LE SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE DEVANT LE JUGE
SERVICE DES AFFAIRES EUROPEENNES (février 1998)
Table des matières
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NOTE DE SYNTHESE
- 1) Tout en reconnaissant à l'administration un certain privilège de rétention, les juges anglais et américains en contrôlent l'application.
- 2) Le Tribunal suprême espagnol a affirmé en 1997 la supériorité du droit à la protection de la justice sur le principe de sécurité de l'Etat, et l'avant-projet de loi sur les secrets officiels reprend ce principe.
- 3) En Allemagne et en Italie, la loi prévoit le mode de résolution des conflits relatifs à l'invocation du secret devant les juridictions.
- ALLEMAGNE
- ESPAGNE
- ITALIE
- ROYAUME-UNI
- ETATS-UNIS
NOTE DE SYNTHESE
Le projet de loi
instituant une
commission du secret de la défense nationale
, déposé à
l'Assemblée nationale le 17 décembre 1997, prévoit la création d'une
autorité
administrative indépendante
, amenée à se prononcer, à la demande des
tribunaux,
lorsque le secret de la défense nationale est invoqué dans une procédure
judiciaire.
L'exposé des motifs du projet indique que : "
La création d'une
autorité
administrative indépendante apportera la garantie publique aux justiciables et
aux juges,
et plus généralement aux citoyens, que le secret-défense est invoqué à bon
escient.
"
D'après l'article premier du projet de loi, la commission sera en effet
"
chargée
de donner un avis sur la déclassification et la communication, à la demande
d'une
juridiction française, d'informations ayant fait l'objet d'une classification en
application des dispositions de l'article 413-9 du code pénal relatives au
secret de la
défense nationale, à l'exclusion des informations dont les règles de
classification ne
relèvent pas des seules autorités françaises
".
Un tel projet amène naturellement à s'interroger sur l'existence de procédures
analogues chez nos principaux voisins européens, l'
Allemagne
,
l'
Espagne
, l'
Italie
et le
Royaume-Uni
, ainsi qu'aux
Etats-Unis
.
Pour chacun des pays étudiés, on a donc cherché à savoir s'il existait une
notion
équivalente au " secret de la défense nationale " français,
comment
ce secret était défini, et dans quelle mesure il pouvait être invoqué devant les
tribunaux.
Si le caractère secret de certaines informations est explicitement reconnu dans
tous les
pays étudiés,
le bien-fondé du refus de communication de ces informations à
l'occasion de procédures judiciaires est généralement contrôlé par les
tribunaux
.
C'est en effet le cas dans tous les pays étudiés sauf l'Italie, où il
appartient au
Président du conseil de confirmer le secret et d'en informer le Parlement.
Plus précisément, il apparaît que :
- les juges anglais et américains reconnaissent à l'administration un large
privilège de rétention, mais ils en contrôlent l'utilisation ;
- le Tribunal suprême espagnol a fait prévaloir en 1997 l'intérêt de la justice
sur la
sécurité de l'Etat, et l'avant-projet de loi sur les secrets officiels reprend
ce
principe ;
- en Allemagne et en Italie, la loi prévoit le mode de résolution des conflits
relatifs
à l'invocation du secret devant les juridictions.
1) Tout en reconnaissant à l'administration un certain privilège de rétention, les juges anglais et américains en contrôlent l'application.
a) La
justification du privilège
Au Royaume-Uni, ce privilège trouve son origine dans la doctrine de
"
l'intérêt
public
", dérivée d'une prérogative initialement réservée à la
Couronne. Cette règle permet à l'une des parties à un procès de renoncer à
produire
des éléments si " l'intérêt public " l'exige. Un ministre
peut
donc signer un " certificat d'immunité au nom de l'intérêt
public "
lorsqu'il ne souhaite pas que certaines informations soient rendues publiques à
l'occasion d'une procédure judiciaire.
Aux Etats-Unis, le droit à la rétention de certaines informations se fonde,
d'une part,
sur le
privilège de l'exécutif
et, d'autre part, sur la
coutume du
secret
d'Etat
.
Le privilège de l'exécutif est une prérogative présidentielle issue du principe
de
séparation des pouvoirs. Il a été reconnu par la Cour suprême en 1974 à
l'occasion du
Watergate.
Il justifie que, dans des domaines qui relèvent de la
compétence
exclusive de l'exécutif, la protection des informations confidentielles
n'appartienne
qu'au Président. La coutume du secret d'Etat, dégagée par la jurisprudence,
permet à
l'administration fédérale de refuser de communiquer un document relatif à une
affaire
en cours au nom de l'intérêt de la défense nationale et de la politique
étrangère.
Le domaine couvert par la coutume du secret d'Etat apparaît dans l'ensemble
identique à
celui du privilège de l'exécutif. Le premier peut cependant être plus facilement
invoqué par les principaux responsables de l'exécutif car il ne requiert pas
l'intervention directe du Président.
b) Le contrôle des tribunaux
Au Royaume-Uni comme aux Etats-Unis, lorsque le secret est invoqué, il
revient aux
juges du fond d'arbitrer entre deux types d'intérêt public, la raison d'Etat et
la
justice.
Au Royaume-Uni, la jurisprudence estime depuis 1968 que les ministres ne sont
plus les
seuls juges de l'intérêt public et qu'il appartient au tribunal d'arbitrer entre
l'intérêt public mis en avant par le ministre et celui de la justice. Depuis
quelques
années, il est admis que le second l'emporte, sauf dans les cas où la diffusion
de
l'information peut causer un " tort substantiel ", ce qui,
selon les
tribunaux, est évidemment le cas en matière de défense, de sécurité nationale
ou de
secrets diplomatiques. Dans la logique de cette jurisprudence, le gouvernement
a, à la
suite de l'affaire Matrix Churchill relative à l'exportation illégale d'armes
vers
l'Irak, modifié sa position sur les " certificats d'immunité au nom de
l'intérêt public ". Il a annoncé à la fin de l'année 1996 que les
ministres
ne pouvaient demander l'immunité que lorsque la diffusion des documents
confidentiels
risquait de causer un " réel tort ".
Aux Etats-Unis, la jurisprudence reconnaît à la coutume du secret d'Etat et au
privilège de l'exécutif une portée absolue dans les matières touchant à la
sécurité
de l'Etat, ce qui empêche le juge d'apprécier la validité de l'invocation du
privilège. En revanche, dans les autres domaines, le juge s'autorise à examiner
les
documents et à apprécier le bien-fondé de l'invocation du secret. Ainsi, dans
l'affaire
du
Watergate
, le refus présidentiel de communiquer certaines
informations n'a pas
été considéré comme justifié par les intérêts de la sécurité nationale, et les
nécessités de la justice pénale l'ont emporté.
2) Le Tribunal suprême espagnol a affirmé en 1997 la supériorité du droit à la protection de la justice sur le principe de sécurité de l'Etat, et l'avant-projet de loi sur les secrets officiels reprend ce principe.
En Espagne, le
Tribunal suprême a eu l'occasion pour la première fois en 1997 de se prononcer
sur le
contrôle judiciaire des documents secrets.
Lors de l'instruction de plusieurs procès impliquant l'activité des groupes
anti-terroristes de libération (GAL), la résolution d'une question
préjudicielle l'a en
effet amené à se prononcer sur le refus du conseil des ministres de déclassifier
certains documents secrets. Il a alors affirmé la supériorité du droit à la
protection
réelle de la justice, que la constitution reconnaît à tout citoyen, sur le
principe de
sécurité de l'Etat.
L'avant-projet de loi sur les secrets officiels prévoit d'introduire ce
principe dans la
législation. En effet, les juges auraient la possibilité de demander au conseil
des
ministres la déclassification de certaines informations. De plus, les juges et
les
parties au procès pourraient soumettre la décision du conseil des ministres à la
juridiction administrative suprême sans que la décision de cette dernière soit
susceptible de recours.
3) En Allemagne et en Italie, la loi prévoit le mode de résolution des conflits relatifs à l'invocation du secret devant les juridictions.
Le
code
allemand des juridictions administratives
prévoit explicitement que
certaines
informations puissent ne pas être communiquées lorsque ceci risque de nuire au
"
bien de la Fédération
ou d'un Land ".
Il
énonce par
ailleurs que le tribunal du fond se prononce, à la demande de l'une des
parties, sur le
refus opposé par l'administration.
En
matière pénale
, la solution retenue est comparable. En effet, comme le
tribunal a l'obligation d'étendre l'instruction à tous les éléments décisifs
pour la
recherche de la vérité, il peut contrôler les décisions ministérielles de refus
de
communication de certaines informations. Lorsque ces décisions lui semblent
arbitraires
ou dénuées de tout fondement, il peut passer outre et réquisitionner les
documents dont
il a besoin. Dans les autres cas, il est lié par la décision de
l'administration, mais
la partie à qui l'opposition du secret porte préjudice peut saisir la
juridiction
administrative.
En
Italie
, c'est le
nouveau code de procédure pénale
, entré en
vigueur en
1989, qui indique comment résoudre les conflits entre les nécessités du secret
et
celles de la justice. Tout juge qui se voit opposer le " secret
d'Etat " peut en informer le Président du conseil et lui demander la
confirmation du secret. Lorsque le Président du conseil confirme le secret, il
doit en
informer le Parlement.
En Italie cependant, le " secret d'Etat " continue
d'entraver le
déroulement de plusieurs procédures auxquelles l'ancien code de procédure pénale
s'applique parce qu'elles ont commencé avant l'entrée en vigueur du nouveau
code.
* *
*
Parmi les pays
étudiés, l'Italie est le seul qui n'ait pas confié aux tribunaux le soin de
contrôler
le bien-fondé de la rétention de certaines informations secrètes à l'occasion de
procédures judiciaires.
L'Espagne, confrontée peu ou prou en même temps au même problème que la France,
a
choisi, comme la France, de légiférer. Toutefois, elle semble avoir choisi,
comme la
plupart des autres pays, le contrôle judiciaire. La commission française du
secret de la
défense nationale constituera donc une institution originale.
ALLEMAGNE
Le code
pénal définit les
" secrets d'Etat ".
|
I. LA NOTION DE " SECRETS D'ETAT "
Le
code
pénal
définit les " secrets d'Etat ". Il énonce en
effet à
l'article 93 : "
Sont secrets d'Etat les faits, les
objets ou les
renseignements qui ne sont accessibles qu'à un groupe limité de personnes et
qui doivent
rester secrets pour une puissance étrangère, afin de prévenir tout danger pour
la
sécurité extérieure de la République fédérale d'Allemagne.
"
La notion de " secrets d'Etat " est donc définie
restrictivement.
Elle s'entend uniquement par rapport à une puissance étrangère, mais elle peut
porter
sur tous les domaines : politique, militaire, économique...
L'alinéa suivant de l'article 93 du code pénal précise que les faits qui
violent
l'ordre fondamental démocratique ou des accords de limitation d'armement conclus
secrètement avec d'autres pays ne peuvent pas être considérés comme des secrets
d'Etat.
II. LE CONTROLE DU JUGE
1) Le juge administratif
Le
code des
juridictions administratives
prévoit à l'article 99 l'obligation pour
les
autorités administratives de présenter les documents demandés et de donner les
renseignements requis dans la mesure où ceci ne risque pas de nuire au
"
bien
de la Fédération ou d'un Land
". Dans une telle hypothèse, le code
précise que l'autorité supérieure (c'est-à-dire
le ministre compétent
au
niveau fédéral ou au niveau du Land)
peut refuser la présentation des pièces
ou la
communication des renseignements.
Le deuxième alinéa du même article prévoit que le
tribunal du fond se
prononce
,
à la demande de l'une des parties,
sur le refus opposé par
l'administration
.
L'arrêt du tribunal peut faire l'objet d'un recours devant le tribunal
administratif de
niveau supérieur.
2) Le juge pénal
L'article 96
du code de procédure pénale
prévoit des dispositions comparables. Le
ministre
compétent peut en effet opposer un refus à la demande d'un tribunal concernant
la
fourniture de documents conservés par l'administration, lorsque la divulgation
de leur
contenu pourrait nuire au "
bien de la Fédération ou d'un
Land
".
Cependant, le code de procédure pénale impose au tribunal d'étendre
l'instruction à
tous les éléments décisifs pour la recherche de la vérité.
C'est pourquoi le tribunal doit contrôler la décision ministérielle. Il peut
donc
élever des objections aux explications que l'administration lui fournit pour
justifier
son refus. Si la décision lui semble arbitraire ou dénuée de tout fondement, il
peut
réquisitionner les documents dont il a besoin.
Dans les autres cas, il est lié par la décision de l'administration et ne peut
la
contester. Il doit donc se limiter aux moyens de preuve accessibles. C'est en
particulier
le cas lorsque l'article 54 du code de procédure pénale s'applique :
il
empêche en effet les fonctionnaires de déposer sur des questions couvertes par
les
" secrets d'Etat ".
En tout état de cause, la partie à qui l'opposition du secret porte préjudice
peut
saisir la justice administrative de la décision relative à l'utilisation du
secret dans
le procès pénal. Cette question incidente doit être jugée séparément.
Dans la pratique, l'administration met en avant l'article 96 du code de
procédure
pénale pour protéger non pas la " raison d'Etat " mais
l'anonymat de
certains informateurs.
3) Le juge civil
D'après la Cour suprême fédérale (qui correspond à la Cour de cassation française), la question de l'utilisation du secret devant les tribunaux civils ne s'est jamais posée.
* *
*
De façon
générale, la loi sur l'organisation judiciaire permet que l'audience se
déroule, en
totalité ou en partie, à huis clos lorsque la sécurité de l'Etat l'exige.
La Cour suprême fédérale et la Cour administrative fédérale précisent que le
secret
est toujours utilisé à bon escient par l'exécutif.
ESPAGNE
Les
" secrets
officiels " sont définis par la loi
48/1978 du 7 octobre
1978, qui
modifie celle du 5 avril 1968.
|
I. LA NOTION DE " SECRETS OFFICIELS "
La loi de 1978
énonce à l'article 1er que les organes de l'Etat sont soumis au principe de
publicité
"
sauf dans les cas où, à cause de sa nature, la matière est
expressément
déclarée "classée"
".
L'article 2 définit les domaines qui échappent au principe de publicité :
"
Peuvent être déclarés "matières classées" les faits,
les
actes, les documents, les informations, les données et les objets dont la
connaissance
par des personnes non autorisées peut nuire ou mettre en péril la sécurité et la
défense de l'Etat
".
La loi précise par ailleurs que ces matières sont classées en fonction du degré
de
protection qu'elles requièrent et que, seuls, le conseil des ministres et la
réunion des
chefs d'état-major peuvent procéder à ce classement.
Le décret d'application de la loi sur les secrets officiels indique comment les
administrations compétentes doivent les traiter. Il mentionne notamment que
la
nécessité d'éviter la multiplication des " matières
classées "
justifie, d'une part, l'indication d'un délai au moment de la classification
et, d'autre
part, la reclassification et la déclassification périodiques de tout ce qui est
classé.
II. LE CONTROLE DU JUGE
Dans trois
décisions rendues le 4 avril 1997, la chambre administrative du Tribunal
suprême a
déclaré la nullité partielle de la décision du conseil des ministres du
2 août
1996 refusant la déclassification de certains documents secrets.
Ces décisions ont permis de résoudre une question préjudicielle relative à
l'utilisation de documents secrets apparue pendant la phase d'instruction de
trois procès
impliquant l'activité des groupes anti-terroristes de libération (GAL).
Lors de l'instruction de ces trois procès, les juges d'instruction avaient
réclamé au
CESID (
Centro superior de información de la defensa
) des informations sur
l'utilisation de certains fonds secrets. Le CESID ayant refusé de fournir ces
informations, le ministre de la Défense, dont dépend le CESID, fut saisi. Le
ministre de
la Défense réitéra le refus du CESID et saisit à son tour le Tribunal des
conflits,
malgré l'absence de tout conflit de juridictions. Celui-ci affirma la nécessité
de
solliciter du conseil des ministres la déclassification des informations
requises. C'est
contre ce refus de déclassification que les membres de la famille des victimes
des
assassinats soi-disant perpétrés par les GAL ont déposé différents recours,
lesquels
ont donné lieu aux trois décisions rendues par le Tribunal suprême le
4 avril
1997.
Le Tribunal suprême a principalement fondé sa décision sur trois articles de
la
constitution : l'article 24
, mais aussi les articles 53 et 118.
L'article 24 garantit à chacun la protection de la justice
:
"
Toute
personne a le droit d'obtenir la protection effective des juges et des
tribunaux pour
exercer ses droits et ses intérêts légitimes, sans qu'en aucun cas cette
protection
puisse lui être refusée (...)
"
L'article 53 exclut toute forme d'impunité : "
Les droits et
les
libertés reconnus au chapitre deux du présent titre (1(
*
))
sont
contraignants pour tous les pouvoirs publics
".
L'article 118 impose la collaboration de chacun avec la justice :
"
Il
est obligatoire de respecter les jugements et autres décisions fermes des juges
et des
tribunaux, ainsi que d'apporter la collaboration requise par ceux-ci pendant le
procès et
dans l'exécution du jugement
".
Certains commentateurs ont avancé que le recours à ces arguments
constitutionnels ne
s'imposait pas dans la mesure où la révision de 1978 avait supprimé de la loi
sur les
secrets officiels la disposition excluant de la compétence de la juridiction
administrative les questions relatives aux
"
qualification
s ",
c'est-à-dire au classement. La loi elle-même autoriserait donc les recours
administratifs contre les décisions de classification du gouvernement.
Pour rendre ses décisions, le Tribunal suprême a mis en avant le fait que les
procès à
l'origine de la question préjudicielle mettaient en jeu des droits d'une valeur
particulièrement élevée : le droit à la vie, à l'inviolabilité du domicile
et
au libre exercice de la justice. Il a également insisté sur le fait que, en
l'espèce,
la sécurité de l'Etat ne se trouvait que peu touchée par la déclassification de
certaines informations. Ainsi, le Tribunal suprême insiste sur le caractère
relatif de
la solution retenue.
Par ailleurs, et de façon générale, le Tribunal suprême affirme que la sécurité
de
l'Etat, droit constitutionnellement reconnu, peut être mise en danger par la
non-présentation des documents requis, dans la mesure où la confiance des
citoyens dans
l'action des forces de sécurité serait alors ébranlée.
Il précise aussi que "
la sécurité que la loi sur les secrets
officiels
essaie de préserver est celle de l'Etat, pas celle de ses autorités et de ses
fonctionnaires, qui peuvent se trouver personnellement impliqués dans une
affaire pénale
".
* *
*
Conformément à
ce qui s'est passé dans l'affaire évoquée plus haut,
l'avant-projet de loi du
gouvernement sur les secrets d'Etat
prévoit à l'article 7
la
possibilité
pour les juges et les tribunaux de demander au conseil des ministres la
déclassification
de certaines informations
s'il apparaît, au cours d'une procédure
judiciaire, que
leur connaissance est essentielle pour l'application efficace de
l'article 24 de la
constitution.
Quelle qu'elle soit, la décision du conseil des ministres devra être motivée.
Si le
demandeur n'obtient pas satisfaction, il pourra réitérer sa demande devant la
chambre
administrative du Tribunal suprême. Celle-ci confirmera ou infirmera la
décision du
conseil des ministres sans que son arrêt ne soit susceptible d'aucun recours,
si ce n'est
le recours d'
amparo
(2(
*
))
devant le Tribunal
constitutionnel.
Par ailleurs, l'article 8 de l'avant-projet de loi prévoit que
les parties
au procès
à l'origine de la demande de déclassification pourront faire appel des
décisions du
conseil des ministres devant la chambre administrative du Tribunal suprême.
L'arrêt du
Tribunal suprême infirmera ou confirmera la décision du conseil des ministres
et ne sera
susceptible d'aucun recours, sauf du recours d'
amparo
.
ITALIE
La notion
de " secret
d'Etat " est définie
à l'article 12 de la loi
n° 801 du
24 octobre 1977 relative à "
l'institution et à la
réglementation des
services d'information et de sécurité, ainsi qu'au secret
d'Etat
".
|
I. LA NOTION DE " SECRET D'ETAT "
L'article 12
de la loi n° 801 du 24 octobre 1977 énonce :
"
Sont couverts par le secret d'Etat les actes, les documents, les
informations, les activités et tout autre élément dont la diffusion est
susceptible de
nuire à l'intégrité de l'Etat démocratique, même par rapport à des accords
internationaux, à la défense des institutions établies par la Constitution, au
libre
fonctionnement des organes constitutionnels, à l'indépendance de l'Etat par
rapport à
d'autres Etats et aux relations interétatiques, à la préparation et à la défense
militaire de l'Etat.
" En aucun cas des faits propres à bouleverser l'ordre
constitutionnel ne
peuvent faire l'objet du secret d'Etat. "
Par ailleurs, la loi confie au
Président du conseil
le soin de contrôler
l'application du " secret d'Etat ".
II. LE CONTROLE DU JUGE
L'article 202
du nouveau code de procédure pénale
relatif aux témoignages proscrit les
dépositions concernant des faits couverts par le " secret
d'Etat ".
Il permet au juge qui se voit opposer le " secret d'Etat "
d'en
informer le Président du conseil et de lui demander la confirmation du secret.
Lorsque le
secret est confirmé et que les informations qu'il couvre sont essentielles pour
le
déroulement du procès, le juge prononce un non-lieu motivé par l'existence d'un
" secret d'Etat ". En revanche, si le Président du conseil
ne répond
pas dans les soixante jours à la demande du juge, ce dernier peut ordonner au
témoin de
déposer.
L'article 256 du nouveau code de procédure pénale
, qui concerne les
séquestres, prévoit la même procédure lorsque quelqu'un se prévaut du
" secret d'Etat " pour ne pas communiquer au juge des
pièces ou des
documents.
La confirmation du secret appartient donc au Président du conseil qui doit
cependant
,
aux termes de la loi de 1977,
en informer le Parlement
. En effet, cette
loi
prévoit qu'un
comité parlementaire
veille au respect des principes
qu'elle pose.
Ce comité est composé de quatre députés et de quatre sénateurs nommés par les
présidents des deux assemblées selon la règle de la proportionnalité. Si le
Président
du conseil confirme l'existence d'un " secret d'Etat ", il
doit le
justifier auprès du comité qui peut, à la majorité absolue de ses membres, la
considérer comme infondée. Le comité en réfère alors à chacune des deux
assemblées
afin qu'elles en tirent les conséquences politiques.
* *
*
L'ancien code de
procédure pénale ne comportait pas de dispositions analogues aux articles 202
et 256. De
ce fait, l'utilisation du " secret d'Etat " empêche le bon
déroulement d'instructions qui ont commencé avant la date d'entrée en vigueur du
nouveau code de procédure pénale, c'est-à-dire avant 1989.
Ceci explique le dépôt en janvier 1997 d'une proposition de loi sénatoriale
tendant à
étendre aux procédures qui se déroulent selon l'ancien code de procédure pénale
l'application des articles 202 et 256. L'exposé des motifs fait allusion à
l'affaire
Ustica
(3(
*
))
où l'instruction, qui a duré dix-sept
ans, a
été entravée par le fait que de nombreux témoins se sont retranchés derrière le
" secret d'Etat ".
ROYAUME-UNI
Les
" secrets
officiels " sont définis par la loi
de 1989
qui
modifie celle de
1911.
|
I. LA NOTION DE " SECRETS OFFICIELS "
La loi de 1989
remplace l'article 2 de la loi de 1911 sur les secrets officiels. Elle
énumère
six
domaines
pour lesquels persiste la notion de " secret
officiel "
empêchant toute divulgation :
- la défense,
- les services de renseignement,
- les relations internationales,
- les informations confidentielles obtenues auprès du gouvernement ou
d'organisations
internationales,
- les informations concernant des crimes graves de droit commun,
- les écoutes téléphoniques.
II. LE CONTROLE DU JUGE
1) La théorie de la public interest immunity
Depuis 1942 (
Duncan
v. Cammel Laird and Co.
), la
Chambre des Lords admet que l'une des
parties à un
procès civil puisse renoncer à produire des documents si l'" intérêt
public " l'exige.
Elle a ainsi étendu une règle qui, auparavant,
ne
s'appliquait qu'aux affaires impliquant la Couronne.
Le refus de communiquer un document, fondé sur son contenu (informations
relatives à la
sécurité publique par exemple) ou sur sa catégorie (procès verbaux des réunions
du
cabinet par exemple), ne pouvait pas, jusqu'en 1968, être mis en cause par le
tribunal.
Les
ministres étaient les seuls arbitres de l'" intérêt
public ".
En 1968
, cependant, dans son arrêt
Convay v. Rimmer
, la
Chambre
des Lords
décida que si un ministre invoquait l'" intérêt public "
pour
refuser de produire un document,
il appartenait au tribunal d'arbitrer entre
deux types
d'intérêt public : celui mis en avant par le ministre et celui de la
justice
,
ce qui suppose que le tribunal inspecte les documents en question pour
déterminer
l'intérêt public qui l'emporte.
Depuis lors, un ministre a donc la possibilité de signer un
"
certificat
d'immunité au nom de l'intérêt public "
(
public interest
immunity : PII
) pour empêcher l'administration de prêter son concours
à la
justice, mais c'est le tribunal du fond qui se prononce sur le bien-fondé du
certificat.
Depuis la fin des années 80, il est admis que la notion de
public interest
immunity
s'applique également dans les affaires pénales. Il est également admis qu'en
pareille
circonstance, l'" intérêt public " ne saurait empêcher
quelqu'un de
prouver son innocence.
2) Les récents développements
Jusqu'au début
des années 90, il était généralement admis que lorsqu'un ministre signe un
" certificat d'immunité au nom de l'intérêt public " en
mettant en
avant les relations diplomatiques ou les services secrets, le tribunal ne
devait pas
contester la décision ministérielle. En outre, ces certificats étaient rarement
utilisés dans des affaires pénales.
En pratique, on observait que les tribunaux n'entreprenaient le difficile
exercice
d'évaluation relative des deux intérêts publics concurrents que lorsque la
partie qui
réclamait la production des documents avait une idée assez précise de leur
contenu et
du bénéfice qu'elle pourrait en retirer.
Le scandale des ventes d'armes à l'Irak, révélé par les affaires
Matrix
Churchill
et
Ordtec
, a suscité un important débat sur l'utilisation
des
" certificats d'immunité au nom de l'intérêt public ".
En octobre 1990, l'administration des douanes engagea des poursuites contre la
société
Matrix
Churchill
pour exportation illégale d'armes vers l'Irak. Les dirigeants de
la
société protestèrent de leur bonne foi en affirmant qu'ils avaient été couverts
par
le gouvernement. Or, officiellement l'embargo sur les exportations d'armes à
destination
de l'Irak était resté en vigueur. Lors de l'instruction, plusieurs ministres
signèrent
des " certificats d'immunité au nom de l'intérêt public "
dont le
juge contesta le bien-fondé, ce qui entraîna l'acquittement des accusés en
novembre
1992.
Dans le procès
Ordtec
, qui s'est déroulé en même temps que l'affaire
Matrix
Churchill
, plusieurs dirigeants de la société furent condamnés en première
instance parce que des " certificats d'immunité au nom de l'intérêt
public " empêchèrent la production de documents qui auraient appuyé
leur
défense.
Le Premier ministre décida alors la création d'une commission dont il confia la
responsabilité au juge Scott. Dans son rapport rendu public en février 1996, le
juge
Scott indiquait notamment qu'"
une demande d'immunité au nom de
l'intérêt
public ne devrait pas être faite si le ministre compétent est d'avis que,
malgré le
caractère sensible des documents, l'"intérêt public" exige qu'ils
soient
divulgués "
. Il insistait également sur le fait que, dans le
cadre de
procédures pénales, de telles demandes devaient, dans toute la mesure du
possible, être
évitées.
A la suite du rapport Scott,
le gouvernement a modifié sa position sur
l'utilisation
des " certificats d'immunité au nom de l'intérêt public "
par les
ministres. Il a annoncé en décembre 1996 que les ministres ne pouvaient demander
l'immunité au nom de l'intérêt public que si la diffusion du document incriminé
risquait de causer un " réel tort "
. Ceci correspond
plus ou
moins aux derniers développements de la jurisprudence. En 1994 en effet,
c'est-à-dire
après le procès
Matrix Churchill
, les juges, dans l'affaire
Wiley
, ont
estimé que la diffusion des documents nécessaires s'imposait sauf dans les cas
où elle
causerait un " tort substantiel ". Ils précisaient alors
que ce tort
était évident s'agissant d'un document relatif à la défense, à la sécurité
nationale ou aux secrets diplomatiques.
ETATS-UNIS
La loi sur
l'accès aux documents
administratifs exclut de son champ d'application certaines informations qui
doivent rester
secrètes dans "
l'intérêt de la défense nationale ou de la
politique
étrangère
".
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I. LES INFORMATIONS CONFIDENTIELLES
La loi sur
l'accès aux documents administratifs (
Freedom of Information Act
de
1966, modifié
ultérieurement) introduit certaines réserves au principe général de
communication.
La première exception concerne les matières "
spécialement
autorisées en
fonction des critères établis par un décret présidentiel à être tenues secrètes
dans l'intérêt de la défense nationale ou de la politique
étrangère
"
et "
faisant l'objet d'une classification conforme aux
dispositions dudit
décret
".
II. LE CONTROLE DU JUGE
Avant l'adoption
de la loi sur l'accès aux documents administratifs, les tribunaux
reconnaissaient à
l'administration le droit à la rétention de certaines informations relatives à
la
défense nationale et à la politique étrangère. Ils s'appuient désormais sur la
loi,
tout en se fondant sur deux arguments qu'ils utilisaient précédemment :
- le privilège de l'exécutif,
- la coutume du secret d'Etat.
1) Le privilège de l'exécutif
Cette doctrine
tend à conférer à l'exécutif le pouvoir de limiter l'accès du Congrès, des
tribunaux
et du public à l'information pour des raisons d'intérêt national. En pratique,
le
privilège de l'exécutif est assez peu invoqué comme motif de rétention.
Ce privilège a été reconnu par la
Cour suprême en 1974
lors de la
décision
United
States v. Nixon
, relative aux enregistrements du
Watergate
.
La Cour
suprême considéra en effet que le privilège trouvait
"
invariablement ses
racines dans le principe de séparation des pouvoirs consacré par la
constitution
"
et qu'il permettait de protéger la
"
confidentialité
"
indispensable des communications au sein de l'exécutif.
L'article 2 de la constitution confère au
Président
des pouvoirs en
matière de
défense
nationale
et de
politique étrangère
. Ils constituent
la base du
privilège
,
que seul le Président peut invoquer.
Dans des arrêts ultérieurs, prononcés en 1980 et 1988, la Cour suprême
réaffirma que,
pour des raisons constitutionnelles "
évidentes
", la
protection d'informations confidentielles dans l'intérêt de la sécurité
nationale
relevait uniquement de l'autorité exécutive responsable.
La Cour suprême, en même temps qu'elle reconnaissait la valeur
constitutionnelle du
privilège de l'exécutif, en précisa la portée, nécessairement relative.
Selon elle, il existe un
large privilège de rétention de l'information en
matière de
sécurité nationale et d'affaires militaires ou diplomatiques, qui empêche
l
e
juge d'apprécier la validité de l'invocation du privilège
Il suffit alors
d'indiquer au juge les raisons pour lesquelles le privilège est invoqué. Le
juge ne peut
pas se livrer à un examen du contenu des documents en cause ;
son
pouvoir
d'instruction est donc limité aux affaires ne mettant pas en jeu la
sécurité
nationale
. Pour celles-ci, le refus de communication doit être mis en
balance avec
l'intérêt public à la transparence.
Ainsi, dans l'affaire
United States v. Nixon
, la demande du procureur
spécial
Jaworski de remettre les soixante-quatorze enregistrements de conversations
entre le
Président Nixon et ses conseillers n'a pas été considérée comme susceptible de
nuire
aux intérêts de la sécurité nationale. Il a été jugé que les nécessités de la
justice pénale devaient l'emporter sur tout intérêt autre que la sécurité
nationale.
Le
privilège de l'exécutif ne saurait donc être invoqué pour affranchir son
titulaire de
la subordination aux lois dans la mesure où un intérêt de sécurité nationale
n'est
pas en jeu.
2) La coutume du secret d'Etat
Reconnue par la
jurisprudence, la coutume du secret d'Etat permet à l'administration fédérale,
en
s'appuyant sur l'intérêt de la défense nationale et de la politique étrangère,
de
refuser de communiquer aux requérants un document relatif à une affaire
judiciaire en
cours.
Depuis l'arrêt
United States v. Reynolds
, rendu en 1953, la Cour suprême
considère que ce privilège ne peut être invoqué que par le responsable de
l'organisme
fédéral contrôlant l'information, et ce après examen personnel.
Lorsque ce privilège est invoqué, les tribunaux doivent donc vérifier qu'un
examen
particulier du dossier a bien été effectué par le supérieur hiérarchique. En
revanche, ils ne vérifient pas le degré de précision de cet examen.
De plus, comme la décision sur la validité de l'invocation du privilège
appartient aux
tribunaux, le juge doit en théorie procéder à un examen à huis clos des
documents. La
Cour suprême ne s'est pas prononcée avec netteté sur ce point dans l'arrêt
Reynolds
.
Ultérieurement, cette solution a été admise par la jurisprudence après que le
requérant eut démontré le caractère indispensable de l'analyse directe du
document par
le juge.
Cependant, comme la jurisprudence reconnaît à ce privilège une portée absolue en
matière de sécurité nationale, des nécessités impérieuses de transparence ne
peuvent
pas être avancées.
(1)
C'est-à-dire les droits fondamentaux et les libertés publiques parmis lesquels
celui que
garantit l'article 24.
(2) Le recours d'amparo permet à tout citoyen de saisir le Tribunal
constitutionnel
lorsqu'il estime que l'un de ses droits fondamentaux a été violé.
(3) En juin 1980, un DC-9 de la compagnie italienne Itavia qui effectuait une liaison régulière entre Bologne et Palerme a explosé en vol près de l'île d'Ustica au large de la Sicile. Selon les hypothèses du juge d'instruction chargé de l'enquête, le DC-9 aurait été abattu par erreur. En effet un ou deux avions libyens auraient suivi la route du DC-9 pour échapper aux radars des avions de chasse français, américains et italiens les poursuivant.