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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Décès d'un ancien sénateur

Sortir la France du piège du narcotrafic et Statut du procureur de la République anticriminalité organisée (Conclusions de la CMP)

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat de la CMP

M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics

Discussion du texte de la proposition de loi élaboré par la CMP

Article 3

Article 4 bis C

Article 15 bis B

Article 19

Article 22

Article 23 quinquies

Article 26

Vote sur l'ensemble

Mme Laure Darcos

M. Stéphane Le Rudulier

Mme Marie-Laure Phinera-Horth

M. Michel Masset

Mme Isabelle Florennes

M. Jérémy Bacchi

M. Guy Benarroche

M. Jérôme Durain

CMP (Nominations)

Restitution d'un bien culturel à la République de Côte d'Ivoire (Procédure accélérée)

Explications de vote

M. Max Brisson, rapporteur de la commission de la culture

Mme Rachida Dati, ministre de la culture

M. Jean-Luc Ruelle

Mme Samantha Cazebonne

M. Bernard Fialaire

Mme Catherine Morin-Desailly

M. Pierre Ouzoulias

Mme Mathilde Ollivier

M. Yan Chantrel

Mme Laure Darcos

Intelligence artificielle

M. Stéphane Piednoir, président de l'Opecst

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique

Mme Marie-Laure Phinera-Horth

M. Bernard Fialaire

Mme Catherine Morin-Desailly

M. Pierre Ouzoulias

Mme Ghislaine Senée

Mme Sylvie Robert

M. Pierre Jean Rochette

M. Patrick Chaize

M. Ludovic Haye

M. David Ros

Mme Marie-Claire Carrère-Gée

M. Adel Ziane

M. Christian Bruyen

M. Jean-Baptiste Blanc

Mme Anne Ventalon

Mme Christine Lavarde, Président de la délégation sénatoriale à la prospective

Comment relancer le fret ferroviaire ?

M. Alexandre Basquin, pour le groupe CRCE-K

M. Michel Masset

M. Jean-François Longeot

Mme Marie-Claude Varaillas

M. Jacques Fernique

M. Olivier Jacquin

M. Pierre Jean Rochette

Mme Agnès Canayer

Mme Marie-Laure Phinera-Horth

M. Franck Dhersin

M. Jean-Marc Delia

M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports

M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe CRCE-K

Modification de l'ordre du jour

Ordre du jour du mardi 29 avril 2025




SÉANCE

du lundi 28 avril 2025

81e séance de la session ordinaire 2024-2025

Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président

Secrétaires : M. Guy Benarroche, Mme Sonia de La Provôté.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral, est adopté.

Décès d'un ancien sénateur

M. le président.  - J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Henri Torre, qui fut sénateur de l'Ardèche de 1980 à 2008.

Sortir la France du piège du narcotrafic et Statut du procureur de la République anticriminalité organisée (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République anticriminalité organisée.

La Conférence des présidents a décidé que ces textes feraient l'objet d'explications de vote communes.

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat de la CMP .  - La commission d'enquête mise en oeuvre en novembre 2023 à l'initiative du groupe Les Républicains, qui a donné lieu à un travail transpartisan, a montré combien le narcotrafic porte atteinte aux intérêts de la nation.

Jérôme Durain et Étienne Blanc ont déposé une proposition de loi qui traitait, pan par pan, tous les sujets pour lutter efficacement contre le narcotrafic. Elle a été votée à l'unanimité du Sénat. Après discussions avec les députés, nous avons trouvé un accord sur l'intégralité du texte.

Nous avons décidé de la création d'un parquet national anticriminalité organisée (Pnaco), qui coordonnera l'action des autres parquets en matière de criminalité organisée et de narcotrafic. J'espère que ce parquet sera opérationnel dès janvier prochain -  je vois le garde des sceaux qui acquiesce.

Nous changeons le régime des mises en liberté : c'est crucial. Quand on est détenu, on doit être jugé dans des délais impartis. Mais quand on est libre, la décision peut ne pas intervenir, car nos juridictions sont encombrées. Nous devions donc freiner la guérilla procédurale menée par les narcotrafiquants, qui soulèvent des moyens procéduraux de mauvaise foi pour être remis en liberté.

Nous avons aussi beaucoup travaillé sur l'incarcération. À l'Assemblée nationale, le garde des sceaux a proposé la création de quartiers de lutte contre la criminalité organisée. Nous y sommes favorables et avons abouti à un dispositif équilibré, puisque la décision du ministre sera réinterrogée tous les ans pour limiter l'atteinte aux libertés individuelles.

Il est important que ce texte soit à nouveau adopté à l'unanimité au Sénat, car nous devons parler d'une seule voix, face à l'hydre du narcotrafic et son cortège de violences et de corruption. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE)

M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Merci aux parlementaires pour leur travail sur ce texte si important pour nos magistrats et nos forces de l'ordre. Merci à MM. Blanc et Durain, même si une fois accouché, le bébé a grossi. Il a été enrichi, avec votre accord monsieur le rapporteur, tant sur le Pnaco que sur diverses dispositions pour nos magistrats spécialisés.

Divers articles -  qui ne sont pas des cavaliers, puisque le texte comportait des dispositions pénitentiaires  - créent un nouveau régime carcéral inspiré du modèle italien. La première prison de haute sécurité ouvrira en juillet, à Vendin-le-Vieil ; puis, en octobre, celle de Condé-sur-Sarthe. Les deux cents narcotrafiquants les plus dangereux y seront enfermés.

Nous rompons ainsi avec la tradition pénitentiaire française qui catégorisait les détenus selon leur statut devant la justice -  détention provisoire, condamnation pour peine  - et non selon leur dangerosité. C'est ainsi que 70 % des détenus incarcérés à Vendin-le-Vieil seront en détention provisoire.

Nous isolons les narcotrafiquants du reste de la société pour les empêcher de continuer de gérer leurs points de deal, de blanchir leur argent, de commanditer des assassinats, de menacer les uns ou les autres, etc. Il faut couper le lien social entre les détenus et l'extérieur.

Ce régime carcéral extrêmement original et difficile pose des questions. J'ai donc souhaité mener ce travail avec MM. Durain et Vicot, pour la gauche. J'ai également souhaité que le Conseil d'État soit saisi, et nous avons suivi son avis positif à la virgule près pour passer les fourches caudines du Conseil constitutionnel. Dans un esprit de compromis, nous avons limité ce régime carcéral à un an renouvelable, afin de recueillir l'assentiment du groupe socialiste. C'est un bon compromis républicain.

Ce nouveau régime carcéral stressera les narcotrafiquants. Nous le voyons avec les récentes prises à partie de l'administration carcérale. En attaquant les centres de détention, mais aussi les domiciles des agents, les narcotrafiquants ont espéré déclencher une grève, mais les agents ont été courageux et ont tenu. Merci aux parlementaires, qui les ont soutenus. Je remercie les forces de l'ordre d'avoir interpellé une partie des responsables de ces menaces.

Dès que le Conseil constitutionnel aura rendu son avis - il semblerait qu'il sera saisi par le groupe LFI -, nous préparerons les décrets, que nous soumettrons à la présidente de la commission des lois, pour que ce nouveau régime carcéral s'applique dès le 31 juillet, faisant de Vendin-le-Vieil la première prison de haute sécurité de notre pays, alors que nous commémorerons le 14 mai prochain le massacre d'Incarville.

L'anonymisation des agents pénitentiaires a été supprimée par erreur en CMP. Je proposerai donc deux amendements pour y remédier. Lorsqu'ils découvrent un téléphone portable ou décident d'une mise en cellule disciplinaire, les agents doivent indiquer leur nom, ce qui les expose à des menaces à l'extérieur et crée un climat d'insécurité. Depuis longtemps, ils demandaient que leur nom soit remplacé par leur numéro de matricule, comme c'est le cas depuis 2021 pour les officiers de police judiciaire. Cette anonymisation pourrait être rétablie pour Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil, mais également étendue à toutes les prisons.

L'administration pourrait ainsi retrouver la personne qui a fait usage de son pouvoir administratif, sans que son nom soit jeté en pâture. Ces amendements de bon sens sont un signe d'encouragement pour notre administration pénitentiaire.

Madame la présidente, le Pnaco sera bien au rendez-vous au 1er janvier. Nous pourrons l'inaugurer ensemble.

Avec le ministre de l'intérieur, nous interpellerons davantage et donnerons un coup d'arrêt à l'extension du narcotrafic dans notre pays. Pour la première fois, nous regagnons du terrain -  les attaques de prisons le démontrent  - et faisons très mal aux narcotrafiquants. Nous le devons au Sénat, aux magistrats, aux greffiers et aux forces de l'ordre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE)

M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - Peu de textes ont cette force. Je l'ai déjà dit le 4 février, ce texte n'a rien de banal : c'est un texte régalien puissant qui émane du Parlement, ce qui est très rare - particulièrement du Sénat.

Je me souviens de la commission d'enquête, du vote à l'unanimité du Sénat le 4 février, et de celui, très large, à l'Assemblée nationale -  une bonne surprise !

Il est tout aussi rare, par les temps qui courent, qu'un texte soit adopté par une telle majorité. Signe que les clivages peuvent être transcendés quand il s'agit des intérêts fondamentaux de la nation. Le narcotrafic est à la racine de nombreux homicides et engendre une corruption qui ébranle nos institutions.

Il y aura un avant et un après. Ce matin, nos forces de sécurité intérieure ont interpellé une trentaine des narcoracailles qui ont visé des établissements pénitentiaires et des domiciles d'agents. Preuve que ce texte dérange le milieu du narcotrafic, auquel nous avons déclaré la guerre.

Avec ce texte, nous avons un arsenal qui va tout changer.

Dans quelques semaines, j'installerai l'état-major qui se chargera de la lutte contre cette criminalité. Un même plateau regroupera les services de renseignement de quatre ministères : l'intérieur, l'économie, la justice, les armées -  comme nous l'avons fait contre le terrorisme. Nous décloisonnons l'État, l'information circulera. Face à ces réseaux très coordonnés, l'État sera donc beaucoup plus agile.

Nous nous mobilisons aussi contre le blanchiment d'argent et la corruption. Nous n'avons voulu désigner aucune profession en particulier, mais vous savez bien que certaines, publiques ou privées, sont particulièrement concernées. Il nous fallait, là aussi, un réarmement régalien, tant la criminalité organisée charrie de milliards d'euros.

Il faut aussi adapter le renseignement aux nouvelles technologies d'interception. Nous ferons un pas décisif avec de nouveaux outils, car les narcotrafiquants sont extrêmement dangereux.

Les élus seront satisfaits que les préfets disposent désormais d'un pouvoir d'interdiction de paraître sur un point de deal et de substitution au bailleur pour expulser de son logement social la narcoracaille qui pourrit la vie de l'immeuble. Les pouvoirs du préfet en matière de fermeture de commerce seront également étendus, pour fermer les blanchisseuses. Le maire de Belfort m'expliquait avoir dû acheter pas moins de trente commerces pour éviter ce phénomène.

Merci de l'initiative de la commission en faveur de nos agents qui posent les appareils de renseignement. Nous avons affiné le dossier coffre, désormais dénommé procès-verbal distinct, et le Conseil d'État a validé nos choix : protéger notre personnel et sauver des vies, sans remettre en cause nos équilibres constitutionnels.

Un immense merci à celles et ceux qui ont participé à ce parcours parlementaire, dont Jérôme Durain et Étienne Blanc. J'espère un nouveau vote unanime.

Nous avons un nouvel arsenal, mais plus encore, une volonté. Je n'ai jamais dit que le combat contre la criminalité organisée serait facile, que nous l'éradiquerions en quelques mois. Ce sera long, mais nous avons désormais les armes et la volonté nationale d'y parvenir. Cela donne une force à la République et à la France. Merci de l'avoir compris. Par votre vote, donnez le maximum de force à ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE)

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics .  - La lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée est une priorité absolue du Gouvernement. Le Premier ministre l'avait souligné lors de sa déclaration de politique générale. Chaque jour, l'actualité nous rappelle l'ampleur de la menace.

Ministre chargée des comptes publics, je ne tolère pas la perte de recettes fiscales ni le détournement d'argent public liés à cette criminalité. Je suis également ministre des douanes. Or les douanes, et plus précisément la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), Tracfin et la direction générale du Trésor luttent activement contre le narcotrafic.

Merci d'avoir pris l'initiative de cette proposition de loi. Par un travail collaboratif, nous avons pu identifier les besoins et penser un corpus législatif adapté à cette menace. Cela accompagne le travail considérable accompli par Bercy et je salue la mobilisation sans relâche de la douane, de Tracfin et de la direction générale du Trésor, qui collaborent avec la police judiciaire et l'autorité judiciaire dans le cadre du plan national de lutte contre les stupéfiants.

La proposition de loi renforce considérablement les moyens de mon ministère pour entraver les flux, la logistique et l'enrichissement des trafiquants : gel administratif des avoirs des narcotrafiquants, le Gaban ; interdiction aux fournisseurs de services sur actifs numériques de proposer des comptes anonymes ou des mixeurs de cryptoactifs, vecteurs de blanchiment ; accès de Tracfin au système d'immatriculation des véhicules (SIV) ; extension de la présomption de blanchiment douanier aux cryptomonnaies ; possibilité pour les lanceurs d'alerte d'adresser des signalements à Tracfin.

Toutefois, je regrette que certaines mesures très importantes pour les douanes n'aient pas été retenues en CMP, sur l'accès aux données de certains opérateurs privés de la logistique et des transports et les visites domiciliaires après 21 heures. J'espère que nous pourrons en discuter de nouveau, car l'implication des douaniers -  qui saisissent 70 % des stupéfiants  - est déterminante.

Les progrès sont indéniables, mais nous avons encore du travail devant nous. Notre mobilisation est nationale et nous combattons inlassablement ce fléau. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE)

Discussion du texte de la proposition de loi élaboré par la CMP

M. le président.  - En application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement, puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.

Article 3

M. le président.  - Amendement n°6 du Gouvernement.

M. Bruno Retailleau, ministre d'État.  - Amendement rédactionnel.

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Avis favorable.

L'amendement n°6 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°3 du Gouvernement.

M. Bruno Retailleau, ministre d'État.  - Amendement de coordination, afin de renforcer la robustesse constitutionnelle de l'article.

M. Jérôme Durain, rapporteur pour le Sénat de la CMP.  - Avis favorable.

L'amendement n°3 est adopté.

Article 4 bis C

M. le président.  - Amendement n°5 du Gouvernement.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - C'est une levée de gage.

M. Jérôme Durain, rapporteur.  - Avis favorable.

L'amendement n°5 est adopté.

Article 15 bis B

M. le président.  - Amendement n°1 du Gouvernement.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux.  - Il s'agit de garantir l'anonymat des agents pénitentiaires. L'utilisation du numéro de matricule permettra de savoir qui a fait quoi.

M. Jérôme Durain, rapporteur.  - Avis favorable à l'extension de ce régime aux agents pénitentiaires.

L'amendement n°1 est adopté.

Article 19

M. le président.  - Amendement n°8 de Mme Muriel Jourda et de M. Durain, au nom de la commission des lois.

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Coordination.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux.  - Avis favorable.

L'amendement n°8 est adopté.

Article 22

M. le président.  - Amendement n°7 du Gouvernement.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Amendement rédactionnel portant sur les enjeux portuaires.

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Avis favorable.

L'amendement n°7 est adopté.

Article 23 quinquies

M. le président.  - Amendement n°2 du Gouvernement.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux.  - Il s'agit ici de l'anonymisation des agents dans les prisons de haute sécurité. J'espère que le Conseil constitutionnel autorisera les deux régimes que nous créons.

M. Jérôme Durain, rapporteur.  - Avis favorable, par cohérence.

L'amendement n°2 est adopté.

Article 26

M. le président.  - Amendement n°4 rectifié bis du Gouvernement.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux.  - Coordination pour l'outre-mer.

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Avis favorable.

L'amendement n°4 rectifié bis est adopté.

M. le président.  - Amendement n°9 de Mme Muriel Jourda et M. Durain, au nom de la commission des lois.

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Correction d'une erreur matérielle.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux.  - Avis favorable.

L'amendement n°9 est adopté.

Vote sur l'ensemble

Mme Laure Darcos .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Laurent Somon applaudit également.) Les drogues menacent notre société, mettent en danger nos valeurs, sapent nos institutions, tuent nos enfants, déclarait Ronald Reagan en 1986.

La tendance américaine d'hier est désormais la nôtre : avec 1 million de consommateurs réguliers de cocaïne, pour 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires, tous nos territoires sont concernés.

La drogue tue : je pense aux surdoses, mais aussi aux victimes des cartels, car les trafiquants menacent, mutilent et assassinent. La drogue est aussi à l'origine de 20 % des accidents mortels sur la route. N'oublions jamais que derrière ces petits sachets, il y a des victimes. Le fentanyl a transformé des centaines de milliers d'Américains en zombies.

Ce texte vise à porter un coup d'arrêt à la criminalité organisée sur notre territoire. Lors de nos débats, certains doutaient de son efficacité et prônaient le renforcement des aides sociales pour lutter contre ces trafics... Ces derniers jours, la violence contre les personnels et les centres pénitentiaires a démontré la pertinence des mesures envisagées. Le groupe Les Indépendants est solidaire des agents pénitentiaires et des forces de sécurité intérieure. La République doit protéger ceux qui nous protègent.

Nous saluons la création du Pnaco, chargé des crimes les plus graves, ainsi que celle d'une infraction de concours à une organisation criminelle, sur le modèle italien, pour poursuivre les membres des gangs.

Les têtes pensantes du trafic veillent à se tenir éloignées des points de deal, mais avec l'amélioration du statut de repenti et l'infiltration, nous en saurons plus sur ces organisations.

Plusieurs dispositifs permettront de fermer les établissements concourant au blanchiment et de geler les avoirs des trafiquants. Le groupe Les Indépendants est attaché au caractère judiciaire des procédures. Il vaut mieux augmenter le budget de la justice que développer les procédures administratives, madame la ministre, pour donner la priorité au régalien.

Le groupe Les Indépendants votera à l'unanimité ces deux textes.

M. Stéphane Le Rudulier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous avons abouti en CMP à un accord ferme, lucide et responsable. La République reprend la main face aux narcotrafiquants. Cet accord marque une avancée décisive dans la lutte contre le narcobanditisme qui menace l'autorité de l'État.

Je salue le travail de la commission d'enquête, et particulièrement Jérôme Durain et Étienne Blanc, grands artisans de ce texte historique.

Je salue l'esprit d'écoute et de dialogue du Gouvernement. Il fallait beaucoup de courage pour porter ce texte ambitieux, dans un contexte marqué par l'idéologie et le déni.

Le Sénat a su peser dans toutes les discussions, et a obtenu gain de cause.

Ce texte est un signal envoyé aux Français, qui ne supportent plus l'impuissance publique, et aux trafiquants qui doivent comprendre que la République ne reculera plus.

Nous passons d'une logique de tolérance à une logique de dissuasion. La rupture était nécessaire. Soyons lucides : le trafic de drogue n'est plus un simple fléau sanitaire et social ; c'est un véritable système mafieux, militarisé, qui infiltre nos cités, notre économie, notre culture. C'est un défi d'autorité et civilisationnel.

L'accord trouvé en CMP est un signal politique, clair, net et attendu par tous les Français qui n'en peuvent plus de voir la République reculer face à des narcomafias qui dictent leur loi dans nos rues, et jusque dans nos institutions.

Je le dis avec gravité, et avec fierté : cette loi incarne un tournant, la fin de la naïveté, le retour de l'autorité.

Ce texte consacre une ligne de fermeté que nous réclamions depuis des années. Quand certains évoquent la liberté individuelle de consommer de la drogue, je préfère parler des mères qui pleurent leurs fils abattus dans les points de deal, des enfants qui traversent les halls d'immeubles infestés de guetteurs armés, de la République humiliée.

Nous avons tenu une ligne qui assume l'ordre, la sécurité, la souveraineté. Il ne s'agit pas de s'excuser, de relativiser, mais d'agir.

Il n'y a pas de République sans courage. À ceux qui trouvent ce texte trop ferme, je réponds que la vraie violence est l'inaction. Oui, il faut faire peur : les trafiquants doivent avoir peur de la justice, de la prison, de perdre ce qu'ils ont volé à la République. La peur doit changer de camp.

Ce texte n'est qu'un début, celui de la reconquête de nos quartiers, de notre souveraineté, de notre pacte républicain. La République est de retour, elle frappe juste et ne tremblera plus.

Le groupe Les Républicains votera ce texte avec détermination, car il incarne ce que nous devons à la France : protéger, rétablir l'ordre, être exigeants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marie-Laure Phinera-Horth .  - Depuis des lustres, une guerre fait rage sur le territoire français. Une guerre qui fait de nombreuses victimes, à l'abri des regards, menée par des réseaux organisés qui infiltrent nos écoles, nos quartiers, nos familles.

Nous devons doter la France d'un arsenal législatif à la hauteur. Au Sénat, nous avons défendu une approche ferme face au narcotrafic.

Le texte issu de la CMP préserve le travail du Sénat, comme la création du Pnaco ou le gel administratif des avoirs des narcotrafiquants. Je pense à l'article 15 ter, sur lequel j'avais déposé un amendement pour activer à distance les appareils fixes connectés.

Faisant preuve de responsabilité, les députés ont adopté ce texte à une large majorité. Ils l'ont aussi enrichi, avec par exemple l'article 10 ter B qui renforce les sanctions à l'encontre des narcotrafiquants qui impliquent des mineurs.

Je regrette cependant que le texte reste silencieux sur la prévention.

Le narcotrafic gangrène nos territoires ultramarins. Certains jeunes n'ont d'autre choix que d'avaler des boulettes pour payer leur loyer ! La Guyane, rejointe par la Martinique et la Guadeloupe, est devenue un passage obligé pour les trafiquants.

Le Gouvernement doit assumer pleinement ses responsabilités en matière de contrôle aux frontières. Pour enrayer le phénomène des mules, des scanners doivent être installés à Orly et Roissy, comme en Belgique et aux Pays-Bas.

Je suis fière d'avoir mené ce combat aux côtés d'Étienne Blanc et Jérôme Durain. Le RDPI votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements au banc des commissions)

M. Michel Masset .  - Cette proposition de loi témoigne de la qualité de l'initiative parlementaire, particulièrement du Sénat. Issu de la commission d'enquête de Jérôme Durain et Étienne Blanc, ce texte conséquent est très majoritairement accepté.

Nul besoin de rappeler la prégnance du sujet. L'écho médiatique de ce texte le démontre. Français, élus, professionnels du droit, police et gendarmerie connaissent trop bien les réalités du narcotrafic au quotidien, qui touche désormais également le monde rural. Le trafic de drogue dévaste tout sur son passage.

Saluons l'action du législateur, qui renforce l'arsenal répressif. Mais pour lutter contre ce fait de société, la répression ne suffira pas ; il faut aussi accentuer la prévention pour réduire la consommation et les trafics.

Le narcotrafic se nourrissant de la vulnérabilité de certains citoyens, nous avons besoin d'outils de cohésion sociale, de protection de l'enfance, d'éducation, de réinsertion. Tous les citoyens sont concernés, pas seulement les forces de l'ordre, mais aussi les assistants sociaux, le monde associatif, les soignants et les élus locaux.

Le Pnaco, le nouveau régime carcéral, les mesures répressives, le renseignement algorithmique et la surveillance à distance sont des mesures attendues et nécessaires.

Je prends acte de la suppression par la CMP de l'article 8 ter sur l'accès aux messageries chiffrées, du maintien des dispositifs de surveillance dans les lieux privés et de celui du procès-verbal distinct. Ces mesures appellent à la vigilance et le dossier coffre devra être évalué afin de vérifier que l'atteinte aux droits de la défense est proportionnée. J'accepte le consensus trouvé à l'article 16, mais il constitue une atteinte importante aux droits fondamentaux, et in fine fragilise la justice elle-même.

Or la justice a besoin d'être forte plus que jamais. Pour cela, elle doit être fondée sur le respect des droits. Il en va de même des forces de l'ordre qui se voient confier des prérogatives importantes. Leurs moyens humains et financiers doivent aussi être à la hauteur.

Le RDSE votera à l'unanimité cette proposition de loi. (M. Jérôme Durain s'en satisfait.) Mais il reste encore du chemin à parcourir, ensemble. (Applaudissements au banc des commissions)

Mme Isabelle Florennes .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Voilà un bon accord, dans la lignée du consensus du Sénat du 4 février et qui valide le travail de la commission d'enquête de Jérôme Durain et Étienne Blanc.

Nous ne pouvions rester inactifs face au narcotrafic. Comme l'a dit Philippe Marna, les narcotrafiquants sont des logisticiens qui s'adaptent en continu à la réponse policière et douanière.

L'usage de la violence et la volonté de tuer sont devenus monnaie courante : voyez toutes les victimes directes et indirectes de nervis obéissant à des ordres meurtriers !

Notre pays est à la fois un pays de consommation et un pays de transit, voire de rebond, par exemple vers l'Australie. Heureusement, l'engagement des forces de l'ordre et de nos magistrats est tel que nous faisons face vaillamment.

Le texte issu de la CMP est multidimensionnel, combinant réponses immédiates et stratégies de long terme.

Les mesures clés adoptées sont débattues depuis des années. Pouvait-on transposer les dispositions de la lutte contre le terrorisme à la criminalité organisée ? La réponse est oui, avec la création du Pnaco, celle de quartiers pénitentiaires de haute sécurité et l'instauration d'outils de lutte contre le blanchiment.

Deux autres innovations ont été adoptées : la réforme du statut de repenti et la création de la nouvelle infraction dite de concours à une organisation criminelle.

En outre, la fermeture d'établissements participant au blanchiment d'argent sera du ressort exclusif des préfets et la durée de l'isolement dans les quartiers de haute sécurité est passée de deux ans à un an renouvelable.

Enfin, la disposition controversée obligeant les plateformes à communiquer les correspondances a été abandonnée.

Ce texte est conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle les restrictions des libertés publiques doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées.

En adoptant ce texte, nous montrerons que l'État de droit est plus fort que les mafias. Les sénateurs du groupe UC le voteront unanimement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Jérémy Bacchi .  - Ma ville, Marseille, connaît bien les réalités du trafic de drogue : ses habitants en sont les premières victimes. Cette gangrène mafieuse prospère sur la misère : la France ne compte pas moins de 9,1 millions de pauvres et un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.

Les plus précaires sont toujours les premières victimes : les enfants de l'aide sociale à l'enfance (ASE) sont particulièrement exposés à cet esclavage - j'ose prononcer ce mot.

Le piège du narcotrafic est multidimensionnel. Mais il faut aussi lutter contre les causes de ce chaos, notamment les inégalités économiques et sociales. Sans quoi notre combat sera vain.

La sécurité, droit fondamental, ne peut exister sans un système plus égalitaire, notamment en matière de santé. Sans cela, nous ne pourrons lutter contre les trafics et les mafias.

Notre justice reste bien moins financée que celle de nos voisins européens. Pour assurer l'équilibre entre les mesures de privation de liberté et le respect de nos fondamentaux, le texte prévoit des verrous, dont l'appréciation sera confiée au juge des libertés et de la détention (JLD). Or si ses responsabilités augmentent sans cesse, les moyens pour lui permettre d'assurer ses missions ne suivent pas. La justice française est paupérisée. L'État de droit ne doit pas être seulement un idéal, mais aussi une réalité pratique.

Ce texte appelle à la plus grande vigilance. La création des quartiers sécurisés présente des risques, soulignés par la Défenseure des droits. Les peines complémentaires d'interdiction de vol prévues pour les mules pourraient avoir des conséquences graves pour des personnes déjà en quasi-esclavage.

L'article 22 introduit de nouvelles mesures contre le trafic de drogues dans les ports. Mon groupe et moi-même sommes attentifs à la situation des travailleurs.

Nous restons convaincus que la lutte contre le trafic de stupéfiants doit s'intégrer dans un projet de développement économique et social. Malgré ces mises en garde, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Jérôme Durain applaudit également.)

M. Guy Benarroche .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Les travaux de notre assemblée sur le narcotrafic avaient rassemblé une forme d'unanimité. L'idée n'était pas seulement d'être méchant avec les méchants, mais de taper au portefeuille le haut du spectre. La commission d'enquête a formulé 35 recommandations ; beaucoup ont été reprises dans ce texte.

Que reste-t-il de cette unanimité dans le texte issu de la CMP ? Le travail du Pnaco ne se limitera pas au seul trafic de stupéfiants : nous saluons cette approche globale, adaptée à la juste échelle de ces mafias. Mais évitons toute centralisation excessive.

S'attaquer au blanchiment et à la corruption est de bon aloi. Malgré certaines réserves, nous avions voté le texte en première lecture, car celui-ci se concentrait sur le haut du spectre, alors que nous constations l'échec des opérations Place nette XXL. Plus de saisies, plus de personnes en prisons... Pourtant, les trafics augmentent.

Quels moyens seront mis en oeuvre ? La juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) n'a pas bien fonctionné, en raison d'un manque de moyens financiers et humains. Or nous nous apprêtons à voter des mesures qui coûtent de l'argent.

Il y a du bon, donc, mais aussi des manques. Rien sur la prévention, rien sur une grande cause nationale, rien pour les personnes en grande précarité, rien sur les mesures d'information pour éviter l'entrée dans la consommation, aucune mesure de santé publique. Rien sur le volet économique et social, rien sur la politique de la ville, rien sur l'insertion par l'école et le travail, rien sur l'accompagnement des victimes du narcotrafic et des familles.

Certaines mesures restent trop attentatoires aux libertés. La loi a été phagocytée par MM. Darmanin et Retailleau. La porte-parole du Gouvernement, Sophie Primas, a d'ailleurs expliqué les attaques contre les prisons par une réaction du milieu après les décisions courageuses de MM. Retailleau et Darmanin en matière de lutte contre le narcotrafic. Jeudi dernier, lors d'une conférence de presse, Bruno Retailleau se félicitait de l'adoption prochaine de ce texte.

Or la création de la commission d'enquête a d'abord été réclamée par trois sénateurs de gauche des Bouches-du-Rhône.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux.  - Moi aussi je suis de gauche. (Sourires)

M. Jérôme Durain.  - Mais pas des Bouches-du-Rhône.

M. Guy Benarroche.  - M. Retailleau se réjouissait que la loi augmente les pouvoirs des préfets en matière d'interdiction de paraître ou de fermeture des blanchisseuses. Notre groupe y voit un détournement regrettable de l'objectif de cette proposition de loi, car ces mesures ne s'attaquent pas au haut du spectre. Le consensus de la commission d'enquête du Sénat n'existe plus, je le regrette.

Le scénario de la loi Immigration se répète : nous ne pouvons voter une loi qui comporte des mesures inconstitutionnelles. Nous rejetons des mesures d'affichage et nous ne souhaitons pas rejeter la responsabilité de leur censure sur le Conseil constitutionnel. Par conséquent, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Jérôme Durain .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce texte -  et je serai en léger décalage avec ce qu'a dit Guy Benarroche  - est bien un texte du Sénat, avec des amendements du Gouvernement, dans une configuration originale.

Nous sommes satisfaits de la suppression de l'article 8 ter : introduire par amendement une mesure si lourde n'est pas de bon aloi.

Les réécritures du dispositif relatif à l'extension du renseignement algorithmique ont été éclairées par l'avis du Conseil d'État : un équilibre a été trouvé.

La création du Pnaco, véritable chef d'orchestre, est un acquis majeur.

J'en viens aux prisons. Les propositions du garde des sceaux ont suscité des interrogations à gauche.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux.  - J'étais là depuis trois jours !

M. Jérôme Durain.  - Le groupe SER est fier de défendre l'héritage de Robert Badinter, qui avait contribué à fermer les quartiers de haute sécurité.

Mais nous voulons aussi incarner une gauche responsable. La commission d'enquête avait mis le doigt sur le danger qui pèse sur les prisons, à savoir l'adaptation de la criminalité au milieu carcéral. La CMP a réduit à douze mois la durée d'affectation dans ces quartiers -  cette évolution nous est chère et lève plusieurs inquiétudes.

L'actualité des prisons est terrible pour notre pays. Tout au long des travaux de la commission d'enquête, nous nous sommes interrogés : exagérons-nous les menaces ? Désormais, plus personne ne doute de leur réalité. (Mme Corinne Narassiguin acquiesce.)

Cette loi permettra beaucoup, mais pas tout. Notre société doit s'interroger. Les consommateurs malades, par exemple, sont-ils suffisamment accompagnés ? Au-delà des mesures répressives, il faut aborder toutes les questions avec sérénité.

Le groupe SER votera ce texte en pleine responsabilité. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du GEST)

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux.  - Bravo !

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°262 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 325
Pour l'adoption 325
Contre     0

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements)

M. le président. - S'agissant de la proposition de loi organique, en l'absence d'amendement, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.

La proposition de loi organique est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°263 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 341
Contre     0

La proposition de loi organique est adoptée.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux.  - Bravo !

La séance est suspendue quelques instants.

CMP (Nominations)

M. le président.  - Des candidatures pour siéger au sein de la CMP chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.

Restitution d'un bien culturel à la République de Côte d'Ivoire (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi relative à la restitution d'un bien culturel à la République de Côte d'Ivoire, à la demande de la commission de la culture. La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Ce texte est examiné selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre 14 bis du règlement du Sénat.

Explications de vote

M. Max Brisson, rapporteur de la commission de la culture .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.) La proposition de loi de Laurent Lafon est dérogatoire à la doctrine que nous nous sommes fixée. En effet, avec Catherine Morin-Desailly et Pierre Ouzoulias, nous recommandions dès 2020 que les engagements politiques ne précèdent pas l'intervention du Parlement. Nous prônions aussi l'intervention systématique d'un conseil national chargé de mener une expertise scientifique sérieuse. Une forme de consensus s'était même nouée sur la mise en pause des lois d'espèces favorisant le fait du prince.

La restitution du tambour parleur Djidji Ayôkwê a été demandée par la Côte d'Ivoire il y a six ans. Depuis, rien n'a été fait pour respecter cette doctrine. Pas d'expertise, pas de loi-cadre... Depuis 2021, aucune portée juridique concrète n'a été donnée à notre engagement que notre sens des responsabilités nous impose pourtant de tenir.

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien.

M. Max Brisson, rapporteur.  - La proposition de loi du président Lafon pallie ces carences.

Mais pourquoi accepter de déroger à nos principes ?

Parce que nous pouvons appréhender l'histoire et le parcours de l'oeuvre. Ce tambour en fonte a été arraché à sa communauté il y a plus d'un siècle. Ce n'est pas un objet ordinaire : dimension, qualité esthétique, reconnue par Paul Morand, fonction - c'était un objet de communication, notamment pour signaler la progression de l'armée coloniale française. Sa place dans la communauté atchan était centrale, à tel point que le tambour était considéré comme une entité spirituelle faisant partie intégrante de ce peuple.

Nous dérogeons à notre doctrine, car il eût été regrettable que les relations excellentes entre la France et la Côte d'Ivoire se trouvassent altérées par l'absence de concrétisation des engagements pris par le Président de la République en 2021. Je salue la présence en tribune de Son Excellence M. Maurice Bandaman, ambassadeur de la Côte d'Ivoire en France et ancien ministre de la culture, ainsi que de M. Mamadou Touré, ministre de la promotion de la jeunesse, de l'insertion professionnelle et du service civique et de M. Ibrahima Diabaté, président du Conseil national de la jeunesse de la Côte d'Ivoire. (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)

L'inertie de ces dernières années était étonnante, la demande de la Côte d'Ivoire étant parfaitement légitime. Spontanément, les acteurs de terrain ont monté un projet muséal et partenarial, afin d'adapter le Musée des civilisations de Côte d'Ivoire (MCCI) à la conservation de ce tambour. Il favorise aussi la construction d'une histoire partagée et incontestable entre nos deux pays.

Madame la ministre, la convention de dépôt, signée en novembre dernier, a été un signal positif. Mais il faut aller plus loin : la Côte d'Ivoire doit avoir la propriété complète de cet objet. Puisque cela suppose de déroger au principe d'inaliénabilité des collections publiques, l'intervention du législateur était requise.

Le mouvement de restitution va en s'approfondissant. Les réserves du Sénat restent entières : il faudrait une loi-cadre.

Je vous invite à suivre la position unanime de la commission, pour restituer ce tambour parleur à son peuple d'origine, la communauté atchan, et, au-delà, à toute la nation ivoirienne. Nous veillerons à ce que la parole donnée par la France se traduire en actes. (Applaudissements)

Mme Rachida Dati, ministre de la culture .  - (M. Patrick Chaize applaudit.) Ce texte important s'inscrit dans la continuité d'un travail entamé il y a plusieurs années.

Je salue le rôle de la commission de la culture et de son président, qui a beaucoup travaillé sur le sujet de la restitution, de l'apaisement des mémoires et de la prise de conscience collective. Mes remerciements vont aussi au rapporteur, Max Brisson.

Je salue la présence en tribune de l'ambassadeur de Côte d'Ivoire, Maurice Bandaman, et du ministre Mamadou Touré.

Le ministère de la culture a pris ses responsabilités dans ce travail, avec la loi du 22 juillet 2023 sur les biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, puis avec le travail mené sur les restes humains.

La loi du 26 décembre 2023 sur la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques, portée par la sénatrice Catherine Morin-Desailly, a permis la publication du décret du 2 avril 2025 autorisant le transfert de trois crânes à la République de Madagascar, qui en était très heureuse. Je salue le travail de Mme Morin-Desailly.

Je pense aussi à la proposition de loi du député Christophe Marion sur la restitution des restes humains ultramarins.

Le présent texte s'inscrit dans une démarche chère au Président de la République telle qu'il l'a définie dans son discours de Ouagadougou en 2017 ; cette démarche vise à renouveler et à renforcer nos liens avec le continent africain.

Nous avons déjà illustré cet engagement par la loi de 2020 sur la restitution d'oeuvres au Bénin et au Sénégal.

Les restitutions répondent à des enjeux de politique étrangère, mais aussi à des enjeux de réparation à mentionner comme tels, s'agissant de peuples qui ont pu être privés de l'accès à leur patrimoine, qui fait pourtant partie intégrante de leur mémoire.

La restitution a été décidée en 2021 par le Président de la République et son homologue Alassane Ouattara. Depuis, un travail commun a été mené.

Je salue le travail des équipes du Musée du quai Branly - Jacques Chirac et du MCCI. Le dialogue scientifique est constitutif du processus de restitution.

Nous avons pu aboutir de façon pragmatique à une double solution, de dépôt et de restitution.

Le 18 novembre dernier, j'ai signé une convention de dépôt avec mon homologue Françoise Remarck ; notre volonté n'était pas de détourner le circuit législatif.

Cette proposition de loi nous permet d'avancer sur le chemin de la restitution définitive, en dérogeant au principe d'inaliénabilité des collections nationales.

Le chantier de la loi-cadre relative aux restitutions doit être mené ensemble. Les échanges que j'ai eus dernièrement à Madagascar aux côtés du Président de la République m'encouragent en ce sens. Mais cela ne peut se faire que dans un cadre apaisé et vertueux.

M. Pierre Ouzoulias.  - C'est le cas au Sénat.

Mme Rachida Dati, ministre.  - N'ouvrons pas la porte à une instrumentalisation des débats.

M. Pierre Ouzoulias.  - Pas ici !

Mme Rachida Dati, ministre.  - Cette proposition de loi s'inscrit dans la perspective de la réouverture du MCCI d'ici à la fin 2025. La France soutient sa rénovation et sa modernisation. Cela s'accompagne d'un dialogue scientifique et muséal.

Cette proposition de loi témoigne de la volonté de la France d'écrire une nouvelle page de notre histoire partagée avec l'Afrique.

Franchissons cette nouvelle étape essentielle. Vous pouvez compter sur mon soutien plein et entier. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Jean-Luc Ruelle .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.) Saviez-vous qu'au XXe siècle le peuple ébrié atchan se servait du tambour Djidji Ayôkwê pour signaler des faits importants ?

Le retour de ce tambour est hautement symbolique.

Réclamée en 2019 par le président Ouattara, la restitution a été annoncée par le Président de la République en 2021. Puis, pendant trois ans, rien ne se passe. À faire désespérer les autorités africaines !

C'est à la faveur d'une loi d'exception que nous sommes réunis.

La restitution du Djidji Ayôkwê s'inscrit dans une dynamique de réappropriation du patrimoine, de consolidation d'une identité culturelle et de sauvegarde des mémoires.

Cette restitution s'accompagne d'une formidable revitalisation du MCCI, soutenue par l'Agence française de développement (AFD) et Expertise France. Cela ouvre la voie du retour aux 148 objets patrimoniaux encore réclamés par la Côte d'Ivoire.

Bien évidemment, je voterai cette proposition de loi. Néanmoins, mon expérience ivoirienne et, plus largement, africaine m'inspire plusieurs réflexions.

Je note tout d'abord le caractère arbitraire et aléatoire de ces restitutions et leur proportion très restreinte - moins d'une trentaine pour une trentaine de musées. La France gagnerait à s'inspirer de ses voisins européens dont la politique de restitution a gagné en souplesse. Il ne s'agit pas de rendre des oeuvres indistinctement, ou par opportunisme diplomatique. Il faut un travail scientifique, et s'assurer des conditions de conservation et d'exposition de l'objet restitué.

Ensuite, l'absence de loi-cadre. La version proposée par Rima Abdul-Malak n'avait pas survécu aux critiques légitimes du Conseil d'État. La sortie de la domanialité publique doit être motivée par un intérêt public supérieur ou par un motif impérieux. Cela aurait pu être ajouté au texte.

Vous n'en avez pas fait une priorité et nous voilà contraints de légiférer a posteriori pour des restitutions déjà annoncées. Ces solutions de fortune ne sauraient constituer une politique culturelle cohérente. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et du RDPI ; M. Laurent Lafon, Mme Mathilde Ollivier et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

Mme Samantha Cazebonne .  - Ce texte s'inscrit dans la continuité de nos travaux sur les restitutions d'oeuvres d'art. Nous pouvons nous féliciter de ce travail transpartisan.

La restitution du tambour Djidji Ayôkwê a été demandée dès 2019. Le Président de la République s'y est engagé en 2021, mais le processus mais n'a pas été enclenché depuis. Ce tambour parleur est considéré comme une entité spirituelle. Confisqué en 1916, il était un outil de communication pour prévenir des dangers, et était très utile contre la conquête coloniale.

Cette restitution s'inscrit dans le cadre d'une coopération étroite entre la France et la Côte d'Ivoire ; j'ai pu le constater directement lors de mes différents déplacements. Je salue la présence en tribune de M. l'ambassadeur.

Un important travail muséal a été mené avec le MCCI, grâce à l'appui de l'AFD, d'Expertise France et de plusieurs entreprises d'ingénierie culturelle -  je salue le rôle essentiel de ces agences dans nos politiques de coopération internationale. Cette approche partenariale fondée sur le partage des savoir-faire et le respect des identités renforce le lien entre patrimoine et développement.

La restitution a débuté le 18 novembre 2024 par la signature d'une convention de dépôt, permettant d'envisager le transfert du tambour dans les prochains mois. Notre commission a jugé que cette solution provisoire n'était pas adéquate : une intervention législative était nécessaire.

Je rejoins les conclusions de la commission sur la nécessité absolue d'une loi-cadre. Nous ne pouvons pas continuer à légiférer au cas par cas. Nous devons respecter le principe d'inaliénabilité des collections publiques, tout en nous adaptant aux enjeux de notre temps.

Le RDPI votera cette proposition de loi. Enfin, je salue l'engagement du Gouvernement qui poursuit la dynamique enclenchée par le Président de la République lors de son discours de Ouagadougou.

M. Bernard Fialaire .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le RDSE votera ce texte ; je partage entièrement les propos du rapporteur Max Brisson.

Nous devons mener une réflexion sur le statut de ces biens. C'est la Révolution qui est à l'origine de l'inaliénabilité des biens culturels dont la royauté pouvait autrefois jouir comme bon lui semblait. Actuellement, c'est l'inaliénabilité de la dimension culturelle des biens que nous voulons garantir. Nous pourrions envisager l'attribution de ces biens culturels à un patrimoine mondial de l'humanité.

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bonne idée !

M. Bernard Fialaire.  - Le terme de restitution a une connotation culpabilisante, et celui de retour se limite à un lieu géographique ; or l'acquéreur a parfois sauvé certains biens de l'oubli, de la négligence ou de la destruction.

Les biens culturels ne sont pas des biens comme les autres. Pourtant, la Convention de 1972 ne recense que les lieux patrimoniaux et, depuis 2003, le patrimoine immatériel.

Ne faudrait-il pas intégrer les biens culturels à la Convention ? Ce patrimoine mondial de l'humanité pourrait alors se répartir entre les lieux d'origine de ces objets ou les musées pour alimenter un dialogue culturel. Consacrer l'inaliénabilité culturelle d'un bien plutôt que sa propriété ne serait-il pas un progrès pour l'humanité ? (M. Pierre Ouzoulias acquiesce.)

C'est le rôle de la culture que d'ouvrir les esprits et de rendre notre monde plus beau et plus fraternel.

Alors, madame la ministre, osons et initions cette avancée vers un patrimoine mondial ! (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. Max Brisson, Laurent Lafon et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

M. Pierre Ouzoulias.  - Un très beau discours !

Mme Catherine Morin-Desailly .  - Cette proposition de loi s'inscrit dans la lignée de plusieurs autres textes sénatoriaux et un travail de fond de la commission de la culture. De longue date, le groupe UC a joué un rôle moteur dans cette réflexion devenue nécessaire au fil des ans : nombre de pays souhaitent renouer avec leur passé.

La mondialisation et le travail d'institutions internationales ont contribué à une meilleure reconnaissance de ces cultures.

Nous saluons l'engagement de Rima Abdul-Malak qui reconnaissait le travail pionnier du Sénat et proposait un triptyque législatif en 2022 : un premier sur la restitution de biens spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale, un deuxième sur celle des restes humains, un troisième sur celle des biens culturels.

Après l'adoption de lois d'espèces, nous avions insisté, tous bancs confondus, sur la nécessité d'un cadre général et d'une méthode rigoureuse. Nous avons moyennement apprécié que le Parlement, garant des collections nationales, ait été mis plusieurs fois devant le fait accompli de restitutions avant d'avoir pu mesurer leur bien-fondé. Ce contournement des procédures est contreproductif.

Depuis 2022, les deux premières lois-cadres ont été concrétisées : la loi du 23 juillet 2023, puis la loi du 27 décembre 2023, que j'ai défendue avec mes deux collègues. Je me réjouis que celle-ci ait trouvé sa première application concrète avec la restitution des crânes à Madagascar. J'espère désormais que le dossier australien aboutira rapidement.

Reste à établir une liste claire des restes humains restituables dans nos collections publiques. Nous mesurons l'ampleur de la tâche et l'importance des moyens humains et financiers nécessaires. L'article 2 de la loi doit s'appliquer rapidement : une réponse rapide doit être apportée à la Guyane. Avec Pierre Ouzoulias et Max Brisson, nous avons déposé un texte afin de traiter cette légitime demande.

M. Pierre Ouzoulias.  - Ce n'est que justice !

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Mais la troisième loi-cadre se fait attendre. D'où la proposition de loi Lafon qui honore l'engagement du Président de la République de 2021. Max Brisson a très bien exprimé le bien-fondé de cette demande ; je salue chaleureusement la présence des représentants ivoiriens en tribune.

Espérons que l'adoption du présent texte soit l'occasion de relancer le processus législatif de la troisième loi-cadre. Nous sommes prêts, au Sénat, pour ce dernier texte, auquel nous avons été étroitement associés.

Si la restitution des biens culturels et des restes humains participe au renouvellement des liens unissant la France avec certains États étrangers, elle n'épuise pas le champ des collaborations fructueuses. Veillons à la circulation des oeuvres, aux résidences croisées et aux travaux communs.

La restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande a marqué le début d'une aventure, et a permis de rapprocher nos peuples, nos coeurs et nos cultures. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, du RDSE et sur quelques travées du groupe SER et du GEST ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Pierre Ouzoulias .  - « D'où viens-tu ? Qui t'a créé ? Le tambour est matière pour les artistes qui le sculptent, son pour les physiciens, divin pour les croyants. Pour ces derniers, au commencement était le tambour. Le tambour est énergie, puis vibration, laquelle devient sons et mots, et finalement phrase venue de Dieu. Il explique comment le verbe est né. »

Ainsi s'exprimait Georges Niangoran-Bouah, qui posa les bases de la drummologie. En 1958, le musée de l'Homme lui confia une mission en Côte d'Ivoire.

Son enquête raviva le douloureux souvenir de la perte du tambour Djidji Ayôkwê. Le calme revenu, la communauté décida d'adresser une supplique à Félix Houphouët-Boigny pour que celui-ci demande la restitution de l'objet à son homologue, Charles de Gaulle. Ce fut sans doute l'une des premières demandes de restitution.

Ce tambour est un objet d'une grande force, un outil de communication et un objet rituel indispensable aux cérémonies des Tchaman. Ses multiples fonctions échappent aux catégories trop étroites de l'esprit occidental.

Cette pluralité de sens a été détruite par la colonisation. Sa restitution ne les restaurera pas. Ce tambour demeurera toutefois le témoin d'une tradition disparue. Comme le dit Guy Djagoua, le chef bidjan d'Attécoubé, tous ceux qui avaient le savoir-faire sont partis avec leurs connaissances. La langue tambourinée n'est plus comprise ; le Djidji Ayôkwê a lancé son dernier message en 1916 pour prévenir de l'arrivée de la troupe, qui s'en empara ensuite.

Le vol par l'administration coloniale en 1916 est avéré, même si les circonstances restent incertaines ; le tambour fut probablement déposé à Bingerville, avant d'être expédié à Paris pour être déposé au musée d'ethnographie.

En 1958, la mission ethnographique suscita une première demande de restitution, en quelque sorte réitérée par le gouvernement ivoirien le 10 septembre 2019. La République française, par la voix de son président, s'est engagée en 2023 à un rapatriement rapide. Mais il aura fallu la mission en Côte d'Ivoire d'une délégation de notre commission de la culture pour que cette affaire connaisse enfin un dénouement heureux.

Une nouvelle fois, le Sénat aura donc joué un rôle décisif dans une restitution. Rappelons que c'est dans notre hémicycle que cette cause fut plaidée pour la première fois.

Je rends hommage au travail fondateur de Catherine Morin-Desailly, qui, bravant l'opposition de l'institution muséale et l'habileté obstructive des ministres successifs, a déposé en 2008 une proposition de loi pour le retour des têtes maories en Nouvelle-Zélande.

M. Max Brisson.  - Bravo !

M. Pierre Ouzoulias.  - Depuis lors, deux lois-cadres ont été votées. Nous attendons toujours la troisième, qui nous dispensera de voter dans l'urgence de nouvelles lois de circonstance. Mme la ministre s'est engagée devant notre commission à nous soumettre un texte rapidement : nous nous tenons prêts à l'examiner sans tarder. (Applaudissements)

Mme Mathilde Ollivier .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) La restitution n'est pas une faveur, mais un droit : ces mots de l'universitaire sénégalaise N'Goné Fall doivent résonner cet après-midi dans notre débat.

Le tambour parleur Djidji Ayôkwê n'est pas qu'une pièce du musée du Quai Branly : il est un stigmate d'une histoire douloureuse et encore vive, celle de la domination coloniale et du mépris culturel. Pendant des décennies, la France a construit une part de son prestige en pillant les richesses et les symboles des peuples qu'elle prétendait « civiliser ». La Côte d'Ivoire, comme tant d'autres nations africaines, a subi cette histoire dans sa chair, ses institutions et sa mémoire.

La restitution dont nous débattons est une mesure de bon sens, que le GEST salue. Alors que le tambour est réclamé par son pays d'origine depuis 2019, il est satisfaisant que cette demande soit mise à l'ordre du jour - certes, six ans plus tard.

Reste que les restitutions opérées au compte-gouttes, telles celles des bronzes du Bénin et du sabre dit d'El Hadj Omar Tall, sont insuffisantes. En 2017, à Ouagadougou, Emmanuel Macron s'était engagé à mettre en place en cinq ans les conditions de la restitution temporaire ou définitive du patrimoine africain à l'Afrique. Or 90 à 95 % du patrimoine africain est encore en dehors du continent.

En 2023, deux premiers textes, sur la restitution des restes humains et celle des biens culturels spoliés par les nazis, ont été adoptés sous l'impulsion de Rima Abdul-Malak. Ils devaient être suivis d'un troisième, sur la restitution des biens culturels. Madame la ministre, nous savons tous que ce texte est prêt : pourquoi donc cette loi-cadre a-t-elle subitement disparu des radars ? Chers collègues de la majorité sénatoriale et du socle commun, il est de votre responsabilité d'accorder vos violons pour que, enfin, ce texte soit inscrit à l'ordre du jour !

Nous ne pouvons pas avancer sur ces questions à coups de lois d'espèce, en fonction des priorités diplomatiques. Nous avons besoin de critères clairs définissant la spoliation coloniale, distinguant les acquisitions légitimes et illégitimes et déterminant quand, comment et à qui les biens doivent être rendus.

Partout en Europe, les États débiteurs d'un passé colonial en Afrique s'engagent dans ce travail mémoriel. Ne restons pas à contre-courant de l'histoire ! Qu'attendons-nous ?

L'inaliénabilité des collections publiques est un principe important pour protéger les biens culturels, mais la restitution répond à des enjeux historiques et culturels extrêmement forts. Nous devons concevoir celle-ci comme une dérogation à l'inaliénabilité, essentielle au processus de réparation et de mémoire que nous devons mener conjointement avec les pays colonisés, dont certains se dotent d'infrastructures muséales d'ampleur, comme nous l'avons vu au Bénin et en Côte d'Ivoire.

Ces oeuvres revêtent une signification majeure pour les peuples qui en ont été spoliés : voyez les trésors royaux du palais d'Abomey, dont l'exposition à Cotonou a attiré des dizaines de milliers de Béninois. Une politique de restitution des oeuvres indûment issues de la colonisation ou des guerres est l'occasion pour la France de réparer et de réinventer sa relation avec l'Afrique, comme le souligne l'historien camerounais Achille Mbembe.

Le GEST votera donc cette proposition de loi ; mais, parce que des lois d'espèce ne sont pas à la hauteur du travail de réparation et de mémoire à accomplir, nous demandons que la loi-cadre annoncée soit enfin mise à notre ordre du jour. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Yan Chantrel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je suis honoré de prendre la parole dans la discussion de cette proposition de loi transpartisane relative à la restitution du tambour Djidji Ayôkwê à la Côte d'Ivoire, d'autant plus en présence du ministre Mamadou Touré, de l'ambassadeur de Côte d'Ivoire en France, du président du Conseil national de la jeunesse et d'une délégation ivoirienne accompagnée du conseiller des Français de l'étranger élu à Abidjan, Baptiste Heintz.

En septembre dernier, le président Laurent Lafon, Max Brisson, Cédric Vial, Jean Hingray, Mathilde Ollivier et moi-même nous sommes rendus en Côte d'Ivoire : nous avons rencontré la ministre de la culture, Mme Remarck, qui a renouvelé officiellement la demande de restitution, et visité le chantier du musée des civilisations de Côte d'Ivoire. Nous avons constaté la formidable mobilisation des acteurs ivoiriens et français engagés dans ce processus, ainsi que les moyens déjà investis dans la coopération culturelle et muséale entre nos pays.

De manière unanime, nous avons décidé de déposer cette proposition de loi. Il s'agit d'abord d'honorer l'engagement de la France, confirmé par le Président de la République lors du sommet Afrique-France de 2021, alors que les retards pris suscitent l'incompréhension en Côte d'Ivoire et dans la diaspora ivoirienne de métropole. Il s'agit aussi de réparer une faute morale, car le Djidji Ayôkwê est un objet sacré du peuple atchan et un instrument de résistance : on dit qu'il était utilisé pour prévenir de l'arrivée des colons français, venus réquisitionner les populations pour le travail forcé.

Ce tambour parleur fut réduit au silence en 1916, lorsque l'administrateur Marc Simon le déroba aux Bidjan. En représailles, il fut déposé dans les jardins de sa résidence dans de piètres conditions, ce qui l'a gravement endommagé.

Cette restitution est un acte moral, une mesure de justice, de réparation et de reconnaissance de la vérité historique : nous, représentants du peuple français, reconnaissons dans ce tambour un témoignage de la domination et des violences coloniales.

Lors de notre déplacement, nous avons constaté le remarquable travail de mise en récit en cours, en liaison avec la communauté atchan. Nous formons le voeu que ces restitutions, encore trop peu nombreuses, fassent l'objet d'un travail historique et pédagogique approfondi dans notre pays aussi, en vue d'un meilleur enseignement de l'histoire coloniale - ce qui contribuerait à créer les conditions du pardon, pour reprendre une expression récente du Président de la République.

Nous voterons avec conviction cette proposition de loi, par laquelle la France s'apprête à honorer sa parole. (Applaudissements à gauche)

Mme Laure Darcos .  - La restitution du tambour Djidji Ayôkwê répond à une attente ancienne de la communauté atchan, pour laquelle il est sacré. Elle relève aussi d'enjeux diplomatiques, culturels et juridiques et contribue à la consolidation de notre relation avec la société civile et la jeunesse ivoiriennes. Je salue donc l'initiative transpartisane qui a mené à cette proposition de loi.

Sur le plan diplomatique, cette restitution est prioritaire. La Côte d'Ivoire, avec laquelle nous entretenons d'excellentes relations, l'attend depuis des décennies. En 2019, elle a formulé une demande officielle, à laquelle la France s'est engagée à donner suite lors du Sommet Afrique-France de 2021. Or la restitution n'a pas encore eu lieu, alors que le Sénégal et le Bénin ont bénéficié d'opérations de même nature.

Sur le plan culturel, elle est essentielle. Depuis 2022, plusieurs opérations préparatoires ont été menées par le Musée du Quai Branly, dont l'accueil d'une cérémonie de désacralisation. Une coopération d'ampleur a été mise en place avec le MCCI, l'AFD et Expertise France.

Cette restitution concourra au renforcement de nos relations avec la société civile ivoirienne, en particulier sa jeunesse, alors que de nombreux projets communs ont déjà vu le jour, comme le Hub franco-ivoirien pour l'éducation.

Le 7 juin 1978, l'appel d'Amadou-Mahtar M'Bow pour « le retour à ceux qui l'ont créé d'un patrimoine culturel irremplaçable » a marqué les esprits. Pour la jeunesse ivoirienne, qui aspire à mieux connaître ses racines, la restitution dont nous débattons revêt une dimension particulière.

À nous d'agir, donc, pour que la France honore son engagement. Le groupe Les Indépendants souligne la légitimité de cette restitution, ainsi que son urgence au vu du retard pris. Nous regrettons toutefois que cette opération ne se fasse pas au travers d'une loi-cadre, mais d'une simple dérogation à l'article L. 451-5 du code du patrimoine, relatif à l'inaliénabilité des collections publiques, une méthode justifiée par le contexte mais qui présente des écueils.

Si nous continuons à procéder ainsi, nous réduirons la portée de l'inaliénabilité, un principe pourtant essentiel. Issu de l'Ancien régime et consacré par la Cour de cassation en 1896, le Conseil d'État en 1932 et, pour les musées publics, la loi du 4 janvier 2002, il protège notre patrimoine : ne le traitons pas à la légère.

Les collections publiques françaises comptent au moins 88 000 objets provenant d'Afrique subsaharienne. Une partie devra être restituée : ferons-nous une loi de dérogation pour chacun ?

Le rapport rendu en 2018 par Mmes Felwine Sarr et Bénédicte Savoy dresse un constat exhaustif des enjeux. La société civile s'est aussi emparée, à juste titre, de ce sujet. Il faut une réponse à la hauteur de l'enjeu, c'est-à-dire, à terme, une loi-cadre.

Dans l'immédiat, le groupe Les Indépendants votera ce texte.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture.  - Je salue la présence dans nos tribunes des ministres Touré et Diabaté et de l'ambassadeur de Côte d'Ivoire en France ; elle témoigne de l'importance que revêt le retour de ce tambour pour le peuple ivoirien. (Applaudissements)

Ce texte, qui recueille un soutien unanime, corrige l'anomalie que constituait l'écart entre, d'une part, la forte attente des Ivoiriens et la qualité des travaux et partenariats scientifiques engagés et, d'autre part, l'absence de véhicule législatif pour autoriser le retour.

Je remercie tous nos collègues qui ont contribué à l'élaboration de ce texte, qui prouve que la diplomatie parlementaire peut obtenir des résultats. Je salue en particulier Catherine Morin-Desailly pour le travail qu'elle mène de longue date sur ces questions, ainsi que Max Brisson et Pierre Ouzoulias qui l'ont rejointe.

Merci, enfin, à Mme la ministre, qui a fait preuve d'écoute et agi utilement pour accélérer le processus de restitution. Nous avons pris bonne note de son annonce d'une loi-cadre, dont le Sénat débattra de façon sereine et constructive. Si l'examen de ce texte pouvait débuter dans notre assemblée, nous en serions heureux. (Applaudissements)

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements)

Intelligence artificielle

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'intelligence artificielle, à la demande de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) et de la délégation sénatoriale à la prospective.

M. Stéphane Piednoir, président de l'Opecst .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Plus une journée ne se passe sans qu'on évoque l'intelligence artificielle (IA) dans les médias, les réunions d'experts, le monde du travail ou les universités. Mais on entend beaucoup de propos approximatifs ou superficiels. On envisage à la fois le pire et le meilleur, tant il est vrai que l'IA fascine et inquiète en même temps.

C'est pourquoi l'Opecst et la délégation sénatoriale à la prospective ont demandé conjointement ce débat. Avec Christine Lavarde, nous tenions à ce que le Sénat examine ce sujet hautement stratégique.

Je vous invite à consulter le rapport « ChatGPT et après ? Bilan et perspectives de l'intelligence artificielle », coécrit par nos collègues Patrick Chaize et Corinne Narassiguin à la demande des Bureaux du Sénat et de l'Assemblée nationale pour les quarante ans de l'Opecst. Certes un peu ardu, mais essentiel, il traite des possibilités ouvertes par l'IA, mais aussi de ses enjeux géopolitiques.

La puissance des entreprises technologiques américaines - Google, Microsoft, Amazon et Meta, auxquelles s'ajoute Nvidia - est connue de tous. L'aspiration de la Chine à devenir leader mondial dans ce domaine d'ici 2030 s'exprime régulièrement à travers des annonces fortes.

Dans ce contexte, le défi pour l'Europe et la France est d'assurer leur souveraineté numérique. L'Union européenne mise aujourd'hui sur la régulation ; mais contrer la domination de la Big Tech suppose le développement d'acteurs français et européens puissants.

Lors du sommet sur l'IA qui s'est tenu à Paris il y a deux mois, une coalition de plus de soixante entreprises européennes a été créée. Où en est cette initiative ? Quels sont la vision et le plan d'action de l'Europe et de la France ?

Une stratégie européenne est d'autant plus nécessaire que les manipulations et les atteintes à la sécurité créées à partir de systèmes d'IA prennent une ampleur chaque jour plus importante. L'Opecst et ses homologues européens ont précisément consacré leur dernière réunion aux relations de l'IA avec la démocratie.

Plus insidieuse encore est la domination culturelle que les systèmes d'IA favorisent : dominés par des acteurs anglo-saxons, ils risquent d'entraîner une forme d'uniformisation cognitive et d'appauvrir la diversité culturelle et linguistique.

Il est urgent de construire des systèmes d'IA entraînés avec des données en français et construits autour de nos valeurs. Notre exception culturelle est en danger. Comment nous assurer que l'IA respecte les droits de l'homme et nos valeurs humanistes ?

Dans le domaine scientifique, l'IA offre de vraies promesses qui permettront de résoudre des problèmes complexes - je pense notamment à la génomique. Il n'est pas anodin que les prix Nobel 2024 de physique et de chimie soient revenus à des chercheurs en IA. Quelles sont les mesures prises pour aider nos scientifiques à accélérer leurs recherches au moyen de ces outils ?

Nombre de promesses ont été faites ces dernières années : des centaines de millions d'euros, neuf pôles d'excellence, la formation de 100 000 personnes par an. Mais les actes ne sont pas au rendez-vous et coordination et pilotage font défaut, comme l'a récemment souligné la Cour des comptes.

Madame la ministre, vous êtes l'une des premières au monde à avoir dans l'intitulé de votre poste l'intelligence artificielle. Mais avez-vous les moyens nécessaires pour piloter cette politique stratégique ? Avez-vous autorité sur les services de Bercy qui négocient dans le cadre européen ? Êtes-vous en contact avec vos homologues européens qui ont une vision proche de la nôtre ?

Le récent rapport de Philippe Aghion et Anne Bouverot souligne la nécessité d'une coordination européenne et appelle à un investissement massif de 27 milliards d'euros sur cinq ans pour la formation et la recherche. Allez-vous retenir certaines de ses propositions ?

Il y a urgence à nous doter d'une stratégie en matière d'IA. En outre, nous devons oeuvrer à une indispensable régulation mondiale, actuellement éparpillée entre différents organismes : l'Europe doit prendre le leadership en la matière, en liaison avec l'OCDE. Il faut aussi accompagner le déploiement de ces technologies dans le monde du travail et former les collégiens, lycéens et étudiants, ainsi que le grand public, à l'usage de l'IA et aux risques associés.

Je ne doute pas de la richesse de notre débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Marie-Laure Phinera-Horth et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique .  - Vous l'avez dit : pas un jour sans qu'on n'entende parler d'IA, que deux Français sur cinq disent avoir déjà utilisée. Loin de n'être qu'une innovation technologique, elle modifie nos façons de produire, de décider et d'envisager le monde, donc de gouverner. C'est le sens de la création d'un ministère de l'IA, comme en d'autres temps des postes ou du numérique.

Je salue le travail mené par les parlementaires, notamment au sein de l'Opecst.

Nous faisons face à une redistribution profonde des pouvoirs économiques, scientifiques et cognitifs. L'enjeu fondamental, c'est notre capacité à orienter le progrès, à lui donner un sens, à rester maîtres de nos choix. Nous devons répondre à cette question essentielle : qui décide et au nom de quoi ? Giuliano da Ampoli, dans L'Heure des prédateurs, compare les responsables politiques à Moctezuma face à Cortés, fasciné et impuissant. La comparaison est excessive, mais touche un point sensible. Oui, nous, politiques, avons parfois du mal à suivre le progrès technologique ; oui, une poignée d'acteurs économiques concentrent une puissance inédite. Mais non, la puissance publique n'est pas condamnée à l'impuissance.

Le Gouvernement agit pour faire de la France une championne de l'IA. C'est le sens de la stratégie nationale pour l'intelligence artificielle que nous avons mise en place et qui a permis d'investir plus de 2,5 milliards d'euros dans la recherche. Nous avons 14 médailles Field et des talents reconnus dans le monde entier. Nous avons créé neuf clusters IA, sur tout le territoire, et formerons plus de 100 000 personnes par an d'ici 2030. Nous avons développé notre capacité de calcul avec le calculateur Jean Zay et attirons les meilleurs centres de recherche mondiaux.

Nous avons plus de 1 000 start-up, dont Mistral AI, Hugging Face et Aqemia. Reconnues dans le monde entier, elles nous permettent d'être dans la course mondiale et d'offrir une troisième voie entre les États-Unis et la Chine.

Le sommet pour l'action sur l'IA, qui s'est tenu en France au mois de février, a marqué une nouvelle étape décisive. Nous avons lancé la troisième étape de notre stratégie nationale pour l'intelligence artificielle et instauré le comité interministériel de l'IA, sous l'égide du Premier ministre. Les moyens nécessaires sont mobilisés, et nous sommes tous à la tâche pour avancer.

Lors de ce sommet, 109 milliards d'euros d'investissements ont été annoncés pour développer l'IA et les infrastructures nécessaires au calcul en France.

Nous sommes attendus pour donner un cap à la gouvernance mondiale que le rapport de l'Opecst appelle de ses voeux. La création de la fondation Current AI pour financer des IA d'intérêt général, la signature d'une coalition mondiale pour une IA durable et la déclaration commune rassemblant soixante-deux pays pour une IA inclusive et éthique vont dans ce sens.

Nous devons permettre à chacun de s'emparer de l'IA : c'est une condition de la compétitivité de notre économie, mais surtout une nécessité pour construire une société inclusive dans laquelle l'innovation bénéficie à toutes et tous.

L'IA transforme déjà nos vies. Je l'ai vu à l'hôpital de Bourg-en-Bresse, où un médecin peut détecter une embolie pulmonaire ; à Quimper, où un lycéen dyslexique comprend enfin ses cours grâce à un surlignage automatique ; dans les Ardennes, où un agriculteur arrose moins, mais récolte plus ; à Bercy, où les agents de la DGFiP ciblent mieux leurs dossiers, ou dans les maisons France Service, où les personnels répondent plus facilement aux usagers.

Pourtant, l'IA suscite toujours certaines craintes et n'est pas utilisée par toutes et tous. Quand sept jeunes de 18 à 24 ans sur dix l'utilisent quotidiennement, ce n'est le cas que de deux personnes de plus de 60 ans sur dix. Seulement 5 % des PME l'utilisent au quotidien, contre plus d'un tiers des grandes entreprises. Globalement, nous ne sommes pas en avance en matière d'adoption de cette technologie. Or l'IA ne sera un progrès qu'à la condition de ne pas être réservée à une minorité. Pour qu'elle soit un moyen d'émancipation des personnes et de résorption de la fracture numérique, nous organisons des milliers de cafés IA et, à la prochaine rentrée, des cours seront dispensés aux élèves de quatrième et de seconde pour les aider à comprendre l'IA et à développer leur esprit critique.

Notre objectif doit être d'orienter l'IA sans entraver l'innovation, mais en nous appuyant sur la réglementation européenne. Oui, l'Europe régule. Parce que, en Européens, nous avons décidé que la loi du plus fort ne devait pas l'emporter : pas question, par exemple, qu'une IA puisse déterminer l'orientation sexuelle des personnes.

L'IA que nous voulons est innovante, compétitive et fidèle à nos valeurs : c'est une technologie au service de l'humain et de notre prospérité.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth .  - Trois rapports de l'Opecst ont déjà abordé l'IA ; le dernier analyse les technologies actuelles et les tendances à venir.

Au nombre des enjeux figurent la reconnaissance, la traduction et la restitution de nos langues régionales et autochtones. Avec 15 millions de locuteurs dans le monde, les langues créoles, en particulier, offrent à notre pays un terrain sur lequel il peut prendre l'avantage.

En France, près de 2 millions de personnes parlent quotidiennement des créoles à base lexicale française : plus de 80 % des habitants de La Réunion et plus de 70 % de ceux des Antilles. En Guyane, les créoles guyanais et haïtien forment un lien entre les différentes communautés.

Depuis 2005, un enseignement des langues et cultures régionales peut être dispensé dans le cadre de la scolarité. Je salue le travail des associations ultramarines grâce auxquelles une épreuve de créole est proposée au baccalauréat.

Interrogée sur le créole, l'IA reconnaît ses limites, faute de données. Or ces langues nécessitent une attention particulière pour éviter les approximations et les clichés nuisibles à notre imaginaire collectif. En nous appuyant sur nos talents académiques et littéraires, nous devons constituer un socle de données destiné à faire rayonner le créole à travers l'IA : nous renforcerons ainsi les liens entre la France des cinq océans et le reste du monde.

Comment l'État entend-il relever ce défi pour assurer une compréhension améliorée et une diffusion renforcée de notre culture plurielle ?

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Nous devons développer des intelligences artificielles européennes pour protéger nos valeurs, dont la défense de notre patrimoine linguistique. C'est pourquoi, avec Rachida Dati, j'ai lancé le 20 mars dernier un programme de mise en commun au niveau européen de moyens et de données pour permettre aux modèles de prendre en compte la richesse linguistique française et européenne. Plus de 80 millions d'euros sont prévus pour ce projet.

M. Bernard Fialaire .  - Mon rapport sur l'éducation à l'IA, écrit avec Christian Bruyen dans le cadre de la délégation à la prospective, fixe trois axes : mieux accompagner les enseignants, encourager une culture citoyenne de l'IA et développer la recherche.

Nous proposons notamment de garantir une évaluation indépendante des technologies mises à disposition dans le cadre scolaire et de créer un observatoire de l'IA à l'école, mais aussi de réfléchir à utiliser l'IA pour analyser les données recueillies à l'occasion des évaluations nationales.

De fait, ces données sont séquestrées par l'éducation nationale : nous privons ainsi d'un véritable atout nos entreprises technologiques, dont les performances dans le domaine de l'éducation sont reconnues.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - L'éducation à l'intelligence artificielle est fondamentale. Nous devons développer des outils pour accompagner non seulement les jeunes, mais aussi les professeurs.

La transparence est essentielle. À ce sujet, nous avons lancé, lors du Sommet pour l'action sur l'IA, l'Institut national pour l'évaluation et la sécurité de l'intelligence artificielle (Inesia), destiné à évaluer et garantir la transparence des modèles. Nous sommes en train de définir sa feuille de route, et une attention particulière sera prêtée à l'éducation.

S'agissant des outils à mettre à la disposition des élèves et des professeurs, le ministère de l'éducation nationale a entrepris de recenser les outils disponibles. Un premier bilan de ce travail est en cours.

M. Bernard Fialaire.  - J'insiste : nous ne pouvons pas laisser l'éducation nationale séquestrer les données d'évaluation, qui constituent un réservoir précieux pour nos entreprises, assez performantes dans ce domaine.

Mme Catherine Morin-Desailly .  - En matière d'IA, le risque est de voir se constituer, comme pour le cloud, une hégémonie des Big Tech qui accroîtrait un peu plus encore nos dépendances.

Lors du récent sommet, le Président de la République a annoncé 109 milliards d'euros d'investissements. Comment ce plan se déclinera-t-il concrètement ? Va-t-on tirer les leçons du passé et reconnaître que les précédents plans n'ont pas permis de faire émerger un seul acteur de dimension internationale ? Je rappelle que 80 % des technologies utilisées en France sont américaines...

Par ailleurs, je vous ai interpellée au sujet du règlement sur l'IA il y a quelques semaines, mais vous ne m'avez pas répondu sur la négociation en cours du code de bonnes pratiques. Plusieurs acteurs ont exprimé leur colère face au poids disproportionné des Big Tech dans ce processus. Reporters sans frontières s'est même retirée des négociations. Les acteurs de la culture, soutenus par Rachida Dati, demandent plus de garanties pour le respect des droits d'auteur et droits voisins. Quelle est votre position ?

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - La souveraineté numérique et technologique est un enjeu qui me tient fortement à coeur. Les 109 milliards d'euros annoncés lors du sommet pour l'action sur l'IA correspondent à des investissements en infrastructures, réalisés par des consortiums de financeurs internationaux et nationaux. Notre objectif est de disposer d'une offre de cloud qui réponde à un très fort niveau de sécurité, avec la certification SecNumCloud. Il s'agit d'attirer les moyens pour créer les infrastructures nécessaires et soutenir la montée en puissance des acteurs français et européens.

Sur le règlement pour l'intelligence artificielle, les négociations sont en cours et la Commission européenne n'a pas rendu les derniers arbitrages. Je considère que le règlement et le code of practice doivent rester fidèles à ce qui a été négocié, c'est-à-dire encadrer les usages et garantir la transparence. La voix des petits acteurs doit être entendue, j'y veillerai.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Pour réaliser les investissements massifs nécessaires, la France doit mener une action concertée et volontariste avec les autres États membres de l'Union européenne. Il faut revoir le plan Horizon 2030 et construire une stratégie offensive de soutien à la recherche et à nos entreprises, avec des programmes transversaux financés par des mécanismes innovants. Nos entreprises françaises et européennes doivent enfin pouvoir compter sur la commande publique. Encore récemment, l'État a pris une décision choquante en matière d'enseignement supérieur, en faveur de Microsoft. Nous exigeons que cela change.

En ce qui concerne le règlement, nous vous demandons de plaider pour la prise en compte des enjeux informationnels et la défense du droit à une information fiable. Nous exigeons la fin du pillage des données des journalistes et des créateurs et l'application du droit d'auteur et des droits voisins. Nous comptons sur vous.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Je veillerai à ce qu'on respecte le droit d'auteur : j'ai lancé avec Rachida Dati une concertation sur le sujet, destinée à valoriser notre patrimoine culturel à l'heure de l'intelligence artificielle.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Merci pour votre réponse.

M. Pierre Ouzoulias .  - Le 10 avril dernier, au cours du débat sur la protection du droit d'auteur, vous avez dit qu'il faut défendre ce droit, mais aussi notre capacité à innover. Tout le monde en est d'accord. De toute façon, une réglementation prohibitive ne pourrait pas être appliquée.

Vous avez dit aussi : nous ne sommes pas face à une question de transparence ; l'enjeu est le modèle d'affaires. Je ne partage pas ce point de vue.

La transparence est un enjeu fondamental. Catherine Morin-Desailly l'a dit : il y a un pillage systématique des données, encouragé par l'administration américaine. Trêve d'irénisme sur le sujet !

Une agence américaine a envoyé un courrier à la Commission européenne pour lui signifier qu'elle n'acceptait pas le code de bonne conduite en cours de rédaction. Nous craignons des reculs sur la protection du droit d'auteur, alors même que la règle actuelle est déjà très peu contraignante, les plateformes n'étant tenues qu'à des efforts suffisants pour respecter ce droit.

Comment comptez-vous agir pour protéger le droit d'auteur ?

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Je le répète, je suis attachée au droit d'auteur. C'est pourquoi j'ai lancé avec Rachida Dati la concertation dont j'ai déjà parlé.

Le droit à l'opt-out doit être respecté. Nous devons trouver une solution gagnant-gagnant pour les auteurs et les innovateurs. Au-delà de la question de la transparence, il faut réfléchir au modèle de rémunération.

Mme Ghislaine Senée .  - Le développement exponentiel de l'IA marque une révolution. Pour ne pas manquer ce tournant technologique, l'heure est à la décision.

Le GEST appelle au pragmatisme et à l'humilité. Face à des puissances mondiales tentées par la dérégulation sans limite, nous devons défendre, avec nos partenaires européens, un modèle régulé, souverain, transparent et respectueux des droits fondamentaux. Par ailleurs, le développement illimité de l'IA n'est pas compatible avec notre capacité de production électrique actuelle ni, plus généralement, avec les limites planétaires.

Voyez les data centers : leur consommation d'électricité devrait doubler d'ici à 2030. Nous allons devoir faire des choix. Quelles priorités comptez-vous fixer, alors que les besoins pour la transition vers les énergies décarbonées sont en augmentation constante ? Comment éviter des effets négatifs sur d'autres activités davantage pourvoyeuses d'emplois, comme l'industrie ?

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Notre priorité est d'attirer les acteurs de l'IA pour qu'ils s'entraînent en France. Nous avons accès à une énergie décarbonée.

Nous devons aussi encourager la recherche sur la frugalité des modèles. La coalition pour une IA durable défend des modèles moins consommateurs. OVH a un système unique au monde d'eau de refroidissement en circuit fermé pour ses data centers, preuve qu'il est possible de réduire l'empreinte de l'IA. L'Afnor travaille à la définition d'une IA frugale.

Mme Ghislaine Senée.  - Certes, mais il faudra faire des choix ! Produire une photo à la Miyazaki, faire parler des personnes disparues ou choisir sa meilleure coiffure via l'IA consomme énormément d'énergie. Est-ce bien nécessaire ? Il faudra réguler les cas d'usage.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - On ne parle que de 0,1 % de la consommation énergétique. Il faudra évaluer les retours des investissements en matière écologique. Mais chacun doit pouvoir s'approprier l'IA avec ses propres usages. Apprendre à mieux prompter, donc éduquer à l'IA, est un moyen de mieux utiliser l'IA et de moins consommer.

Mme Ghislaine Senée.  - Ce qui m'inquiète, c'est la création des besoins. Je ne doute pas que nous trouverons des solutions pour consommer moins d'énergie, mais si, sur TikTok, on pousse les jeunes à aller jouer, il faudra un courage politique pour s'y opposer auquel je ne crois pas. Il y a des décisions de régulation à prendre pour éviter que l'IA ne devienne ingérable. Nous n'aurons que nos yeux pour pleurer quand nous aurons détruit toutes les ressources de ce monde !

Mme Sylvie Robert .  - En se dotant d'un règlement sur l'IA, l'Union européenne a été pionnière avec une approche équilibrée.

Dans ce RIA, les obligations sur la transparence sont essentielles. Or Catherine Morin-Desailly et Pierre Ouzoulias l'ont dit, cette transparence est loin d'être toujours effective.

Dans le domaine culturel, elle est particulièrement lacunaire, au point de porter atteinte au droit d'auteur. La dernière version du projet de code des bonnes pratiques présentée en avril a braqué les ayants droit, au point qu'ils hésitent à claquer la porte des négociations, préférant une absence d'accord plutôt qu'un mauvais accord. Le Gouvernement doit adopter une position très forte en arrêtant d'arguer du soutien à l'innovation. Quelle est la position de la France dans les négociations actuelles ? Allez plus loin dans votre réponse, madame la ministre. Quelles garanties ? Quels mécanismes de juste répartition de la valeur ?

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Dans le RIA, l'article 50 fixe des obligations de transparence aux modèles en fonction des usages. Des audits préalables à la mise sur le marché sont envisagés pour les plus hauts risques.

La question du droit d'auteur n'est pas simple. Il nous faut trouver une formule permettant aux ayants droit de faire valoir leurs droits tout en préservant le secret des affaires. Je crois à la concertation. Nous avons lancé officiellement avec Rachida Dati une consultation la semaine dernière. Le sujet est difficile, mais dans le dialogue, nous trouverons une solution.

Mme Sylvie Robert.  - J'ai lié la transparence au droit d'auteur, car tant que les ayants droit n'auront pas accès aux données, leurs droits ne seront pas respectés. La France a une responsabilité en la matière. La défense du droit d'auteur par Beaumarchais fait partie intrinsèque de notre histoire. La volonté politique doit être au rendez-vous.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Je suis d'accord sur ce point.

Il y a plusieurs moyens de faire valoir ce droit. Mais le droit d'auteur n'est pas extraterritorial.

Ne reproduisons pas les erreurs du passé et ne retombons pas dans la dépendance technologique vis-à-vis d'acteurs extraeuropéens.

M. Pierre Jean Rochette .  - La course mondiale à l'IA ne se joue pas que sur l'innovation technologique, mais aussi sur son adoption à grande échelle par les entreprises, les administrations et les citoyens. De récentes analyses montrent que la capacité à intégrer l'IA dans les usages quotidiens est cruciale.

La Chine semble rattraper rapidement son retard. La moitié de ses entreprises utilise l'IA contre seulement un tiers des entreprises américaines.

Quelle est la maturité de l'IA en France ? Disposerons-nous d'indicateurs clairs pour mesurer l'adoption de l'IA par les entreprises ? Quels usages ? Quelles mesures de la stratégie nationale pour encourager l'utilisation de l'IA ?

Nous devons également nous interroger sur l'usage de l'IA dans les collectivités territoriales et sur l'utilisation des données via les logiciels proposés aux collectivités territoriales. C'est un enjeu de souveraineté. Il faut sans doute accompagner les collectivités.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Vous avez raison : la priorité de cette troisième phase de l'IA doit être l'utilisation, indispensable pour obtenir des gains de compétitivité. Comment faire ? Sous l'égide du Premier ministre, avec le comité interministériel pour l'IA, nous avons demandé à chaque ministère, assisté par la direction interministérielle du numérique (Dinum), comment il a utilisé l'IA, quels sont les cas d'usage, et à quelle échelle ?

Nous mettrons cela en avant lors de VivaTech dans un mois : nous réunirons alors de nouveau le Comité interministériel de l'IA.

Nous travaillons avec les différentes associations représentant les collectivités territoriales.

Nous suivons la diffusion de l'IA dans les entreprises. D'après un sondage, 5 % des PME et 35 % des grandes entreprises utilisent l'IA. Nous nous appuyons sur les chambres de commerce et d'industrie (CCI), qui accompagnent 20 000 entreprises dès cette année à l'utilisation de l'IA ; l'IA Booster, financé par l'État, accompagne les petites entreprises, et nous travaillons à un portail permettant aux entreprises de trouver des solutions adaptées.

M. Patrick Chaize .  - Dans le contexte actuel où l'IA joue un rôle de plus en plus central, comment assurer une gouvernance efficace et éthique de l'IA ? Quelles sont les principales problématiques à prendre en compte ? Quelle réglementation mettre en place pour minimiser les risques liés aux biais algorithmiques et à l'automatisation des décisions ? Comment impliquer les différents acteurs de la société ? Comment trouver un équilibre entre l'innovation technologique et la protection des droits des individus ?

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Je ne reviens pas sur le RIA. Au niveau français, nous nous appuyons sur l'Inesia, sur les cafés IA que nous avons lancés avec le Conseil national du numérique (CNNum) pour être au plus près des citoyens. Nous travaillons à définir quelles administrations auront en charge la mise en place du RIA ; vous aurez de la visibilité là-dessus très prochainement.

La gouvernance doit enfin être internationale. C'était l'objet du sommet pour l'action sur l'IA. Nous avons ainsi renouvelé notre soutien au partenariat mondial pour l'intelligence artificielle (PMIA), lancé par le Président de la République et Justin Trudeau en 2018, et qui réunit plus de soixante pays.

M. Ludovic Haye .  - Un enjeu est de plus en plus central : comment articuler IA et réchauffement climatique. Nous assistons à une explosion de l'IA générative pour le grand public. Vous n'avez pas pu passer à côté des starter packs, dont plus de 750 millions d'exemplaires ont été générés.

Or chaque génération d'image consomme et laisse une empreinte carbone. Un starter pack consomme trois à cinq litres d'eau, sans compter l'électricité nécessaire.

Cette frénésie d'usages pose une question : cette consommation est-elle soutenable à long terme ? Il faut privilégier son utilité concrète.

Car l'IA est aussi un allié précieux dans la lutte contre le réchauffement climatique, par exemple par une gestion intelligente des réseaux. Ce constat se retrouve dans le dernier rapport sur l'IA du Cese, dans le manifeste des intercommunalités de France sur l'IA, dans les axes stratégiques définis par le MEDEF pour le développement de l'IA et au coeur des sept principes de l'IA de confiance établis par le Conseil d'État en 2022. Comment faire de l'IA un outil au service de la transition écologique ?

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Nous entendons l'importance que nos concitoyens accordent à cette question. C'est pourquoi nous promouvons une IA à la française, durable.

Prenons toutefois un peu de recul : l'IA ne représente que 0,1 % de la consommation. Des spationautes ne veulent pas faire de starter pack ; mais quelle est la consommation énergétique d'un vol en fusée ?

Le plus grand risque serait que la population se freine dans l'adoption de l'IA, qui va transformer tous les métiers. Nous devons faire de l'écologie notre alliée. C'est ce que nous pouvons faire en France, car nous avons l'une des énergies bas-carbone les plus compétitives au monde.

Qui dit modèle plus petit, dit modèle plus économique. Le retour sur investissement des entreprises sera plus important. C'est gagnant-gagnant.

L'IA peut accélérer la transition écologique ; j'ai ainsi rencontré des chercheurs qui ont gagné plusieurs années dans leur projet de matériau remplaçant le plastique.

La prise de conscience est essentielle, mais cela ne doit pas freiner l'adoption de l'IA.

M. David Ros .  - Nous sommes tous convaincus que ce débat est essentiel pour l'avenir de notre pays. Je salue le président Stéphane Piednoir.

Un rapport Narassiguin-Chaize a déjà soulevé de nombreuses questions.

Sylvie Robert vous a interrogée sur le droit d'auteur et Adel Ziane posera une question sur la souveraineté. Pour ma part, je m'intéresserai à la formation et à la recherche.

Lors des questions d'actualité du 12 février, j'interrogeais Élisabeth Borne sur le déploiement de l'IA dans l'éducation nationale. Quelles sont les expérimentations en cours ? Quelles sont les directives pour la rentrée 2026 ?

Madame la ministre, avez-vous d'autres ambitions qui pourraient prendre place sur le temps scolaire et hors temps scolaire ? Ne faut-il pas créer des pôles de formation ? C'est important pour les générations à venir.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - L'éducation est fondamentale si l'on veut éviter la fracture numérique et bâtir l'esprit critique de nos jeunes.

Depuis deux ans, l'éducation nationale a lancé un appel à manifestation d'intérêt (AMI) pour les usages. Nolej, qui transforme les supports de cours pour les rendre plus ludiques, a été élue meilleure start-up technologique mondiale parmi 7 000 candidats.

Élisabeth Borne a tiré un bilan très positif de cet AMI. Aussi, elle en lancera un autre pour aider les professeurs à adapter leurs méthodes pédagogiques, pour un démarrage dès la rentrée 2025 en quatrième et en seconde.

M. David Ros.  - Merci de votre réponse qui rejoint une proposition de loi que j'ai déposée et que j'espère voir bientôt débattue.

Assurons à notre pays une véritable IA : une indépendance assumée. (Sourires)

Mme Marie-Claire Carrère-Gée .  - Sauf à courir le risque de dégâts irréversibles, des mesures sur l'IA générative s'imposent avant l'entrée en vigueur du RIA. Des risques pour la démocratie et la confiance dans les rapports sociaux sont à craindre.

De nombreuses images sont reprises par des comptes anonymes pour manipuler les esprits. Des tromperies à l'embauche et aux assurances se multiplient.

J'ai bien entendu que les contenus devront être marqués dans un format lisible par une machine et identifiables comme ayant été générés par une IA, mais les fournisseurs devraient systématiquement apposer un logo immédiatement lisible également par des humains.

L'autre risque majeur concerne la santé, avec la diffusion d'outils IA extra-européens, qui ne respectent aucun contrôle humain par un professionnel de santé.

Quelle décision envisagez-vous pour faire respecter de strictes conditions de souveraineté et de contrôle humain ?

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Nous avons décidé, en Européens, d'établir à l'article 50 du RIA une obligation de transparence de la génération d'images par l'IA. Nous suivons avec attention l'élaboration des lignes directrices de cet article 50. En effet, à l'époque des négociations, les solutions de marquage n'étaient pas pleinement définies. Adobe travaille sur cette question aux États-Unis.

Le marquage ne suffit pas. Nous devons aussi nous doter de capacités de détection. C'est ce que nous faisons avec notre pôle d'expertise de la régulation numérique (PEReN) rattaché à trois ministères.

Votre question sur la santé fait le lien avec le RGPD. Ce que vous mentionnez n'est pas autorisé. La réglementation est très claire et sera respectée.

M. Adel Ziane .  - Les promesses de l'IA sont immenses, mais le risque de décrochage technologique de la France et de l'Union européenne est réel. Cela a été évoqué par Gilles Babinet, coprésident du CNNum.

Face aux Gafam et aux acteurs chinois, notre continent n'a pas la force de frappe pour peser. On le voit avec le plan Stargate, doté par la Maison-Blanche de 500 milliards de dollars. Les 109 milliards d'euros d'investissement de la France sont à saluer, mais restent fragmentés.

Le cadre de régulation mis en place par l'Europe doit s'accompagner d'un plan industriel.

L'IA est amenée à bouleverser notre économie, mais aussi notre manière de soigner.

C'est un enjeu de souveraineté, de démocratie et de civilisation. Les enjeux éthiques, politiques, environnementaux sont fondamentaux.

Notre dépendance technologique annonce une dépossession politique.

Quelle stratégie pour sortir de cette dépendance ? À quand un véritable Airbus de l'IA pour une IA souveraine et durable ?

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Je vous remercie de poser la question de la compétitivité, qui n'avait pas encore été posée, alors que toutes les autres en dépendent ; tous les autres enjeux ne peuvent exister que si l'on a une IA européenne, fidèle à nos valeurs, plus frugale, à disposition des jeunes, pour l'éducation.

Je ne vous rejoins pas tout à fait sur le décrochage. Les 109 milliards d'euros sont du même ordre de grandeur que le projet Stargate, si on le rapporte à la population française. Nous n'avons pas à rougir.

Nous avons décidé de réinvestir dans la recherche, qui un de nos atouts, avec les neuf clusters IA. Nous consacrons 360 millions d'euros à la formation de 100 000 personnes par an d'ici 2030.

Sur l'Europe, je ne suis pas d'accord : la stratégie InvestAI développée sur toute la chaîne de valeur est un atout, comme le plan Continent IA visera à une meilleure coordination des gigaprojets.

M. Christian Bruyen .  - L'IA suscite des craintes comme des attentes démesurées.

Cette technologie est omniprésente et insaisissable. L'IA est dotée d'une telle puissance qu'il faut développer l'esprit critique de ses utilisateurs, dès le lycée.

Nous nous réjouissons de la stratégie ambitieuse du Gouvernement sur l'IA en matière d'éducation. Quelles sont les échéances prévues ?

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Lors du comité interministériel de l'IA, chaque ministre s'est engagé dans cette démarche. Mme Borne, ministre de l'éducation nationale, a développé ses priorités.

Il s'agit d'expérimenter ce que nous pouvons faire avec l'IA. C'est l'objet de l'AMI dont j'ai parlé. Nous devons aussi veiller à ce que tous les professeurs utilisent bien l'IA. À Quimper, j'ai pu constater un engagement contrasté dans l'expérimentation.

Avec le ministre de l'enseignement supérieur, nous examinons aussi comment l'IA peut s'inscrire dans l'ensemble des formations.

M. Christian Bruyen.  - Comme vous, le ministre de l'éducation nationale évoque la préservation de la souveraineté et l'application du principe de précaution indispensable en ce qui concerne la jeunesse. Mais attention à ne pas mettre en place des garde-fous illusoires.

Sa présentation appelle à des outils à même d'aider les enseignants dans leurs pratiques pédagogiques. Mais nombre d'outils sont déjà disponibles, même s'ils sont malheureusement sous-exploités. Il faut donc former à leur utilisation, notamment les enseignants. Les usages de l'IA sont trop normés. Il faut faire émerger une culture citoyenne de l'IA.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - C'est bien notre démarche, qui nous conduit à soutenir notre secteur E-Tech très performant. Mettre des solutions entre les mains des professeurs et des élèves est notre but.

M. Jean-Baptiste Blanc .  - Je souhaite vous interroger sur l'IA et le ZAN. Un jour nous devrons nous interroger sur l'IA et la connaissance des sols vivants.

L'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) a recours à l'IA pour la connaissance des sols. L'outil occupation du sol à grande échelle (OCS GE) reste cependant perfectible. L'État et les collectivités n'ont pas la même interprétation de ce qui est artificialisé ou non. Il faut également des contrôles par les opérateurs humains.

Quels gains peut-on espérer de ces données issues de l'IA ?

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - C'est un exemple de solution que peut apporter l'IA en matière écologique. L'IGN fait un travail de pointe en la matière. Dans le cadre de France 2030, nous avons engagé un travail de jumeau numérique. Nous verrons comment être encore plus performant.

M. Jean-Baptiste Blanc.  - Je vous alerte sur la gouvernance d'un tel projet : cela ne doit pas venir d'en haut comme ce fut le cas pour le ZAN.

Mme Anne Ventalon .  - L'IA n'est plus une promesse d'avenir, mais une réalité, notamment en matière de santé. L'Académie de médecine a rendu un rapport sur l'IA générative. L'IA en santé serait un outil supplémentaire qui apporterait beaucoup : mieux suivre les patients, faire gagner du temps médical, organiser le système de santé...

Pourrait-elle être une opportunité pour pallier les déserts médicaux ? Les cabines de télémédecine en sont une illustration : l'IA peut guider l'entretien avec le patient et interpréter les images. Elle ne remplace cependant pas la parole rassurante du soignant, mais le soulage dans toutes les tâches administratives et répétitives.

Comment entendez-vous accompagner l'action des médecins pour que le secteur de la santé tire le maximum de bénéfices de cette technologie ?

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - La santé est le domaine où les bénéfices sont les plus clairs et les plus évidents pour tous.

Le Health Data Hub porte le projet Partages fondé sur l'IA générative pour interpréter des images.

Sur la télémédecine, chaque hôpital travaille selon ses spécialités à nouer des partenariats pour mettre à disposition des experts en matière d'IA et digitaliser l'expérience de soins. L'Institut Gustave Roussy a déjà développé des outils.

Mme Anne Ventalon.  - Le fonctionnement de l'IA doit être compris ; aussi la formation initiale et continue des soignants est-elle indispensable.

Mme Christine Lavarde, Président de la délégation sénatoriale à la prospective .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'IA cristallise tous les défis du XXIe siècle.

Première leçon de ce débat : l'évolution extrêmement rapide de l'IA. En dix-huit mois, les solutions ont changé. Ces évolutions nous obligent en tant qu'État à investir pour ne pas être dévalorisé au regard des Gafam et de la Chine. Ces évolutions nous obligent à être agiles. Nous devons tirer des enseignements de l'expérience. La DGFiP montre l'exemple en ce domaine.

Deuxième leçon : les données sont au coeur de l'IA et elles ne doivent pas être captées par un autre pays ; nous devons avoir un cloud européen souverain pour les protéger.

Ces données doivent être structurées si on veut les utiliser dans le domaine de l'environnement ou de la santé par exemple. Or nous avons constaté un fort cloisonnement. L'IA nous répond en franglais car elle lit beaucoup de données en anglais et peu en français. C'est encore pire pour le Japon.

La politique des données ouvertes remet en cause des principes économiques fondamentaux. Des acteurs nationaux, y compris des opérateurs de l'État, ont vu leur modèle économique remis en cause par le fait de ne plus pouvoir vendre des données.

Les droits d'auteur et voisins sont une question essentielle à traiter. Demain, des entreprises privées disposant de données nationales ne devraient-elles pas les mettre à disposition de la puissance publique pour oeuvrer au bien commun ?

Troisième point : le développement des compétences. Si nous voulons que l'État puisse rester stratège, il doit pouvoir faire monter en compétence les agents publics et engager des experts. Christian Bruyen l'a dit, la question du grand public est aussi essentielle. Il faut embarquer les citoyens, mais aussi les informer sur les dangers de cette technologie. Le premier pas à faire est celui de la formation des enseignants, qui ne doivent pas se laisser distancer par des élèves qui sont nés avec cette technologie.

Concernant le cadre éthique, l'IA doit être proportionnée, aussi la question de la frugalité de cette technologie est essentielle. L'ouvrage L'enfer numérique abordait la question des émoticônes, dont tout le monde oublie le coût. Il est parfois préférable d'ouvrir un dictionnaire que d'utiliser ces outils. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La séance est suspendue quelques instants.

Comment relancer le fret ferroviaire ?

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Comment relancer le fret ferroviaire ? », à la demande du groupe CRCE-K.

M. Alexandre Basquin, pour le groupe CRCE-K .  - Le fret ferroviaire est un enjeu fondamental en matière d'aménagement du territoire, d'environnement, de sécurité et de développement économique. Or sa part modale n'est que de 10 %.

Depuis la première concession accordée en 1823, la part du fret ferroviaire n'a fait qu'augmenter pour atteindre 73 % en 1948. Un vrai maillage territorial efficace existait alors. Depuis les années 1970, une conjonction d'éléments a oeuvré au profit du tout-routier, avec une perspective court-termiste. Les investissements ne sont plus au rendez-vous, les lignes se délabrent et ferment.

De 75 milliards de tonnes-kilomètre en 1914, nous sommes tombés à 55 tonnes-kilomètre en 1998, 40 milliards en 2005 et 35 milliards en 2021.

En Allemagne, la part modale du fret ferroviaire est de 18 % ; elle est de 32 % en Autriche et de 35 % en Suisse.

Ces dernières décennies, le service public de transport de marchandises a été attaqué : démantèlement du groupe SNCF, fermetures de gares et de lignes, suppression de quelque 10 000 emplois en dix ans.

Le pacte ferroviaire de 2018 a fragmenté le fret, comme le plan de discontinuité, sur lequel l'intersyndicale demande un moratoire.

Pourtant, beaucoup s'accordent sur son intérêt : en 2020, la convention citoyenne sur le climat demandait un doublement de la part modale du fret ferroviaire d'ici à 2030.

Le dérèglement climatique impose de mettre en oeuvre une politique audacieuse en faveur du mode le moins polluant. Un train, ce sont cinquante camions en moins sur la route. Le rail permet de développer le territoire, de le dynamiser.

Je pense à la gare de triage de Somain, dans le Nord, à côté de chez moi, qui demande à être revitalisée plutôt qu'abandonnée, alors que le canal Seine-Nord passera à quelques kilomètres, que l'ancienne base aérienne de Cambrai se développe et que le Dunkerquois accueille de nouvelles activités à grande échelle.

À ce propos, j'adresse une pensée aux 600 salariés d'ArcelorMittal, dont 180 à Dunkerque, qui risquent de voir leur emploi rayé d'un trait de plume, alors que leur entreprise, ayant touché 300 millions d'euros d'aides de la part de l'État en 2023, verse de 300 à 400 millions d'euros de dividendes par an à ses actionnaires.

La relance du fret passera par des investissements conséquents. Il faut rénover et densifier le réseau, rendre le rail plus attractif que le transport routier qui bénéficie d'avantages fiscaux, d'aides et de l'absence de contribution à l'entretien du réseau.

Il faut convaincre les industriels avec une fiscalité favorisant le report modal.

Il est urgent de repenser le modèle de financement des transports ; la conférence nationale sur le financement des mobilités, Ambition France Transport, lancée en mai prochain, devra s'y atteler. Une des pistes est le fléchage des bénéfices des concessions routières - 40 milliards d'euros, à tel point que l'on parle de surrentabilité - vers le fret et le développement du rail. Ce chiffre avait interpellé tout le monde ici, à tel point qu'une commission d'enquête avait été créée en 2020.

Je salue chaleureusement les cheminots, bien trop souvent caricaturés. Je salue leur engagement sincère au service de l'intérêt général. Le fret peut être un atout essentiel pour la relance agricole et industrielle du pays. Pour cela, il faut investir, donner du sens à la politique du fret et en faire un bien commun national. La balle est dans votre camp. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports.  - Je vous remercie pour l'organisation de ce débat. C'est l'occasion pour moi de revenir au Sénat, ce qui est toujours un plaisir ; ce sujet me tient aussi à coeur : nous avons eu l'occasion d'en discuter en commission.

Pour vous répondre rapidement, le secteur du fret ferroviaire a été ouvert à la concurrence en 2006 en vertu des règles européennes. L'ouverture s'est faite aussi en Allemagne, et pourtant son fret ferroviaire est en meilleure santé. Ce n'est donc pas contradictoire.

Nous avons abandonné le fret pendant des décennies, au profit de la route et du transport de voyageurs. Les difficultés du fret sont liées aux difficultés industrielles de notre pays. Les corrélations sont évidentes, entre le déclin de la part de l'industrie dans l'économie, passée de 16,2 % en 1995 à 10,1 % en 2017, et le déclin de la part modale du fret ferroviaire, passée de 16,8 % à 10,8 % sur la même période.

M. Michel Masset .  - Merci au groupe CRCE-K pour ce débat.

Espérons que la démarche Ulysse Fret, lancée en mars dernier, permettra de retrouver le chemin du rail, car pour l'instant, on navigue de Charybde en Scylla. Le fret ferroviaire, passé sous la barre des 10 % du transport de marchandises, est en berne. L'année 2023 a connu une très forte baisse, imputable aux mouvements sociaux et au prix élevé de l'énergie, mais il s'agit d'une tendance lourde, y compris dans le transport combiné.

C'est un crève-coeur pour les Français attachés au rail de voir nos infrastructures dépérir, sous-utilisées, alors qu'il s'agit d'un outil majeur pour la décarbonation. Parallèlement, le Parlement européen a voté la révision de la directive Poids et dimensions, qui autorisera les méga-camions. Comment doubler le trafic ferroviaire dans ces conditions ?

Monsieur le ministre, avez-vous de bonnes nouvelles à nous annoncer ? Quelles actions sont d'ores et déjà identifiées ? Le Gouvernement a annoncé un plan d'investissement de 4 milliards d'euros jusqu'en 2032, dont 900 millions en faveur du fret ferroviaire, la moitié passant par les contrats de plan État-région (CPER) - mais nous ne connaissons pas les lignes concernées.

Pérennité des lignes capillaires, projet d'autoroute ferroviaire Cherbourg-Mouguerre, fret fluvial, autant de sujets qui mériteraient un débat à eux seuls.

Aurons-nous bientôt plus de visibilité sur les CPER ? On constate que le tracé de la ligne Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) avance, mais sans réflexion sur le fret.

Il faut mettre tout le monde autour de la table, écouter les besoins des entreprises. Le Lot-et-Garonne a de vrais atouts pour développer le fret ferroviaire, avec les lignes Agen-Auch ou Agen-Périgueux. Le fret léger désengorgerait la RN21 tout en dynamisant les échanges intérieurs. L'État va-t-il soutenir la réouverture de ces lignes, et donc le désenclavement de ce territoire, en faisant d'Agen un carrefour ferroviaire incontournable ?

M. Philippe Tabarot, ministre.  - Je suis défavorable aux megatrucks, qui feraient perdre 25 % d'activité au fret ferroviaire - je sais que d'autres ici ont un avis différent. (M. Jacques Fernique indique que ce n'est pas son cas.)

Oui, l'année 2023 a été marquée par des défis importants. Mais le fret ferroviaire retrouve des couleurs en 2024, avec 33,1 milliards de tonnes-kilomètre de marchandises transportées, soit un rebond de 12,1 % par rapport à 2023. Maintenons cette dynamique ascendante. Notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable avait fixé un objectif : je le garde en tête.

La stratégie nationale de développement du fret ferroviaire comprend 72 mesures concrètes, que nous mettons en place progressivement. L'État travaille à sécuriser les financements : c'est l'objet de la conférence de financement qui s'ouvre le 5 mai. La loi de finances pour 2025 a prévu 370 millions d'euros pour les aides à l'exploitation. Un tel arbitrage est rare, par les temps qui courent !

Enfin, une bonne nouvelle, en exclusivité : le service d'autoroute ferroviaire entre Cherbourg et Mouguerre, par un armateur privé, va démarrer très prochainement. Nous avons obtenu l'accord de la Commission européenne.

M. Jean-François Longeot .  - La loi Climat et résilience a fixé un objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire d'ici à 2030, introduit par un amendement du rapporteur de notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable - un certain Philippe Tabarot. (Sourires) C'est essentiel pour la décarbonation du transport, sachant que le transport de marchandises est responsable de 13 % de nos émissions de gaz à effet de serre.

Depuis, les vents contraires ont soufflé : grèves, prix de l'énergie, effondrement du tunnel de la Maurienne. L'année 2023 a été marquée par un report modal inversé. Mais la ligne de la Maurienne vient de rouvrir. Le trafic a-t-il retrouvé une trajectoire de croissance ? Quelles sont les perspectives pour 2025 ?

Reste à s'attaquer aux enjeux structurels, dont le vieillissement du réseau, qui entraîne des ralentissements et une pénurie de sillons. Vu l'âge moyen de lignes de fret, il est urgent d'investir pour éviter une baisse du trafic. Le plan Ulysse Fret prévoit 4,5 milliards d'euros entre 2023 et 2035, pour le renouvellement des voies, les équipements de tri à la gravité, les terminaux de fret, le développement du transport combiné, l'augmentation de la capacité du réseau.

Quel sera l'impact de ces investissements ? L'objectif de doublement est-il encore atteignable ? Les travaux ont souvent lieu la nuit. Comment concilier les exigences d'intervention et le maintien du trafic ?

Les péages ferroviaires sont plus élevés pour les trains de voyageurs que pour les trains de fret, ce qui n'incite pas les gestionnaires d'infrastructure à développer le fret. Comment y remédier ?

Enfin, les investissements programmés doivent être effectivement réalisés. La conférence de financement prévoit un atelier dédié. Allez-vous lui soumettre de nouvelles sources de financement, comme l'écotaxe poids lourd qui sera bientôt mise en oeuvre en Alsace ? Développer le fret ferroviaire diminuerait le nombre de poids lourds qui empruntent des routes inadaptées, comme la RN83 dans le Doubs.

M. Philippe Tabarot, ministre.  - Si les années 2021-2022 avaient vu un redressement de la part modale du fret, l'année 2023 a été mauvaise, notamment à cause de la crise énergétique et, il faut bien le dire, des mouvements sociaux, aussi justifiés soient-ils...

M. Alexandre Basquin.  - Pas cet argument, monsieur le ministre !

M. Philippe Tabarot, ministre.  - Ils ont fait du mal...

S'agissant des travaux, SNCF Réseau s'attache à ce que le fret soit bien intégré à la planification : sur la ligne Paris-Limoges-Toulouse, les travaux seront réalisés de jour, pour minimiser l'impact sur le trafic fret.

Les péages ferroviaires français sur le fret sont parmi les plus bas en Europe : 1,08 euro par tonne-kilomètre, quand la moyenne européenne est de 2 euros. Nous travaillons à l'optimisation des sillons, en intégrant la problématique des travaux de nuit.

Sur l'écotaxe, nous attendons l'expérimentation de nos amis du Grand Est et de la Collectivité européenne d'Alsace. Dommage qu'une certaine Ségolène Royal soit revenue en arrière sur l'écotaxe, en son temps. Cela représentait 500 millions d'euros par an, soit 5 milliards d'euros - exactement la somme que nous cherchons aujourd'hui...

Mme Marie-Claude Varaillas .  - Depuis la proposition de résolution de mon groupe du 7 décembre 2022 sur le développement du transport ferroviaire, ce sujet central est resté le parent pauvre de nos débats, sinon pour restreindre le droit de grève et stigmatiser les cheminots - je salue à cet égard les syndicalistes présents en tribune, qui défendent inlassablement les droits des salariés de la SNCF, des usagers et le service public.

Deux ans après les annonces d'Élisabeth Borne, qui promettait 100 milliards d'euros d'ici à 2040 pour faire oublier un contrat de performance fort régressif, la situation s'est aggravée. Le réseau est en mauvais état. Les prix sont exorbitants, forçant les usagers à se rabattre sur la voiture ou l'avion, plus polluants.

L'effort public pour le rail, saboté par des décennies de libéralisme, n'est pas à la hauteur des enjeux environnementaux, alors que 24 % des émissions issues des transports sont liées au transport routier.

Faute d'entretien, les lignes capillaires qui connectent entrepôts et usines au réseau principal ont une moyenne d'âge de 73 ans. Une voie sur quatre a fermé ces six dernières années. Le fret conventionnel a baissé de 19,6 %, le transport combiné de 23,5 %, alors qu'il a gagné 22 % en Italie par rapport à 2019, 10 % en Allemagne, 2 % en Suisse.

À la suite du plan de discontinuité décidé par le Gouvernement en réponse aux injonctions de la Commission européenne, Fret SNCF, démantelé en deux sociétés, a dû vendre du matériel roulant et abandonner 23 lignes, les plus rentables. Son successeur Hexafret se voit obligé de réduire ses parts de marché. C'est une aberration, à l'heure où nous devons réindustrialiser, réduire nos émissions et retrouver notre souveraineté en limitant la place des entreprises étrangères.

Le transport ferroviaire ne peut fonctionner sans soutien public. La recherche du profit et l'ouverture à la concurrence dans ce secteur sont forcément contraires à l'intérêt général. La recherche de la rentabilité maximum conduit à supprimer des emplois, à fermer des guichets voire des gares. Il faut au contraire soutenir l'intermodalité et un maillage fin.

Des financements sont possibles. Il faudra renationaliser les autoroutes dont les concessions prennent fin, en conservant des péages pour financer la décarbonation des transports, dont des services express régionaux métropolitains.

La France ne peut continuer à afficher des ambitions climatiques sans les traduire en actes. Relancer le fret est une exigence économique, écologique et sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Philippe Tabarot, ministre.  - Nous avons agi ces dernières années : triplement des aides à l'exploitation, notamment au wagon isolé, doublement des investissements de l'État dans les infrastructures.

La Commission européenne a ouvert en janvier 2023 une procédure formelle d'examen des aides à Fret SNCF. Le plan de discontinuité, décidé par mon prédécesseur, était nécessaire pour éviter la disparition complète de l'activité fret et de 5 000 emplois de cheminots. Ces emplois, nous les sauvegardons, sans casse sociale.

La discontinuité négociée est proportionnée au regard de la jurisprudence Alitalia. Nous avons garanti trois lignes rouges : préservation de l'outil industriel, ni licenciement, ni report modal supplémentaire vers la route.

Dans le cadre de la conférence de financement qui débutera à Marseille le 5 mai, j'ai souhaité un atelier spécifique sur le transport de marchandises. J'espère que nous aboutirons à un fléchage des financements venant de la route, notamment des autoroutes.

M. Jacques Fernique .  - Merci à nos collègues communistes pour ce débat, alors que nous attendons le rapport de synthèse de notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et que nous sommes à la veille d'une conférence de financement.

La volonté du Gouvernement est-elle bien de sécuriser le financement de la trajectoire d'investissement nécessaire pour l'essor du fret ferroviaire d'ici à 2040 ? Alors que la loi de finances subit un nouveau rabot, le ferroviaire, notamment le fret, sera-t-il touché par le reflux des crédits de l'écologie ? Quid du plan Ulysse Fret ? Remettez-vous en cause les 4 milliards d'euros annoncés pour le fret ?

Il est trop tôt pour connaître les conséquences du démantèlement de Fret SNCF, mais où en sommes-nous de la trajectoire fixée par la loi Climat et résilience ? Maintenez-vous l'objectif de doublement de la part modale en 2030 ?

L'effort à consentir pour le fret ferroviaire n'est pas une mise sous perfusion. Certes, le wagon isolé nécessite par nature un soutien public pour être rentable, certes, nos péages pour les trains de fret sont très bas, mais n'oublions pas que le ferroviaire consomme six fois moins d'énergie que le camion, et neuf fois moins de carbone à la tonne transportée ! Pour que ces atouts puissent se déployer, il faut imiter nos voisins qui ont opéré un rééquilibrage compétitif entre la route et le rail, car le transport routier ne paie pas ses externalités négatives.

Alsacien, je mesure la différence avec nos voisins. La Suisse, l'Allemagne ou les Pays-Bas ont investi pour des sillons performants, des terminaux connectés, et imposé des taxes poids lourds significatives. Dégager de telles recettes permettrait l'investissement massif nécessaire pour moderniser les voies de service. Augmentons les prélèvements sur le transport routier, plutôt que d'en rester au minimum que prévoit la directive Eurovignette.

L'insuffisante capacité de notre réseau vieillissant, le déficit de la qualité de service, les travaux de nuit, la ponctualité déficiente, l'absence de complémentarité avec le routier sont autant d'obstacles à l'essor du ferroviaire - et un projet de directive envisage d'autoriser des méga-camions de 60 tonnes ? Le Sénat a exprimé sa désapprobation, dans une résolution européenne, dont j'étais rapporteur ; vous la partagez, monsieur le ministre. Le sujet est à l'ordre du jour du Conseil transport de juin : quelles perspectives, dans ce trilogue crucial, pour que ce projet ne tourne pas au détriment du fret ferroviaire ?

M. Philippe Tabarot, ministre.  - Malgré les coups de rabot, le projet de loi de finances a prévu 370 millions d'euros par an ; l'enveloppe dédiée au wagon isolé est passée de 70 à 100 millions d'euros - un petit exploit ! J'espère conserver cette dynamique en 2026.

Les résultats de la réorganisation de Fret SNCF sont encourageants. Hexafret et Technis sont opérationnels depuis janvier. Deux tiers du personnel ont déjà retrouvé un poste au sein du groupe, sans aucun licenciement économique. Les services ont été maintenus, évitant tout report vers la route. Hexafret a signé un contrat avec des entreprises de sidérurgie, bientôt avec des céréaliers, et fonctionne plutôt bien.

Sur la qualité de service, les utilisateurs sont satisfaits des efforts de SNCF Réseau en matière de sécurisation des sillons, de refonte des systèmes d'information et de plateformes de services et d'infrastructures. C'est indispensable pour faire prospérer le fret et tenir les engagements pris dans la loi Climat et résilience.

M. Olivier Jacquin .  - Je remercie grandement le groupe communiste pour ce débat très politique, tant les impacts du fret sont forts et pourtant mal mesurés.

Le fret ferroviaire est un vecteur essentiel de la réindustrialisation, un maillon essentiel de notre système de défense à l'heure du retour de la guerre sur notre continent, un outil essentiel d'aménagement durable du territoire et de lien entre les territoires. En cela, il est d'utilité démocratique. C'est un outil indispensable face à la crise écologique : moins de camions, c'est moins de pollution, de pertes de recettes pour l'État français dues aux traversées sans faire le plein, d'usure des routes. Nos concitoyens paient pour des camions qui dégradent nos infrastructures. Qu'en sera-t-il demain si les méga-camions sont autorisés ? La course au gigantisme doit cesser.

Le fret ferroviaire, comme le fret fluvial, est l'un des principaux vecteurs de réduction des externalités négatives du transport routier. Un gage d'efficacité et d'économies, à l'heure où vous cherchez 40 milliards d'euros d'économies supplémentaires. Assez des têtes à queue, comme sur le Pass rail. Il faut donner des perspectives sur le temps long.

Adoptons les solutions qui ont fait recette ailleurs ! Nos amis suisses et autrichiens ont interdit la circulation routière sur les axes dotés d'une véritable alternative ferroviaire.

Pouvez-vous nous faire un point de situation, monsieur le ministre ? Le flux et de la volumétrie de marchandises transportées sont-ils en hausse ou en baisse ? Où en est-on de la réalisation des 72 mesures de la stratégie nationale de 2020, dont plusieurs jalons étaient fixés pour 2022 ? Pouvez-vous vous engager à rendre régulièrement compte des évolutions du secteur devant le Parlement ?

Quid de la pérennité en 2026 des aides à la pince, que nous avions rehaussées de 30 millions d'euros dans le projet de loi de finances ?

La stratégie nationale pour le fret ferroviaire, le plan Ulysse sont-ils encore tenables, alors que vous recherchez 40 milliards d'euros d'économies ? Allez-vous encore mettre les collectivités à contribution ? Après les injonctions au département de Meurthe-et-Moselle et à la métropole de Nancy pour relancer une ligne d'équilibre du territoire à destination de Lyon, voilà que vous voulez inscrire le fret dans le CPER.

Comment allez-vous lutter contre les méga-camions ? Les gouvernements précédents n'ont pas utilisé toutes les armes à leur disposition face à la Commission européenne, mais désormais il faut se tourner vers l'avenir.

Pouvez-vous nous rassurer sur la viabilité économique d'Hexafret ? Où en sommes-nous de l'ouverture du capital ? De la réattribution des 23 lignes que devait lâcher la SNCF ? Le ferroviaire tient son rang, avez-vous dit, et le trafic routier n'a pas progressé.

Je dois enfin évoquer la situation sociale de l'entreprise. L'inquiétude était forte en fin d'année dernière. Votre prédécesseur s'était voulu rassurant sur l'absence de plan social. Pour autant, le climat ne semble pas radieux. Comment développer le ferroviaire sans cheminot ? Il est temps de lancer un grand plan pour l'emploi et les compétences.

Nous nous sommes battus ensemble ici, monsieur le ministre, pour renforcer les investissements publics en faveur de cet outil stratégique. Souhaitons que vous parveniez à sortir le fret ferroviaire de l'impasse.

À une semaine de la conférence Ambition France Transports, je vous invite à reprendre votre proposition de loi du 11 janvier 2022 pour mieux valoriser le fret dans le contrat de performance de SNCF Réseau, et à expérimenter l'obligation d'emprunter le rail ou le fleuve sur les axes des autoroutes ferroviaires. Êtes-vous prêt à lancer la réflexion ?

Enfin, je reconnais que l'abandon de l'écotaxe par une ancienne ministre fut une erreur absolue : il faut au contraire généraliser une écotaxe poids lourd, en suivant la voie ouverte par la région Grand Est. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et du GEST)

M. Philippe Tabarot, ministre.  - Je salue votre détermination, monsieur Jacquin : nous l'avons en partage.

Je vous ai dit ma position sur les méga-camions. Le report modal tuerait définitivement le fret ferroviaire en faisant chuter l'activité de 25 %.

Nous avons une partie à gagner d'ici le mois de juin, car si la présidence polonaise est plutôt défavorable aux méga-camions, ce n'est pas le cas de la présidence danoise qui prendra sa suite... J'y mettrai toute mon énergie.

La Suisse et l'Autriche taxent fortement la route - n'ayant pas eu de Ségolène Royal, ils ont pu mener la politique qu'ils voulaient. (Sourires)

Les deux tiers des 72 mesures de la stratégie nationale sont en cours de mise oeuvre, je vous transmettrai les éléments.

Hexafret ouvrira son capital en 2026 comme il s'y était engagé. Cinq cents collaborateurs ont été reclassés au sein du groupe SNCF ; nous veillons à l'accompagnement social.

Le Pass rail coûtait 12 millions d'euros. Nous préférons investir cet argent dans le fret, car les régions étaient peu allantes. Nous trouverons un meilleur produit.

Soyons positifs, cessons de parler du fret ferroviaire négativement. Les acteurs de 4F (Fret Ferroviaire Français du Futur) y croient plus que jamais. Il y a une vraie envie de continuer à investir dans le fret ferroviaire. Sachons l'accompagner.

M. Pierre Jean Rochette .  - J'aurai une voix peut-être dissonante, mais complémentaire. Dans le ferroviaire, il est bon d'avoir plusieurs voies !

Nous devons relancer tout l'écosystème autour du fret ferroviaire. La chaîne logistique ne se limite pas à une brique. Parler du fret sans parler du reste n'est pas la solution. Le fret ferroviaire ne revivra jamais s'il est en opposition avec les autres modes de transport.

S'opposer aux méga-camions est une erreur. Réfléchissons plutôt à une expérimentation encadrée autour des méga-camions qui serve le fret ferroviaire, en complémentarité, plutôt que de les interdire purement et simplement. En effet, les autres pays européens ne les interdisent pas. Avec les méga-camions, on est plus souple, plus agile.

La solution n'est pas dans une interdiction brutale et dogmatique, même si ces méga-camions soulèvent des questions. Si l'on veut relancer le fret ferroviaire, qui permet par nature de transporter les charges les plus lourdes et volumineuses, il faut réfléchir au transport de ces mêmes charges sur le dernier kilomètre. La logistique doit être traitée de A à Z. Le routier est puissant car la chaîne logistique ne fonctionne pas. N'opposons pas les différents modes de transport. Une expérimentation serait une ouverture d'esprit écologique. Il faut avancer sur le camion électrique.

La complémentarité est évidente. Le transport combiné représente 41 % du fret ferroviaire en France, mais le fret ferroviaire à lui seul ne représente que 10 % du transport de marchandises. On est en perte de vitesse, face à des voisins qui ont une vision tout autre : ils n'opposent pas ferroviaire et routier mais les font travailler ensemble.

Les camions ne sont pas adaptés aux longs trajets ; le train est alors meilleur. Mais il y aura toujours le premier et le dernier kilomètre.

Il faut aussi travailler sur les sillons, qui ne sont pas accordés facilement par SNCF Réseau. Modernisons les infrastructures, développons les plateformes multimodales, encourageons la concurrence, facilitons l'accès au rail aux PME et aux petits opérateurs. Nos logisticiens nationaux veulent avoir accès aux licences ferroviaires pour exploiter eux-mêmes du fret sans passer par les opérateurs publics, comme c'est la règle chez nos voisins. Chez nous, les opérateurs privés sont trop peu nombreux. On ne développera pas le fret ferroviaire en s'appuyant uniquement sur des opérateurs publics.

Le fret ferroviaire sert les industries massives - ce n'est pas un travail d'épicier. Inversement, pas de fret performant sans industrie à desservir.

Il faut aussi réfléchir à l'urbanisme. Quand on crée une zone d'activités d'intérêt national ou qu'on installe un opérateur d'importance nationale en France, quid de la connexion au réseau ferroviaire ?

Je suis très favorable au fret ferroviaire, mais nous devons élargir notre spectre.

M. Philippe Tabarot, ministre.  - Nous ne devons pas opposer les modes de transport les uns aux autres, c'est aussi ma philosophie. La complémentarité existe, oui - mais dans le cas spécifique des méga-camions, le coup serait fatal. Je respecte votre position, mais ne la partage pas.

En revanche, je partage votre vision sur le transport combiné, avec pré-acheminement du container par la route. Nous consacrons 50 millions d'euros par an depuis 2021 pour soutenir l'exploitation de ces services. Le schéma directeur de transports combinés, publié en octobre, dessine un maillage cohérent des plateformes sur l'ensemble du territoire.

Vous avez parlé du raccordement direct de certains sites au réseau ferré national : nous avons obtenu de la Commission européenne de pouvoir financer ces projets dans le cadre des CPER.

Sur les sillons, nous améliorons la qualité de service et la visibilité : c'est la clé d'une réussite indispensable pour retrouver des clients qui se sont détournés vers d'autres modes de transport.

Mme Agnès Canayer .  - Je salue l'implication et l'expertise du ministre et remercie le groupe CRCE-K pour ce débat.

Élue du Havre, je mesure la nécessité d'une multimodalité pour le transport de marchandises. Un container qui arrive dans le port du Havre a huit chances sur dix de transiter ensuite par la route, une chance et demie de passer par la Seine et une demi-chance par le rail. Cela a des conséquences environnementales et économiques. Comment demain garantir une logistique décarbonée et performante ?

Plus de 325 millions de tonnes de marchandises passent par nos ports. Comment garantir qu'ils soient connectés à un réseau ferroviaire ?

L'ambition de porter la part modale du fret ferroviaire à 18 % en 2030 et 25 % en 2050 se heurte à la saturation chronique du réseau, notamment en Normandie. C'est pourquoi la ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN) est tant attendue par les acteurs économiques.

Faire du Havre le port de Paris n'est pas une idée nouvelle. Et si Haropa donne corps à l'Axe Seine, le lien entre la capitale et le port du Havre ne peut être seulement fluvial. Pensée dès 1991, portée en 2009 par le président Sarkozy, la LNPN est toujours bloquée par une opposition de la région Île-de-France et la lenteur des études préalables. Or elle désaturerait le réseau existant, soulagerait nos autoroutes, faciliterait la desserte de Paris, étendrait l'hinterland portuaire. Harepa traite 80 % de ses volumes dans un rayon de moins de 160 kilomètres, contre 250 kilomètres pour les ports du range nord ! Si nous voulons faire de l'Axe Seine la colonne vertébrale logistique nationale, cela passe par la LNPN. Le coût du projet est estimé à 10 milliards d'euros, avec une réalisation par phase à l'horizon 2040.

En attendant, pour pallier le manque d'attractivité du fret ferroviaire, il faut investir massivement dans le réseau, renforcer les lignes, augmenter le maillage, s'inspirer des bonnes pratiques européennes, notamment de la Suisse, qui, depuis 2016, réserve à long terme des sillons au fret afin d'assurer l'équilibre entre trains de passagers et de marchandises.

Je me félicite qu'Haropa et SNCF Réseau recherchent des solutions concrètes pour le déploiement du ferroviaire sur l'Axe Seine. C'est une étape importante, en lien avec la stratégie nationale bas-carbone.

Le coût des modes de transport combiné ne peut être évincé. L'aide à la pince, de 23 euros par transbordement, réduit l'écart de compétitivité entre le rail et la route. L'enveloppe budgétaire allouée dans le cadre du plan fret était de 47 millions d'euros par an pour 2021-2024. En novembre dernier, le précédent Gouvernement avait pris l'engagement de préserver ces moyens jusqu'en 2030. C'est bien, mais il faut aller plus loin, concentrer ces aides sur les axes stratégiques.

Face aux impératifs climatiques et énergétiques, le fret ferroviaire doit être la solution stratégique. Le rail est le mode de transport massifié par excellence pour tous les grands pays. Faisons du fret ferroviaire non un supplément mais un pilier de notre politique industrielle, environnementale et territoriale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Philippe Tabarot, ministre.  - Mobiliser les modes de transport massifiés comme le ferroviaire et le fluvial est un enjeu majeur pour la desserte des hinterlands des grands ports maritimes.

En 2023, ils représentent 22,5 % des pré et post-acheminements portuaires, un niveau stable depuis la fin de la crise sanitaire.

Mais nous devons être plus ambitieux. D'où la mise en place de deux stratégies complémentaires : la stratégie portuaire en 2021 et la stratégie nationale du fret ferroviaire en 2022. Entre 2023 et 2027, 164 millions d'euros auront été mobilisés pour améliorer la desserte de nos ports.

La logistique et la multimodalité sont au coeur du développement du port du Havre. La chatière, qui reliera directement le fleuve à Port 2000, le port en eaux profondes, sera opérationnelle en 2026, renforçant ainsi l'efficacité de notre chaîne logistique. En outre, 25 millions d'euros sont prévus pour améliorer la desserte ferroviaire de Port 2000.

Un investissement de plus de 120 millions d'euros est également prévu pour le projet Port Seine-Métropole Ouest, opérationnel en 2040.

Je suis conscient du caractère primordial de la LNPN pour votre région. Serge Castel, le nouveau délégué interministériel au développement de la vallée de la Seine, poursuivra la concertation avec les élus.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth .  - Le fret ferroviaire est un sujet majeur pour notre économie, pour l'environnement et pour l'avenir de notre système de transport.

Il a toutefois connu de nombreuses difficultés. Le trafic est resté stable entre 1990 et 2000, à 52 milliards de tonnes-kilomètre. Puis il a baissé régulièrement, pour chuter à 30 milliards de tonnes-kilomètre en 2010. La part du fret ferroviaire dans le transport de marchandises est passée de 20 % en 1990 à 10,5 % en 2006 ; depuis, elle stagne.

La géographie industrielle de la France ne favorise pas le fret ferroviaire : les sites de production sont dispersés et la part de l'industrie dans l'économie a baissé depuis vingt ans. Les clients demandent des livraisons rapides et flexibles, ce qui favorise le transport routier.

Pourtant, le fret ferroviaire est moins polluant, il consomme moins d'énergie et évite les accidents sur les routes.

À l'heure de la transition énergétique, il faut développer des modes de transports propres. Le fret ferroviaire pourrait en outre désengorger les routes. Mais cela suppose des investissements importants pour moderniser les infrastructures ou construire de nouveaux terminaux.

En 2021, le Gouvernement a lancé une stratégie nationale pour le fret ferroviaire. Publié en mars dernier, le plan Ulysse Fret prévoit 4 milliards d'euros d'investissement, avec, entre autres, la rénovation de 2 700 km de lignes capillaires. Quelque 200 millions d'euros sont prévus pour moderniser la gestion du trafic.

Comment garantir que ces investissements soient faits dans les délais ? Comment assurer la pérennisation des lignes de fret existantes, notamment celles menacées par le démantèlement de Fret SNCF ?

M. Philippe Tabarot, ministre.  - Vous avez résumé les grandes lignes du débat. Le Gouvernement a choisi de soutenir massivement le secteur. La stratégie nationale se traduit par deux engagements financiers : le renforcement du soutien à l'exploitation, d'une part, et la rénovation des lignes capillaires, d'autre part.

L'effort doit être amplifié : c'est l'objectif de la conférence de financement Ambition France Transports qui s'ouvrira le 5 mai en présence du Premier ministre.

Le plan Ulysse Fret, issu d'une large concertation, constitue notre feuille de route pour la période 2023-2032. Il associe les acteurs de la profession et servira de base à la prochaine conférence de financement.

Vous avez raison : les livraisons rapides renforcent le mode routier. Les recommandations de l'excellent rapport de Nicole Bonnefoy et de Rémy Pointereau doivent désormais être appliquées.

M. Franck Dhersin .  - Je remercie le groupe CRCE-K pour ce débat.

Nous souhaitons tous ici que la part modale du fret ferroviaire atteigne 25 % en 2030. Mais il est d'ores et déjà acquis que cet objectif ne sera pas atteint. Pis : la part modale du fret a diminué en 2024.

Les années passent et le constat demeure. Pourquoi est-il si difficile de faire progresser le transport ferré de marchandises, alors que sa part modale est deux fois plus élevée en Allemagne, trois fois plus en Suisse ?

Le respect des délais de livraison est un critère fondamental pour les chargeurs. Or le fret est trop souvent la variable d'ajustement : sillons de piètre qualité, travaux nocturnes, temps de trajet peu compétitifs face à la route et mauvais état général du réseau.

Une proposition pour rendre notre réseau plus robuste. Les recettes du système européen d'échange d'émissions carbone, l'ETS (Emissions Trading System) augmentent depuis deux ans. Une partie est déjà fléchée vers l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Pourquoi ne pas en flécher une autre partie vers l'entretien du réseau ? Cette somme pourrait aussi servir à dédommager SNCF Réseau, en contrepartie d'une baisse des péages pour les lignes non rentables, afin de stimuler le nombre de circulations.

Les opérateurs alternatifs pourraient générer jusqu'à 900 millions d'euros de recettes en dix ans, grâce aux péages. Ainsi, en dix ans, nous disposerions de 1,5 à 2 milliards d'euros de recettes supplémentaires par an pour le réseau, sur la base de la somme affectée à l'Anah, soit 700 millions d'euros.

Avec les moyens financiers actuels, nous n'arriverons pas à redresser notre réseau. Faisons preuve d'audace ! Comptez-vous défendre cette position auprès du Premier ministre ? Rendez-vous le 5 mai à Marseille !

M. Philippe Tabarot, ministre.  - L'objectif est plutôt de doubler la part modale du fret ferroviaire, pour atteindre 18 %.

Je suis favorable à l'affectation de nouvelles recettes. Nous en parlerons le 5 mai lors de la conférence de financement. J'espère que celle-ci débouchera sur des propositions innovantes. Alliance 4F a évoqué la possibilité d'un financement privé pour certains aspects.

Le ferroviaire pourrait en effet profiter des recettes de l'ETS - mais nous ne sommes pas les seuls sur le coup. (Sourires) Cela dit, je m'emploierai à distiller cette idée au sein du Gouvernement.

M. Franck Dhersin.  - Merci beaucoup !

M. Jean-Marc Delia .  - La relance du fret ferroviaire est un enjeu majeur. En tant que petit-fils de cheminot, ce sujet me touche. J'ai grandi avec le récit de ces femmes et de ces hommes qui ont fait vivre le réseau ferroviaire avec un dévouement sans faille.

Le Gouvernement souhaite doubler la part modale du fret ferroviaire de 9 à 18 % d'ici à 2030, conformément aux objectifs de la loi Climat et résilience, qui ont été repris dans la stratégie nationale.

Soyons clairs : relancer le fret impose des actes forts.

Le premier pilier consiste en des investissements massifs : tel est l'objet du plan Ulysse Fret. Il faut moderniser le réseau et redonner vie à des lignes capillaires, notamment. Ces investissements sont vitaux pour éviter la dégradation du service et la disparition de la moitié du trafic dans les dix ans à venir.

Dès 2026, 62,5 millions d'euros seront investis chaque année, puis 75 millions d'euros ensuite. Les investissements annoncés sont non une rustine, mais une vraie cure de jouvence pour notre réseau !

Le deuxième pilier consiste en un soutien financier renforcé de l'État : quelque 200 millions d'euros par an seront mobilisés jusqu'en 2030. C'est le gilet de sauvetage du secteur, dont la rentabilité reste fragile. Cette stabilité financière offre aux opérateurs la visibilité nécessaire pour investir et innover.

Le troisième pilier est le développement du transport combiné et de l'intermodalité. Nous voulons multiplier le transport combiné par trois en dix ans et améliorer l'articulation entre le fret ferroviaire et les autres modes de transport.

Le quatrième pilier est l'amélioration de la qualité de service : plus de fiabilité, de ponctualité et de compétitivité. Nous misons notamment sur la numérisation des procédures pour les chargeurs. Le modèle économique du fret est encore fragile, plombé par des péages élevés et le manque de visibilité.

La modernisation du réseau impose une planification rigoureuse. La conférence de financement Ambition France Transports doit apporter des réponses concrètes et pérennes.

Relancer le fret ferroviaire demande l'huile de coude, des investissements importants et de la ténacité. Embarquons tous dans ce train, pour éviter que le routier ne prenne la tête du convoi. Nous le devons à ceux qui ont fait du rail l'épine dorsale de notre économie et nous offrirons ainsi à nos territoires un avenir logistique durable et performant.

M. Philippe Tabarot, ministre.  - Monsieur Delia, je suis heureux et fier de vous entendre à cette tribune.

Le Gouvernement soutient le fret ferroviaire, qui émet neuf fois moins de tonnes de CO2 que le fret routier et consomme six fois moins d'énergie par tonne transportée.

Nous avons besoin de persévérance et d'investissements importants. Le Gouvernement a défini une stratégie claire et priorisé les investissements. Mais il faudra être patient pour voir les résultats concrets de notre action.

Le premier défi est de boucler le financement de la démarche. C'est pourquoi j'ai voulu que le fret ferroviaire soit un thème à part entière de la conférence de financement qui s'ouvrira la semaine prochaine à Marseille, en présence du Premier ministre.

M. le président.  - Veuillez poursuivre, pour votre conclusion.

M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports .  - Ce débat a mis en évidence les défis auxquels le fret ferroviaire est confronté. Mais, quand nous regardons dans le rétroviseur, nous pouvons être fiers de la première étape franchie pour donner une nouvelle chance à ce secteur essentiel pour la transition écologique.

Je salue le travail structurant et visionnaire de l'Alliance 4F. SNCF réseau, les entreprises ferroviaires, le Cerema et d'autres encore ont joué un rôle décisif.

La dynamique issue de cette stratégie concertée se poursuivra, suivant les quatre axes prioritaires dont j'ai parlé : restauration du modèle économique, amélioration de la qualité de service, investissement dans les infrastructures et renforcement de la coordination.

L'État s'engage financièrement de manière importante, notamment pour l'aide au wagon isolé, seule mesure en hausse dans le budget des transports terrestres. Nous avons mené un travail considérable pour aider le secteur à surmonter ses difficultés depuis le covid. Nous devons garantir la pérennité de ces investissements dans un esprit de complémentarité entre les modes de transports, tout en sécurisant l'ouverture du capital d'Hexafret, qui signe de nouveaux contrats, autant de bonnes nouvelles.

Le moment est décisif pour l'avenir du secteur. Le fret ferroviaire est un pilier de notre politique de décarbonation et d'aménagement du territoire. Il permet de réduire les émissions de CO2 : un train de fret représente l'équivalent de 40 camions. Je sais pouvoir compter sur vous pour soutenir la réinvention du secteur. Quand un train de fret circule, l'avenir de nos territoires se met en mouvement. Le défi est immense, mais la France du rail a toujours su repousser ses limites. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et CRCE-K)

M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe CRCE-K .  - Je remercie mon groupe d'avoir suscité ce débat sur la logistique, thématique qui me tient à coeur. Je remercie aussi les orateurs qui se sont exprimés et le ministre.

Nous nous accordons sur un point : le transport de marchandises est un enjeu qui doit nous mobiliser davantage. La logistique évolue à l'heure du numérique et de l'IA, mais, tant que nous n'aurons pas développé la téléportation, nous aurons besoin de solutions pour transporter des marchandises, dans le respect de l'environnement.

Dans le Pas-de-Calais, la plateforme Delta 3 a été construite sur une ancienne friche minière, en bordure du canal de la Deûle, qui sera bientôt reliée au canal Seine-Nord Europe. Je vous invite, monsieur le ministre, à vous rendre sur place... Il y a vingt-cinq ans, nous pensions faire passer des bâtiments de six à sept mètres de haut ; aujourd'hui, certains font douze mètres !

Nous nous accordons sur la nécessité de soutenir le fret ferroviaire. La décision européenne de démanteler Fret SNCF répond à une logique, celle de la marchandisation de la société : là où il y a un besoin, il y a un marché qui doit générer du profit. Mais cela mène à des dérives. En l'occurrence, les camions sont préférés au fret ferroviaire... Il y a encore quelques mois, lorsqu'une entreprise avait un conteneur à faire transporter par Fret SNCF, bien souvent il était transféré sur Geodis, la filiale de transport routier de la SNCF !

Le Parlement européen a même proposé d'autoriser les méga-camions il y a un an, alors qu'ils sont une véritable aberration écologique, et une concurrence déloyale puisqu'ils ne paient que l'entretien des autoroutes, et non celui des routes départementales, qu'ils préfèrent souvent.

L'ouverture à la concurrence nuit au fret ferroviaire. Les acteurs privés cibleront les lignes les plus rentables. La recherche de rentabilité ne permet pas de répondre aux besoins des usagers.

On le voit : il y a deux visions dans cet hémicycle comme au sein de la commission. Notre groupe considère que le fret ferroviaire ne doit pas être soumis aux lois du marché.

Comment relancer le fret ferroviaire ? D'abord en s'abstenant de lui mettre des bâtons dans les roues !

Nous attendons les conclusions de la grande conférence Ambition France Transports, qui se tiendra à Marseille. Il faudrait plusieurs milliards d'euros par an. Nous, nous savons où les trouver : les fonds autoroutiers. Vous auriez dit que vous pourriez être favorable à y réfléchir... J'espère que votre conviction reste intacte, monsieur le ministre.

M. Philippe Tabarot, ministre.  - Plus, plus !

M. Jean-Pierre Corbisez.  - Notre groupe plaide pour la nationalisation des autoroutes, les péages étant dès lors consacrés au ferroviaire ; mais on peut aussi envisager de taxer les profits des concessions.

Tout reste à faire. J'espère que les choix qui seront faits lors de l'examen du projet de budget souligneront cette volonté commune de relancer le fret ferroviaire. (Applaudissements)

Modification de l'ordre du jour

M. le président.  - Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l'inscription en deuxième point de l'ordre du jour du lundi 19 mai, de la lecture, sous réserve de leur dépôt, des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à aménager le code de la justice pénale des mineurs et certains dispositifs relatifs à la responsabilité parentale et du mercredi 21 mai, de la lecture, sous réserve de leur dépôt, des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi renforçant la lutte contre les fraudes aux aides publiques.

Acte est donné de cette demande.

Prochaine séance demain, mardi 29 avril 2025 à 9 h 30.

La séance est levée à 20 h 35.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mardi 29 avril 2025

Séance publique

À 9 h 30, 18 h 30 et le soir

Présidence : Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente M. Xavier Iacovelli, vice-président M. Alain Marc, vice-président

Secrétaires : M. Fabien Genet, Mme Catherine Conconne

1Questions orales

2Débat sur les défaillances d'entreprises (demande de la délégation aux entreprises)

3. Débat sur les initiatives européennes en matière de simplification et d'allègement de la charge administrative pesant sur les entreprises (demande du groupe Les Républicains)