SUÈDE
La Suède s'est engagée dans une politique volontariste de réduction du « fardeau normatif », à la suite des observations formulées par l'OCDE en 2006.
On examinera donc successivement les deux grands trains de mesures prises en la matière depuis le début du XXI e siècle, avant de considérer les missions et l'activité de l'autorité qui a été créée dans ce domaine.
I. LES PREMIÈRES MESURES PRISES DE 2006 À 2010 POUR DIMINUER DE 25 % LES COÛTS ADMINISTRATIFS
L'intérêt des pouvoirs publics suédois pour le processus de simplification des textes et des décisions publics s'est manifesté depuis 2006, année au cours de laquelle le Gouvernement a fixé l'objectif de diminuer de 25 %, dans les quatre ans (2006-2010), les coûts résultant de la législation de l'État afin d'obtenir une modification « significative » de l'environnement des entreprises 22 ( * ) .
Cette politique a fait l'objet d'un rapport de l'homologue suédois (Riksrevisionen) de la Cour des comptes française, instance indépendante placée sous l'autorité du Parlement monocaméral suédois, chargée d'évaluer les activités réalisées par l'État. De ce fait, on désignera Riksrevisionen sous le terme « la Cour » dans les développements infra 23 ( * ) .
A. LES OBSERVATIONS DE L'HOMOLOGUE SUÉDOIS DE LA COUR DES COMPTES SUR LA POLITIQUE MENÉE DE 2006 À 2010
Dans son rapport daté de mars 2012, intitulé Simplification des règles pour les entreprises - le Gouvernement est toujours loin du but (RiR2012 :6), la Cour observe que le Gouvernement suédois n'avait pas atteint, en 2010, les objectifs qu'il s'était fixés en 2006.
Avant de parvenir à cette conclusion, la Cour des comptes a réalisé une enquête auprès de 4 000 entreprises choisies au hasard. Un peu moins de la moitié d'entre elles - dont une majorité appartenant aux branches de la construction, du commerce, de la restauration et de la coiffure - ont répondu aux questions qui leur étaient posées. Ces questions avaient trait au regard porté par ces entreprises sur le « fardeau normatif » (regelbördan) qu'elles supportaient et sur l'évolution de celui-ci sur la période en question.
Selon les résultats de l'enquête, 14 % des entreprises considéraient qu'au terme des réformes, les règles s'avéraient plus claires ou beaucoup plus claires, 36 % qu'elles étaient devenues un peu ou beaucoup plus lourdes, 37 % estimaient au contraire que la situation était restée sans changement, les 12 % restants n'ayant pas su répondre. La Cour en tire la conclusion que peu d'entreprises ressentaient que la réglementation (regelverk) avait été simplifiée.
La Cour constate également que la définition des coûts administratifs subis par les entreprises était trop étroite puisque plusieurs coûts directs résultant de certaines règles étaient exclus, à l'instar de ceux relatifs à l'adaptation des produits, aux délais nécessaires pour se tenir au courant de la réglementation en vigueur, outre les seuls coûts d'investissement. Elle estime aussi que les « coûts indirects » des règles, résultant, par exemple, de leur effet sur les coûts d'investissement des entreprises et sur la dynamique de profit, ont souvent une plus grande importance pour les entrepreneurs que les coûts directs. En résumé, elle considère qu'il n'est pas suffisant de mesurer les seuls coûts administratifs afin de juger si les objectifs généraux sont atteints dans un domaine aussi complexe que la simplification des règles.
À ce titre, la Cour relève du reste l'existence de conflits d'objectifs, par exemple entre la volonté de lutter contre les emplois non déclarés et l'évasion fiscale pour assurer l'égalité entre les entreprises, d'une part, et le souhait de réduire les coûts administratifs, de l'autre : faute d'instruments de suivi statistique pertinents, les indicateurs établis par les pouvoirs publics ne prennent en compte que la hausse des coût administratifs résultant des mesures tendant à lutter contre le travail non déclaré et l'évasion fiscale, à l'exclusion des effets bénéfiques de ces mesures sur la préservation d'une concurrence non faussée entre les entreprises 24 ( * ) .
S'agissant de la mise en oeuvre de cette politique, la Cour estime qu'une gouvernance plus claire, du sommet à la base (uppifrån-och-ned-styrning) de la politique de simplification, aurait été plus adaptée, relevant par ailleurs que les réductions et les hausses de coût les plus importantes étaient liées aux modifications effectuées au plan législatif. Sur ce point, la Cour considère que la politique de simplification des règles n'avait pas été mise en oeuvre de façon vraiment stratégique.
Analysant de façon approfondie cinq modifications de la réglementation qui avaient entraîné une hausse des coûts administratifs des entreprises dans le domaine fiscal, la Cour conclut que l'évaluation des seuls coûts administratifs ne permettait pas un suivi efficace de la politique de réduction des coûts - dans la mesure où certaines modifications des règles entraînaient une hausse de ceux-ci alors même qu'elle avaient pour objet d'en simplifier le contenu - et que les études d'impact qu'elle a évaluées étaient très lacunaires s'agissant de la présentation des propositions de modification des textes. La Cour constate aussi l'absence de propositions alternatives et d'éléments détaillant les bases sur lesquelles étaient réalisées les évaluations.
Tout en relevant l'importance de la création du Regelrådet en 2008, la Cour note que le nombre des études d'impact jugées lacunaires par ce conseil n'a pas diminué au cours des premières années de son fonctionnement. Elle s'interroge sur le fait de savoir si les avis du Regelrådet devraient englober l'ensemble des effets du projet pour les entreprises, soit une plus grande partie du contenu de l'étude d'impact. Constatant que l'activité de conseil du Regelrådet tendait à se développer, la Cour estime que cette nouvelle orientation emporte le risque que ce conseil ne soit trop proche des entités qu'il est censé également contrôler.
La Cour formule diverses recommandations à l'intention du Gouvernement, suggérant en particulier de :
- déterminer des objectifs et des indicateurs destinés à assurer le suivi de la politique de simplification notamment par la mesure des coûts administratifs ;
- donner la priorité aux domaines règlementaires les plus surchargés et se concentrer davantage sur le « fardeau normatif » que constituent lois et les règlements ;
- renforcer l'application des règles relatives aux études d'impact afin d'améliorer tant la présentation des effets possibles des modifications projetées sur les entreprises que le suivi des règles existantes ;
- et envisager l'élargissement du mandat du Regelrådet de sorte que ses avis prennent en compte l'ensemble des conséquences de la réglementation pour les entreprises, et non seulement leurs coûts administratifs.
B. LES RÉPONSES DU GOUVERNEMENT SUÉDOIS AUX REMARQUES DE LA COUR DES COMPTES
À ces observations, le Gouvernement répondit par une note du 20 septembre 2012 (Regerigens Skrivelse 2012/13:5 ) .
Le Gouvernement y estime que le suivi de l'objectif relatif à une amélioration notable du quotidien des entreprises passe par une démarche élargie à diverses études, notant que l' Agence suédoise pour le développement économique et régional (Tillväxtverket) effectue, tous les trois ans, depuis 2002, la plus grande enquête européenne concernant les entreprises. En 2011, note-t-il, 19 000 des 30 000 entreprises interrogées avaient répondu à l'enquête, d'où il résultait que la part des entreprises qui considéraient la réglementation comme un frein à la croissance avait diminué de 30 à 22 % entre 2008 et 2011.
Il note aussi que, pour la première fois, selon le « baromètre des règles » utilisé depuis 2009, les entreprises estimant que la situation s'était simplifiée étaient plus nombreuses que celles considérant qu'elle s'était compliquée.
Constatant que le succès de la politique de simplification nécessite du temps, le Gouvernement estime qu'une « rupture de la tendance » a eu lieu, dans un sens positif.
Le Gouvernement rappelle aussi que si son objectif final est de parvenir à une modification, l'objectif « intermédiaire », sous-jacent à cette démarche, est que les coûts administratifs grevant les entreprises aient diminué de 25 % fin 2012. Déclarant partager l'avis de la Cour selon lequel les coûts administratifs ont trop influé sur la politique de simplification, le Gouvernement estime cependant que cette politique a été nécessaire :
- pour favoriser l'émergence d'une perception globale du fait que les règles peuvent avoir un effet sur les coûts pour les entreprises ;
- et pour mettre au jour des coûts invisibles auparavant.
Pour la période 2011-2014, le Gouvernement indique avoir décidé d'élargir sa politique à plusieurs domaines :
- la diminution des coûts pour les entreprises ;
- la diminution ou la simplification de la fourniture de données ;
- la simplification des contacts avec les autorités dans les préfectures et les services des communes ;
- le suivi des propositions de simplification formulées par l'Industrie ;
- et la réalisation de meilleures études d'impact.
Il fixe divers objectifs, à savoir :
- que la part des PME considérant les règles comme un obstacle à la croissance doit continuer de diminuer jusqu'en 2020 par rapport à 2006, moyennant un suivi reposant sur l'enquête trisannuelle de l' Agence pour le développement économique et régional en 2014, 2017 et 2020 ;
- que les coûts administratifs des entreprises devraient, en 2020, être inférieurs à leur niveau en 2012, le Regelsrådet étant chargé de suivre leur évolution dans les études d'impact ;
- de faire en sorte qu'en 2020, les entreprises n'aient plus, en règle générale, à fournir de données qu'une fois et à un seul endroit ;
- d'accroître le nombre des visiteurs du site dédié aux créateurs d'entreprises verksamt.se par rapport à 2012 ;
- de favoriser l'implication des services des communes et des préfectures dans cette politique afin que la Suède occupe une place de premier rang dans les comparaisons internationales ;
- d'avoir réduit, en 2020, les délais de traitement des dossiers dans les préfectures par rapport à 2012 ;
- et d'améliorer l'attitude du secteur public suédois vis-à-vis des entreprises, les préfectures étant chargées, depuis le 1 er juin 2011, de proposer à leurs collaborateurs une formation relative à l'amélioration du climat entrepreneurial, tandis que des initiatives sont prises en concertation avec l'association des communes et des départements de Suède (SKL), afin de proposer des formations aux élus et aux fonctionnaires communaux.
Répondant à une critique de la Cour, le Gouvernement estime que sa politique de simplification, durant la période 2006-2010, a été organisée de façon « stratégique », dans la mesure où des missions ont bel et bien été attribuées aux ministères et aux diverses entités, même si elles ont pu parfois avoir un objet identique, observant toutefois qu'une impulsion venant plus clairement « d'en haut » aurait vraisemblablement permis d'aboutir à un résultat plus clair.
Notant que son action s'était fondée sur les attentes de l'industrie, le Gouvernement souligne les principales modifications obtenues, à l'instar :
- du caractère facultatif du recours à un expert-comptable pour certaines des plus petites entreprises ;
- de règles plus simples applicables à la comptabilité courante et à l'archivage ;
- de la simplification des dispositions relatives au rapport annuel ;
- des règles sur les hypothèques électroniques des entreprises ;
- de l'établissement des « relevés des salaires » et des « plans d'égalisation » tous les trois ans et non plus chaque année ;
- de la simplification de la loi sur les vacances ;
- ou encore de la prolongation du délai de remise des comptes concernant la TVA trimestrielle de un à trois mois.
Le Gouvernement charge aussi l'Agence pour le développement économique et régional de mettre en oeuvre le projet de « chasse à la simplification », concentré sur les facteurs que les entrepreneurs des branches à fort potentiel de croissance ressentaient comme les plus contraignants.
Considérant qu'à l'issue des trois premières années de fonctionnement du Regelrådet , la qualité des études d'impact ne s'était pas améliorée de façon significative (54 % des études d'impact étaient déficientes en 2009 contre respectivement 61 % en 2010 et 58 % en 2011), le Gouvernement enjoignit à ce conseil de donner la priorité, dans son activité, aux commissions ad hoc désignées par le Gouvernement ( kommittéer ) afin de proposer des modifications de la législation ou de la réglementation, lors de l'élaboration des études d'impact, et de développer son rôle de conseil à l'occasion de la mise au point de ces études 25 ( * ) .
Quant à l'autorité chargée des évaluations de la politique de croissance et des analyses ( Tillväxtanalys [analyse de croissance]), elle reçut du Gouvernement, le 30 juin 2011, la mission de proposer un modèle destiné à comparer la façon dont les coûts et les effets structurels peuvent être analysés et décrits dans une étude d'impact, afin de simplifier la mesure des effets (in)directs d'une modification et des coûts administratifs qu'elle entraîne pour les entreprises, et afin de standardiser le calcul des types de coûts attendus. Ces améliorations étaient destinées à accroître la qualité des études d'impact.
De même, l'Agence pour le développement économique et régional a-t-elle reçu du Gouvernement, en 2011, la mission de développer un « compteur de règles », destiné à faciliter le travail des « producteurs » de règles qui élaborent les études d'impact y afférentes.
Souhaitant que la Suède conserve sa bonne position dans les comparaisons internationales relatives à la compétitivité des entreprises, le Gouvernement suédois se déclare soucieux :
- de ne pas instituer d'exceptions ou des règles propres aux petites entreprises, afin d'éviter de provoquer des effets de seuil ou de créer des obstacles à la croissance ;
- d'éviter que les entreprises ne doivent fournir des données à diverses autorités publiques à plusieurs reprises grâce à la création d'un guichet unique sur la base d'un inventaire des données collectées, inventaire qui a mis en lumière, en juin 2012, l'existence de 1 164 obligations de communiquer des données ;
- d'améliorer les relations des entreprises et des autorités locales ;
- de créer un « forum de la simplification » dans le droit fil des recommandations de l'OCDE ;
- de constituer un groupe composé de représentants des ministères, des autres autorités de l'État, des communes, de SKL, de la préfecture de Kronoberg, de NNR et d'autres organisations de l'industrie, afin de travailler dans cinq domaines : le traitement des demandes de permis de construire, le traitement des demandes de concession de terrains, la surveillance de l'environnement et de la protection de la santé et la mise en oeuvre des services de protection contre l'incendie ;
- enfin de lancer plusieurs projets pilotes susceptibles d'être pris pour modèle dans le futur, en matière de politique de protection des plages, de distribution coordonnée des marchandises aux petites entreprises, et d'amélioration de l'accès des petites entreprises aux appels d'offres publics.
On notera toutefois que, dans un rapport publié en décembre 2015, le Comité de l'Industrie et du commerce suédois pour l'amélioration du cadre juridique, organisation émanant des entreprises, relevait que les lettres de missions annuelles du gouvernement suédois et les statuts des autorités publiques qu'il mandate pour mettre en oeuvre certaines politiques ne font pas toutes et tous référence à la nécessité de contribuer à la politique de simplification en direction des entreprises. Selon cette source, seules quelques autorités seraient expressément chargées d'une telle mission.
* 22 Kommittédirektiv. Dir. 2008:57. Regelrådet - ett råd för granskning av nya och ändrade regler som påverkar företagens regelbörda, p. 83 du rapport annuel du Regelrådet, 2014.
* 23 Les missions du Riksrevisionen résultent des paragraphes 7 et 8 du chapitre 13 de la loi constitutionnelle. Ses trois membres, qui sont assistés de collaborateurs, ne peuvent être révoqués que pour grave négligence. Riksrevisionen appartient, comme la Cour des comptes française, à l'Organisation Internationale des Institutions supérieures de Contrôle des Finances publiques (INTOSAI) et à l'Organisation des Institutions supérieures de contrôle des finances publiques d'Europe (EUROSAI). Par commodité et par analogie, on désignera infra Riksrevisionen sous l'appellation « la Cour », bien que son statut ne lui confère pas une autorité juridictionnelle.
* 24 Swedish national Audit office, Summary. Simplifying company regulations - the Government still has a long way to go (RiR 2012:06) , p. 4.
* 25 Par la directive complémentaire du 25 août 2011 (dir. 2011:71), à l'intention du Regelrådet .