EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Après un bref repli à la suite de la pandémie de Covid-19, les flux migratoires, réguliers comme irréguliers, ont renoué avec des niveaux élevés. Avec plus de 320 000 primo-délivrances, la France n'a jamais délivré autant de titres de séjour qu'en 2022 (+ 17,2 % par rapport à l'année précédente).
Pour autant, cette montée en puissance de l'immigration régulière ne répond à aucune stratégie sous-jacente des pouvoirs publics : les admissions au séjour sont principalement tirées par le regroupement familial - dont les conditions d'éligibilité sont notoirement insuffisantes - et l'immigration étudiante - où quasiment aucun contrôle n'est effectué sur la réalité et le sérieux des études suivies.
En outre, l'immigration régulière doit aller de pair avec une solide politique d'intégration qui n'est clairement pas au rendez-vous aujourd'hui. Sur le plan linguistique par exemple, on ne peut que déplorer qu'un quart des étrangers en situation régulière parlent ou écrivent très mal le français.
Le tableau n'est guère plus reluisant s'agissant de l'immigration irrégulière. Le 2 novembre dernier devant la commission des lois de Sénat, le ministre de l'intérieur estimait « entre 600 000 et 900 000 » le nombre d'étrangers présents irrégulièrement sur le territoire national, tandis que le budget consacré à l'aide médical d'État n'en finit plus de déraper et dépasse désormais le milliard d'euros. Le taux d'exécution des mesures d'éloignement est enfin toujours aussi dérisoire s'agissant des obligations de quitter le territoire français (OQTF) : il s'établit à seulement 6,9 % au premier semestre 2022.
Afin de reprendre en main une situation qui échappe de plus en plus aux pouvoirs publics, il nous apparait indispensable de définir une stratégie permettant à la France de bénéficier d'une immigration choisie plutôt que subie. Pour cela, il importe de mettre l'accent sur l'immigration économique qualifiée répondant aux besoins des secteurs en tension, de renforcer la politique d'intégration des étrangers dans toutes ses dimensions - linguistique, civique, économique et sociale, et de nous montrer fermes et surtout cohérents vis-à-vis de l'immigration irrégulière.
C'est l'objet de la présente proposition de loi qui vise à se prémunir d'une « immigration du fait accompli » et à instaurer une stratégie migratoire efficace, crédible et respectueuse des engagements de la Nation.
Le titre Ier vise à maîtriser les voies d'accès au séjour et à lutter contre l'immigration irrégulière.
L'article 1er prévoit la tenue au Parlement d'un débat annuel, informé par un rapport existant mais dont le contenu est complété, à l'occasion duquel seraient déterminés le nombre de personnes admises à séjourner sur le territoire par catégorie de titres, à l'exclusion de l'asile, et, s'agissant de l'immigration familiale, un objectif en la matière. Le Parlement débat aussi de l'application des accords internationaux conclus avec les pays d'émigration. Il détermine enfin annuellement le seuil de taux de protection internationale accordée en France à partir duquel un demandeur d'asile peut être autorisé à accéder au marché du travail dès l'introduction de sa demande.
L'article 2 resserre les conditions ouvrant le bénéfice du regroupement familial en portant de 18 à 24 mois la condition de séjour exigée pour qu'un étranger résidant en France puisse formuler une demande de regroupement familial pour l'un de ses proches, en imposant au demandeur de disposer d'une assurance maladie pour lui et sa famille, et en introduisant une condition de « régularité » des ressources financières pour formuler une demande.
L'article 3 prévoit que, dans le cadre du regroupement familial, les personnes bénéficiaires justifient d'un niveau minimal de langue française conforme aux exigences de CEDH.
L'article 4 incite les communes à contrôler plus strictement le respect des conditions de résidence et de ressources dans le cadre du regroupement familial, en prévoyant que l'avis de la commune soit réputé défavorable lorsqu'elle s'est affranchie de ce contrôle et que l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) puisse lui demander d'effectuer une visite sur place en cas de soupçon de fraude ou de fausses déclarations.
L'article 5 renforce les conditions d'accès au titre dit « étranger malade » en substituant au critère du défaut d'accès effectif aux soins dans le pays d'origine celui de l'absence de traitement dans le pays d'origine, en excluant le traitement offert au patient concerné de toute prise en charge par l'assurance maladie (sauf convention avec le pays concerné), et en autorisant les médecins de l'OFII à demander les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de leur mission aux professionnels de santé qui en disposent sans l'accord de l'étranger.
L'article 6 prévoit d'inscrire dans la loi les conditions d'appréciation des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé d'un étranger d'un défaut de prise en charge médicale, l'un des critères pour l'admission au séjour au titre de la procédure « étranger malade ».
L'article 7 renforce les contrôles applicables aux titres de séjour délivrés pour des motifs étudiants en imposant aux bénéficiaires d'une carte de séjour pluriannuelle « étudiants » de confirmer annuellement la validité de leur titre en transmettant à l'administration des documents attestant du caractère réel et sérieux de leurs études.
L'article 8 met en place une expérimentation, sur le fondement de l'article 37-1 de la Constitution, de l'instruction dite « à 360 » des demandes de titres de séjour. Dans les départements concernés, l'autorité administrative examinera dès la première demande l'ensemble des motifs susceptibles de fonder la délivrance d'un titre de séjour. En contrepartie, la recevabilité de toute nouvelle demande serait subordonnée à la présentation de faits ou d'éléments nouveaux.
L'article 9 substitue à l'aide médicale d'État (AME) une « aide médicale d'urgence » (AMU) recentrée sur la prise en charge de quatre catégories de soins déterminées.
L'article 10 prévoit une condition de régularité pour bénéficier des tarifs de solidarité dans les transports.
Le titre II vise à assurer une meilleure intégration des étrangers par le travail et la langue.
L'article 11 prévoit que la délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle est conditionnée à la connaissance d'un niveau minimal de langue française (A2) et à la démonstration d'un niveau de connaissances en matière civique.
L'article 12 restreint l'octroi de la nationalité française pour les mineurs étrangers nés en France de parents étrangers, à ceux qui en manifestent la volonté, résident en France à la date de cette manifestation de volonté et qui justifient d'une résidence habituelle en France pendant les cinq années qui la précèdent.
L'article 13 prive de l'acquisition de la nationalité française les mineurs étrangers nés en France de parents étrangers, ayant fait l'objet soit d'une condamnation pour crimes et délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, soit, quelle que soit l'infraction considérée, d'une condamnation à une peine égale ou supérieure à six mois d'emprisonnement, non assortie d'une mesure de sursis.
L'article 14 restreint l'octroi de la nationalité française aux mineurs étrangers nés de parents étrangers dans certains territoires d'Outre-mer (suivant le niveau de pression migratoire), à ceux dont, au moment de leur naissance, au moins l'un des parents résidait en France de manière régulière, sous couvert d'un titre de séjour, et de manière ininterrompue depuis plus de neuf mois à Mayotte et en Guyane, et depuis plus de trois mois en Guadeloupe, en Martinique et à Saint-Martin.
L'article 15 crée, à titre expérimental et jusqu'au 31 décembre 2026, un nouveau titre de séjour « travail des métiers en tension » qui serait délivré de plein droit aux personnes exerçant une activité professionnelle figurant sur la liste des métiers et zones géographiques caractérisées par des difficultés de recrutement.
Ces dispositions ne seraient pas applicables au salarié d'une entreprise méconnaissant les obligations de négociations obligatoires prévues par le code du travail. En outre, ce titre de séjour ne pourrait être délivré lorsque la rémunération de l'étranger est inférieure au seuil de rémunération minimal fixé par une convention de branche ou par des accords professionnels.
Enfin, c'est le Parlement qui déterminerait chaque année le nombre d'étrangers admis à séjourner sur le territoire en application titre de séjour « travail des métiers en tension ».
L'article 16 donne un accès immédiat au marché du travail aux demandeurs d'asile dont la nationalité les rend les plus susceptibles d'être protégés par la France suivant le seuil de protection défini annuellement par renvoi à l'article 1er.
L'article 17 prévoit de supprimer la mention de « passeport » dans les titres de séjour dits « passeport talent », de fusionner trois de ces titres liés à la poursuite de projets économiques sous la dénomination « talent-porteur de projet » et d'unifier les titres destinés aux jeunes diplômés qualifiés salariés, aux salariés de jeunes entreprises innovantes et aux salariés en mission.
L'article 18 crée une carte de séjour pluriannuelle pour les praticiens de santé à diplômes hors Union européenne (PADHUE) ayant réussi les épreuves de vérification des connaissances (EVC).
Le titre III vise à améliorer le dispositif d'éloignement des étrangers représentant une menace grave pour l'ordre public.
L'article 19 facilite la levée des protections contre les mesures administratives d'expulsion et le prononcé des peines judiciaires d'interdiction du territoire français (ITF) dont bénéficient certains étrangers dont les liens avec la France sont d'une particulière intensité. Cette levée devient systématique à l'encontre des auteurs de violences intrafamiliales.
L'article 20 autorise l'émission d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) à l'encontre de personnes aujourd'hui protégées lorsque leur comportement « constitue une menace grave pour l'ordre public ».
L'article 21 autorise, moyennant le respect de certaines garanties, le relevé des empreintes digitales et la prise de photographie d'un étranger sans son consentement afin de rendre plus efficiente l'identification des étrangers en situation irrégulière.
L'article 22 renforce les peines encourues en cas de refus de prise d'empreintes ou de photographie pour les personnes soupçonnées d'avoir commis une infraction.
L'article 23 autorise la création d'un fichier où les photographies et empreintes digitales des personnes se déclarant mineures impliquées dans des infractions à la loi pénale seraient enregistrées.
L'article 24 interdit le placement des mineurs de seize ans en centre de rétention administrative (CRA).
L'article 25 prévoit un élargissement des critères de placement en rétention des dublinés.
L'article 26 prévoit que la possibilité de conserver le bénéfice de l'aide sociale à l'enfance (ASE) après l'accession à la majorité ne bénéficie pas aux jeunes majeurs faisant l'objet d'une OQTF.
L'article 27 conditionne la délivrance de tout document de séjour au respect des principes de la République, permet d'en fonder le retrait ou le refus de nouvellement, permet le retrait ou le refus de renouvellement d'une carte de résident en cas de menace grave à l'ordre public, conditionne le renouvellement des titres de long séjour à la résidence habituelle en France, et consacre la création d'un « contrat d'engagement au respect des principes de la République ».
Le titre IV vise à améliorer l'effectivité des décisions d'éloignement du territoire national.
L'article 28 vise, d'une part, à limiter la délivrance des visas long-séjour à l'encontre des ressortissants d'États délivrant peu de laissez-passer consulaires ou ne respectant pas un accord de gestion des flux migratoires et, d'autre part, à permettre que soit modulée l'aide au développement qui leur est attribuée.
L'article 29 prévoit que le préfet de département informe sans délai les organismes de sécurité sociale et Pôle emploi lorsqu'il prend une décision d'éloignement. Ces derniers pourront procéder à la radiation de l'assuré à l'expiration du délai de recours contre la décision d'éloignement ou si une demande d'annulation de celle-ci a été définitivement rejetée.
L'article 30 étend à 135 jours, au lieu de 90, la durée maximale de l'assignation à résidence d'un étranger faisant l'objet d'une OQTF et dont l'exécution semble atteignable.
Le titre V vise à sanctionner l'exploitation des étrangers et contrôler les frontières.
L'article 31 permet de mieux réprimer les réseaux de passeurs et, par la création d'un article spécifique dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), ceux qui sont à leur tête. Il vise la mise en danger mais aussi l'atteinte à la dignité, l'usage frauduleux de documents de circulation dans un aéroport ou un port et le fait de séparer les mineurs de leur famille.
L'article 32 prévoit un durcissement des sanctions contre les « marchands de sommeil » en créant des aggravations pour les peines encourues lorsque l'occupant d'un appartement insalubre est une personne vulnérable, en particulier lorsqu'il s'agit d'un étranger en situation irrégulière, et que le propriétaire refuse de réaliser les travaux de mise en conformité.
L'article 33 met en cohérence le CESEDA avec la future « autorisation de voyage » du règlement UE 2018/1240. Il transcrit ainsi en droit interne l'obligation pour les compagnies de transporteurs de contrôler le système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (ETIAS), elles pourront être sanctionnées en cas de manquement à l'obligation de contrôle documentaire.
L'article 34 supprime, sauf pour les mineurs non accompagnés (MNA), le bénéfice d'un jour franc que peut demander un étranger faisait l'objet d'un refus d'entrée sur le territoire avant d'être réacheminé car il nuit à l'efficacité de l'exécution de cette décision de refus. De plus, la France est le seul pays de l'Union européenne à prévoir un tel délai que les textes européens n'imposent pas.
L'article 35 permet, et ce sur le modèle des garanties prévues par le code de procédure pénale, aux officiers de police judiciaire de la police aux frontières de procéder à une inspection sommaire des véhicules particuliers dans la bande des 20 kilomètres en deçà des frontières terrestres françaises.
L'article 36 renforce les prérogatives des préfets en matière d'interdiction de retour en allongeant à cinq ans la durée d'interdiction de retour dont le préfet peut assortir une OQTF.
Le titre VI vise à engager une réforme structurelle du système de l'asile.
L'article 37 créé une expérimentation sur le fondement de l'article 37-1 de la Constitution, pendant quatre ans dans au moins dix départements dont au moins un situé en outre-mer, de création de pôles territoriaux dits « France asile ». Ces pôles auraient vocation à se substituer aux guichets uniques d'accueil des demandeurs d'asile (GUDA), l'étranger pourrait à la fois s'y faire enregistrer par la préfecture et y introduire sa demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Le demandeur d'asile pourra toujours compléter sa demande de tout élément jusqu'à son entretien personnel, qui ne pourrait intervenir avant vingt et un jours à compter de l'introduction de cette demande.
L'article 38 étend les cas dans lesquels l'OFII est tenu de retirer ou de suspendre le bénéfice des conditions matérielles d'accueil. Sous réserve de l'examen de la situation du demandeur prévu dans le CESEDA, il appartiendra à l'OFII de les suspendre systématiquement dans les cas où le demandeur d'asile ne se conforme pas à ses obligations.
L'article 39 intègre les places en centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), centres provisoires d'hébergement (CPH), au sein des dispositifs d'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA) et en centres d'accueil et d'évaluation des situations (CAES) dans le décompte du taux de logements sociaux imposé aux communes depuis la loi SRU.
L'article 40 accorde la priorité en matière de logement aux demandeurs d'asile dont le dossier est en cours d'examen en prévoyant que les déboutés ne puissent, sauf décision motivée de l'administration, se maintenir dans l'hébergement qui leur a été attribué au titre du dispositif national d'accueil.
L'article 41 réforme l'organisation de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) en créant des chambres territoriales et en faisant du recours au juge unique le principe afin d'adapter la Cour à l'ampleur du contentieux et de renforcer son efficacité. Les conditions de renvoi à la formation collégiale permettraient toujours au juge d'y faire droit à tout moment s'il l'estimait nécessaire.
L'article 42 formalise, en cas de recours à la vidéo-audience, la possibilité pour le président de la formation de jugement de la CNDA de suspendre l'audience dès lors que la qualité de la retransmission n'est pas au rendez-vous.
Le titre VII vise à recentraliser l'évaluation de la minorité et la mise à l'abri des personnes se déclarant mineures.
L'article 43 procède à la recentralisation de la compétence, jusque-là départementale, de mise à l'abri et d'évaluation de la situation des personnes se déclarant comme MNA.
Le titre VIII vise à simplifier les règles du contentieux relatif à l'entrée, au séjour et à l'éloignement des étrangers.
Les articles 44 à 46 proposent, conformément aux recommandations du Conseil d'État et de la commission des lois du Sénat, de réduire à quatre le nombre de procédures applicables en droit des étrangers, dont la mise en oeuvre serait conditionnée au degré d'urgence réel de la situation de l'étranger et à la perspective de voir la mesure d'éloignement exécutée à bref délai. Conformément aux préconisations du rapport Stahl, il étend également de un à deux ans la durée de l'OQTF permettant le placement en rétention ou l'assignation à résidence.
L'article 47 permet, dans la lignée des rapports Stahl et Buffet, à l'OFII de défendre ses avis médicaux dans le cadre des contentieux « étranger malade » et de répondre à certaines préoccupations des tribunaux administratifs sur l'étendue du secret médical. Il propose aussi des ajustements sur le délai d'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD).
L'article 48 revient sur le principe de la comparution de l'étranger devant le JLD au siège du tribunal judiciaire, en autorisant l'utilisation d'une salle d'audience attribuée au ministère de la justice à proximité immédiate de la zone d'attente ou du lieu de rétention. Si le juge décide de siéger pour sa part au tribunal, les deux salles sont alors reliées par un moyen de communication audiovisuelle.
L'article 49 ouvre la possibilité d'allonger le délai dont dispose le JLD pour statuer sur les requêtes aux fins de maintien en zone d'attente d'un étranger qui arrive en France et n'est pas autorisé à entrer sur le territoire français.
Le titre IX vise à simplifier le régime d'accès au séjour.
L'article 50 tend à prévoir la remise au Parlement d'un rapport portant sur les mesures susceptibles de simplifier l'architecture des titres, cartes et documents de séjour et de circulation pour étranger en France.
Le titre X vise des dispositions diverses et finales.
L'article 51 fixe les modalités d'entrée en vigueur de la proposition de loi.