EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les sols constituent l'essence de notre écosystème. Le professeur Marc-André Selosse y voit même « le placenta du vivant et de l'humanité » pour souligner l'interaction fondamentale entre le sol et la vie1(*).
Cette couche interstitielle, l'interface entre la biosphère et l'atmosphère, fournit un ensemble de services directs et indirects qui assurent à l'humanité son existence. Souvent pensé comme un simple support, le sol est en réalité « un maillon indispensable au bon fonctionnement des écosystèmes » qui n'est de surcroît pas une ressource renouvelable au vu du temps qu'a demandé sa formation2(*).
Le sol est un agent essentiel de la régulation du climat au travers de ses multiples services écosystémiques du cycle de l'eau à la fertilité des océans, de notre alimentation à la captation du carbone en passant par la dimension culturelle de nos paysages.
Comme le souligne très justement le dernier rapport du Haut Conseil pour le Climat, la baisse déjà constatée des puits de carbone du secteur UTCATF3(*) impliquera « des efforts supplémentaires pour le secteur agricole de réductions d'émissions ou d'augmentation des absorptions des gaz aÌ effet de serre, par exemple via une augmentation du stockage de carbone dans les sols4(*). »
Devant ces injonctions entièrement justifiées et de nature à remettre à l'agenda parlementaire les externalités positives des services environnementaux rendus par les sols, il nous faut bien reconnaître une certaine passivité de la part des pouvoirs publics pour mettre en oeuvre la grande transformation de nos modes d'exploitation mais aussi reconnaître dans notre droit positif les vertus désormais avérées du sol.
Pour autant, rien ne justifie que nous baissions les bras et la résilience de la nature nous démontre que l'adaptation, par le changement de nos pratiques et le développement de nos connaissances, est efficace.
Face aux changements climatiques, nous remarquons aujourd'hui un emballement de réflexes techniques ou technologiques visant à maintenir le statu quo plutôt que de repenser la vertu écologique de nos modèles de production : multiplication des retenues face au manque d'eau, poursuite de l'utilisation des intrants, peu de changements sur les pratiques culturales, etc. Toutes ces pratiques participent d'un certain malaise de plus en plus évident entre la société et les travailleurs de la terre mais aussi les élus territoriaux souvent pris en tenaille entre l'intérêt économique et l'intérêt général. Les groupes de pression l'ont bien compris et jouent de cette incompatibilité apparente pour favoriser un laissez faire délétère.
Le constat de l'urgence climatique n'est plus à faire. Si nous continuons dans cette voie, nous ne réussirons ni à tenir nos engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ni à stabiliser le climat, ni à garantir à tout un chacun « le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » conformément à l'article 1er de la Charte de l'environnement. Nous ne pouvons pas gager notre avenir au nom du maintien d'intérêts économiques ou sectoriels de court-terme.
Pour notre agriculture, pour notre biodiversité, pour nos ressources en eau et pour notre jeunesse, les services écosystémiques rendus par les sols doivent intégrer notre droit afin de ressouder les vivants à la terre. Face au défi majeur de notre ère que constitue la préservation d'une planète vivable, les sols représentent la clef de notre action environnementale et politique.
Si les chercheurs ont démontré de longue date la dégradation des sols français, ils sont également témoins de l'absence de réponse publique ou privée dans la préservation et la restauration de ce bien commun. Malgré des discussions européennes qui peinent à offrir des perspectives ambitieuses, le sol est le seul milieu naturel à ne pas être couvert par une politique nationale dédiée à sa protection. C'est tout l'objet de cette proposition de loi.
Depuis une soixantaine d'années, les scientifiques alertent sur les conséquences délétères des produits phytosanitaires sur la biodiversité inféodée au sol, qui représente un quart des espèces de notre planète. Or, 98% de nos terres agricoles françaises sont contaminées par une substance phytosanitaire au moins5(*). La dégradation des sols réduit leur capacité de séquestration du carbone, emportant des conséquences à la fois locales sur la santé des sols et globales à mettre en regard avec la réduction des gaz à effet de serre.
Combiné à des précipitations de plus en plus intenses, la détérioration des sols augmente également l'érosion et les risques de mouvements de terrain. Persister dans cette impasse remet dès à présent en cause la pérennité du substrat sur lequel nos cultures croissent et crée les conditions des pénuries futures. Préserver les sols est donc une mesure de sécurité alimentaire sur le long terme.
Plus largement, selon une étude globale de l'Observatoire européen des sols en date de mars 2023, plus de 60 % des sols continentaux sont dégradés : perte de carbone organique du sol, perte de biodiversité et dégradation des tourbières sont les phénomènes principalement identifiés. Malgré les limites de cette cartographie à l'échelle européenne notamment en termes de données, ce travail est néanmoins salué par les scientifiques car il permet de rendre compte du niveau de dégradation et d'informer les citoyens européens sur l'ampleur de la problématique.
Parallèlement, le départ massif d'agriculteurs à la retraite sans transmission d'activité fait augmenter à la fois l'artificialisation par la valorisation foncière et la taille des exploitations, freinant des changements vers des pratiques agricoles plus vertueuses6(*).
Le Groupement d'intérêt scientifique sur les sols (GIS Sol), en charge du Réseau de mesure de la qualité des sols (RMQS), dispose d'un budget équivalent à 4 centimes par hectare de terres, en décalage total avec les besoins pour connaître suffisamment les sols français. C'est d'ailleurs ce que souligne un rapport conjoint du CGEDD et du CGAAER de 2020 qui appelait à un renforcement de cette connaissance7(*). Les scientifiques mettent en exergue les lacunes en matière d'approche multifonctionnelle des sols, permettant d'identifier leur qualité à l'aune de toutes leurs fonctions essentielles. Enfin, les différents acteurs des secteurs agricole et forestier appellent à la création d'un organisme de centralisation des politiques et des savoirs relatifs aux sols.
C'est donc en toute logique que la protection des sols constitue le troisième pilier du Pacte vert européen au moyen d'une proposition de directive sur la surveillance et la résilience des sols. Le 12 juillet dernier, le Parlement européen a voté favorablement sur la proposition de la commission sur la loi européenne sur la restauration de la nature. Ce vote est de bon augure pour la mise en place d'une véritable politique publique pour les sols.
Alors que, dès à présent, des associations de défense de l'environnement critiquent certains reculs du texte européen, notre pays doit se saisir de cet enjeu pour transformer la contrainte apparente de court terme en outil du changement et en une opportunité réconciliant les objectifs écologiques et économiques. La France dispose aujourd'hui d'outils efficaces de mesure de la qualité des sols et de centres de recherche compétents. Elle ne peut, plus avant, être en retrait sur ce volet essentiel de l'adaptation au réchauffement climatique et de protection de la santé humaine.
Au niveau national, si des politiques sectorielles émergent, à limage du principe du zéro artificialisation nette (ZAN), les sols ne bénéficient pas de structure d'administration dédiée à la différence d'autres domaines comme l'énergie, l'eau ou la biodiversité. Les politiques de protection des sols pâtissent du manque de connaissances globales et précises sur l'état des sols. En l'absence d'une politique ambitieuse de l'État en la matière, il est grand temps que le Législateur se saisisse de cette problématique majeure en posant un cadre renouvelé et cohérent sans ajouter de contraintes indépassables pour les acteurs concernés.
Le sens de la présente proposition de loi est bien d'ouvrir la voie à des politiques structurelles en matière de protection des sols et de donner enfin un cadre juridique à leur reconnaissance.
Ainsi, l'article 1er consacre la qualité des sols comme patrimoine commun de la nation, au même titre que l'eau et l'air. Cette reconnaissance est un prérequis nécessaire à la mise en oeuvre de politiques à la hauteur des enjeux posés par la santé des sols. Il s'agit ici de modifier la rédaction de l'article L.110-1 du Code de l'environnement afin de faire figurer le sol comme élément constitutif du patrimoine commun de la nation, dans le respect du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre. C'est une reconnaissance de la valeur des sols dans le code de l'environnement qui est la clef de voûte de l'ensemble de cette proposition de loi.
L'article 2 précise le régime juridique des sols, notamment en indiquant les différentes fonctions écosystémiques qu'ils remplissent. Il institue également un Plan quinquennal pour la protection et la résilience des sols, revendication des acteurs et des experts, marque de la planification indispensable à la réponse que nous devons apporter aux problèmes écologiques. Ce Plan aura pour objectif d'élaborer une stratégie nationale et territoriale de protection et de résilience des sols pour éviter leur dégradation, pour réduire les impacts négatifs des valeurs d'usage et promouvoir la restauration des services écosystémiques.
Afin d'initier un véritable tournant dans la gestion des sols, ce même article crée un nouvel outil de diagnostic de performance écologique des sols visant à alimenter à la fois les exploitants agricoles ou forestiers mais également la base de données nationale créée à l'article précédent. Ce nouveau diagnostic est rendu possible par les travaux de l'ADEME qui, dans une récente étude, a identifié des indicateurs efficaces permettant d'évaluer le fonctionnement des sols8(*).
Par ailleurs, par souci d'efficacité et d'application effective de cette mesure, cet article précise que le financement de l'établissement du diagnostic de performance écologique des sols sera pris en charge par l'État pour les exploitations dont la superficie est inférieure à 50 hectares. Ce seuil permettra de préserver, selon les chiffres de l'INSEE, près de 60 % des petites et moyennes exploitations9(*).
L'article prévoit également que le diagnostic soit accompagné de recommandations dans l'exploitation de l'immeuble afin de préserver ou d'améliorer la performance écologique du sol. Une telle démarche a par exemple été initiée dans le cadre du projet « Agro-Eco Sol » coordonné par Auréa AgroSciences avec INRAE et Arvalis comme partenaires et financé par l'ADEME. Ce projet, qui s'est achevé au printemps 2023, visait à développer une filière technique et économique sur le diagnostic et le conseil pour une gestion agroécologique des sols cultivés10(*). Il s'agit ici de généraliser et valoriser cette démarche vertueuse.
L'article 3 consacre une nouvelle architecture institutionnelle et renforce la clarté de la gouvernance en matière de protection des sols en créant un interlocuteur unique : le haut-commissaire à la protection et à la résilience des sols. Ce haut-commissariat assurera le suivi et l'évaluation de la mise en oeuvre du Plan. Le haut-commissaire participera également à la rationalisation de la connaissance des sols de France en devenant le coordinateur central des données au service d'un schéma national des données sur les sols. Le Conseil national de la transition écologique, organe collégial de consultation, rendra un avis relatif à la planification.
De plus, il est proposé que les orientations nationales établies par cette nouvelle gouvernance en matière de sols soient incluses dans les objectifs de l'élaboration des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) pour assurer la cohérence de la protection des sols et l'efficacité des politiques mise en oeuvre par l'État et les collectivités territoriales.
En dernier lieu, l'article 4 prévoit les dispositions relatives à la compensation de la charge pour l'État de l'ensemble de ces mesures destinées à préserver nos sols vivants.
* 1 Pour une introduction aux recherches de Marc-André SELOSSE, voir : https://www.lacharente.fr/no-cache/acces-direct/actualites/details/actualites/conference-sur-le-sol-vivant-marc-andre-selosse/.
* 2 COURTOUX, Agnès, CLAVIROLE, Cécile, Avis du CESE, « La bonne gestion des sols agricoles, un enjeu de société », 13 mai 2015, p. 9.
* 3 Le secteur UTCATF (Utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresterie) permet de rapporter les flux de CO2 entre différents réservoirs terrestres (biomasse, sols, etc.) et l'atmosphère qui ont lieu sur les surfaces gérées d'un territoire.
* 4 https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2023/06/HCC_RA_2023-web-opti-1.pdf, pp. 104-107.
* 5 FROGER C., JOLIVET C., BUDZINSKI H. et al. (2023), “Pesticide Residues in French Soils: Occurrence, Risks, and Persistence”, Environmental Science & Technology, 57, 20, 7818-27, DOI: 10.1021/acs.est.2c09591.
* 6 https://tnova.fr/ecologie/transition-energetique/proteger-et-soigner-les-sols/.
* 7 GITTON, Claude, CGEDD ; FALLON, Gérard, CGAAER, Étude de parangonnage sur les dispositifs d'information concernant la qualité des sols, Juin 2020 (Rapport CGEDD n°013156-01 et CGAAER n°19104).
* 8 https://librairie.ademe.fr/produire-autrement/290-diagnostic-de-la-qualite-des-sols-agricoles-et-forestiers.html.
* 9 https://www.insee.fr/fr/statistiques/3676823?sommaire=3696937#:~:text=Moins%20nombreuses%2C%20les%20exploitations%20s,en%20cultive%20plus%20de%2093.