EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Contexte de la proposition de loi
La France perd 20 000 à 30 000 hectares d'espaces naturels, agricoles et forestiers chaque année. L'artificialisation des terres est l'une des causes de l'appauvrissement de la biodiversité et lutter contre elle représente un enjeu majeur, eu égard aux impératifs environnementaux et à la préservation des espaces. En la matière, la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 a posé un objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) à horizon 2050.
Dans cette inquiétude partagée de l'utilisation des sols, une autre réalité s'est révélée depuis quelques années sans vraiment qu'on en dise mot. Les espaces agricoles sont en recul, et cette dynamique n'est pas principalement due à l'urbanisation, mais à la disparition des exploitations. Dynamique qui peut s'illustrer par l'étude de la population d'agriculteurs et l'observation des friches agricoles.
La France métropolitaine a perdu plus de 20% de ses exploitations agricoles en une décennie. Aujourd'hui, on n'en compte plus que 389 000 et 416 000 en incluant l'Outre-mer. Avec une population d'agriculteur vieillissante, c'est entre 40% et 50 % d'entre eux qui partiront à la retraite d'ici dix ans. Des statistiques qui inquiètent sur le devenir des performances agricoles de la France. Pis encore, sur le devenir des activités et de la sociologie rurales.
Même si les recensements montrent que les exploitations se sont agrandies de 14 hectares en moyenne depuis 2010, entre 1982 et 2018 les terres agricoles ont perdu 7,7 % de leur surface en France métropolitaine, soit 2,4 millions d'hectares. Ces pertes représentent 4,3 % de la superficie totale du territoire métropolitain, ce qui équivaut à l'ancienne région Lorraine. Or, lorsqu'on observe les graphiques, la courbe de ces pertes est fonction inverse de celle qui illustre l'augmentation des sols naturels. Autrement dit, l'urbanisation n'est pas le principal facteur de diminution des sols agricoles. Dans le Loir-et-Cher, ce phénomène ne représenterait que 16 % de la diminution d'espaces agricoles, 84 % de l'abandon des terres agricoles se faisant au profit d'espaces naturels. Cela signifie que mécaniquement les friches agricoles ont augmenté - un gâchis de foncier fertile somme toute. Si on peut saluer la pérennité des exploitations qui arrivent à s'agrandir, on ne peut que déplorer la baisse générale du nombre d'exploitations agricoles, surtout en métropole (100 000 en dix ans).
Face à cet abandon de terres agricoles, certaines communes ont décidé de prendre les choses en main pour relancer l'activité agricole ou retrouver la maîtrise de leurs paysages. Des collectivités ont ainsi remis en culture des terres laissées à l'abandon. Un abandon tel qu'on en est venu à consacrer dans le code rural et de la pêche maritime, tout un chapitre relatif à la mise en valeur des terres incultes ou manifestement sous-exploitées. La commune pouvant donc demander au préfet (au même titre qu'une autre personne morale, ou même physique) l'autorisation d'exploiter une parcelle susceptible de mise en valeur agricole ou pastorale, qui serait inculte ou manifestement sous-exploitée depuis au moins trois ans. Un dispositif législatif qui est tout aussi bien révélateur de notre incapacité à favoriser la constitution de nouvelles exploitations agricoles, que de la capacité des collectivités à toujours prendre la relève quand l'État central faillit. Cependant, il ne devrait pas appartenir aux communes d'assurer l'utilisation des terres agricoles alors qu'il existe toute une filière qui le fait depuis des milliers d'années en toute autonomie, et qui n'attend qu'un coup de pouce pour continuer ainsi.
Esprit de la proposition de loi
Face à ces constats, plusieurs démarches ont déjà été entreprises, par le Gouvernement et des parlementaires, en agissant principalement sur l'attractivité du monde agricole et la compétitivité des filières agricoles françaises. Notre démarche apporte sa pierre à l'édifice en souhaitant également faciliter l'installation des agriculteurs. Elle est le reflet d'une multitude de demandes qui émanent directement des territoires ruraux de nos départements.
Cette initiative parlementaire veut agir sur des problématiques additives à l'activité agricole, mais ô combien déterminantes, celles du temps au travail et de la vie de famille. Le travail d'agriculteur nécessite une disponibilité horaire plus importante que l'essentiel des activités économiques. La profession est fortement exposée et soumise aux aléas météorologiques et climatiques, ainsi qu'au rythme des saisons. De surcroît, le choix de logement en zone rurale est très limité, d'autant que la réalité topographique et le développement des infrastructures publiques de nos campagnes allongent les distances et les durées de transport. Ainsi, l'installation d'un nouvel agriculteur et de sa famille peut poser des difficultés alors que les activités agricoles nécessitent une forte proximité permanente.
Si la France veut retrouver sa souveraine alimentaire, elle doit aider de nouveaux agriculteurs à s'installer, or, le choix du lieu de vie et sa distance avec le lieu de travail, sont tout autant des limites à cet objectif que les règles administratives qui contraignent les autorisations d'ouverture ou les difficultés économiques de la filière qui découragent les marchés. De plus, être agriculteur est bien plus qu'une simple profession, mais bien une vocation à laquelle on dédie sa vie. La frontière entre travail agricole et vie privée est mince, pour ne pas dire, inexistante. En outre, la vocation d'agriculteur est souvent un héritage familial, une activité qui se transmet de génération en génération. Comment imaginer voir apparaître de nouvelles exploitations agricoles et espérer leur prospérité dans le temps, sans accorder le droit d'y faire grandir les enfants des agriculteurs ? Baignés dans ce quotidien, de nouvelles vocations pourraient naître, et ces enfants pourraient peut-être un jour prendre la relève ? Les vielles fermes qui portent la mémoire des campagnes françaises ont toujours été animées par les rires des foyers de ceux qui en travaillent la terre et en gardent les cheptels. Cette réalité doit pouvoir subsister.
Si certains agriculteurs peuvent compter sur une habitation déjà existante au sein de leur exploitation, d'autres, qui s'installent tout juste ou qui souhaiteraient le faire, n'ont pas cette chance. Force est de constater que le cadre légal actuel autorisant une nouvelle habitation en zone non-urbanisée est très restrictif afin de préserver les espaces. Trois principaux régimes au sein du code de l'urbanisme permettent de se doter d'une habitation en zones agricoles, naturelles et forestières, mais aucun n'est à la faveur d'une nouvelle exploitation agricole qui vient d'être créée.
Le premier régime (art. L. 151-11) permet via le PLU, de désigner des bâtiments agricoles qui pourront faire l'objet d'un changement de destination pour devenir des habitations. Il est également possible (art. L. 151-12) de faire une extension, ou une annexe, à un bâtiment d'habitation déjà existant dans ces mêmes zones. Le PLU posant des conditions afin de préserver le caractère naturel et l'environnement des espaces ruraux concernés.
Le deuxième régime (art. L.111-4) pose une exception au principe d'inconstructibilité des zones agricoles en donnant la possibilité, soit de modifier un bâtiment déjà existant, soit de construire un bâtiment nouveau à usage d'habitation. Néanmoins, ce régime est conditionné au seul périmètre d'une ancienne exploitation agricole.
Le troisième régime (art. L. 111-4) permet de construire dans les espaces non-urbanisés, des « constructions et installations nécessaires à l'exploitation agricole ». Le juge administratif est venu préciser les modalités d'une telle dérogation. Ainsi, la jurisprudence admet que la construction d'un logement pour un agriculteur constitue, sous certaines conditions, un besoin nécessaire à l'exploitation agricole. Ces conditions sont extrêmement restrictives et s'articulent autour de trois principaux critères : la réalité de l'activité agricole déclarée ; la nécessité d'une présence rapprochée et permanente du chef d'exploitation ; l'adéquation et la proportionnalité du projet de logement avec l'exploitation agricole. Au regard du second critère jurisprudentiel, presque aucune activité agricole n'est en réalité concernée par la dérogation. Les exploitations de safran (épice fragile), ou les élevages de bovins, ont plus de chances, que les vignobles ou les élevages de poules, de se voir accorder des autorisations.
Le but de la présente initiative parlementaire est par conséquent de venir ouvrir le champ des possibles de la jurisprudence. Elle procède à des aménagements législatifs tout en s'inspirant de la prudence du Conseil d'État. Le fil conducteur est d'aboutir à un équilibre entre, d'une part, le droit pour tout agriculteur de vivre directement sur son exploitation, et d'autre part, la lutte contre le mitage et la consommation des espaces ruraux, qu'il est impératif de préserver. Cette proposition de loi s'efforce d'élaborer un régime général qui inclut les nombreuses spécificités immobilières caractérisant les exploitations agricoles (baux ruraux, exploitant propriétaire ou locataire, etc.).
Explication du dispositif de la proposition de loi
L'article 1er pose le socle de la proposition de loi en ajoutant à la liste prévue par l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme, une nouvelle exception au principe de constructibilité limitée aux seules zones urbanisées. Cette exception vise à autoriser la construction d'un bâtiment à usage d'habitation dans le périmètre d'une exploitation agricole encore en activité, dans le but de loger le chef de l'exploitation, ainsi que sa famille. L'idée étant que toute exploitation agricole puisse être concernée, et non, seulement, certaines en fonction d'un critère de nécessité de présence en lien avec le type d'activité.
Cet article établit ainsi comme critères substantiels la possibilité de ne construire qu'un seul bâtiment par exploitation en application de cette nouvelle disposition, qui sera destiné au seul chef d'exploitation, principal travailleur de l'activité agricole concernée, et à sa famille, en vertu du droit au respect à la vie privée et familiale. La dérogation de constructibilité en zone agricole ainsi consacrée affirme un équilibre entre le but recherché par la proposition de loi et la préservation des espaces ruraux.
Afin d'assurer l'effectivité de cet équilibre, l'avis conforme de la Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) sera requis également pour la construction d'un tel bâtiment, au même titre que pour les autres dérogations prévues par l'article L. 111-4.
L'article 2, par le biais d'un nouvel article inséré au sein du code de l'urbanisme, vient subordonner l'autorisation des constructions consacrées à l'article 1er, à un ensemble de garanties qui ont pour objectif de consolider l'équilibre recherché par la présente proposition de loi. L'exploitation agricole devra justifier d'une activité relativement pérenne en ayant une existence d'au minimum 3 ans tout en n'étant pas soumise à une procédure d'entreprise en difficulté (la sauvegarde ou le redressement judiciaire). Il sera aussi exigé qu'aucun bâtiment à usage d'habitation ne soit déjà présent dans le périmètre de l'exploitation ou qu'un tel bâtiment n'ait été vendu, cédé ou donné antérieurement par le demandeur du permis de construire, ou encore, mis en location par celui-ci. Ce dernier devra également avoir préalablement envisagé un changement de destination de l'un des bâtiments déjà existant sur l'exploitation. Le but étant de ne pas construire inutilement si un des bâtiments de l'exploitation peut satisfaire un besoin de logement en étant rénové, et le cas échéant, agrandi. Enfin, l'article vient sécuriser la consommation des sols au moyen d'un décret en Conseil d'État qui devra préciser la surface maximale que le bâtiment nouveau ne pourra pas excéder. Cette surface sera le cas échéant majorée en fonction du nombre de personnes faisant partie du foyer de l'exploitant.
Par ailleurs, ce même article 2 pose un principe d'indivisibilité entre le nouveau bâtiment d'habitation et le reste de l'exploitation, de sorte qu'ils ne puissent être aliénés séparément, sauf en cas de disparition avérée de toute exploitation agricole ou dans le cadre d'une expropriation. Il faudra donc que l'exploitation agricole à laquelle le bâtiment est rattaché fasse l'objet d'une procédure d'expropriation déclenchée par l'État ou qu'elle soit liquidée depuis au moins 3 ans sans qu'une nouvelle exploitation ne se soit constituée dans ce même délai, pour que le bâtiment puisse être aliéné séparément du foncier qu'utilisait l'exploitation. Ce délai permettra de s'assurer que le nouveau bâtiment d'habitation ne sera pas, de manière prématurée, définitivement détaché de toute activité agricole alors qu'un « repreneur » pourrait créer une nouvelle exploitation peu de temps après la disparition de la première. Le cas contraire aurait pour conséquence d'affaiblir l'effectivité de l'indivisibilité. Néanmoins, les deux limites au principe ainsi posé ont pour but d'éviter que le nouveau régime ne bloque ni l'action de l'État, ni le propriétaire si un « repreneur » se fait trop attendre.
Enfin, l'article 3 accorde une marge au pouvoir réglementaire local outre ce qui dépend déjà du droit commun. Dans le respect de la surface maximale du futur bâtiment fixée par décret en Conseil d'État, le règlement du plan local d'urbanisme pourra encadrer sa zone d'implantation, ainsi que ses conditions de hauteur, d'emprise et de densité afin d'assurer son insertion dans l'environnement et sa compatibilité avec le maintien du caractère naturel, agricole ou forestier de la zone concernée.
Dans un souci de cohérence avec le régime des autorisations d'extension déjà existant, les dispositions du règlement adoptées par le Conseil municipal en application du présent article seront également soumises à l'avis de la CDPENAF.