EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans l'oeuvre de Georges Bernanos, Sous le soleil de Satan , nous pouvons lire : « Pour beaucoup de niais vaniteux que la vie déçoit, la famille reste une institution nécessaire, puisqu'elle met à leur disposition, et comme à portée de la main, un petit nombre d'êtres faibles que le plus lâche peut effrayer. Car l'impuissance aime refléter son néant dans la souffrance d'autrui. ».

Dans l'Hexagone, plus de 50 000 enfants et adolescents par an sont victimes de maltraitance. En 2018, une étude 1 ( * ) a démontré qu'en France, un enfant meurt tous les cinq jours, tué par sa propre famille. Les chiffres n'ont de cesse d'évoluer, car en 2019, une famille sur trois n'était pas connue des départements pour des faits de danger sur un mineur. Les violences familiales touchent un grand nombre d'enfants : 14% des Français déclarent ainsi avoir été victimes de maltraitances - physiques, sexuelles et psychologiques - au cours de leur enfance 2 ( * ) et 86,8% des maltraitances sont intrafamiliales.

Le temps est enfin venu de prendre en compte l'incidence des violences directes ou indirectes sur l'enfant. Trop longtemps, son statut de victime a été ignoré. Nous devons le replacer au centre de nos préoccupations.

Oui nous devons empêcher que ces violences ne se déroulent impunément, à l'abri des regards.

Nous devons déclencher une prise de conscience telle que chacun dans la société se sente investi d'une responsabilité, dans un domaine qui a été beaucoup trop longtemps passé sous silence

Le combat pour la protection des enfants c'est l'affaire de tous.

Titre 1 er : Protéger les enfants dans le cadre des violences conjugales

En 2018, pas moins de 25 enfants 3 ( * ) ont été tués sur fond de conflit intrafamilial, dont 16 sans que l'autre membre du couple ne soit victime, tandis que 82 se sont retrouvés orphelins de père, de mère ou des deux parents. Parmi les homicides commis sur fond de conflit intrafamilial, 18 ont été commis devant des enfants mineurs, 29 enfants ayant été présents au moment des faits ou ayant découvert un corps à leur domicile 4 ( * ) .

Or le droit de la famille ne prend pas suffisamment en compte les situations de violences intrafamiliales. La justice civile paraît trop déterminée par le modèle de la coparentalité, selon lequel le parent - singulièrement le père - doit être reconnu dans son statut de parent quelles que soient les circonstances, comme si le conjoint violent pouvait être un « bon » parent. Ce constat a été corroboré par la Délégation aux droits des femmes du Sénat en conclusion de ses travaux sur les violences intrafamiliales, aux termes desquels elle soulignait « les difficultés posées par l'autorité parentale d'un parent violent, qui laisse la possibilité à celui-ci de continuer à exercer son emprise sur les membres de sa famille » 5 ( * ) .

Longtemps la Justice a cru qu'il fallait que l'enfant puisse garder un lien à tout prix avec ses deux parents. Nous entendions toujours la formule « un mari défaillant n'est pas forcément un mauvais père ».

Cette « culture » du maintien du lien à tout prix est-elle bien conforme à l'intérêt de l'enfant ? Nous savons que pour certains enfants, les droits de visite et de garde sont très angoissants. Souvent le père s'empresse de questionner l'enfant sur la mère afin par exemple de tenter de savoir si elle a un nouveau compagnon.

Comme l'a rappelé le Juge Édouard Durand 6 ( * ) , « on ne peut pas déconnecter la protection des femmes victimes de violence du traitement de la parentalité ». D'autant plus que la plupart des femmes victimes de violences (80%) sont des mères. Selon lui, « la première manière de venir en aide à ces enfants traumatisés, c'est de protéger leur mère par une rapide mise à l'abri. Ensuite, un traitement adapté de la parentalité s'impose pour que même après la séparation du couple, le père ne dispose pas de la capacité voire des moyens juridiques de perpétuer son emprise sur la mère et sur l'enfant. » .

Oui, les enfants sont les premières victimes collatérales des violences conjugales. Nous devons aujourd'hui basculer dans une logique préventive.

De plus, les enfants sont bien souvent instrumentalisés comme objet de chantage par le parent violent pour maintenir l'emprise sur le parent violenté. C'est la raison pour laquelle afin de protéger les femmes victimes de violences conjugales, nous devons également améliorer la protection de leurs enfants.

Dans le cadre du 5 ème Plan national de lutte contre les violences faites aux femmes (2017-2019), une étude relative aux enfants exposés aux violences au sein du couple a été réalisée par la Direction générale de la cohésion sociale. Elle montre trois choses : les enfants exposés et donc victimes sont une réalité massive. 83 % des femmes qui ont appelé le 3919 ont des enfants ; dans 93 % des cas, ils sont témoins de violences et dans 21,5 % des cas, ils sont eux-mêmes maltraités.

Prenons l'exemple de Julie Douib, assassinée le 7 juin 2019, en Corse, vraisemblablement par son ex-conjoint, Bruno Garcia. Du fond de sa cellule, cet individu s'opposait à ce que la résidence de ses enfants soit fixée auprès de leurs grands-parents maternels.

Tous les jours, ou presque, des conjoints violents se servent ainsi des enfants. Tous les jours, ou presque, ces derniers sont réduits à des objets transactionnels permettant de maintenir l'emprise perverse du parent violent.

Assister aux violences commises par son père sur sa mère ou inversement a des conséquences bien réelles sur les enfants, et tout au long de leur vie : en tant que témoins, ils deviennent des victimes. Aussi, nous devons légitimement considérer qu'un parent violent n'est pas un bon parent.

Ces propositions sont issues de la proposition de loi 2468 du 03 décembre 2018 de Valérie Boyer « relative aux violences au sein des couples et à la protection des enfants » 7 ( * ) qui a permis notamment le retrait total de l'autorité parentale ou l'exercice de l'autorité parentale par une décision expresse du jugement pénal du parent condamné, soit comme auteur, coauteur ou complice d'un crime ou délit commis sur la personne de leur enfant, soit comme coauteur ou complice d'un crime ou délit commis par leur enfant, soit comme auteur, coauteur ou complice d'un crime ou délit sur la personne de l'autre parent 8 ( * ) .

L'article 1 vise à renforcer les dispositions du code civil relatives aux modalités d'exercice de l'autorité parentale dans le cas où l'un des deux parents est poursuivi pour violences sur l'autre parent, afin de protéger l'enfant des agissements du parent impliqué dans ces violences. Plusieurs évolutions sont ainsi proposées :

- la levée de l'obligation d'informer l'autre parent du déménagement de la résidence des enfants en cas de situation de violences intrafamiliales commises par l'un des deux parents ;

- la possibilité d'attribuer l'exercice exclusif de l'autorité parentale au bénéfice du parent victime de violences intra- familiales, et non pas seulement lorsque l'intérêt de l'enfant le commande ;

- l'exclusion de la résidence alternée en présence de violences intrafamiliales et l'interdiction que la résidence de l'enfant soit fixée exclusivement au domicile du parent présumé violent ;

- l'ajout des situations de violences intrafamiliales parmi les motifs graves justifiant le retrait du droit de visite et d'hébergement du parent présumé violent ;

- l'introduction des violences intrafamiliales comme un motif justifiant l'organisation du droit de visite du parent présumé violent au sein de lieux médiatisés.

En tout état de cause, le juge dispose déjà de la faculté d'organiser le droit de visite de l'autre parent, lorsqu'il aura décidé de le maintenir, dans un lieu médiatisé, adapté au contexte de violences intrafamiliales et en présence d'un tiers.

L'article 2 prévoit que lorsqu'il y a poursuite ou condamnation pour violences ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours, sauf décision contraire et spécialement motivée, le parent victime se voit attribuer l'exercice exclusif de l'autorité parentale.

L'article 3 tend à mieux prendre en compte, sur le plan pénal, la situation des enfants qui assistent aux violences conjugales commises par l'un des parents sur la personne de l'autre. En l'état du droit, ces enfants ne peuvent pas toujours être reconnus comme des victimes, alors que les faits dont ils sont les témoins involontaires et impuissants peuvent avoir de lourdes conséquences sur eux, notamment sur le plan psychologique.

Pour Karen Sadlier 9 ( * ) , docteure en psychologie clinique : « le fait d'avoir une figure d'attachement, de bien-être et de protection tuée par une autre figure censée être elle aussi une figure de protection, est parmi les situations les plus traumatisantes pour un enfant. Pour les violences conjugales, on constate que 60 % des enfants présentent des troubles de stress post-traumatiques. C'est 10 à 17 fois plus de troubles comportementaux et anxio-dépressifs que pour la population enfantine en général. Et en cas de féminicide, le taux atteint 100 % ».

La loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes reconnaît que le fait qu'un enfant assiste aux violences au sein du couple constitue une circonstance aggravante 10 ( * ) .

Nous devons donc consacrer un véritable statut de victime aux enfants qui sont exposés à des violences dans le cercle familial.

À cette fin, il est proposé de créer une infraction autonome consistant, pour le parent violent, à exposer ses enfants aux violences qu'il commet sur l'autre parent. La peine encourue serait identique à celle prévue, en matière de mise en péril de mineurs 11 ( * ) , lorsqu'un parent se soustrait à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur.

Titre 2 : Protéger les enfants face aux violences sexuelles

Les mouvements anti-harcèlement #metoo et #balancetonporc, lancés en octobre 2017 suite aux accusations d'agression sexuelle et de viol portées à l'encontre du producteur de cinéma américain Harvey Weinstein ont permis à notre pays, comme à tant d'autres, de libérer la parole des victimes de violences sexuelles.

Chaque année, en moyenne en France, 102 000 personnes, 86 000 femmes et 16 000 hommes, sont victimes d'un viol ou tentative de viol. Ces chiffres s'élèveraient « à plus de 200 000 » en incluant les mineurs, premières victimes des violences sexuelles, selon l'association Mémoire traumatique.

2019 aura été une année noire pour les violences sexuelles. L'année a été marquée par une hausse de 12 % des violences sexuelles par rapport à 2018, selon une analyse de la délinquance en France métropolitaine.

Déjà en augmentation importante en 2018, avec une hausse de 19 %, les violences sexuelles ont poursuivi leur progression : 54 100 faits ont été enregistrés. Parmi eux, on observe une hausse (+19 %) du nombre de viols, et des autres agressions sexuelles, y compris le harcèlement sexuel (8 %).

En 2016, l'enquête « Violences et rapports de genre » (VIRAGE) menée par l'INED 12 ( * ) , a permis d'apporter trois enseignements majeurs.

D'abord, les violences sexuelles, dans leurs formes les plus graves, concernent principalement les femmes et sont quasi exclusivement le fait d'un ou plusieurs hommes.

Sur un an au cours des douze mois précédant l'enquête, 52 400 femmes et 2 700 hommes ont été victimes d'au moins un viol.

Plus d'un demi-million de femmes (553 000) ont été victimes d'agressions sexuelles autres que le viol (11% attouchements du sexe, 95% attouchements des seins/fesses ou baisers imposés par la force).

Au cours de sa vie, 1 femme sur 26 est violée, 1 sur 7 est agressée sexuellement.

Ensuite, les filles et les jeunes femmes sont particulièrement exposées.

Sur un an au cours des douze mois précédant l'enquête : 1 femme de 20 à 34 ans sur 20 a été agressée sexuellement.

Pour près de 3/5 ème des femmes qui ont été victimes de viol ou tentative de viol, le premier fait s'est produit avant 18 ans (et avant 15 ans pour 2 femmes victimes sur 5).

1/7 ème des femmes qui ont été victimes de viol dans leur couple l'ont été aussi avant 18 ans.

Enfin, la famille et l'entourage proche constituent le premier espace dans lequel se produisent les agressions. Les 3/4 des femmes victimes de viol et des tentatives de viol ont été agressées par un membre de leur famille, un proche, un conjoint ou ex-conjoint.

5% des femmes ont subi au moins une violence sexuelle d'un membre de leur famille ou d'un proche et 1,6% au moins un viol ou une tentative de viol.

Enfin, sur les 300 000 victimes de viol estimées chaque année, 60% sont des enfants. Parmi les appels reçus par le Collectif féministe contre le viol, 30% ont pour objet des violences sexuelles commises contre des enfants de moins de 11 ans.

Afin de faciliter le dépôt des plaintes des victimes de viols, de tortures ou d'actes de barbarie qui étaient mineures au moment des faits, la loi contre les violences sexistes et sexuelles allonge le délai de prescription de l'action publique de 20 à 30 ans pour les crimes sexuels commis sur des mineurs.

Le délai commence à partir de la majorité de la victime qui peut désormais porter plainte jusqu'à ses 48 ans révolus, contre 38 ans auparavant.

Cet allongement du délai de prescription d'une dizaine d'années, qui avait été envisagé par la proposition de loi « relative à la protection des victimes de viol » du 31 janvier 2018 13 ( * ) , se justifie en raison de « l'amnésie traumatique » dont sont parfois atteintes les victimes de viols.

Par ailleurs, l'étude d'impact de la loi précise que la limite de 38 ans correspond à la période de la vie où les victimes supportent généralement d'importantes contraintes familiales et personnelles qui peuvent constituer un facteur d'empêchement au dépôt de plainte.

Pourtant, l'Observatoire National de la Délinquance et des Répressions Pénales (ONDRP) estime que seule une victime sur 10 portera plainte et que seule une plainte sur 10 aboutira à une condamnation.

La probabilité même que l'affaire aboutisse à un procès, notamment aux assises est faible.

Selon la sociologue Véronique Le Goaziou 14 ( * ) : « au niveau national, les deux tiers des affaires sont classées sans suite par le parquet ». En effet, les faits sont souvent prescrits mais le plus souvent l'infraction ne peut être suffisamment caractérisée. La justice manque d'éléments pour poursuivre l'agresseur présumé.

Dans certains cas les victimes portent plainte des mois voire des années après leur agression. Les éléments matériels sont donc, à l'heure actuelle, impossibles à retrouver. En droit pénal, le doute profite toujours à l'accusé.

C'est pourquoi, nous devons autoriser pour les mineures, le prélèvement et la conservation de tissus ou cellules embryonnaires ou foetaux après une interruption de grossesse dans la perspective d'une procédure pénale ultérieure.

En conséquence, il est proposé par l'article 4 , que toute mineure, décidant de subir une interruption volontaire de grossesse, soit informée, de la possibilité de prélever et conserver les tissus ou cellules embryonnaires ou foetaux et que le prélèvement et la conservation fassent l'objet d'une demande écrite expresse.

L'information serait délivrée lors de la consultation préalable à l'intervention qui, dans le cadre de l'IVG, est obligatoire pour toutes les femmes mineures 15 ( * ) .

Titre 3 : Protéger les enfants contre les mutilations génitales féminines

Actuellement dans le monde c'est au moins 200 millions de femmes et de filles qui ont été victimes de mutilations génitales. Parmi ces victimes, 44 millions sont des filles âgées de moins de 15 ans.

« La prévalence des mutilations génitales féminines et des excisions chez les filles de moins de 14 ans a nettement diminué dans la plupart des régions d'Afrique au cours des trois dernières décennies », indique cependant une étude britannique publiée dans le British Medical Journal (BMJ) Global Health. La situation est néanmoins variable selon les pays. Si la pratique « est toujours omniprésente » en Irak ou au Yémen, le recul apparaît spectaculaire en Afrique de l'Est, 71,4 % en 1995 à 8 % en 2016.

Le déclin est également marqué en Afrique de l'Ouest, passant de 73,6 % en 1996 à 25,4 % en 2017. L'enquête a révélé qu'en 2016, au Nigeria, 18,4% des femmes avaient subi des mutilations génitales féminines, contre 26 % en 2007. Malgré la baisse, les données ont montré que plus de filles de moins de 14 ans sont encore en train d'être mutilées. Alors qu'elle se situait à 13% en 2007, elle était passée à 25,3% en 2016/17.

En Afrique du Nord (Soudan et Égypte seulement, dans la mesure où l'excision n'est pas pratiquée au Maghreb), la pratique a régressé de 58 % en 1990 à 14 % en 2015.

Notons également que l'âge des mutilations sexuelles diminue : de 10 ans, il est passé à 5 ans et même parfois encore plus jeune. Dans certains pays cela serait fait par des professionnels de santé, dans des centres de santé, ce qui ne rend pas cette pratique moins barbare, car l'ablation est dans certains cas, totale et la « réparation » est encore plus difficile.

L'UNICEF s'est fixé pour but de mettre fin à l'excision d'ici à 2030.

La France n'est pas épargnée par ces mutilations. En France, les mutilations sexuelles féminines concernent une partie des femmes migrantes originaires de pays où l'excision se pratique (Mali, Sénégal, Côte d'Ivoire, Burkina Faso et Guinée principalement) ainsi que leurs filles. Dans le cadre du projet de recherche ExH, l'Ined a construit, à partir des enquêtes sur la prévalence des MSF dans les pays d'origine et des flux migratoires en France, un modèle statistique permettant d'estimer le nombre de femmes vivant en France et ayant subi une mutilation sexuelle.

Selon une hypothèse moyenne, en 2004, 53 000 femmes majeures seraient concernées en France, qu'elles soient immigrées ou nées en France de parents originaires d'un pays où l'excision est pratiquée.

Même si ces chiffres sont particulièrement inquiétants, ils ne reflètent que la partie émergée de l'iceberg. De nombreux experts pensent que les mutilations génitales féminines sont bien plus importantes car pratiquées à l'abri des regards.

Face à ces pratiques aux conséquences extrêmement dommageables il est plus que jamais opportun de renforcer notre système de prévention, mais aussi d'imposer la dénonciation de pareils actes bien trop souvent passés sous silence, y compris en France.

L'article 5 permet d'exiger la fourniture d'un certificat de non excision pour une mineure faisant face à un risque de mutilation sexuelle et quittant le territoire national sans être accompagnée d'un titulaire de l'autorité parentale.

En France, des petites filles et des adolescentes risquent une excision lors de séjours dans les pays où la pratique se perpétue et dont leurs familles sont originaires.

Depuis le 15 janvier 2017, les mineurs souhaitant quitter le territoire national seuls ou n'étant pas accompagnés du titulaire de l'autorité parentale doivent disposer d'une autorisation 16 ( * ) .

Afin d'assurer une protection effective aux jeunes filles exposées à une mutilation génitale, la loi du 29 juillet 2015 a mis en place, à travers les articles L. 723-5 et L. 752-3 du Ceseda, deux mécanismes tendant à la production par les parents de certificats médicaux constatant la non-excision. Un arrêté du 23 août 2017 (publié au Journal officiel du 31 août), précise les modalités d'application de ces dispositions.

Une fois la protection accordée à l'enfant par l'Ofpra ou par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), ses représentants légaux doivent aussi être informés des « conséquences judiciaires de ces mutilations » et de la nécessité de produire régulièrement des certificats médicaux constatant l'absence d'excision, comme le prévoit l'article L. 752-3 du Ceseda 17 ( * ) .

L'enfant faisant face à un risque de mutilation sexuelle et quittant le territoire national sans être accompagné d'un titulaire de l'autorité parentale devrait également être muni d'un certificat de non excision.

Un décret en Conseil d'État déterminera les conditions d'application de cette disposition mais il convient d'envisager un examen médical avant le départ et dès le retour de l'enfant mineur sur le territoire Français.

Si le médecin ne constate aucune mutilation le certificat pourra être remis aux représentants légaux de la mineure.

Si, a contrario, le médecin constate une mutilation, le certificat serait directement transmis pour signalement au Procureur de la République.

L'article 6 permet de créer une charte de protection de l'intégrité génitale de la femme délivrée dans les maternités.

Dans certaines maternités, des équipes médico-chirurgicales se sont mises en place pour prendre en charge les femmes victimes de telles mutilations.

C'est le cas par exemple de la Maternité de la Conception Marseille (AP-HM) qui est depuis 2008 associée avec l'Union des femmes du monde GAMS Sud, présidée par la comédienne ivoirienne Naky SY SAVANE.

Ces initiatives permettent d'accompagner et de sensibiliser les patientes en abordant tous les aspects de prévention, de conseils, de soutien et d'information, avec rappel du cadre législatif français.

Lorsqu'un médecin ou une sage-femme constate à l'occasion d'un examen médical qu'une femme enceinte a subi une mutilation de nature sexuelle, le pouvoir de santé doit pouvoir remettre à celle-ci une « charte de protection de l'intégrité génitale de la femme » .

Ce document présentera le droit applicable en matière de protection du corps humain, notamment l'interdiction de toute forme de mutilation prévue par le code pénal, ainsi que les risques sanitaires encourus à l'occasion d'une mutilation génitale.

Le contenu de ce document et les modalités de sa remise à la personne intéressée seront précisés par arrêté du ministre chargé de la santé.

La création d'actes inopposables devant un juge - comme les « chartes » - résulte rarement d'une disposition législative. Certaines chartes ont cependant été prévues par des dispositions législatives. C'est le cas lorsqu'elles fixent des obligations déontologiques applicables à un groupe de personnes physiques ou morales 18 ( * ) .

La charte envisagée ayant principalement pour objet d'exposer certaines obligations juridiques à son destinataire, se rapproche de la charte des droits et devoirs du citoyen français que doit signer la personne qui souhaite acquérir la nationalité française dans les conditions prévues par l'article 22-21 du code civil et par le décret n°2012-27 du 30 janvier 2012.

Signer cette « charte de protection de l'intégrité génitale de la femme » c'est aussi réaffirmer son adhésion aux valeurs de la République.

L'objet de la charte

L'objet doit être prévu dans la loi afin de lui conférer une certaine densité normative. Il sera prévu d'exposer les règles juridiques interdisant les mutilations génitales féminines ainsi que les risques qu'implique ce type d'opération au regard de la santé.

La notion de mutilation génitale féminine étant inconnue du droit positif, la charte pourrait être intitulée « Charte de la protection de l'intégrité génitale de la femme », dans une perspective « positive » de prévention en matière de santé publique et de respect des droits individuels fondamentaux. Le soin de définir le contenu précis du document sera renvoyé au pouvoir réglementaire.

La remise de la charte

Il est souhaitable de fonder le dispositif envisagé sur la notion « d'examen médical », déjà prévu dans des articles du code la santé publique consacrés à la prévention.

Les conditions précises entourant la remise du document (format et support matériel de la charte, obligation de conseil accompagnant la remise, signature...) seront renvoyées au pouvoir réglementaire.

L'article 7 prévoit d'insérer dans le carnet de santé des informations concernant les mutilations sexuelles

Le carnet de santé est un document qui contient les éléments d'information médicale nécessaires au suivi de la santé de l'enfant jusqu'à ses 18 ans. Son utilisation est réservée aux professionnels de santé et sa consultation soumise à l'accord des parents.

En tant que document officiel soumis au secret professionnel, il est un outil de liaison entre les différents agents du milieu médical.

Le carnet de santé contient :

- Les pathologies au long cours, allergies et antécédents familiaux. Les informations sur la période périnatale ;

- La surveillance médicale ;

- Les courbes de croissance ;

- Les examens bucco-dentaires ;

- Les hospitalisations, transfusion sanguines ;

- Des conseils sur les conduites à tenir devant un enfant malade (fièvre, vomissements, diarrhées, gêne respiratoire...) ;

- Des informations sur la détection précoce des troubles sensoriels (vue et audition), du langage et de la relation ;

- Les certifications de vaccination, les recommandations vaccinales et les maladies infectieuses ;

- On y retrouve aussi des messages de prévention, enrichis et actualisés pour tenir compte des évolutions scientifiques et sociétales (risques liés au tabagisme, à l'alcool...).

Face à cette pluralité d'informations tenant à préserver le bien être de l'enfant il serait donc opportun d'introduire dans le carnet de santé un message de prévention sur les mutilations génitales féminines.

Ce message rappellerait dans un premier temps les risques de ces pratiques sur l'intégrité physique et psychique de l'enfant, et dans un second la sanction prévue par le code pénal.

L'article 8 prévoit pour les enfants de sexe féminin un examen gynécologique obligatoire dans l'année de leur sixième, douzième anniversaire et quinzième anniversaire afin de constater l'absence de mutilation sexuelle. L'obligation doit être remplie par un médecin spécialisé et ne donne pas lieu à une contribution financière de la part des parents.

L'âge en moyenne auquel les mutilations sont pratiquées est difficile à déterminer tant les pratiques divergent en fonction de l'origine, de l'ethnie mais aussi du contexte particulier. Elles sont le plus souvent pratiquées chez les enfants en bas-âge, mais peuvent aussi avoir lieu plus tard, à l'occasion d'un mariage par exemple 19 ( * ) ou en référence à un rite de passage à l'âge adulte. Globalement il est estimé qu'elles ont lieu pour les personnes aux origines africaines dans les zones à prévalence entre l'âge de cinq et 14 ans d'après l'association « Excision, parlons-en ! », voire même à partir de quatre ans selon l'association « Population Référence Bureau ».

Les enfants sont soumis à 20 examens médicaux obligatoires au cours des 6 premières années :

- la surveillance de la croissance staturo-pondérale (évolution du poids et de la taille en fonction de l'âge) et du développement physique,

- la surveillance psychomoteur,

- la surveillance affective de l'enfant,

- le dépistage précoce des anomalies ou déficiences,

- et la pratique des vaccinations.

Ils permettent aux autorités sanitaires, dans le respect du secret médical, de s'assurer que chaque famille est en mesure de dispenser les soins nécessaires à leurs enfants. En cas de difficultés, une aide peut être proposée à la famille (par exemples, visite à domicile de puéricultrices, prévention).

Dans cette optique, comme cela est déjà prévu dans le cadre bucco-dentaire 20 ( * ) ou des vaccinations 21 ( * ) , il convient de prévoir que dans l'année qui suit leur sixième, leur douzième et leur quinzième anniversaire, les enfants de sexe féminin sont soumis à un examen réalisé par un médecin généraliste, un pédiatre, un gynécologue-obstétricien ou une sage-femme afin de constater d'éventuelles mutilations sexuelles.

Cette obligation sera réputée remplie lorsque le médecin, le pédiatre, le gynécologue-obstétricien ou la sage-femme attestera sur le carnet de santé de la réalisation des examens dispensés.

Prévenir, c'est protéger ces jeunes victimes et ces femmes. C'est faire respecter leurs droits, leur dignité et préserver leur avenir comme le font certaines associations à l'image de « SOS Africaine en Danger » présidée par Danielle Merian.


* 1 Rapport gouvernemental d'avril 2019

* 2 Sondage Harris-L'Enfant Bleu 2014

* 3 https://stop-violences-femmes.gouv.fr/les-chiffres-de-reference-sur-les.html

* 4 Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et http://www.assemblee-nationale.fr/15/rapports/r2285.asp

* 5 Rapport d'information (n° 564, session ordinaire de 2017-2018) de Mmes Laurence Cohen, Nicole Duranton, M. Loïc Hervé, Mmes Françoise Laborde, Noëlle Rauscent et Laurence Rossignol au nom de la Délégation aux droits des femmes du Sénat sur les violences faites aux femmes, juin 2018, pp. 165-166.

* 6 Édouard Durand est un juge pour enfants, au tribunal de grande instance de Bobigny (Seine-Saint-Denis) et membre du conseil scientifique de l'Observatoire national de l'enfance en danger

* 7 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2468_proposition-loi#

* 8 Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales

* 9 Karen Sadlier est docteure en psychologie clinique. Elle exerce en cabinet privé et elle est consultante pour l'Observatoire de violence envers les femmes 93 et la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof)

* 10 Article 13 de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes

* 11 Deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, article 227-17 du code pénal

* 12 Institut national d'études démographiques

* 13 Proposition de loi de Valérie Boyer et plusieurs de ses collègues relative à la protection des victimes de viol » (n°616 du 31 janvier 2018) http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/propositions/pion0616.pdf

* 14 Cette sociologue de la délinquance, chercheuse associée au Lames - CNRS, s'est penchée avec une équipe de sociologues et juristes sur 400 plaintes pour viol afin d'étudier leur traitement judiciaire

* 15 Article L. 2212-4 du code de la santé publique

* 16 Article 371-6 du code civil : « L'enfant quittant le territoire national sans être accompagné d'un titulaire de l'autorité parentale est muni d'une autorisation de sortie du territoire signée d'un titulaire de l'autorité parentale. »

* 17 Article L. 752-3 du Ceseda : « Lorsqu'une protection au titre de l'asile a été octroyée à une mineure invoquant un risque de mutilation sexuelle, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, tant que ce risque existe et tant que l'intéressée est mineure, lui demande de se soumettre à un examen médical visant à constater l'absence de mutilation. L'office transmet au procureur de la République tout refus de se soumettre à cet examen ou tout constat de mutilation.

Aucun constat de mutilation sexuelle ne peut entraîner, à lui seul, la cessation de la protection accordée à la mineure au titre de l'asile. Il ne peut être mis fin à ladite protection à la demande des parents ou des titulaires de l'autorité parentale tant que le risque de mutilation sexuelle existe.

L'office doit observer un délai minimal de trois ans entre deux examens, sauf s'il existe des motifs réels et sérieux de penser qu'une mutilation sexuelle a effectivement été pratiquée ou pourrait être pratiquée.

Un arrêté conjoint des ministres chargés de l'asile et de la santé, pris après avis du directeur général de l'office, définit les modalités d'application du présent article et, en particulier, les catégories de médecins qui peuvent pratiquer l'examen mentionné au premier alinéa. »

* 18 Comme par exemple la charge déontologique de l'entreprise ou de la société éditrice en matière de presse (article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) ou encore la charte nationale d'insertion de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine qui s'adresse notamment aux habitants de quartiers prioritaires de la politique de la ville (article 10-3 de la loi n°2003-710 du 1 er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine).

* 19 Institut pour l'égalité des femmes et des hommes - « La protection internationale et les mutilations génitales féminines »

* 20 L'examen bucco-dentaire de prévention, obligatoire et gratuit, à six ans et à douze ans, qui figure à l'article L. 2132-2-1 du code de la santé publique, est un examen individuel effectué par un chirurgien-dentiste ou un stomatologiste dans un cabinet dentaire. Outre le diagnostic des pathologies éventuelles et le bilan des soins nécessaires, cet examen doit comprendre notamment une éducation et une motivation à la santé bucco-dentaire en collaboration étroite avec les parents, ainsi que des conseils personnalisés sur l'hygiène alimentaire et le rôle protecteur du fluor. Le souci de sensibilisation et d'éducation à la santé constitue une dimension importante de cette mesure. Le caractère obligatoire de cet examen et son inscription dans le carnet de santé de l'enfant constitue une forte incitation, comparable à celle qui existe notamment dans le domaine des vaccinations.

* 21 Huit vaccins sont devenus obligatoires pour les enfants nés à partir du 1er janvier 2018. Il s'agit des vaccins contre la coqueluche, l'Hæmophilus influenzæ b, l'hépatite B, le méningocoque C, le pneumocoque, la rougeole, les oreillons, la rubéole. Ce ne sont pas de nouveaux vaccins mais des vaccins qui étaient déjà recommandés dans le calendrier des vaccinations des nourrissons. Ils s'ajoutent aux vaccins contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, qui étaient déjà obligatoires. Le parcours des vaccinations obligatoires des enfants au cours de leurs 18 premiers mois comprend 6 rendez-vous (à 2 mois, 4 mois, 5 mois, 11 mois, 12 mois et 16-18 mois) et 10 injections pour les protéger contre 11 maladies aux conséquences graves.

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