EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis le 24 février 2022, la guerre fait rage en Ukraine. Refusant le dialogue diplomatique, le Président russe a entraîné son pays dans une guerre brutale. Il s'agit d'une offensive d'une violence inouïe, d'une négation des principes humanitaires les plus essentiels. Même si la communauté internationale est pleinement mobilisée aujourd'hui, rappelons qu'en réalité ce conflit a débuté le 6 avril 2014 dans le Donbass (Ukraine) et le 28 février 2014 en Crimée (Ukraine).

Une fois encore l'histoire bégaie. Comment ne pas penser aux crimes communistes ?

Le livre noir du communisme1(*) sous la direction de Stéphane Courtois a dressé un bilan sans appel des exactions commises durant la période qui s'étend de 1945 à 1989 dans tous les pays qui affirmaient être des « démocraties populaires ».

Nous pourrions évoquer l'URSS avec ses goulags (camps de travail forcé) entre 1930 et 1953, ses déplacements de population, les grandes famines planifiées comme « l'holodomor » de 1932-1933 reconnu comme génocide par le Parlement européen le 15 décembre 2022, par l'Assemblée nationale le 28 mars 2023 et le Sénat devrait le faire à l'occasion de la séance du 17 mai 20232(*). Précisons d'ailleurs qu'à l'Assemblée nationale, le texte avait été cosigné par des membres de sept des dix groupes politiques de l'Assemblée, à l'exception des groupes La France insoumise (LFI), communiste et le Rassemblement national (RN). Les députés LFI n'ont pas pris part au vote et les communistes sont les seuls à avoir voté contre.

Comme l'explique l'essayiste Thierry Wolton3(*) : « La plupart des régimes communistes ont connu des famines, pas toujours organisée il est vrai, mais toujours due à l'impéritie des parti-États, notamment en matière agricole. L'arme de la faim, qu'utilisèrent aussi les militaires marxistes-léninistes éthiopiens dans les années 1980, a en revanche bien servi, pour ces régimes, de moyen pour « résoudre » la question paysanne, par la liquidation des « culs terreux » attachés à leur terre, rétifs aux bienfaits de la collectivisation. La totalité des famines communistes du XXème siècle ont fait autant de victimes que les deux guerres mondiales réunies, soit entre 50 et 70 millions de morts, selon les estimations. Tous disparus de nos jours dans le grand trou noir de la mémoire du siècle »4(*).

Nous pourrions également évoquer l'arrestation et l'assassinat de milliers de communistes opposés à Staline à partir de 1934, les « Grandes Purges » de 1936-1938, l'invasion de la Pologne à la suite du pacte germano-soviétique le 17 septembre 1939 ou encore les déplacements forcés de populations. Concernant les goulags, Alexandre Soljenitsyne5(*) avec son livre L'Archipel du Goulag, a créé un des plus grands évènements politiques et littéraires du XXème siècle. Il y traite du système carcéral et du travail forcé mis en place en Union soviétique. Écrit de 1958 à 1967 dans la clandestinité, l'ouvrage ne se veut ni une histoire du goulag ni une autobiographie, mais porte la parole des victimes des goulags : il est écrit à partir de 227 témoignages de prisonniers ainsi que de l'expérience de l'auteur. Pour Alexandre Soljenitsyne, le goulag, fait partie intégrante du système soviétique dès son origine. Dans son ouvrage De Lénine à Castro, Romain Ducoulombier6(*) explique notamment que «  le goulag est le fruit d'une histoire, son existence, quoique fondamentale pour comprendre le stalinisme, est transitoire et présente des caractéristiques particulières. Si les premiers camps datent de l'époque de Lénine, le goulag ne survit à Staline que sous forme résiduelle, après les grandes vagues de libération du milieu des années 1950 ». Nous pourrions également évoquer les ouvrages de Varlam Chalamov7(*), notamment les Récits de la Kolyma.

Ou encore l'Europe de l'Est, le bloc de l'Est, a aussi souffert des procès politiques, des camps de travail forcé, de la répression des manifestations, des polices et assassinats politiques, des populations sous contrôle, des purges...

Comment ne pas évoquer également la Chine et la famine de 1959-1961, les Laogais qui sont des camps de travail forcé essentiellement entre 1959-1961, mais qui perdure encore aujourd'hui, comme le démontre par exemple, le reportage de la chaine Arte : Les camps, secret du pouvoir chinois8(*), la « révolution culturelle » qui reste l'épisode le plus meurtrier de l'époque « Mao » ou encore le massacre du peuple tibétain et plus récemment les pratiquants du Falun Gong, les Chrétiens et les Ouïghours...

Enfin, nous pourrions revenir sur les répressions de la Corée du Nord, les exactions de Fidel Castro à Cuba ou encore les massacres par les khmers rouges au Cambodge. À ce sujet, le 16 novembre 2018, deux anciens dirigeants khmers rouges ont été condamnés à la perpétuité par le tribunal spécial chargé de juger les atrocités du régime cambodgien des khmers rouges, en raison des crimes commis contre les minorités ethniques et religieuses entre 1975 et 1979. En effet, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC), un tribunal cambodgien parrainé par les Nations unies pour juger les anciens dirigeants khmers rouges, ont tranché, le 16 novembre 2018, en condamnant Khieu Samphan et Nuon Chea, respectivement chef d'État et idéologue du régime khmer rouge, à la prison à perpétuité pour le « génocide », non du « peuple cambodgien », mais de deux minorités : les Vietnamiens du Cambodge et l'ethnie musulmane Cham. Près d'un quart de la population, soit deux millions de Cambodgiens, ont trouvé la mort par assassinat, famine ou épuisement physique et psychologique. Parce qu'ils sont nés ou ont vécu en ville, lieu de la contamination impérialiste, ils sont considérés comme impurs. Stigmatisés et triés en fonction de critères socio-territoriaux, hommes, femmes et enfants sont contraints à une rééducation idéologique et à la politique de collectivisation des terres.

La liste est trop longue pour être entièrement développée dans ce texte, elle a été étudiée à travers des ouvrages et des documentaires qui restent encore trop peu nombreux pour être exhaustifs.

C'est pourquoi, l'opinion publique qui a pleinement conscience des crimes commis par les nazis, est pourtant très peu consciente et peu instruite des crimes commis par les régimes communistes, et pour plusieurs raisons. Bien sûr nous ne devons pas établir une « hiérarchie de l'horreur » mais jamais les crimes commis au nom du communisme n'ont fait l'objet d'enquêtes ou de condamnations internationales, contrairement aux crimes commis par son jumeau « hétérozygote » selon l'expression de l'historien Pierre Chaunu, l'autre régime totalitaire du XXe siècle, le nazisme. L'absence de condamnation s'explique aussi en partie par l'existence de pays dont les gouvernements adhèrent toujours à l'idéologie communiste, perpétuent encore les horreurs ou s'en revendiquent.

« Les crimes nazis sont facilement repérables. Ils ont été découverts par les Alliés, des peuples d'Europe occidentale en ont eu une expérience directe et les témoignages sur les atrocités nazies abondent. Les crimes nazis furent d'une rare violence (un grand nombre de victimes d'une portion délimitée de l'humanité sur une courte période) et ils se concentrèrent sur l'élimination physique des victimes. Enfin, élément essentiel pour Alain Besançon9(*), la chambre à gaz possède un caractère unique dans l'histoire à cause de sa dimension industrielle. À la chambre à gaz très médiatisée répondent le Goulag soviétique et le Laogaï chinois qui restent enveloppés de brouillard, et demeurent un objet distant, indirectement connu, malgré les témoignages rendus publics qui furent souvent interprétés comme de la propagande anticommuniste. Les crimes communistes constituent une notion floue dans la mesure où ils concernent l'adhésion morale des victimes à un projet politique, sans nécessairement en venir au meurtre systématique. Il est alors difficile de définir précisément les victimes des crimes communistes et les bourreaux »10(*).

Pourtant, nous pouvons noter des caractéristiques communes entre l'ensemble des régimes communistes historiques quels que soient le pays, la culture ou la période.

Ces régimes ont été marqués, sans exception, par des violations massives des droits de l'Homme. Ces violations incluaient les assassinats et les exécutions, qu'ils soient individuels ou collectifs, les décès dans des camps de concentration, l'organisation de famines, les déportations par groupe ethnique entier, les persécutions religieuses, la torture, le travail forcé et d'autres formes de terreur physique collective.

Ces crimes ont été justifiés par la théorie de la lutte des classes et le principe de la dictature du prolétariat. L'interprétation de ces deux principes rendait légitime « l'élimination » des catégories de personnes considérées et définies comme « nuisibles » à la construction d'une société nouvelle et, par conséquent, comme « ennemies » des régimes communistes.

Rappelons-le, certains États aujourd'hui se revendiquent comme communistes : Cuba, Chine, Corée du Nord, Viêt Nam, Laos, Transnistrie.

Aussi, la mémoire de ces crimes est destinée à éviter que des crimes similaires ne se produisent à l'avenir. Le jugement moral et la condamnation des crimes commis jouent un rôle important dans l'éducation donnée aux jeunes générations. Une position claire de la communauté internationale sur ce passé pourrait leur servir de référence pour leur action future.

Malheureusement, l'ombre du communisme totalitaire qui appartenait jusqu'à présent à l'histoire, plane désormais sur l'actualité. Comme l'écrit Thierry Wolton11(*) : « La violence des méthodes de guerre utilisées par la Russie en Ukraine nous renvoie à une époque que nous espérions révolue en Europe, comme si les pendules s'étaient arrêtées ». Et d'expliquer que : « l'Ukraine est la quatrième guerre menée par Poutine en vingt ans. Toutes les méthodes qui y sont utilisées, de nature militaire ou dirigées contre des civils, sont l'héritage de la violence de l'Armée rouge, qui a eu sa part de responsabilité dans les crimes d'antan ».

Alors que des victimes des régimes communistes ou des membres de leurs familles sont encore en vie, il est temps de reconnaître leurs souffrances.

En ce sens, l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, a voté le 25 janvier 2006, la condamnation des crimes des régimes communistes totalitaires. Elle a été la première organisation internationale à faire ce geste.

Le 19 septembre 2019, le Parlement européen a également adopté une résolution sur l'importance de la mémoire européenne pour l'avenir de l'Europe12(*). Dans cette résolution présentée par de nombreux députés d'États d'Europe de l'Est ayant souffert du communisme, le Parlement européen rappelle que « les régimes communistes et nazi sont responsables de massacres, de génocide, de déportations, de pertes en vies humaines et de privations de liberté d'une ampleur sans précédent dans l'histoire de l'humanité ». Elle prie les États-membres de l'Union « de procéder à une évaluation claire et fondée sur les principes en ce qui concerne les crimes et actes d'agressions commis par les régimes communistes totalitaires et le régime nazi ».

Le 19 novembre 2020, le Parti Populaire (PP) présentait à la commission constitutionnelle du parlement espagnol une déclaration condamnant au même titre les totalitarismes communistes et nazi. Rejetée par les députés de la gauche espagnole, l'initiative aura eu le mérite de mettre en évidence les lacunes historiques de certains représentants ainsi que la complaisance vis-à-vis de la violence politique de certains partis.

Même Robert Hue, alors Secrétaire national du Parti Communiste français (PCF) déclarait en 1997 : « Il y a eu de l'aveuglement ; le PCF a mis beaucoup trop de temps avant de condamner l'inacceptable ; et, dans son fonctionnement même, des pratiques ont été marquées du sceau du stalinisme [...] mais le PCF n'a pas à se reprocher rien de comparable avec les crimes staliniens ». Bien sûr, il n'appartient pas à travers ce texte de remettre en question le rôle des résistants au nazisme qui étaient parfois communistes mais il est temps, alors que des victimes des régimes communistes ou des membres de leurs familles sont encore en vie et que certains souffrent encore de régimes politiques qui se revendiquent toujours comme communistes, de reconnaître leurs souffrances.

Comme a pu le conclure Thierry Wolton précédemment cité : « L'absence d'un travail de mémoire sur le communisme permet à certains dirigeants de continuer à s'en réclamer ; puis, d'en vanter les mérites, comme en Chine. Poutine ne trouverait pas tant de soutiens dans le monde si ce passé, d'où il est issu, avait été clairement dénoncé. Au contraire, il incarne pour beaucoup un esprit de revanche contre cet Occident dont la contagion des valeurs sur les esprits est tant redoutée par les apprentis dictateurs. Faut-il rappeler l'utilité de l'histoire si elle permet de tirer des enseignements utiles pour l'avenir ? À défaut, le risque d'être contraint à un retour éternel du passé demeure, comme un cauchemar sans fin ».

C'est pourquoi, cette proposition de loi qui s'inspire de la proposition de loi de Bernard Carayon13(*), vise à rendre un juste hommage aux victimes des régimes communistes en instituant une Journée nationale du souvenir. La date retenue est celle de la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989. Cette date est en effet le symbole de la chute du « mur de la honte », le rideau de fer qui a enfermé dans la prison du communisme pendant 70 ans, les pays d'Europe de l'Est, « satellites » de l'Union soviétique, selon le découpage décidé à Yalta.

* 1 Le Livre noir du communisme : Crimes, terreur, répression a été rédigé par une équipe d'historiens et d'universitaires a entrepris, continent par continent, pays par pays, de dresser le bilan le plus complet possible des méfaits commis sous l'enseigne du communisme : les lieux, les dates, les faits, les bourreaux, les victimes.

* 2 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr22-200.html

* 3 Parmi les nombreux ouvrages de Thierry Wolton, journaliste et essayiste, signalons : Une histoire mondiale du communisme en trois volumes chez Grasset, qui a fait événement : Les Bourreaux (2015), Les Victimes (2016), Les Complices (2017). L'auteur a récemment publié Le Négationnisme de gauche (Grasset, 2019).

* 4 https://www.lefigaro.fr/vox/monde/notre-memoire-a-occulte-les-exterminations-par-la-famine-imputees-aux-regimes-communistes-20200716

* 5 Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne est un écrivain russe et un des plus célèbres dissidents du régime soviétique durant les années 1970 et 1980.

* 6 Agrégé d'histoire, il a soutenu en 2007 à Sciences Po Paris, sous la direction de Marc Lazar, une thèse de doctorat sur « Régénérer le socialisme. Aux origines du communisme en France (1905-1925) », qui a remporté le prix Henri-Hertz des Universités de Paris. Il a également codirigé avec Vincent Chambarlhac Les socialistes français et la Grande Guerre. Ministres, militants, combattants de la majorité, 1914-1918 (Éditions universitaires de Dijon, 2008). Il est actuellement professeur d'histoire au lycée du Noordover à Grande-Synthe dans le Nord.

* 7 Emprisonné 17 ans au goulag, l'écrivain russe Varlam Chalamov (1907-1982) fut un témoin essentiel de l'horreur du système pénitentiaire stalinien.

* 8 https://www.arte.tv/fr/videos/106702-001-A/les-camps-secret-du-pouvoir-chinois-1-2/

* 9 Historien français, membre de l'Institut, directeur d'études à l'EHESS, à l'Institut d'histoire sociale et à la Nouvelle Initiative Atlantique, spécialiste de l'histoire russe et du communisme soviétique. Membre du Parti communiste français dans sa jeunesse, il rompt avec le communisme après la révélation des crimes staliniens qui intervient à partir de 1956, et adopte alors une position d'analyse critique de la question du totalitarisme.

* 10 https://www.erudit.org/en/journals/bhp/1900-v1-n1-bhp04649/1060535ar.pdf

* 11 https://www.lefigaro.fr/vox/histoire/thierry-wolton-pourquoi-il-n-y-a-pas-eu-proces-de-nuremberg-du-communisme-sovietique-20220508

* 12 Résolution du Parlement européen du 19 septembre 2019 sur l'importance de la mémoire européenne pour l'avenir de l'Europe (2019/2819(RSP)) https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2019-0021_FR.pdf

* 13 Proposition de loi n°422 du 21 novembre 2007, déposée à l'Assemblée nationale par Bernard Cayaron, Valérie Boyer et plusieurs de leurs collègues https://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion0422.asp