EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Par le passé, le financement des campagnes électorales était pour le moins opaque. Vers 1990, plusieurs affaires judicaires ont alors été à l'origine d'une réglementation qui a plafonné les dépenses électorales, puis surtout qui a interdit les dons de personnes morales. En contrepartie, l'État a pris en charge les dépenses engagées par les candidats jusqu'à la moitié du plafond autorisé.

Pour les élections ayant un plafond de dépenses élevé (présidentielles, européennes, régionales...), le système trouve cependant ses limites car les candidats doivent avancer des sommes considérables et ils ne sont remboursés que plus de six mois après les élections. De ce fait, ils sont obligés de souscrire des emprunts auprès des banques.

Or, on constate que selon leurs affinités politiques, les banques pratiquent une discrimination entre les candidats. En général, elles accueillent avec beaucoup de bienveillance les demandes d'emprunt formulées par les partis dits « bien-pensants ». Au contraire, les partis qui contestent le système dominant sont eux, victimes d'un ostracisme systématique. Lors des élections présidentielles de 2017, le Front national avait ainsi été obligé à souscrire un prêt auprès d'une banque étrangère car les banques françaises lui refusaient tout financement.

En matière électorale, l'argent est le nerf de la guerre et un parti qui est privé de moyens financiers pour faire campagne subit un handicap rédhibitoire. Si une banque accorde un prêt à un candidat et si elle le refuse à d'autres, le bénéficiaire du prêt profite à l'évidence d'un avantage en nature par rapport à ses concurrents. Un tel avantage accordé par une personne morale est interdit.

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) est très vigilante dans certains domaines. Par exemple lorsqu'un candidat bénéficie gratuitement d'une salle municipale pour tenir une réunion, la CNCCFP exige la preuve que les autres candidats sont traités sur un pied d'égalité, faute de quoi, elle pénalise le compte de campagne du bénéficiaire de la salle. Une location de salle correspond cependant à un avantage insignifiant par rapport à un prêt bancaire, lequel peut s'élever à plusieurs millions d'euros pour une élection nationale.

Il est donc vraiment regrettable que pour l'instant, la CNCCFP, le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État ne réagissent pas à l'encontre des discriminations pratiquées par les banques. Le problème est incontestable et il faut rendre hommage à François BAYROU, l'éphémère Garde des sceaux du Gouvernement d'Édouard PHILIPPE, d'avoir évoqué le problème en proposant la création d'une banque de la démocratie.

Malheureusement, les partis politiques dominants sont également ceux qui profitent du système car leurs réseaux d'influence leur permettent d'obtenir des prêts sans grande difficulté. Étant de la sorte avantagés par rapport aux autres partis politiques, ils ne souhaitent pas que cela change. Lors du débat parlementaire, les députés et les sénateurs LREM, LR et PS se sont ainsi entendus pour torpiller l'idée d'une banque de la démocratie ; à sa place, ils ont créé un ectoplasme, en l'espèce le médiateur du crédit. Non seulement celui-ci a une efficacité totalement nulle mais en plus, il nie l'existence de tout problème et justifie les discriminations pratiquées par les banques.

Lors des élections européennes de 2019, certains candidats ont été à nouveau confrontés aux mêmes difficultés que lors des présidentielles de 2017. En l'espèce, le remboursement forfaitaire maximum de l'État est de 4,37 M€ pour les listes qui atteignent le seuil requis de 3 % des suffrages exprimés. Les listes ayant selon les sondages constants, la quasi-certitude de dépasser ce seuil auraient donc dû pouvoir emprunter sans problème auprès des banques.

Pourtant dès le début de la campagne, la presse a évoqué l'impossibilité pour certains partis politiques de souscrire des emprunts auprès des banques. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les exemples les plus cités sont ceux de partis qui contestent la pensée dominante, l'un à l'extrême droite, le Rassemblement national (RN), l'autre à l'extrême gauche, la France insoumise (LFI).

C'est d'autant plus inacceptable que tous les sondages donnent la liste RN en première ou deuxième position avec plus de 20 % des suffrages. Ils donnent également la liste LFI aux environs de 9 %, soit trois fois plus que le seuil requis de remboursement. À très juste titre, un représentant de la liste RN fait le triste constat que « c'est désormais aux banques de dire qui a le droit de se présenter ou non. ». De son côté, un membre de la liste LFI indique « ce n'est pas aux banques de décider quelles sont les bonnes idées et quelles sont les mauvaises. C'est au peuple français de se prononcer. » (Le Figaro, 6 février 2019).

Dès février 2019, il était évident que le médiateur du crédit qui venait d'être mis en place ne servait à rien et que pire, les discriminations bancaires lui semblaient acceptables. Ainsi, au sujet de la liste RN, il indiquait : « Il y a un certain nombre de critères à respecter. Celui de la solvabilité ne pose pas problème pour le Rassemblement national. Celui de la conformité, de la réputation et de l'image, c'est une autre chose » (Le Figaro, 6 février 2019). Il trouve donc normal qu'une banque défavorise un candidat en fonction de sa réputation au sein des pseudos élites du microcosme politique. C'est un scandale.

Dans un article du 8 avril 2019, le journal Le Monde a relancé le débat sous le titre « Européennes : les partis peinent à financer leur campagne. Si LRM, le PS et LR ont réussi à emprunter sans difficulté, d'autres formations comme le RN, LFI ou EELV font face à la frilosité des banques ». À lui seul, cet article prouve que les banques ont choisi leur camp, d'autant que le directeur d'une grande banque française s'englue dans de fausses explications : « C'est une mauvaise querelle qui nous est faite. Des partis sans financement public parce qu'ils n'ont pas de parlementaires, avec peu de ressources et peu de garanties de franchir le seuil des 3 %, se posent en victimes. Mais les banques ne peuvent pas financer une activité à fonds perdu dès le départ. Ce serait quasiment du don ».

À l'évidence, ce directeur aurait mieux fait de se taire puisque le RN remplit toutes les conditions énoncées. Il bénéficie d'un financement public, il a de nombreux parlementaires et tous les sondages confirment qu'il pulvérisera le seuil de 3 %. C'est la preuve flagrante du double langage du système bancaire.

Dans le même article du Monde, le médiateur du crédit réagit une nouvelle fois en totale contradiction avec sa mission. À l'égard des candidats victimes des banques, il propose en effet une solution pour le moins surprenante : « Il n'est pas anormal de faire appel aux militants pour financer une campagne, les partis sont aussi faits pour ça ». Ainsi selon lui, il y aurait deux catégories de candidats. D'une part, ceux qui ont le soutien des banques et qui avec leur aide, peuvent financer sans problème leur campagne. D'autre part, les victimes des banques qui n'ont qu'à se débrouiller, soit en faisant appel aux militants afin d'essayer de rassembler une partie des 4,37 millions d'euros correspondant au futur remboursement par l'État, soit en faisant campagne avec un handicap considérable par rapport à ceux qui sont aidés par les banques.

Lors de la séance du 10 avril 2019 de la commission des lois du Sénat, l'auteur de la présente proposition de loi a exprimé de la sorte son indignation à l'égard des banques : « Je suis révolté par l'argument consistant à dire que les banques ne prêteraient pas de peur de ne pas être remboursées : c'est ridicule pour la liste du Rassemblement national (RN), qui arrivera sans aucun doute première ou deuxième aux prochaines élections européennes. Comment les banques pourraient-elles craindre qu'elle obtienne moins de 3 % des suffrages exprimés ? Si ce n'est pas de l'ostracisme, je ne vois pas ce que cela peut être. Il y a clairement du favoritisme au profit de certains et au détriment d'autres. En toute honnêteté, je ne suis pas sur la liste du Rassemblement national, mais je ne trouve pas normal qu'il y ait de telles discriminations. C'est manifestement un avantage en nature. ».

L'objet de la présente proposition de loi est donc de garantir l'égalité de traitement entre candidats en créant une obligation pour les organismes bancaires d'accorder les mêmes conditions à tous les candidats. À défaut, il faut que le candidat ayant bénéficié des conditions les plus favorables soit réputé avoir reçu un avantage en nature de la part d'une personne morale. Le candidat et l'organisme bancaire seraient alors passibles des sanctions prévues pour la violation de l'article L. 52-8 du code électoral. À savoir :

- trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende pour tout candidat ayant accepté des fonds en violation de cet article (2° du I de l'article L. 113-1 du code électoral) ;

- les mêmes peines pour quiconque aura en vue d'une campagne électorale accordé un don ou un prêt en violation de cet article (III de l'article L. 113-1 du code électoral) ;

- la transmission au parquet des irrégularités constatées par la CNCCFP au titre de cet article (article L. 52-15 du code électoral).

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