de leurs voeux. À cette fin, la présente proposition de loi poursuit un double objectif : d'une part, améliorer les conditions d'exercice du mandat en les adaptant à la multiplicité des profils d'élus, notamment ceux engagés dans la vie professionnelle et, d'autre part, sécuriser le parcours des élus en favorisant leur reconversion et la valorisation des compétences acquises lors du mandat.
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Le titre Ier vise à reconnaître l'engagement des élus locaux à sa juste valeur en améliorant leur régime indemnitaire.
À cet effet, l'article 1er procède à l'augmentation des indemnités de fonction versées aux maires. Dans le contexte inflationniste actuel (+ 5 % en 2022 et 2023), il apparaît en effet impératif de mieux indemniser les maires, de sorte que la reconnaissance qui leur est due ne s'en trouve dévalorisée.
Dans la même optique, l'article 2 a pour objet, d'une part, d'étendre aux adjoints la règle, actuellement applicable aux maires, selon laquelle les indemnités de fonction sont fixées au maximum légal, sauf délibération contraire du conseil municipal. D'autre part, il modifie le mode de calcul de l'enveloppe indemnitaire globale de façon à mieux indemniser les conseillers municipaux.
L'article 3 vise à améliorer le régime de retraite des élus locaux dans le sens d'une meilleure prise en compte de leur engagement au service de la collectivité, en leur accordant une bonification d'un trimestre par mandat complet.
Enfin, l'article 4 prévoit deux mesures visant à renforcer l'engagement de l'État envers les communes, qui sont confrontées à une érosion constante de leurs ressources financières.
En premier lieu, il propose de rehausser le seuil d'éligibilité des communes à la dotation particulière « élu local » (DPEL) de 1 000 à 3 500 habitants. L'entrée en vigueur de cette mesure serait différée, pour permettre l'augmentation concomitante des crédits de la DPEL dans le prochain projet de finances.
En second lieu, il prévoit la remise au Parlement d'un rapport relatif aux coûts pesant sur les communes et liés aux missions exercées par les maires au nom de l'État. En effet, une part conséquente des tâches qui incombent aux maires découle de leur qualité d'agent de l'État. L'estimation qui résultera de ce rapport devra impérativement conduire à la création d'une contribution de l'État au bénéfice des communes, destinée à compenser l'activité des maires agissant pour le compte de l'État.
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Le titre II a pour objectif de faciliter l'engagement des élus locaux et d'améliorer les conditions d'exercice du mandat.
Le chapitre Ier vise à améliorer les conditions matérielles d'exercice du mandat.
Ainsi, l'article 5 propose d'améliorer la prise en charge par la collectivité des frais de transport engagés par les élus dans le cadre de leur mandat. Alors qu'il s'agit aujourd'hui d'une simple faculté, il tend à rendre obligatoire le remboursement des frais de transport engagés par les élus pour se rendre à des réunions dans des instances ou organismes où ils représentent leur commune ès qualités, lorsque la réunion a lieu hors du territoire de celle-ci.
Dans la même logique, l'article 6 entend permettre la prise en charge des frais de représentation des présidents de conseil départemental et de conseil régional par les départements et les régions, à l'instar de ce qui est actuellement prévu pour les maires.
L'article 7 permettrait au maire de recourir à la visioconférence pour les réunions des commissions constituées par le conseil municipal, le règlement intérieur précisant les limites dans lesquelles il peut être fait usage de cette faculté.
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Le chapitre II vise à faciliter la conciliation du mandat avec l'exercice d'une activité professionnelle.
Afin de favoriser l'engagement des salariés, l'article 8 tend à porter de dix à vingt jours le nombre maximum de jours d'autorisation d'absence dont peuvent bénéficier les candidats à une élection locale, alignant cette durée sur celle aujourd'hui octroyée aux candidats aux élections législatives et sénatoriales.
Par ailleurs, faciliter la conciliation entre la poursuite d'une activité professionnelle et l'exercice d'un mandat local implique une meilleure prise en compte des contraintes croissantes auxquelles doivent faire face les élus. L'article 9 entend ainsi faciliter le recours aux autorisations d'absence pour les maires, en étendant leur champ aux cérémonies publiques et en permettant une dérogation au régime déclaratif préalable lorsque le maire est confronté à une situation de crise ou d'urgence. En outre, il vise à rendre possible le recours aux autorisations d'absence pour la participation aux réunions rendues nécessaires à l'élaboration de certains documents stratégiques au niveau intercommunal (SCoT, PLUi, PLH, PCAET...). L'article propose, enfin, de porter d'un et demi à deux fois la valeur du SMIC horaire le plafond du remboursement, ouvert aux conseillers municipaux ne bénéficiant pas d'indemnités de fonction, des pertes de revenus qu'ils subissent en raison des autorisations légales d'absence rendues nécessaires pour participer aux travaux de leur collectivité.
Afin de favoriser l'insertion professionnelle des élus, l'article 10 tend à créer un label « Employeur partenaire de la démocratie locale » destiné aux entreprises employant des élus locaux, afin de les récompenser et de reconnaître leur engagement. L'attribution de ce label ouvrirait notamment aux entreprises concernées le bénéfice d'une réduction d'impôt au titre du mécénat lorsqu'elles rémunèrent les temps d'absence octroyés aux élus pour se consacrer aux activités liées à l'exercice de leur mandat.
L'article 11 propose de prendre en compte la qualité d'élu local lors de l'entretien professionnel prévu pour les salariés, afin de permettre aux salariés titulaires d'un mandat local d'évoquer avec leur employeur les mesures destinées à faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et l'exercice du mandat.
L'article 12 porte création d'un statut de l'élu étudiant, en prévoyant des aménagements spécifiques dans l'organisation et le déroulement de la scolarité des étudiants titulaires d'un mandat électif ainsi que le remboursement des frais engagés par l'élu pour se déplacer entre sa commune d'élection et son lieu d'étude.
Parallèlement, il apparaît indispensable de renforcer l'attractivité des mandats locaux, et particulièrement d'être en mesure de susciter l'engagement d'une diversité de profils de citoyens. Or, les personnes en situation de handicap demeurent encore sous-représentées parmi les élus locaux. En réponse à ce constat, l'article 13 prévoit plusieurs mesures destinées à encourager les vocations des citoyens en situation de handicap et à faciliter l'exercice de leur mandat.
Enfin, face à la complexification des missions des élus locaux, leur formation doit être accentuée.
À cet effet, l'article 14 prévoit d'ouvrir aux élus des communes de moins de 3 500 habitants les formations du Centre national de la fonction publique territoriale. Cet article permettrait également aux candidats à un mandat électif local de bénéficier des formations ouvertes aux élus locaux dans le cadre de leur compte personnel de formation.
L'article 15 vise à porter à vingt-quatre jours, contre dix-huit aujourd'hui, la durée maximale du congé de formation des élus. Il permettrait, en outre, en cas de création d'une commune nouvelle, que les crédits relatifs aux dépenses de formation n'ayant pas été consommés par les anciennes communes soient affectés en totalité au budget de l'exercice suivant de la commune nouvelle.
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Le chapitre III tend à faciliter la conciliation entre l'exercice du mandat et la vie personnelle de l'élu.
Pour cela, l'article 16 facilite la prise en charge des frais de garde d'enfant ou d'assistance aux personnes âgées ou en situation de handicap. À cet égard, il étend aux communes de moins de 10 000 habitants la compensation par l'État des frais de garde engagés par les élus pour la participation aux réunions liées à l'exercice de leur mandat. Il ouvre également aux communes de moins de 3 500 habitants la possibilité de prendre en charge ces mêmes frais de garde lorsqu'ils ont été engagés, par le maire et ses adjoints, en raison leur participation aux activités liées à l'exercice de leur mandat.
L'article 17 procède, quant à lui, à l'assouplissement les conditions dans lesquelles les élus locaux peuvent poursuivre l'exercice de leur mandat durant leur congé maladie, en cumulant indemnités journalières et indemnités de fonction. Il est proposé d'ouvrir cette faculté aux élus, à la double condition qu'ils soient volontaires pour continuer à exercer leurs fonctions et qu'ils n'aient reçu aucune contre-indication d'ordre médical. Il étend cette mesure aux cas dans lesquels les élus sollicitent leur droit au congé maternité ou paternité.
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Enfin, le chapitre IV a pour objet de sécuriser l'engagement des élus et de les accompagner dans le respect de leurs obligations déontologiques.
En premier lieu, l'article 18 tend à modifier l'article 432-12 du code pénal relatif à la prise illégale d'intérêt, en prévoyant que cette infraction ne peut être constituée lorsque l'intérêt porté par l'élu est un intérêt public.
L'article 19 vise à rendre automatique l'octroi de la protection fonctionnelle pour l'ensemble des élus locaux victimes de violences, de menaces ou d'outrages, qu'ils aient ou non une fonction exécutive ; l'organe délibérant de la collectivité territoriale concernée pourrait retirer le bénéfice de cette protection fonctionnelle ou en restreindre le champ par une délibération motivée par un motif d'intérêt général. Il prévoit la compensation partielle ou totale par l'État des frais induits pour les collectivités territoriales.
L'article 20 vise à préciser que la protection fonctionnelle en cas de poursuites civiles ou pénales à l'encontre d'un membre d'un exécutif local s'applique dès le début de la procédure judiciaire, et couvre ainsi également l'audition libre.
L'article 21 tend à aligner le régime de la responsabilité en cas d'accident des conseillers municipaux sur celui des maires et de leurs adjoints, en prévoyant que les communes sont responsables des dommages subis par les conseillers municipaux et les délégués spéciaux lors qu'ils sont victimes d'accidents survenus dans l'exercice de leurs fonctions.
L'article 22 vise à mieux encadrer les demandes susceptibles d'être adressées par les établissements bancaires aux personnes politiquement exposées et à permettre à l'Autorité de contrôle prudentielle et de résolution (ACPR) d'exercer son contrôle, afin de ne pas restreindre la capacité de ces personnes et, le cas échéant, des membres de leur famille, à accéder aux services financiers sans raison valable.
L'article 23 tend à intégrer, dans la Charte de l'élu local, une référence aux valeurs de la République et prévoit que le maire ou le président de l'exécutif nouvellement élu devra s'engager publiquement à respecter ces valeurs.
En second lieu, si les élus doivent bénéficier de droits et de garanties à la hauteur de leur engagement, il convient également de leur donner les moyens d'assurer le respect des devoirs induits par l'exercice d'un mandat local. Dans cette perspective, l'article 24 entend faciliter le recours par les élus au référent déontologue en permettant aux communes de les mutualiser à l'échelle intercommunale. Parallèlement, il entend renforcer les devoirs déontologiques incombant aux élus en introduisant une obligation de déclarer les avantages et invitations qu'ils reçoivent à raison de leur mandat et dont la valeur est supérieure à 150 euros.
Au-delà de ces mesures législatives, le renforcement du statut de l'élu nécessite que les élus locaux soient mieux informés sur les droits et devoirs attachés à leur mandat ainsi qu'aux missions leur incombant. Ainsi, les mesures portées par cette proposition de loi pourraient être utilement complétées par une fiche synthétique, élaborée et diffusée (notamment via Internet) par la direction générale des collectivités locales (DGCL) à l'attention de l'ensemble des élus locaux.
De même, pourrait être systématisée l'organisation d'une formation de deux jours en début de mandat, afin de présenter aux nouveaux élus locaux leur rôle et leur rappeler leurs droits ainsi que leurs devoirs.
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En troisième lieu, le titre III a pour objectif de sécuriser la sortie de mandat des élus locaux.
À cette fin, l'article 25 prévoit, pour tout maire ou adjoint dont le mandat arrive à expiration, de rendre automatique le bilan de compétence et la démarche de validation des acquis de l'expérience. Si l'intéressé adresse sa demande de validation des acquis de l'expérience au moins six mois avant la fin de son mandat, il obtiendra du jury compétent une réponse avant les prochaines élections. En outre, cet article propose l'instauration, en s'inspirant du dispositif existant pour les responsables syndicaux, d'un système de certification professionnelle destiné à améliorer la reconnaissance des compétences acquises par les élus locaux au cours de leur mandat.
La trajectoire professionnelle d'une personne ne doit pas être défavorisée en raison de l'exercice d'un mandat local. Poursuivant cet objectif, l'article 26 étend d'abord le bénéfice de l'allocation différentielle de fin de mandat (ADFM) à tout maire d'une commune de 500 habitants ou plus et à tout adjoint d'une commune de 3500 habitants ou plus. Le même article rattache la gestion du fonds d'allocation des élus en fin de mandat (FAEFM) à France Travail et prévoit d'ouvrir aux anciens élus percevant l'ADFM le bénéfice d'un dispositif d'accompagnement sur le modèle des contrats de sécurisation professionnelle.
Les maires et adjoints peuvent actuellement bénéficier de la suspension de leur contrat de travail pour la durée de leur mandat. En vue d'améliorer leur situation professionnelle à l'issue du mandat, l'article 27 vise, lorsque ces derniers usent de leur droit à réintégration dans l'entreprise, à permettre d'intégrer la durée de suspension du contrat dans le calcul de l'ancienneté prise en compte pour déterminer la durée du préavis de licenciement et le montant des indemnités auxquelles a droit le salarié. Dans la même optique, cet article tend à permettre l'intégration des crédits d'heures dans le calcul de la durée d'affiliation nécessaire pour bénéficier de l'allocation de retour à l'emploi (ARE).
Enfin, la crise de l'engagement local trouve notamment ses racines dans l'insuffisante reconnaissance de l'engagement des élus. Si cette reconnaissance passe par l'amélioration des conditions d'exercice du mandat, elle repose également sur des mesures de portée plus symbolique. Ainsi, l'article 28 propose de réduire à douze ans la durée requise pour bénéficier de l'honorariat municipal, ce qui correspond à l'accomplissement de deux mandats complets au service de la collectivité.
L'article 29 vise à assurer la recevabilité financière de la proposition de loi.
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* 1 Rapport d'information n° 851 (2022-2023) de M. Mathieu Darnaud au nom de la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire présidée par Maryse Carrère, « Avis de tempête sur la démocratie locale : soignons le mal des maires », 5 juillet 2023.
* 2 Rapport du groupe de travail du Sénat sur la décentralisation, « Libre administration, simplification, libertés locales : 15 propositions pour rendre aux élus locaux leur "pouvoir d'agir" », 6 juillet 2023.
* 3 Rapport d'information n° 642 (2017-2018), tome I à VI, « Faciliter l'exercice des mandats locaux », Françoise Gatel et Éric Kerrouche, 5 juillet 2018.
* 4 Rapport d'information n° 121 (2023-2024), « Indemnités des élus locaux : reconnaître l'engagement à sa juste valeur », Françoise Gatel, François Bonhomme et Éric Kerrouche, 16 novembre 2023 - Rapport d'information n° 215 (2023-2024), « Faciliter l'exercice du mandat local », Nadine Bellurot, Pascal Martin et Guylène Pantel, 14 décembre 2023 - Rapport d'information n° 216 (2023-2024) relatif à la sortie de mandat des élus, Agnès Canayer, Thierry Cozic et Gérard Lahellec, 14 décembre 2023.