EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La liberté d'association est un pilier de la République française. Consacrée par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, puis par la décision du conseil constitutionnel n°71-44 DC du 16 juillet 1971 qui lui confère le statut de principe fondamental reconnu par les lois de la République, cette liberté est vitale pour la vie de la Cité. Que ce soit dans des domaines aussi essentiels que le sport, la culture, la préservation de l'environnement ou l'éducation populaire, le tissu associatif et ses 170 000 employeurs font vivre près de 2 200 000 de salariés, soit 10 % du total du secteur privé. 21 millions de bénévoles en font aujourd'hui sa richesse.

Pourtant, ces dernières années, les attaques contre les libertés associatives se sont multipliées. La loi confortant le respect des principes de la République a introduit le contrat d'engagement républicain qui constitue un outil puissant d'entrave à la liberté associative, notamment lorsqu'il est instrumentalisé contre les associations les plus militantes.

Si officiellement, le contrat d'engagement républicain a pour vocation d'assurer que les associations respectent « les principes de liberté, égalité, fraternité, de la dignité humaine et des symboles de la République », ne remettent pas en cause « le caractère laïque de la République » et s'abstiennent « de toute action portant atteinte aÌ l'ordre public », la réalité est toute autre. Le contrat d'engagement républicain est détourné de ses objectifs initiaux et a instauré une véritable défiance à l'égard des associations et des bénévoles qui les font vivre, sans lien avec une quelconque lutte contre le terrorisme ou la protection des principes et valeurs de la République. Le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l'homme alertaient déjà sur ce point à l'époque du projet de loi confortant le respect des principes de la République, déclarant que le contrat d'engagement républicain constituait un risque d'atteinte aux libertés d'association et d'expression. C'est aujourd'hui avéré.

Un an après sa mise en place, le contrat d'engagement républicain a principalement été utilisé pour stigmatiser plus d'une centaine d'associations dont les activités ont été restreintes voire entravées par les pouvoirs publics. L'autorité administrative, par le biais des préfets, a interprété de manière extensive et arbitraire les principes et valeurs contenus dans le contrat d'engagement républicain pour entraver les associations dans leur bon droit et leurs financements.

Les exemples sont nombreux. Alternatiba Poitiers s'est vu retirer des subventions parce qu'elle organisait un atelier sur la désobéissance civile non-violente. Le maire de Châlons-sur-Saône a interdit un stand du Planning Familial à cause de la présence d'une femme voilée sur une affiche promouvant l'évènement - une décision qui a été annulée par le tribunal administratif et le Conseil d'État. Des témoignages de membres de différents comités consultatifs départementaux du fonds de développement de la vie associative (FDVA) rapportent que plusieurs associations corréziennes ont été écartées d'office de l'accès aux subventions FDVA par la préfète. Cette décision sans lien avec les critères établis pour l'attribution des subventions FDVA aurait été motivée par la supposition que ces associations - notamment une association promouvant le pastoralisme dans la montagne limousine - ne respecteraient pas le contrat d'engagement républicain.

S'attaquer aux subventions publiques des associations qui représentent une part importante de leur budget revient à entraver leur bon fonctionnement. Le contrat d'engagement républicain crée une insécurité juridique et financière pour les associations et fait peser une responsabilité juridique disproportionnée sur leurs dirigeants et fragilise la vie associative. Il agit comme un bâillon, notamment envers les associations qui font vivre le débat démocratique en interpellant les autorités publiques.

Cette forme de chantage aux subventions pour des motifs politiques est particulièrement délétère pour la vitalité et la diversité du monde associatif. En effet, elle produit, de fait, une forme d'auto-censure de la part de ces structures, qui anticipent de possibles difficultés financières liées à leurs prises de position. Dans la patrie des droits de l'homme et du citoyen, cette entrave n'est pas acceptable.

Par ailleurs, en s'immisçant dans les relations entre les collectivités territoriales et les associations, en exerçant - à des visées politiques, comme cela a été le cas pour Alternatiba Poitiers - un droit de regard sur le soutien de ces collectivités envers leur tissu associatif local, en désignant de “mauvaises associations” qu'il ne faudrait pas subventionner, l'État contrevient au principe de libre administration des collectivités.

Pour toutes ces raisons, cette proposition de loi dans son premier article abroge le Contrat d'Engagement Républicain.

À ces entraves qui visent les associations, s'ajoute aussi un outil de répression arbitraire de la part des plus hautes instances de l'État. L'article L212-1 du code de la sécurité intérieure donne pouvoir au Gouvernement de dissoudre en conseil des ministres des associations ou groupement de fait qui présenteraient une menace envers les libertés individuelles et la sûreté de l'État, notamment en appelant à la lutte armée, ou à la haine. Dans sa rédaction initiale, cet article permettait déjà des dissolutions à visée politique, comme en témoigne la dissolution en décembre 2020 du Collectif contre l'islamophobie en France qui envoyait un premier signal inquiétant pour la démocratie et la protection des associations et des minorités en France.

La loi confortant le respect des principes de la République a encore renforcé cet article pour permettre la dissolution de tous les groupes « qui provoquent [...] à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens ». Cette nouvelle formulation très large ouvre un champ de possibles dissolutions très large. Si les groupes violents et extrémistes doivent naturellement être combattus avec la plus grande fermeté par le Gouvernement, en revanche l'expression « provoquer à des agissements violents à l'encontre des bien », par son imprécision juridique, a permis de cibler encore davantage des groupements jugés indésirables par le pouvoir en place.

Ainsi, le Gouvernement a usé de ce dispositif pour dissoudre le collectif Groupe antifasciste Lyon et environs (GALE) et le collectif les Soulèvements de la Terre. Si la décision concernant GALE a finalement été cassée par le Conseil d'État, il convient de mettre un terme à ces velléités de dissolution abusives et de restreindre ce dispositif aux groupes qui représentent réellement une menace pour la République.

La présente proposition de loi entend donc réécrire le premier alinéa afin de restreindre les possibilités d'arbitraire tout en maintenant la possibilité de dissolution pour les groupes expressément violents.

Les associations sont des vecteurs essentiels de la vie de la cité. Elles font vivre la démocratie, le débat d'idées et le pluralisme. Les auteurs de la présente proposition de loi souhaitent en finir avec une vision autoritaire et délétère du monde associatif et garantir pleinement les libertés d'association, de réunion et d'expression. Ils proposent ainsi plusieurs mesures pour y veiller.

L'article 1 de cette proposition de loi propose d'abroger le contrat d'engagement républicain, fer de lance de l'entrave financière à l'encontre des associations.

L'article 2 prévoit quant à lui de préciser, au sein du 1° de l'article L212-1 du code de la sécurité intérieure donnant pouvoir au Gouvernement de dissoudre en conseil des ministres des associations ou groupement de fait, qu'une dissolution ne peut avoir lieu uniquement dans le cas où l'association ou le groupement concerné appelle explicitement à la violence contre les personnes.