L'ORGANISATION D'UN SERVICE MINIMUM DANS LES SERVICES PUBLICS EN CAS DE GREVE
Table des matières
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NOTE DE SYNTHESE
- 1) La notion de services essentiels est unanimement reconnue
- 2) A l'exception du Royaume-Uni, tous les pays étudiés ont établi des règles sur l'instauration d'un service minimum en cas de grève dans les services essentiels
- 3) Partout sauf en Espagne et au Portugal, l'organisation du service minimum est négociée avec les partenaires sociaux
- ALLEMAGNE
- ESPAGNE
- ITALIE
- PORTUGAL
- ROYAUME-UNI
- QUEBEC
NOTE DE SYNTHESE
Tous les
pays qui reconnaissent le droit de grève se trouvent confrontés
au même problème de conciliation de ce droit avec la
nécessité d'assurer la continuité de certains services
considérés comme essentiels.
C'est pourquoi
le droit de grève est souvent interdit dans certains
services publics
. En règle générale,
les militaires
et les membres des forces de police
sont privés du droit de
grève. Certains pays ont étendu cette interdiction à
d'autres catégories (magistrats en Espagne, pompiers au Québec
par exemple). En Allemagne, en revanche, il n'existe aucune interdiction
explicite du droit de grève pour un service donné, mais, quel que
soit leur poste, les fonctionnaires n'ont pas le droit de grève.
Dans les autres services publics, l'exercice du droit de grève
s'accompagne généralement de la nécessité de
respecter une procédure spécifique, caractérisée
par exemple par un préavis particulièrement long, par la
nécessité d'informer les usagers ou par l'obligation de
négocier avant la grève.
Par ailleurs,
pour garantir la continuité du service en cas de
grève, un
service minimum
peut être
institué
. En France, le service minimum n'existe que de façon
ponctuelle. A ce jour, seuls deux services publics ont fait l'objet de lois
instaurant un service minimum : la radiotélévision publique
ainsi que la sécurité et la navigation aériennes. Par
ailleurs, un arrêté ministériel précise les services
prioritaires pour lesquels l'alimentation en électricité doit
être maintenue. Dans les autres services publics (établissements
hospitaliers, établissements où sont détenues des
matières nucléaires, météorologie nationale...), le
service minimum résulte de la jurisprudence.
Pour apprécier les revendications en faveur de l'institution d'un
service minimum dans les services publics en cas de grève, on a
examiné comment le problème était traité dans
quelques pays européens (
Allemagne
,
Espagne
,
Italie
,
Portugal
et
Royaume-Uni
), ainsi qu'au
Québec
, où les traditions juridiques continentale et
anglo-saxonne se mêlent.
Il convient de souligner que l'étude ne se limite pas aux services
publics
stricto sensu
, mais qu'elle couvre également les
entreprises, publiques ou privées, qui remplissent une mission de
service public.
Parmi les cinq pays européens analysés, deux, l'
Italie et le
Portugal, ont modifié leur législation depuis 1990 pour organiser
la prestation d'un service minimum dans les services publics en cas de
grève. En 1992, le gouvernement espagnol avait préparé un
projet de loi sur le droit de grève
, qui visait notamment à
organiser le service minimum dans les services publics, mais ce projet n'a pas
abouti.
L'examen des dispositions applicables dans les différents pays
étudiés permet de mettre en évidence que :
-
la notion de service essentiel est unanimement reconnue ;
-
à l'exception du Royaume-Uni, tous les pays ont établi des
règles sur l'instauration d'un service minimum en cas de grève
dans les services essentiels ;
-
sauf en Espagne et au Portugal, l'organisation du service minimum est
négociée avec les partenaires sociaux.
1) La notion de services essentiels est unanimement reconnue
a) soit par la législation ...
En
Italie, au Portugal, au Royaume-Uni et au Québec, la notion de services
essentiels est définie par la loi.
L'Italie, qui a spécifiquement légiféré sur le
droit de grève dans les "
services publics
essentiels
", les définit comme "
ayant pour objet de
garantir la jouissance des droits de la personne protégés par la
Constitution
".
D'après la loi portugaise sur le droit de grève, il s'agit des
"
entreprises ou établissements dont l'activité a pour
but de satisfaire des besoins sociaux absolument nécessaires
".
Au Royaume-Uni, la loi qui permet d'organiser la réquisition
évoque la nécessité d'"
assurer à la
communauté ce qui est essentiel à la vie
".
Le code du travail québécois indique qu'un service public doit
être considéré comme essentiel lorsque son absence
représente un danger pour la santé ou pour la
sécurité de la population.
Dans les quatre cas, la définition de ce concept s'accompagne d'une
liste précise des services et des personnels concernés. Il s'agit
le plus souvent des magistrats, du personnel de sécurité et de
celui des prisons, des services de secours, du secteur médical, des
services de distribution de l'eau, du gaz, de l'électricité, de
la radiodiffusion et de la télévision, ainsi que des transports
publics.
Le projet de loi espagnol de 1992 prévoyait également les
garanties nécessaires au maintien des services permettant la protection
des "
biens et droits constitutionnellement
protégés
", qu'il classait en dix-sept secteurs.
b) ...soit par la jurisprudence
En
Espagne
, où le droit de grève est régi par le
décret-loi de 1977 sur les relations de travail, qui est
antérieur à la constitution, c'est le
Tribunal
constitutionnel
qui a délimité la notion de " services
essentiels ", mentionnée par la constitution. Il l'a fait en
prenant en compte la seule nécessité de protéger les
intérêts des usagers.
En
Allemagne
, le
Tribunal fédéral du travail
insiste sur la nécessité de préserver les
"
intérêts vitaux de la population
".
2) A l'exception du Royaume-Uni, tous les pays étudiés ont établi des règles sur l'instauration d'un service minimum en cas de grève dans les services essentiels
a) L'absence de règle générale sur le service minimum au Royaume-Uni
Il
n'existe aucune réglementation relative au service minimum dans les
services publics, et les seuls moyens d'en assurer la continuité sont la
limitation légale générale du recours à la
grève
et la réquisition.
Le premier moyen a permis, depuis le début des années 80, de
faire chuter de façon spectaculaire le nombre des grèves, en
particulier dans les services publics.
Cependant, la recrudescence des grèves pendant l'été 1996
avait conduit le gouvernement conservateur à envisager une
réforme pour restreindre les grèves dans les services essentiels,
ainsi que dans les services disposant d'un quasi-monopole. Il avait alors
suggéré de permettre à toute personne d'engager des
poursuites contre les syndicats en cas de grève dont les effets auraient
été "
disproportionnés ou
excessifs
".
b) Le maintien de l'ensemble des services essentiels dans les autres pays
Tous les
autres pays étudiés ont établi,
par voie
législative ou jurisprudentielle
, des règles permettant
d'assurer un
service minimum pour l'ensemble des services essentiels.
En
Allemagne
, en l'absence de législation, c'est la
jurisprudence qui a codifié l'exercice du droit de grève. Le
Tribunal fédéral du travail
estime que, à la
différence des fonctionnaires, qui n'ont pas le droit de grève,
les agents des services publics sous contrat de travail de droit privé
peuvent faire grève "
à condition de ne pas léser
indûment les intérêts vitaux de la population et de veiller,
en cas de grève, à ce que les mesures de protection
indispensables soient assurées
".
Dans les autres pays, en revanche, c'est la loi qui requiert le maintien des
services essentiels en cas de grève.
La
constitution espagnole
exige, en cas de grève, le maintien des
"
services essentiels de la communauté
".
En
Italie, la loi n° 146 du 12 juin 1990
se donne
précisément pour objectif la
conciliation de l'exercice du
droit de grève dans les services publics essentiels et la jouissance des
droits de la personne protégés par la constitution
. A cette
fin, elle énonce les règles à respecter en cas de conflit
collectif pour "
assurer la réalité du contenu essentiel
desdits droits
".
La loi portugaise de 1977 sur le droit de grève
a modifié
le régime de la grève et a en particulier instauré des
mesures spécifiques dans les
services "
assurant des besoins
sociaux absolument nécessaires
"
, comme
l'obligation d'accomplir un
service minimum
.
Au Québec, la loi qui, en 1982, modifia certaines dispositions du
code du
travail applicables aux services publics
a été
adoptée pour "
consacrer la primauté du droit des
citoyens de continuer à bénéficier de services
jugés essentiels, lorsque des travailleurs exercent leur droit de
grève dans les services de santé, dans les services sociaux et
dans certains services publics
".
3) Partout sauf en Espagne et au Portugal, l'organisation du service minimum est négociée avec les partenaires sociaux
a) L'intervention du pouvoir exécutif en Espagne
Le
décret-loi de 1977, approuvé par le Tribunal constitutionnel,
prévoit que "
l'autorité gouvernementale
"
(c'est-à-dire, en fonction des circonstances, le gouvernement national
ou celui de la communauté autonome) fixe les mesures indispensables au
fonctionnement des services tenus pour essentiels.
En application du décret-loi de 1977, de
nombreux décrets de
service minimum
ont été pris pour déterminer les
conditions particulières de son exercice dans les centres publics
hospitaliers, les chemins de fer, la navigation aérienne...
b) Le vide juridique au Portugal
La loi
adoptée en 1992 pour modifier la loi de 1977 sur le droit de
grève prévoyait l'organisation du service minimum par la
négociation collective, le ministre chargé de l'emploi pouvant
tenter une médiation avant d'imposer, en accord avec le ministre
responsable du secteur d'activité, les mesures concrètes
permettant le respect du service minimum.
En octobre 1996, ces dispositions furent déclarées
inconstitutionnelles pour non-respect de la procédure parlementaire. En
conséquence, le service minimum est aménagé, selon les
circonstances, par la négociation collective ou par un
arrêté ministériel. Dans les situations les plus
difficiles, le gouvernement recourt à la réquisition civile. Il
l'a fait plus de vingt fois depuis 1974, en réponse à une
grève dans le secteur des transports dans 70 % des cas.
c) La négociation collective dans les autres pays
En
Allemagne, en Italie et au Québec, les prestations
indispensables
en cas de grève sont fixées par avance dans des accords
collectifs
. Le projet de loi espagnol de 1992 prévoyait le
même dispositif.
Dans la mesure où,
en Italie et au Québec, la
négociation
collective est imposée par la loi
, cette
dernière comporte un dispositif permettant de garantir l'application du
service minimum.
La loi a en effet créé une entité
ad hoc
:
commission de garantie pour l'application de la loi dans le premier cas et
Conseil des services essentiels dans le second. Chacune de ces deux instances
peut, en cas de besoin, aider les partenaires à trouver un accord sur le
contenu et les modalités d'exécution du service minimum. Comme,
par ailleurs, il s'agit d'organismes permanents, ils vérifient
l'adéquation des services essentiels à l'occasion de chaque
grève.
Le Conseil des services essentiels québécois semble fonctionner
de façon satisfaisante, en particulier depuis qu'il a été
doté de pouvoirs de sanctions. S'il estime que le service minimum n'est
pas assuré de façon satisfaisante, il peut en effet, depuis 1985,
rendre une ordonnance qu'il dépose au greffe de la Cour
supérieure du Québec. Ce dépôt lui donne la
même force qu'à un jugement de cette cour, si bien qu'un
contrevenant à une telle ordonnance peut être poursuivi pour
outrage au tribunal. A l'opposé, la commission de garantie italienne
relève les violations de la loi, mais ne dispose d'aucun pouvoir de
sanction.
* *
*
La France est donc, avec le Royaume-Uni, le seul pays à ne pas avoir adopté de règles permettant d'instaurer un service minimum dans l'ensemble des services essentiels. L'Allemagne l'a fait par voie jurisprudentielle et les autres pays par voie législative : soit par le biais des dispositions générales sur le droit de grève (Espagne et Portugal), soit en légiférant dans le domaine particulier des services essentiels (Italie et Québec).
ALLEMAGNE
Parmi
les agents publics, il convient d'établir une différence entre,
d'une part,
les fonctionnaires
, liés à leur employeur par
un rapport de droit public et qui
n'ont pas le droit de grève
et,
d'autre part,
les employés et travailleurs manuels
, régis
par le droit commun du travail et
qui ont le droit de grève
. Les
premiers représentent environ 40 % des effectifs des services
publics.
|
I. LES SERVICES CONCERNES
1) Les services permettant la satisfaction des besoins vitaux de la population
La
grève devant être dirigée contre le partenaire social, elle
ne saurait affecter l'intérêt général et les droits
fondamentaux des tiers.
En cas de grève,
les besoins vitaux de la population
doivent donc
être assurés. Cette expression recouvre notamment
l'approvisionnement en eau, en énergie et en produits alimentaires,
l'enlèvement des ordures, la lutte contre l'incendie et les soins
hospitaliers.
2) Les travaux d'entretien et les autres travaux d'urgence
Le principe d'équilibre des partenaires sociaux justifie qu'en cas de grève, même dans un secteur qui ne concourt pas à la satisfaction des besoins vitaux, certains travaux doivent être assurés. Il s'agit essentiellement de ceux qui permettent le maintien en état de toutes les installations, car, après le conflit, le travail doit pouvoir être repris aussi rapidement que possible.
II. L'ORGANISATION DU SERVICE MINIMUM
1) Les conventions collectives
La
Confédération allemande des syndicats a, dans ses directives de
1974, sur le déroulement des conflits collectifs, prévu que
"
lors de conflits du travail dans les domaines de l'approvisionnement
de la population en besoins vitaux, il faut veiller à ce qu'une
fourniture minimum soit assurée
".
Les conventions collectives contiennent donc non seulement des dispositions sur
l'exécution des travaux d'entretien, mais aussi sur la satisfaction des
besoins vitaux en cas de grève.
2) Le remplacement des grévistes par des fonctionnaires
Une
décision rendue le 2 mars 1993 par la Cour constitutionnelle
fédérale a déclaré cette pratique contraire
à la Loi fondamentale.
Cette décision contredit la jurisprudence précédente des
tribunaux fédéraux administratif et du travail, selon laquelle
l'obligation qu'a tout fonctionnaire de se consacrer pleinement à sa
profession pouvait justifier qu'il pût être amené à
remplacer, en temps de grève, des agents de droit privé. Ainsi,
même si les tâches qui lui étaient demandées ne
correspondaient pas à sa fonction, un technicien des
télécommunications ayant le statut de fonctionnaire pouvait avoir
à vider les boîtes à lettres en remplacement d'agents
grévistes.
III. LES GARANTIES DE L'APPLICATION DU SERVICE MINIMUM
Si la notion de service minimum n'est donc pas inconnue en Allemagne, il faut préciser que la question se pose dans un contexte particulier. En effet, la grève doit concerner des dispositions réglées par une convention collective (c'est-à-dire les conditions de travail), elle doit être dirigée contre le partenaire social, être organisée ou soutenue par les syndicats et constituer un moyen ultime, car toute convention collective contient l'obligation de paix sociale .
ESPAGNE
La
constitution énonce à l'article 28-2 : "
Le droit
à la grève est reconnu aux travailleurs pour la défense de
leurs intérêts. La loi réglementant l'exercice de ce droit
établira les garanties nécessaires pour assurer le maintien des
services essentiels de la communauté.
"
|
Dans le texte qui suit, on a choisi d'analyser non seulement les dispositions du décret-loi de 1977, mais aussi celles du projet de loi de 1992, tel qu'il résultait des négociations avec les syndicats.
I. LES SERVICES CONCERNES
1) La législation en vigueur
En
l'absence de définition légale ou réglementaire, la notion
de " services essentiels de la communauté ", qui figure dans
la constitution, a été délimitée par le
Tribunal
constitutionnel
.
Dans sa décision d'avril 1981, il affirme que "
le droit de la
communauté à ces prestations vitales est prioritaire sur le droit
de grève
" et, renonçant à définir la
notion de services essentiels, estime "
plus approprié que le
Tribunal se prononce en fonction de chacune des données
particulières susceptibles de se présenter à
l'avenir
".
Quelques mois plus tard, dans une décision prise à propos des
transports ferroviaires, il retient une définition assez restrictive,
selon laquelle "
un service est essentiel non pas en raison de la
nature de son activité, mais par les résultats attendus de cette
activité
", compte tenu "
de la nature des
intérêts qu'elle vise à satisfaire
". Des services
sont essentiels, non du fait de l'organisme qui les assure, mais en
considération de l'usager qui en bénéficie.
La notion est donc relative :
a priori
, aucune activité ne
peut être considérée comme essentielle, mais la situation
doit être appréciée en fonction des circonstances, de la
durée de la grève, de la possibilité de services de
substitution...
Le libre exercice des droits de l'usager et la protection de
ses intérêts constitutionnellement garantis exigent donc le
maintien du fonctionnement du service à un niveau minimal,
même en cas de conflit avec le droit de grève.
En tout état de cause, les services qui tendent à satisfaire les
droits et biens constitutionnellement protégés que sont la
vie
, la
santé
, l'
intégrité physique
,
la
liberté de circulation et d'information
ainsi que
l'
éducation
, peuvent être considérés comme
essentiels.
De plus, le décret-loi de 1977 oblige le comité de grève
à garantir, pendant la grève, les services nécessaires
à la sécurité des personnes et des biens, et à
l'entretien des locaux, des machines, des installations et des matières
premières.
2) Le projet de loi de 1992
Le
projet de loi de 1992 définissait la notion de services essentiels
.
Il s'agissait, indépendamment du caractère public ou privé
du prestataire, des services dont le fonctionnement devait être maintenu
pour préserver les droits et libertés suivants, garantis par la
constitution : vie, intégrité physique et protection de la
santé, liberté et sécurité, libre circulation,
liberté de l'information, communication, éducation et protection
juridique.
Le projet de loi énumérait ensuite
dix-sept secteurs
d'activité
qui devaient garantir "
la totalité des
prestations indispensables
". Dans cette liste, figuraient
notamment :
- la régulation du trafic et les transports publics terrestres de
voyageurs ;
- les transports aériens et maritimes.
II. L'ORGANISATION DU SERVICE MINIMUM
1) La législation en vigueur
L'article 10 du décret-loi royal de 1977 confie à
l'"
autorité gouvernementale
" la responsabilité
de fixer les mesures indispensables au fonctionnement des services tenus pour
essentiels.
La décision du 8 avril 1991 du Tribunal constitutionnel justifie la
constitutionnalité de cette disposition. La question, estime le
Tribunal, ne peut être laissée à la discrétion des
grévistes, qui seraient ainsi juges et parties, et la décision
doit appartenir à une "
instance publique impartiale
",
une décision gouvernementale lui paraissant "
la manière
la plus logique de respecter la norme constitutionnelle
".
Il a cependant posé quelques exigences destinées à
éviter les usages abusifs de cette prérogative de
l'exécutif.
Le Tribunal entend l'expression " autorité gouvernementale "
de manière restrictive : il doit s'agir de l'organe qui
détient le pouvoir de gouvernement (conseil des ministres en cas de
compétence de l'Etat central), même si n'est pas exclue la
possibilité de déléguer la charge de préciser les
mesures arrêtées.
Il a en outre précisé qu'il ne saurait s'agir d'une
décision discrétionnaire, mais qu'elle devait être
adaptée aux circonstances et concilier le sacrifice imposé aux
grévistes et la gêne des usagers du service. Aussi, la
justification de la décision est-elle exigée d'un double point de
vue : d'abord sur le plan de la motivation expresse, ensuite sur le plan
de la charge de prouver, en cas de litige, la nécessité de la
limitation imposée à la grève pour le maintien de certains
services. En effet, en cas de recours contre la mesure prise par
l'autorité publique, c'est à celle-ci et non aux grévistes
qu'il incombe de prouver le bien-fondé de la limitation qu'elle a cru
devoir imposer à la grève en maintenant certains services.
Le Tribunal insiste par ailleurs sur le fait que cet acte de l'autorité
publique "
doit être entouré de garanties
formelles
" : notification aux parties touchées par la
mesure et publication de la décision dans le journal officiel
accueillant les décisions de l'autorité en question. Le
défaut de respect de ces garanties formelles est non seulement une cause
de nullité de la décision gouvernementale, mais aussi une
"
atteinte au droit fondamental consacré par l'article 28-2 de
la constitution
".
Enfin, le Tribunal constitutionnel favorise une plus grande intervention des
grévistes ou de leurs représentants dans la détermination
des services essentiels qu'il y a lieu de maintenir. Il a en effet
affirmé que la décision gouvernementale devait tenir compte de
"
l'offre de collaboration à la préservation des services
minimaux émanant des initiateurs de la grève et des organisations
syndicales
". Il a de la sorte tenté d'imposer une
négociation avec les grévistes, ou au moins une concertation avec
eux, leur "
maturité
" pouvant inspirer "
une
offre sérieuse de garanties suffisantes et efficaces
". Une
décision du 5 mai 1986 affirme d'ailleurs que "
rien
n'empêcherait que la mise en oeuvre des services minimaux
décidées par l'autorité publique compétente soit
confiée à l'autonomie collective, c'est-à-dire
assurée par la voie, soit de la négociation, soit de la
discipline syndicale
".
En application du décret-loi de 1977, de
nombreux
" décrets de service minimum
", dont la
constitutionnalité a été reconnue par le Tribunal
constitutionnel, fixent les conditions particulières de son exercice
dans les centres publics hospitaliers, les chemins de fer, la marine marchande,
la navigation aérienne, les entreprises de raffinage du pétrole,
l'administration de la justice, les établissements publics
d'enseignement... Ces décrets peuvent faire l'objet d'un recours
administratif ou contentieux selon une procédure d'extrême
urgence.
2) Le projet de loi de 1992
Tout en
laissant aux partenaires sociaux le soin de conclure dans les douze mois
suivant la date d'entrée en vigueur de la loi,
le projet de loi de
1992 déterminait le contenu minimum des accords collectifs
. Ces
derniers auraient nécessairement dû comporter les
éléments suivants :
- nature des prestations indispensables et niveau du service minimum ;
- procédure de désignation des travailleurs appelés
à assurer le service minimum ;
- processus de résolution des conflits nés de leur application.
Pour être valables, ces accords auraient dû être
approuvés par le ministre de tutelle du service concerné.
Celui-ci aurait été chargé de leur publication au bulletin
officiel dont relève le service.
A défaut d'accord, le ministre (ou l'autorité correspondante de
la communauté autonome) aurait proposé au gouvernement
l'approbation d'une norme de substitution.
Une
commission de médiation
composée de cinq personnes
nommées par le gouvernement aurait servi de médiateur entre les
parties chargées de négocier des accords et aurait
consulté l'autorité administrative chargée de
l'élaboration d'une éventuelle norme de substitution.
Huit jours avant le début prévu de la grève, les
responsables de son organisation auraient présenté une
proposition d'application concrète du service minimum. A défaut
d'accord réalisé dans les trois jours, les parties se seraient
soumises aux procédures de résolution des conflits
établies dans l'accord relatif au service minimum ou dans la norme de
substitution.
III. LES GARANTIES DE L'APPLICATION DU SERVICE MINIMUM
1) La législation en vigueur
Si les
circonstances sont particulièrement graves, l'" autorité
gouvernementale " peut prendre toutes les mesures qui lui paraissent
justifiées pour maintenir les services essentiels.
En revanche, l'employeur n'a pas le droit de remplacer les grévistes par
des personnes qui n'auraient pas été liées à
l'entreprise par un contrat de travail au moment de la déclaration de la
grève. Cette interdiction ne s'applique cependant pas dans le cas des
salariés chargés du maintien de la sécurité qui se
refuseraient à accomplir leur service.
2) Le projet de loi de 1992
Le projet de loi prévoyait que l'" autorité gouvernementale " pouvait adopter toute mesure nécessaire pour l'accomplissement du service minimum, y compris la substitution des grévistes par des travailleurs n'appartenant pas au personnel de l'entreprise.
ITALIE
La
loi n° 146 du 12 juin 1990
portant dispositions relatives
à l'exercice du droit de grève dans les services publics
essentiels et à la sauvegarde des droits de la personne qui sont
constitutionnellement garantis
s'efforce de concilier ces derniers avec le
droit de grève, également protégé par la
constitution.
|
I. LES SERVICES CONCERNES
A
l'alinéa premier de l'article 1, la loi de 1990 définit les
services publics essentiels comme ceux "
ayant pour objet de garantir
la jouissance des droits de la personne protégés par la
constitution : droits à la vie, à la santé, à
la liberté et à la sécurité, à la
liberté de circulation, à l'assistance et à la
prévoyance sociale, à l'éducation et à la
liberté de communication, quelle que soit la nature juridique de la
relation de travail, et que ces services soient fournis sous un régime
de concession ou sous contrat
".
A l'alinéa 2, elle énumère les services concernés
en les rattachant à chacun des droits susmentionnés. Elle
définit ainsi les services relatifs à la sauvegarde de la
liberté de circulation : "
les réseaux de transports
publics urbains et extra-urbains, les chemins de fer, le trafic aérien
et les aéroports ainsi que les réseaux de transports maritimes,
uniquement pour ce qui concerne la liaison avec les îles
".
La santé et l'hygiène publiques, la protection civile, le
ramassage des ordures ménagères, l'approvisionnement en
énergie et en biens de première nécessité,
l'enseignement public et l'enseignement universitaire, la protection de
l'environnement, la protection du patrimoine culturel, les postes et
télécommunications, ainsi que l'information
radiotélévisée constituent également des services
essentiels.
Cependant, la liste donnée à l'alinéa 2 de l'article
1 n'est pas limitative.
II. L'ORGANISATION DU SERVICE PUBLIC
1) Les dispositions législatives
a) Le contenu du service minimum
La loi
laisse à la
négociation collective
le soin de
déterminer, après consultation des associations d'usagers, les
" prestations indispensables " qui permettent de concilier le droit
de grève avec les autres droits fondamentaux.
La loi indique que les accords peuvent par exemple "
consister à
fixer le nombre strictement nécessaire de travailleurs qui, pour assurer
la prestation des services, devront s'abstenir de participer à la
grève (...) ou à prévoir des formes de prestations
périodiques
".
En cas de difficulté pour parvenir à un accord, la
commission
de garantie
instituée par la loi peut procéder à une
tentative de conciliation
. En cas d'échec, elle formule une
proposition d'accord
, sur laquelle les parties doivent se prononcer dans
les quinze jours.
b) L'information des usagers
La loi
prévoit l'obligation de :
- respecter un préavis d'au moins dix jours ;
- déterminer par avance la durée de la grève, ce qui
constitue une interdiction des grèves à durée
illimitée ;
- communiquer aux usagers, au moins cinq jours avant le début de la
grève, les principales caractéristiques du service minimum
(modalités et horaires) ainsi que les mesures permettant la reprise
normale du service, laquelle doit être rapide dès la fin de
l'arrêt du travail.
Le service public de la radio et de la télévision est tenu de
donner des informations complètes sur "
le début de la
grève, sa durée, son déroulement et les mesures de
remplacement dans tous les journaux radiodiffusés et
télédiffusés
". Tous les journaux, toutes les
stations de radio et les chaînes de télévision qui
bénéficient d'aides financières de l'Etat doivent
également fournir ces renseignements.
S'agissant des transports, la loi précise que les prestataires de
services "
doivent communiquer aux usagers, en même temps que les
horaires de services ordinaires, la liste des services qui seront de toute
façon assurés en cas de grève ainsi que les horaires
correspondants, conformément aux stipulations des accords visés
au présent paragraphe
".
2) Les dispositions contractuelles
a) Les caractéristiques principales
De
nombreuses règles, de provenances diverses, complètent les
dispositions législatives. Il s'agit essentiellement :
- d'accords conclus à différents niveaux (accords nationaux,
régionaux ou d'entreprise ; accords de branche ou accords
décentralisés) ;
- de codes d'autodiscipline d'origine syndicale ;
- de propositions de la commission, dans les secteurs où des accords
n'ont pas pu être conclus.
Les accords nationaux sont très nombreux. Ils couvrent la majeure partie
des services concernés. En effet, lorsque les partenaires sociaux n'ont
pas réussi à se mettre d'accord, la commission a avancé
des propositions qui ont le plus souvent été suivies d'accords,
ensuite acceptés par la commission.
Ainsi, la gêne occasionnée aux usagers par les grèves dans
les réseaux de distribution (téléphone, eau, gaz,
électricité) est pratiquement inexistante, tandis que dans
d'autres secteurs publics (enseignement, postes, hygiène publique), elle
est très limitée.
En revanche,
le secteur des transports constitue le point faible du
dispositif malgré des garanties non négligeables données
aux usagers depuis le début des années 90 :
- pendant chaque journée de grève, les transports locaux
garantissent un service complet pendant six heures, qui sont subdivisées
en deux tranches horaires correspondant aux heures de pointe (le plus souvent
6 h - 9 h et 18 h - 21 h) ;
- les transports ferroviaires assurent les déplacements des
banlieusards ainsi que la plupart des liaisons sur longue distance ;
- dans les transports aériens, il est interdit de faire grève
entre 7 h et 10 h ainsi qu'entre 18 h et 21 h, les liaisons
avec les îles sont garanties, de même qu'un certain nombre de vols
internationaux en dehors des tranches horaires susmentionnées, si bien
qu'environ la moitié des vols est assurée ;
- dans les transports maritimes, les liaisons avec les îles les plus
petites sont garanties par un système de tranches horaires, tandis que,
pour les îles les plus grandes, la règle de l'interdiction de la
grève simultanée de plusieurs moyens de transport constitue une
protection.
Par ailleurs,
le système des " franchises "
,
initialement introduites par les codes d'autodiscipline syndicale permet
d'empêcher les grèves pendant les périodes où les
déplacements sont les plus importants
(vacances d'été,
Noël, Pâques et consultations électorales). Les
périodes suivantes sont généralement retenues :
- du 10 au 20 août ;
- du 23 décembre au 7 janvier ;
- les cinq jours qui précèdent Pâques et les trois qui
suivent ;
- les cinq jours qui précèdent les consultations
électorales, quelles qu'elles soient, et les cinq jours qui les suivent.
b) L'accord conclu dans le secteur des transports le 23 décembre 1998
En
décembre 1998, la multiplication des grèves provoquées par
de petites organisations syndicales a conduit le
ministre des Transports
à provoquer des négociations sur la prévention des
conflits et sur les règles relatives à l'exercice de la
grève et à la protection des usagers. Un
accord a
été conclu le 23 décembre 1998
. Signé par
les trois grandes confédérations syndicales (CGIL, CSIL et UIL),
par les représentants des employeurs et par le gouvernement, il n'a pas
été accepté par les syndicats autonomes.
Cet accord prévoit :
- la création d'un
organe de conciliation
, le Conseil national
des transports ;
- l'obligation de lancer une
procédure de conciliation puis
d'arbitrage
avant le déclenchement de toute grève ;
- la limitation du nombre des participants aux négociations en cas de
conflit, par l'institution du
seuil de représentativité
syndicale de 5 %
, déjà retenu pour les
négociations dans la fonction publique ;
- l'interdiction des grèves à répétition, par
l'obligation de respecter un délai de vingt jours
(1(
*
))
entre deux grèves dans le même service
de transport ou dans le même bassin d'usagers
, quels que soient les
raisons et les promoteurs de la grève, à moins que les syndicats
à l'origine de la grève ne représentent plus de la
moitié des employés du service considéré ;
-
l'interdiction d'annuler les grèves moins de trois jours avant
leur date prévue
pour limiter les conséquences des
" effets d'annonce " ;
- la
vérification
par les partenaires, avant la fin du mois de
février 1999,
de tous les accords sur le service minimum
;
- l'obligation pour le gouvernement de convoquer aux mois de mai et de
novembre de chaque année une table ronde pour définir, le cas
échéant,
des périodes supplémentaires pendant
lesquelles la grève serait interdite
;
- l'
obligation
pour les administrations ou pour les entreprises
de
prononcer des sanctions
dans les trente jours suivant la constatation par
la commission d'une violation de la loi ou du refus de négocier ;
- l'engagement de
simplifier la structure des accords collectifs
,
l'objectif étant de faire coïncider les accords nationaux avec les
catégories de transports (air, fer...) et de les compléter par
des accords d'entreprise.
Avant la fin du mois de décembre 1999, les signataires de l'accord
devront vérifier qu'il a bien été appliqué.
III. LES GARANTIES DE L'APPLICATION DU SERVICE MINIMUM
1) La commission de garantie de l'application de la loi
Instituée par la loi n° 146, elle est " chargée d'évaluer si les mesures adoptées concilient l'exercice du droit de grève et la jouissance des droits de la personne protégés par la constitution ".
a) La composition de la commission
La commission se compose de neuf membres nommés pour trois ans par le président de la République sur proposition conjointe des présidents des assemblées parlementaires parmi des experts en droit constitutionnel, en droit du travail et en relations professionnelles. Leur mandat est renouvelable une seule fois.
b) Le rôle de la commission
La
commission détermine si les prestations de service minimum sont
adéquates. A cette fin, les accords collectifs et les règlements
de service, ainsi que les codes d'autoréglementation syndicale lui sont
communiqués, sans délai, par les parties
intéressées.
En outre, la commission :
- donne son avis sur les questions d'interprétation ou d'application
des dispositions des accords visant à assurer le service minimum ;
- évalue le comportement des instigateurs de la grève ou des
participants et relève d'éventuelles violations ;
- peut ordonner que des clauses controversées d'un accord soient
soumises au vote des travailleurs ou formuler une proposition en cas de
désaccord après la tenue du scrutin ;
- fait rapport aux présidents des assemblées parlementaires sur
les questions de sa compétence.
Cependant, la commission ne dispose
d'aucun pouvoir de sanction
.
2) Les sanctions
Le
non-respect des normes sur la grève et sur le service minimum
entraînent des sanctions. Elles peuvent concerner les travailleurs, leurs
syndicats ou les prestataires de services.
Pour les premiers, les sanctions sont disciplinaires. Elles sont
proportionnelles à la gravité de l'infraction. Cependant, le
licenciement et la mutation définitive sont expressément exclus
par la loi.
Les organisations syndicales perdent pendant au moins un mois leur droit aux
subventions publiques. Elles peuvent également être exclues de la
négociation collective pendant au moins deux mois.
Les employeurs ou dirigeants en infraction sont astreints au paiement d'une
amende administrative comprise entre 200.000 et 1.000.000 lires
(c'est-à-dire 660 et 3.300 francs). En cas de violation
répétée, ils peuvent être suspendus de leurs
fonctions pour une durée d'au moins six mois.
3) La réquisition
La loi
précise les règles de la réquisition, dont elle confirme
la légitimité "
lorsqu'il existe un danger réel de
préjudice grave et imminent aux droits de la personne garantis par la
constitution, en raison de la paralysie de services d'intérêt
général essentiel provoquée par un arrêt collectif
du travail
" et que, toute tentative de conciliation ayant
échoué, cette situation perdure.
Dans une telle hypothèse, le Président du conseil, le ministre
désigné ou le préfet de région, en fonction de la
portée du conflit, "
impose, à l'administration ou
à l'entreprise prestataire, les mesures permettant d'assurer un
fonctionnement approprié des services, conciliant ainsi l'exercice du
droit de grève et la jouissance des droits de la personne
protégés par la constitution
".
La loi prévoit l'application de sanctions spécifiques en cas de
violation des dispositions portant sur la réquisition.
* *
*
Bien que
la loi de 1990 ait permis de réduire assez nettement la durée des
arrêts de travail, elle est actuellement très
critiquée :
- elle a été inefficace pour prévenir les conflits ;
- les sanctions qu'elle prévoit ne sont pas appliquées ;
- l'excessive dispersion syndicale s'est traduite par un trop grand nombre
d'accords (une soixantaine dans le seul secteur des transports) ;
- la loi n'a empêché ni la pratique des grèves sauvages, ni
celle des grèves annoncées mais non
réalisées ;
- le seul instrument efficace qu'elle comporte est la réquisition.
Certains plaident donc pour transférer à la commission le pouvoir
de sanction, remplacer la commission par plusieurs organes de contrôle
spécialisés par grand secteur (transports, enseignement,
santé), rendre la négociation préalable à la
grève obligatoire et autoriser les seuls syndicats représentatifs
à déclencher une grève.
L'accord conclu le 23 décembre 1998 dans le secteur des transports
tente de pallier les inconvénients de la loi de 1990,
particulièrement évidents dans cette branche. Cependant,
après sa signature, le gouvernement n'a pas exclu la possibilité
de demander au Parlement de la réviser.
PORTUGAL
Le droit
de grève a été reconnu aux travailleurs par le
décret-loi n° 392/74 du 27 août 1974. La
constitution du 2 avril 1976, dans son article 57, confirme ce droit.
|
Malgré la décision du Tribunal constitutionnel, on a choisi d'analyser la totalité des dispositions de la loi 30/92. En effet, saisi par le Président de la République dans le cadre du contrôle préventif de constitutionnalité préalable à la promulgation, le Tribunal constitutionnel avait, le 2 septembre 1992, déclaré la loi conforme à la Constitution. Il avait alors procédé à un examen au fond.
I. LES SERVICES CONCERNES
La loi
de 1977 définit à l'article 8 les "
besoins sociaux
absolument nécessaires
", qui doivent être satisfaits
même en cas de grève.
Elle énonce en effet : "
(1) Dans les entreprises ou
établissements dont l'activité consiste à satisfaire des
besoins sociaux absolument nécessaires, les associations syndicales et
les travailleurs sont tenus d'assurer, pendant la grève, la prestation
des services minimums indispensables pour satisfaire ces besoins.
(2) Aux fins des dispositions du paragraphe précédent, sont
considérés comme entreprises ou établissements dont
l'activité a pour but de satisfaire les besoins sociaux absolument
nécessaires, ceux qui font partie, notamment, de l'un ou l'autre des
secteurs suivants :
a) postes et télécommunications ;
b)
services médicaux, hospitaliers et de fourniture de
médicaments ;
c)
salubrité publique, incluant les entreprises de pompes
funèbres ;
d)
services de l'énergie et des mines, incluant l'approvisionnement
en combustibles ;
e)
approvisionnement en eau ;
f) lutte contre l'incendie ;
g)
transports, incluant les ports, aéroports, gares ferroviaires et
routières, pour ce qui concerne l'embarquement et le débarquement
de passagers, ainsi que le chargement et le déchargement d'animaux, de
denrées alimentaires périssables et de biens essentiels à
l'économie nationale
".
(2(
*
))
Par ailleurs, le même article prévoit à
l'alinéa 3 que les "
services nécessaires à
la sécurité et à l'entretien de l'équipement et des
installations
" doivent être assurés pendant la
grève.
II. L'ORGANISATION DU SERVICE MINIMUM
C'est
la loi de 1992 qui a précisé les modalités de mise en
oeuvre du service minimum. Toutes ces dispositions ont été
déclarées inconstitutionnelles en octobre 1996.
Le service minimum peut être défini dans les conventions
collectives ou dans des accords spécifiques conclus avec les
représentants des travailleurs.
S'il n'a pas été défini avant le dépôt d'un
préavis de grève, le ministère de l'Emploi et de la
sécurité sociale doit convoquer les représentants des
travailleurs et ceux des employeurs en vue de négocier un accord sur sa
définition et les moyens de sa mise en oeuvre.
A défaut d'accord, au terme du cinquième jour postérieur
au dépôt de préavis, les modalités du service
minimum sont arrêtées conjointement par le ministre de l'Emploi et
de la sécurité sociale et par le ministre responsable du secteur
d'activité concerné.
Ces dispositions sont établies dans le respect des principes
"
de nécessité, d'adéquation et de
proportionnalité
". Elles prennent effet immédiatement
après leur notification aux représentants des travailleurs et des
employeurs. Les organisations de travailleurs sont chargées, au plus
tard quarante-huit heures avant le début de la grève, de
désigner ceux d'entre eux qui seront astreints à assurer les
services minimums, y compris ceux nécessaires à la
sécurité et à l'entretien des installations. Passé
ce délai, l'employeur procède à cette désignation.
La loi de 1992 a également porté de cinq à dix jours la
durée du préavis
à respecter dans les
établissements concernés par le maintien du service minimum en
cas de grève. Cette disposition n'a pas été
déclarée inconstitutionnelle.
III. LES GARANTIES DE L'APPLICATION DU SERVICE MINIMUM
1) Les sanctions
La
violation des règles relatives à l'exercice du droit de
grève entraîne, pour les travailleurs, l'application du
régime des absences injustifiées :
- retenues sur salaires ;
- ancienneté suspendue pour la durée de la grève ;
- sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement.
2) La réquisition
Si les
dispositions relatives au service minimum ne sont pas appliquées, qu'il
s'agisse de satisfaire des besoins sociaux absolument nécessaires ou de
garantir la sécurité et l'entretien des installations, le
gouvernement peut décider la réquisition ou la mobilisation.
La réquisition civile, régie par un décret-loi de 1974,
permet au gouvernement de prendre des mesures pour assurer le fonctionnement
des services ou des secteurs considérés comme vitaux pour
l'économie nationale (transports, approvisionnement en eau, production
et distribution d'électricité...). Le conseil des ministres doit
approuver la réquisition avant qu'elle ne puisse être mise en
oeuvre par un arrêté du ministre concerné.
La réquisition civile a été utilisée plus de
vingt fois depuis 1974 pour permettre la garantie du service minimum en cas de
grève,
essentiellement
(dans environ 70 % des cas)
dans le
secteur des transports
.
Elle l'a été par exemple en août 1977 en réponse
à une grève des pilotes de la TAP, après que toutes les
tentatives de résoudre le conflit par la négociation eurent
échoué. Elle l'a été plus récemment en avril
1998 lors d'une grève des fonctionnaires du ministère de la
Justice. En revanche, le gouvernement a pour l'instant exclu de l'utiliser dans
le conflit qui l'oppose actuellement aux médecins.
Aucun autre moyen n'est disponible pour assurer la continuité du service
public, car la loi interdit expressément à l'employeur :
- de substituer aux grévistes des personnes étrangères
à l'entreprise ;
- de procéder à l'embauche de nouveaux travailleurs à
compter de la date de la déclaration de la grève.
ROYAUME-UNI
En
l'absence de réglementation spécifique du droit de grève
dans les services publics, c'est la réglementation
générale qui s'applique
. Cependant, la grève est
interdite dans l'armée, dans la police, dans la marine marchande (tant
que le bateau n'est pas en sécurité au Royaume-Uni). Dans les
postes et télécommunications, la loi interdit au personnel de
retarder la transmission du courrier et des messages
téléphoniques ou télégraphiques, pour quelque motif
que ce soit.
Bien que le droit de grève n'ait jamais été explicitement
reconnu par aucun texte, les syndicats ont bénéficié
jusqu'en 1980 d'une immunité totale en cas de poursuites civiles
engagées à la suite de grève. Cette immunité
était garantie par le
Trade Disputes Act
de 1906.
1) La limitation de la grève depuis le début des années 80
Plusieurs lois, votées dans les années 80
, ont
modifié ce cadre législatif pour
limiter le recours à
la grève
. Ainsi, le déclenchement d'une grève est
désormais subordonné au vote, à bulletin secret et
exclusivement par correspondance, de la majorité des salariés
concernés, sous peine pour les syndicats de perdre leur immunité
légale. Par ailleurs, l'exemption de responsabilité civile que
conférait auparavant cette immunité aux syndicats a
été limitée aux seuls conflits considérés
comme légaux, c'est-à-dire aux conflits nés de
différends entre les salariés et l'employeur et portant sur les
sujets suivants : les conditions d'emploi, l'embauche, le licenciement, la
répartition du travail, l'affiliation syndicale, les règles de
discipline ou les procédures de négociation ou de consultation
des salariés.
Parallèlement, depuis le début des années 80, les
syndicats ont signé de
nombreuses clauses de non-grève
,
par lesquelles ils s'engagent à ne pas recourir à la grève
pendant la durée de l'accord.
Cette limitation du droit de grève s'est révélée
efficace : le nombre de journées de travail pour cause de
grève a été divisé par plus de dix entre les
années 70 et le milieu des années 90.
2) La réquisition
La
réquisition
peut permettre d'assurer la continuité du
service public dans certaines circonstances.
L'
Emergency Powers Act
de 1920 autorise le gouvernement, en proclament
l'état d'urgence
, à prendre des mesures pour garantir les
"
besoins essentiels de la communauté
", lorsque
l'approvisionnement et la distribution de nourriture, d'eau, de combustible et
d'électricité ou les moyens de transport sont menacés.
Au-delà de sept jours, la proclamation de l'état d'urgence doit
être approuvée par le Parlement. L'état d'urgence a
été proclamé en douze occasions, et la dernière
fois pendant les grèves de 1973 et 1974.
L'
Emergency Powers Act
de 1964 confère au gouvernement le pouvoir
de déployer des troupes afin d'exécuter "
un travail
urgent d'importance nationale
", sans déclarer l'état
d'urgence. Ce moyen n'est pas soumis à l'assentiment du Parlement.
3) Les propositions émises avant les élections législatives de 1997
En
août 1996, le regain de grèves dans le secteur public avait
conduit le gouvernement conservateur à envisager une nouvelle
modification de la législation pour restreindre les grèves dans
les services essentiels ou fonctionnant en quasi-monopoles. L'objectif aurait
été atteint par la
suppression de l'immunité
syndicale
en cas de grèves dont les effets auraient
été "
disproportionnés ou excessifs
",
permettant ainsi aux employeurs et au public d'engager des poursuites
(3(
*
))
contre les syndicats, par exemple en cas de troubles
significatifs apportés à la vie quotidienne. Le gouvernement
conservateur estimait en effet que les tribunaux auraient pris leur
décision en tenant compte du fait que la grève se serait
nécessairement traduite par des risques pour la santé et la
sécurité des individus, des menaces pour la
sécurité du pays, des troubles à la
propriété et à l'économie et des perturbations dans
la vie de tous les jours et dans les activités d'une région.
A la même époque, le parti travailliste avait
suggéré de rendre obligatoire l'arbitrage préalable
à la grève dans les services essentiels.
QUEBEC
Après plusieurs années marquées par de nombreux
conflits dans les secteurs public et parapublic et par plusieurs propositions
de réforme, le gouvernement prépara en 1982 un projet de loi dont
l'objet était "
consacrer la primauté du droit des
citoyens de continuer à bénéficier de services
jugés essentiels, lorsque des travailleurs exercent leur droit de
grève dans les services de santé, dans les services sociaux et
dans certains services publics
".
|
I. LES SERVICES CONCERNES
La loi n'énumère pas les services publics essentiels c'est-à-dire ceux dont le maintien est nécessaire en cas de grève. En revanche, elle indique qu'un service public doit être considéré comme essentiel lorsque son absence représente un danger pour la santé ou pour la sécurité de la population .
1) Les établissements de santé et les services sociaux
Le critère de santé et de sécurité justifie que tous les établissements de santé et tous les services sociaux soient astreints au maintien d'un service minimum en cas de grève .
2) Les autres services publics
Le
critère du maintien de la santé et de la sécurité
de la population est le seul pris en compte pour définir les services
publics astreints au service minimum. Les inconvénients causés
aux usagers par une grève dans un service public ou l'impact
économique d'un tel conflit ne constituent pas des critères
pertinents.
Ainsi, le transport par autobus ne constitue un service essentiel que lorsque
son absence risque de provoquer un engorgement de la circulation tel que les
véhicules d'urgence ne peuvent pas circuler librement.
En revanche, certains services sont toujours jugés essentiels :
c'est par exemple le cas du traitement des eaux usées, de l'entretien
des voies publiques ou de l'enlèvement des ordures
ménagères.
Seuls les services publics qui ont fait l'objet d'un
décret
d'assujettissement au maintien des services essentiels
doivent fournir un
service minimum pendant une grève. L'article 111-0-17 du code du travail
énonce en effet : "
Sur recommandation du ministre, le
gouvernement peut, par décret, s'il est d'avis que dans un service
public une grève pourra avoir pour effet de mettre en danger la
santé ou la sécurité publique, ordonner à un
employeur et à une association accréditée (4(
*
)) de ce service public de maintenir des services essentiels
en cas de grève
".
Par ailleurs, la loi donne la liste des services publics susceptibles
d'être assujettis par décret au maintien du service minimum lors
d'une grève :
- une municipalité et une régie intermunicipale ;
- une entreprise de transport par autobus, par bateau, par chemin de fer ou
métro ;
- une entreprise d'incinération de déchets ou
d'enlèvement, de transport, d'entreposage, de traitement, de
transformation ou d'élimination d'ordures ménagères, de
déchets biomédicaux, d'animaux morts impropres à la
consommation humaine ou de résidus animaux destinés à
l'équarrissage ;
- une entreprise de téléphone ;
- une entreprise de transport par ambulance ;
- une entreprise de production, de transport, de distribution ou de vente de
gaz ou d'électricité ;
- une entreprise qui exploite ou entretient un système d'aqueduc,
d'égout, d'assainissement ou de traitement des eaux ;
- une entreprise de collecte, de transport ou de distribution du sang ou de ses
dérivés ou d'organes humains destinés à la
transplantation ;
- un centre d'accueil privé ;
- un organisme de protection de la forêt contre les incendies ;
- une régie régionale et un conseil régional de la
santé et des services sociaux ;
- un organisme mandataire du gouvernement.
II. L'ORGANISATION DU SERVICE MINIMUM
La loi laisse aux partenaires sociaux le soin d'organiser le service minimum. Pour cela, elle décrit la procédure qu'ils doivent suivre avant de déclencher une grève.
1) Les services publics
Avant le
déclenchement d'une grève dans un service public qui est
assujetti au maintien des services essentiels, tout syndicat doit :
- respecter un préavis de sept jours ;
- négocier les services essentiels avec l'employeur.
Cette négociation peut être menée avec l'aide d'un
médiateur
désigné par le Conseil des services
essentiels. Elle doit permettre de définir les services essentiels, la
nature des prestations offertes, ainsi que les effectifs nécessaires
à leur maintien pendant la grève. La loi prévoit deux
hypothèses : les parties concluent un accord, dénommé
" entente ". Si ce n'est pas le cas, le syndicat transmet à
l'employeur une liste des services essentiels à maintenir en cas de
grève.
Le Conseil évalue si les services proposés sont suffisants et
rend sa décision dans un délai de sept jours.
S'il juge les services insuffisants, le Conseil peut :
- recommander des modifications à la liste des services
essentiels ;
- recommander de surseoir à la grève afin de reprendre la
négociation sur les services essentiels ;
- faire un rapport au ministre du Travail pour lui indiquer dans quelle mesure
l'insuffisance des services proposés constitue une menace pour la
santé ou la sécurité de la population. Le ministre peut
alors recommander au gouvernement de suspendre l'exercice du droit de
grève du syndicat jusqu'à "
ce qu'il soit
démontré, à la satisfaction du gouvernement, qu'en cas
d'exercice du droit de grève les services essentiels seront maintenus de
façon suffisante dans ce service public
".
Cette dernière possibilité est rarement utilisée.
2) Les établissements de santé et les services sociaux
Ils
doivent maintenir non pas des services, mais, pour chaque équipe,
un
pourcentage d'effectifs
pendant la grève. Ce pourcentage varie de
55 % à 90 % selon le type d'établissements.
Par ailleurs, la liste ou l'entente doit prévoir :
- le fonctionnement normal des unités de soins intensifs et
d'urgence ;
- le libre accès des bénéficiaires à
l'établissement ;
- la période à laquelle elle s'applique (fins de semaine,
vacances...) ;
- l'effectif de chaque unité.
La liste ou l'entente doit avoir été approuvée par le
Conseil des services essentiels au moins quatre-vingt-dix jours avant qu'une
grève ne puisse être déclarée.
III. LES GARANTIES DE L'APPLICATION DU SERVICE MINIMUM
La loi de 1982 a créé le Conseil des services essentiels, qui est chargé de s'assurer que les citoyens continuent de bénéficier de services jugés essentiels lorsque les travailleurs de certains services publics, des établissements de santé et des services sociaux exercent leur droit de grève.
1) Le statut du conseil
Il est
formé de huit membres nommés par le gouvernement. Le
président et le vice-président sont nommés pour au plus
cinq ans et les six autres membres pour au plus trois ans. Ces six membres sont
choisis après consultation des milieux patronal, syndical et associatif.
Les fonctions de membre du conseil sont exclusives de toute autre.
Le conseil est un organe rattaché au ministère du Travail. Il
dispose d'une administration permanente d'une trentaine de personnes
(médiateurs, enquêteurs, conseillers juridiques...). Le budget
annuel du conseil s'élève à environ 2,5 millions de
dollars canadiens, soit environ 10 millions de francs.
2) Le rôle du conseil
Pour
assumer sa mission, il :
- sensibilise les employeurs et les syndicats au maintien des services
essentiels lors d'une grève ;
- informe le public sur toute question relative au maintien des services
essentiels ;
- vérifie, par le biais de ses enquêteurs et de ses
médiateurs, que les services essentiels proposés sont
suffisants ;
- veille à ce que les services soient assurés pendant la
grève, conformément à ceux qu'il a jugés
suffisants ;
- exerce des "
pouvoirs de redressement
" lorsque les
services essentiels prévus par une liste ou par une entente ne sont pas
rendus
(5(
*
))
.
Cette dernière compétence lui a été donnée
en 1985. Le conseil intervient de sa propre initiative ou sur demande d'une
personne intéressée. Aux termes de l'article 111-17 du code du
travail, s'il estime "
que les services essentiels prévus
à une liste ou à une entente ne sont pas rendus lors d'une
grève, le Conseil peut, après avoir fourni aux parties l'occasion
de présenter leurs observations, rendre une ordonnance (...) exiger le
respect (...) d'une entente ou d'une liste sur les services
essentiels
".
Le conseil peut déposer ces ordonnances au greffe de la Cour
supérieure du Québec. Il leur donne ainsi la même force
qu'à un jugement de cette cour, de sorte qu'un contrevenant à une
telle ordonnance peut faire l'objet de poursuites pour outrage au tribunal.
(1)
L'accord indique la nécessité de respecter un délai de dix
jours entre la réalisation d'une grève et la proclamation d'une
autre. Compte tenu du préavis de dix jours, vingt jours devront donc
séparer deux grèves successives.
(2) L'alinéa g a été déclaré
inconstitutionnel, de sorte que la rédaction prévue initialement
par la loi de 1977 (" transport, chargement et déchargement
d'animaux et de denrées périssables ") continue de
s'appliquer.
(3) Cette possibilité, qui existe depuis l'entrée en vigueur du
Trade Union Reform and Employment Rights Act de 1993, est actuellement
limitée aux seules grèves illégales.
(4) C'est-à-dire un syndicat reconnu.
(5) Les pouvoirs de redressement du Conseil des services essentiels
s'appliquent à l'ensemble des services publics, qu'ils soient assujettis
ou non au maintien des services essentiels, et à l'ensemble des secteurs
public et parapublic, c'est-à-dire à tous les
établissements de santé, les services sociaux, à la
fonction publique, aux collèges... Ils s'appliquent également
dans d'autres circonstances que le non-respect des services essentiels en cas
de grève.