Sortir la France du piège du narcotrafic et Statut du procureur de la République anticriminalité organisée (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République anticriminalité organisée.
La Conférence des présidents a décidé que ces textes feraient l'objet d'explications de vote communes.
Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat de la CMP . - La commission d'enquête mise en oeuvre en novembre 2023 à l'initiative du groupe Les Républicains, qui a donné lieu à un travail transpartisan, a montré combien le narcotrafic porte atteinte aux intérêts de la nation.
Jérôme Durain et Étienne Blanc ont déposé une proposition de loi qui traitait, pan par pan, tous les sujets pour lutter efficacement contre le narcotrafic. Elle a été votée à l'unanimité du Sénat. Après discussions avec les députés, nous avons trouvé un accord sur l'intégralité du texte.
Nous avons décidé de la création d'un parquet national anticriminalité organisée (Pnaco), qui coordonnera l'action des autres parquets en matière de criminalité organisée et de narcotrafic. J'espère que ce parquet sera opérationnel dès janvier prochain - je vois le garde des sceaux qui acquiesce.
Nous changeons le régime des mises en liberté : c'est crucial. Quand on est détenu, on doit être jugé dans des délais impartis. Mais quand on est libre, la décision peut ne pas intervenir, car nos juridictions sont encombrées. Nous devions donc freiner la guérilla procédurale menée par les narcotrafiquants, qui soulèvent des moyens procéduraux de mauvaise foi pour être remis en liberté.
Nous avons aussi beaucoup travaillé sur l'incarcération. À l'Assemblée nationale, le garde des sceaux a proposé la création de quartiers de lutte contre la criminalité organisée. Nous y sommes favorables et avons abouti à un dispositif équilibré, puisque la décision du ministre sera réinterrogée tous les ans pour limiter l'atteinte aux libertés individuelles.
Il est important que ce texte soit à nouveau adopté à l'unanimité au Sénat, car nous devons parler d'une seule voix, face à l'hydre du narcotrafic et son cortège de violences et de corruption. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE)
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice . - Merci aux parlementaires pour leur travail sur ce texte si important pour nos magistrats et nos forces de l'ordre. Merci à MM. Blanc et Durain, même si une fois accouché, le bébé a grossi. Il a été enrichi, avec votre accord monsieur le rapporteur, tant sur le Pnaco que sur diverses dispositions pour nos magistrats spécialisés.
Divers articles - qui ne sont pas des cavaliers, puisque le texte comportait des dispositions pénitentiaires - créent un nouveau régime carcéral inspiré du modèle italien. La première prison de haute sécurité ouvrira en juillet, à Vendin-le-Vieil ; puis, en octobre, celle de Condé-sur-Sarthe. Les deux cents narcotrafiquants les plus dangereux y seront enfermés.
Nous rompons ainsi avec la tradition pénitentiaire française qui catégorisait les détenus selon leur statut devant la justice - détention provisoire, condamnation pour peine - et non selon leur dangerosité. C'est ainsi que 70 % des détenus incarcérés à Vendin-le-Vieil seront en détention provisoire.
Nous isolons les narcotrafiquants du reste de la société pour les empêcher de continuer de gérer leurs points de deal, de blanchir leur argent, de commanditer des assassinats, de menacer les uns ou les autres, etc. Il faut couper le lien social entre les détenus et l'extérieur.
Ce régime carcéral extrêmement original et difficile pose des questions. J'ai donc souhaité mener ce travail avec MM. Durain et Vicot, pour la gauche. J'ai également souhaité que le Conseil d'État soit saisi, et nous avons suivi son avis positif à la virgule près pour passer les fourches caudines du Conseil constitutionnel. Dans un esprit de compromis, nous avons limité ce régime carcéral à un an renouvelable, afin de recueillir l'assentiment du groupe socialiste. C'est un bon compromis républicain.
Ce nouveau régime carcéral stressera les narcotrafiquants. Nous le voyons avec les récentes prises à partie de l'administration carcérale. En attaquant les centres de détention, mais aussi les domiciles des agents, les narcotrafiquants ont espéré déclencher une grève, mais les agents ont été courageux et ont tenu. Merci aux parlementaires, qui les ont soutenus. Je remercie les forces de l'ordre d'avoir interpellé une partie des responsables de ces menaces.
Dès que le Conseil constitutionnel aura rendu son avis - il semblerait qu'il sera saisi par le groupe LFI -, nous préparerons les décrets, que nous soumettrons à la présidente de la commission des lois, pour que ce nouveau régime carcéral s'applique dès le 31 juillet, faisant de Vendin-le-Vieil la première prison de haute sécurité de notre pays, alors que nous commémorerons le 14 mai prochain le massacre d'Incarville.
L'anonymisation des agents pénitentiaires a été supprimée par erreur en CMP. Je proposerai donc deux amendements pour y remédier. Lorsqu'ils découvrent un téléphone portable ou décident d'une mise en cellule disciplinaire, les agents doivent indiquer leur nom, ce qui les expose à des menaces à l'extérieur et crée un climat d'insécurité. Depuis longtemps, ils demandaient que leur nom soit remplacé par leur numéro de matricule, comme c'est le cas depuis 2021 pour les officiers de police judiciaire. Cette anonymisation pourrait être rétablie pour Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil, mais également étendue à toutes les prisons.
L'administration pourrait ainsi retrouver la personne qui a fait usage de son pouvoir administratif, sans que son nom soit jeté en pâture. Ces amendements de bon sens sont un signe d'encouragement pour notre administration pénitentiaire.
Madame la présidente, le Pnaco sera bien au rendez-vous au 1er janvier. Nous pourrons l'inaugurer ensemble.
Avec le ministre de l'intérieur, nous interpellerons davantage et donnerons un coup d'arrêt à l'extension du narcotrafic dans notre pays. Pour la première fois, nous regagnons du terrain - les attaques de prisons le démontrent - et faisons très mal aux narcotrafiquants. Nous le devons au Sénat, aux magistrats, aux greffiers et aux forces de l'ordre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE)
M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur . - Peu de textes ont cette force. Je l'ai déjà dit le 4 février, ce texte n'a rien de banal : c'est un texte régalien puissant qui émane du Parlement, ce qui est très rare - particulièrement du Sénat.
Je me souviens de la commission d'enquête, du vote à l'unanimité du Sénat le 4 février, et de celui, très large, à l'Assemblée nationale - une bonne surprise !
Il est tout aussi rare, par les temps qui courent, qu'un texte soit adopté par une telle majorité. Signe que les clivages peuvent être transcendés quand il s'agit des intérêts fondamentaux de la nation. Le narcotrafic est à la racine de nombreux homicides et engendre une corruption qui ébranle nos institutions.
Il y aura un avant et un après. Ce matin, nos forces de sécurité intérieure ont interpellé une trentaine des narcoracailles qui ont visé des établissements pénitentiaires et des domiciles d'agents. Preuve que ce texte dérange le milieu du narcotrafic, auquel nous avons déclaré la guerre.
Avec ce texte, nous avons un arsenal qui va tout changer.
Dans quelques semaines, j'installerai l'état-major qui se chargera de la lutte contre cette criminalité. Un même plateau regroupera les services de renseignement de quatre ministères : l'intérieur, l'économie, la justice, les armées - comme nous l'avons fait contre le terrorisme. Nous décloisonnons l'État, l'information circulera. Face à ces réseaux très coordonnés, l'État sera donc beaucoup plus agile.
Nous nous mobilisons aussi contre le blanchiment d'argent et la corruption. Nous n'avons voulu désigner aucune profession en particulier, mais vous savez bien que certaines, publiques ou privées, sont particulièrement concernées. Il nous fallait, là aussi, un réarmement régalien, tant la criminalité organisée charrie de milliards d'euros.
Il faut aussi adapter le renseignement aux nouvelles technologies d'interception. Nous ferons un pas décisif avec de nouveaux outils, car les narcotrafiquants sont extrêmement dangereux.
Les élus seront satisfaits que les préfets disposent désormais d'un pouvoir d'interdiction de paraître sur un point de deal et de substitution au bailleur pour expulser de son logement social la narcoracaille qui pourrit la vie de l'immeuble. Les pouvoirs du préfet en matière de fermeture de commerce seront également étendus, pour fermer les blanchisseuses. Le maire de Belfort m'expliquait avoir dû acheter pas moins de trente commerces pour éviter ce phénomène.
Merci de l'initiative de la commission en faveur de nos agents qui posent les appareils de renseignement. Nous avons affiné le dossier coffre, désormais dénommé procès-verbal distinct, et le Conseil d'État a validé nos choix : protéger notre personnel et sauver des vies, sans remettre en cause nos équilibres constitutionnels.
Un immense merci à celles et ceux qui ont participé à ce parcours parlementaire, dont Jérôme Durain et Étienne Blanc. J'espère un nouveau vote unanime.
Nous avons un nouvel arsenal, mais plus encore, une volonté. Je n'ai jamais dit que le combat contre la criminalité organisée serait facile, que nous l'éradiquerions en quelques mois. Ce sera long, mais nous avons désormais les armes et la volonté nationale d'y parvenir. Cela donne une force à la République et à la France. Merci de l'avoir compris. Par votre vote, donnez le maximum de force à ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE)
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - La lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée est une priorité absolue du Gouvernement. Le Premier ministre l'avait souligné lors de sa déclaration de politique générale. Chaque jour, l'actualité nous rappelle l'ampleur de la menace.
Ministre chargée des comptes publics, je ne tolère pas la perte de recettes fiscales ni le détournement d'argent public liés à cette criminalité. Je suis également ministre des douanes. Or les douanes, et plus précisément la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), Tracfin et la direction générale du Trésor luttent activement contre le narcotrafic.
Merci d'avoir pris l'initiative de cette proposition de loi. Par un travail collaboratif, nous avons pu identifier les besoins et penser un corpus législatif adapté à cette menace. Cela accompagne le travail considérable accompli par Bercy et je salue la mobilisation sans relâche de la douane, de Tracfin et de la direction générale du Trésor, qui collaborent avec la police judiciaire et l'autorité judiciaire dans le cadre du plan national de lutte contre les stupéfiants.
La proposition de loi renforce considérablement les moyens de mon ministère pour entraver les flux, la logistique et l'enrichissement des trafiquants : gel administratif des avoirs des narcotrafiquants, le Gaban ; interdiction aux fournisseurs de services sur actifs numériques de proposer des comptes anonymes ou des mixeurs de cryptoactifs, vecteurs de blanchiment ; accès de Tracfin au système d'immatriculation des véhicules (SIV) ; extension de la présomption de blanchiment douanier aux cryptomonnaies ; possibilité pour les lanceurs d'alerte d'adresser des signalements à Tracfin.
Toutefois, je regrette que certaines mesures très importantes pour les douanes n'aient pas été retenues en CMP, sur l'accès aux données de certains opérateurs privés de la logistique et des transports et les visites domiciliaires après 21 heures. J'espère que nous pourrons en discuter de nouveau, car l'implication des douaniers - qui saisissent 70 % des stupéfiants - est déterminante.
Les progrès sont indéniables, mais nous avons encore du travail devant nous. Notre mobilisation est nationale et nous combattons inlassablement ce fléau. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE)
Discussion du texte de la proposition de loi élaboré par la CMP
M. le président. - En application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement, puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.
Article 3
M. le président. - Amendement n°6 du Gouvernement.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Amendement rédactionnel.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Avis favorable.
L'amendement n°6 est adopté.
M. le président. - Amendement n°3 du Gouvernement.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Amendement de coordination, afin de renforcer la robustesse constitutionnelle de l'article.
M. Jérôme Durain, rapporteur pour le Sénat de la CMP. - Avis favorable.
L'amendement n°3 est adopté.
Article 4 bis C
M. le président. - Amendement n°5 du Gouvernement.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - C'est une levée de gage.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Avis favorable.
L'amendement n°5 est adopté.
Article 15 bis B
M. le président. - Amendement n°1 du Gouvernement.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Il s'agit de garantir l'anonymat des agents pénitentiaires. L'utilisation du numéro de matricule permettra de savoir qui a fait quoi.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Avis favorable à l'extension de ce régime aux agents pénitentiaires.
L'amendement n°1 est adopté.
Article 19
M. le président. - Amendement n°8 de Mme Muriel Jourda et de M. Durain, au nom de la commission des lois.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Coordination.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Avis favorable.
L'amendement n°8 est adopté.
Article 22
M. le président. - Amendement n°7 du Gouvernement.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Amendement rédactionnel portant sur les enjeux portuaires.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Avis favorable.
L'amendement n°7 est adopté.
Article 23 quinquies
M. le président. - Amendement n°2 du Gouvernement.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Il s'agit ici de l'anonymisation des agents dans les prisons de haute sécurité. J'espère que le Conseil constitutionnel autorisera les deux régimes que nous créons.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Avis favorable, par cohérence.
L'amendement n°2 est adopté.
Article 26
M. le président. - Amendement n°4 rectifié bis du Gouvernement.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Coordination pour l'outre-mer.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Avis favorable.
L'amendement n°4 rectifié bis est adopté.
M. le président. - Amendement n°9 de Mme Muriel Jourda et M. Durain, au nom de la commission des lois.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Correction d'une erreur matérielle.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Avis favorable.
L'amendement n°9 est adopté.
Vote sur l'ensemble
Mme Laure Darcos . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Laurent Somon applaudit également.) Les drogues menacent notre société, mettent en danger nos valeurs, sapent nos institutions, tuent nos enfants, déclarait Ronald Reagan en 1986.
La tendance américaine d'hier est désormais la nôtre : avec 1 million de consommateurs réguliers de cocaïne, pour 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires, tous nos territoires sont concernés.
La drogue tue : je pense aux surdoses, mais aussi aux victimes des cartels, car les trafiquants menacent, mutilent et assassinent. La drogue est aussi à l'origine de 20 % des accidents mortels sur la route. N'oublions jamais que derrière ces petits sachets, il y a des victimes. Le fentanyl a transformé des centaines de milliers d'Américains en zombies.
Ce texte vise à porter un coup d'arrêt à la criminalité organisée sur notre territoire. Lors de nos débats, certains doutaient de son efficacité et prônaient le renforcement des aides sociales pour lutter contre ces trafics... Ces derniers jours, la violence contre les personnels et les centres pénitentiaires a démontré la pertinence des mesures envisagées. Le groupe Les Indépendants est solidaire des agents pénitentiaires et des forces de sécurité intérieure. La République doit protéger ceux qui nous protègent.
Nous saluons la création du Pnaco, chargé des crimes les plus graves, ainsi que celle d'une infraction de concours à une organisation criminelle, sur le modèle italien, pour poursuivre les membres des gangs.
Les têtes pensantes du trafic veillent à se tenir éloignées des points de deal, mais avec l'amélioration du statut de repenti et l'infiltration, nous en saurons plus sur ces organisations.
Plusieurs dispositifs permettront de fermer les établissements concourant au blanchiment et de geler les avoirs des trafiquants. Le groupe Les Indépendants est attaché au caractère judiciaire des procédures. Il vaut mieux augmenter le budget de la justice que développer les procédures administratives, madame la ministre, pour donner la priorité au régalien.
Le groupe Les Indépendants votera à l'unanimité ces deux textes.
M. Stéphane Le Rudulier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous avons abouti en CMP à un accord ferme, lucide et responsable. La République reprend la main face aux narcotrafiquants. Cet accord marque une avancée décisive dans la lutte contre le narcobanditisme qui menace l'autorité de l'État.
Je salue le travail de la commission d'enquête, et particulièrement Jérôme Durain et Étienne Blanc, grands artisans de ce texte historique.
Je salue l'esprit d'écoute et de dialogue du Gouvernement. Il fallait beaucoup de courage pour porter ce texte ambitieux, dans un contexte marqué par l'idéologie et le déni.
Le Sénat a su peser dans toutes les discussions, et a obtenu gain de cause.
Ce texte est un signal envoyé aux Français, qui ne supportent plus l'impuissance publique, et aux trafiquants qui doivent comprendre que la République ne reculera plus.
Nous passons d'une logique de tolérance à une logique de dissuasion. La rupture était nécessaire. Soyons lucides : le trafic de drogue n'est plus un simple fléau sanitaire et social ; c'est un véritable système mafieux, militarisé, qui infiltre nos cités, notre économie, notre culture. C'est un défi d'autorité et civilisationnel.
L'accord trouvé en CMP est un signal politique, clair, net et attendu par tous les Français qui n'en peuvent plus de voir la République reculer face à des narcomafias qui dictent leur loi dans nos rues, et jusque dans nos institutions.
Je le dis avec gravité, et avec fierté : cette loi incarne un tournant, la fin de la naïveté, le retour de l'autorité.
Ce texte consacre une ligne de fermeté que nous réclamions depuis des années. Quand certains évoquent la liberté individuelle de consommer de la drogue, je préfère parler des mères qui pleurent leurs fils abattus dans les points de deal, des enfants qui traversent les halls d'immeubles infestés de guetteurs armés, de la République humiliée.
Nous avons tenu une ligne qui assume l'ordre, la sécurité, la souveraineté. Il ne s'agit pas de s'excuser, de relativiser, mais d'agir.
Il n'y a pas de République sans courage. À ceux qui trouvent ce texte trop ferme, je réponds que la vraie violence est l'inaction. Oui, il faut faire peur : les trafiquants doivent avoir peur de la justice, de la prison, de perdre ce qu'ils ont volé à la République. La peur doit changer de camp.
Ce texte n'est qu'un début, celui de la reconquête de nos quartiers, de notre souveraineté, de notre pacte républicain. La République est de retour, elle frappe juste et ne tremblera plus.
Le groupe Les Républicains votera ce texte avec détermination, car il incarne ce que nous devons à la France : protéger, rétablir l'ordre, être exigeants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - Depuis des lustres, une guerre fait rage sur le territoire français. Une guerre qui fait de nombreuses victimes, à l'abri des regards, menée par des réseaux organisés qui infiltrent nos écoles, nos quartiers, nos familles.
Nous devons doter la France d'un arsenal législatif à la hauteur. Au Sénat, nous avons défendu une approche ferme face au narcotrafic.
Le texte issu de la CMP préserve le travail du Sénat, comme la création du Pnaco ou le gel administratif des avoirs des narcotrafiquants. Je pense à l'article 15 ter, sur lequel j'avais déposé un amendement pour activer à distance les appareils fixes connectés.
Faisant preuve de responsabilité, les députés ont adopté ce texte à une large majorité. Ils l'ont aussi enrichi, avec par exemple l'article 10 ter B qui renforce les sanctions à l'encontre des narcotrafiquants qui impliquent des mineurs.
Je regrette cependant que le texte reste silencieux sur la prévention.
Le narcotrafic gangrène nos territoires ultramarins. Certains jeunes n'ont d'autre choix que d'avaler des boulettes pour payer leur loyer ! La Guyane, rejointe par la Martinique et la Guadeloupe, est devenue un passage obligé pour les trafiquants.
Le Gouvernement doit assumer pleinement ses responsabilités en matière de contrôle aux frontières. Pour enrayer le phénomène des mules, des scanners doivent être installés à Orly et Roissy, comme en Belgique et aux Pays-Bas.
Je suis fière d'avoir mené ce combat aux côtés d'Étienne Blanc et Jérôme Durain. Le RDPI votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements au banc des commissions)
M. Michel Masset . - Cette proposition de loi témoigne de la qualité de l'initiative parlementaire, particulièrement du Sénat. Issu de la commission d'enquête de Jérôme Durain et Étienne Blanc, ce texte conséquent est très majoritairement accepté.
Nul besoin de rappeler la prégnance du sujet. L'écho médiatique de ce texte le démontre. Français, élus, professionnels du droit, police et gendarmerie connaissent trop bien les réalités du narcotrafic au quotidien, qui touche désormais également le monde rural. Le trafic de drogue dévaste tout sur son passage.
Saluons l'action du législateur, qui renforce l'arsenal répressif. Mais pour lutter contre ce fait de société, la répression ne suffira pas ; il faut aussi accentuer la prévention pour réduire la consommation et les trafics.
Le narcotrafic se nourrissant de la vulnérabilité de certains citoyens, nous avons besoin d'outils de cohésion sociale, de protection de l'enfance, d'éducation, de réinsertion. Tous les citoyens sont concernés, pas seulement les forces de l'ordre, mais aussi les assistants sociaux, le monde associatif, les soignants et les élus locaux.
Le Pnaco, le nouveau régime carcéral, les mesures répressives, le renseignement algorithmique et la surveillance à distance sont des mesures attendues et nécessaires.
Je prends acte de la suppression par la CMP de l'article 8 ter sur l'accès aux messageries chiffrées, du maintien des dispositifs de surveillance dans les lieux privés et de celui du procès-verbal distinct. Ces mesures appellent à la vigilance et le dossier coffre devra être évalué afin de vérifier que l'atteinte aux droits de la défense est proportionnée. J'accepte le consensus trouvé à l'article 16, mais il constitue une atteinte importante aux droits fondamentaux, et in fine fragilise la justice elle-même.
Or la justice a besoin d'être forte plus que jamais. Pour cela, elle doit être fondée sur le respect des droits. Il en va de même des forces de l'ordre qui se voient confier des prérogatives importantes. Leurs moyens humains et financiers doivent aussi être à la hauteur.
Le RDSE votera à l'unanimité cette proposition de loi. (M. Jérôme Durain s'en satisfait.) Mais il reste encore du chemin à parcourir, ensemble. (Applaudissements au banc des commissions)
Mme Isabelle Florennes . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Voilà un bon accord, dans la lignée du consensus du Sénat du 4 février et qui valide le travail de la commission d'enquête de Jérôme Durain et Étienne Blanc.
Nous ne pouvions rester inactifs face au narcotrafic. Comme l'a dit Philippe Marna, les narcotrafiquants sont des logisticiens qui s'adaptent en continu à la réponse policière et douanière.
L'usage de la violence et la volonté de tuer sont devenus monnaie courante : voyez toutes les victimes directes et indirectes de nervis obéissant à des ordres meurtriers !
Notre pays est à la fois un pays de consommation et un pays de transit, voire de rebond, par exemple vers l'Australie. Heureusement, l'engagement des forces de l'ordre et de nos magistrats est tel que nous faisons face vaillamment.
Le texte issu de la CMP est multidimensionnel, combinant réponses immédiates et stratégies de long terme.
Les mesures clés adoptées sont débattues depuis des années. Pouvait-on transposer les dispositions de la lutte contre le terrorisme à la criminalité organisée ? La réponse est oui, avec la création du Pnaco, celle de quartiers pénitentiaires de haute sécurité et l'instauration d'outils de lutte contre le blanchiment.
Deux autres innovations ont été adoptées : la réforme du statut de repenti et la création de la nouvelle infraction dite de concours à une organisation criminelle.
En outre, la fermeture d'établissements participant au blanchiment d'argent sera du ressort exclusif des préfets et la durée de l'isolement dans les quartiers de haute sécurité est passée de deux ans à un an renouvelable.
Enfin, la disposition controversée obligeant les plateformes à communiquer les correspondances a été abandonnée.
Ce texte est conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle les restrictions des libertés publiques doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées.
En adoptant ce texte, nous montrerons que l'État de droit est plus fort que les mafias. Les sénateurs du groupe UC le voteront unanimement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Jérémy Bacchi . - Ma ville, Marseille, connaît bien les réalités du trafic de drogue : ses habitants en sont les premières victimes. Cette gangrène mafieuse prospère sur la misère : la France ne compte pas moins de 9,1 millions de pauvres et un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.
Les plus précaires sont toujours les premières victimes : les enfants de l'aide sociale à l'enfance (ASE) sont particulièrement exposés à cet esclavage - j'ose prononcer ce mot.
Le piège du narcotrafic est multidimensionnel. Mais il faut aussi lutter contre les causes de ce chaos, notamment les inégalités économiques et sociales. Sans quoi notre combat sera vain.
La sécurité, droit fondamental, ne peut exister sans un système plus égalitaire, notamment en matière de santé. Sans cela, nous ne pourrons lutter contre les trafics et les mafias.
Notre justice reste bien moins financée que celle de nos voisins européens. Pour assurer l'équilibre entre les mesures de privation de liberté et le respect de nos fondamentaux, le texte prévoit des verrous, dont l'appréciation sera confiée au juge des libertés et de la détention (JLD). Or si ses responsabilités augmentent sans cesse, les moyens pour lui permettre d'assurer ses missions ne suivent pas. La justice française est paupérisée. L'État de droit ne doit pas être seulement un idéal, mais aussi une réalité pratique.
Ce texte appelle à la plus grande vigilance. La création des quartiers sécurisés présente des risques, soulignés par la Défenseure des droits. Les peines complémentaires d'interdiction de vol prévues pour les mules pourraient avoir des conséquences graves pour des personnes déjà en quasi-esclavage.
L'article 22 introduit de nouvelles mesures contre le trafic de drogues dans les ports. Mon groupe et moi-même sommes attentifs à la situation des travailleurs.
Nous restons convaincus que la lutte contre le trafic de stupéfiants doit s'intégrer dans un projet de développement économique et social. Malgré ces mises en garde, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Jérôme Durain applaudit également.)
M. Guy Benarroche . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Les travaux de notre assemblée sur le narcotrafic avaient rassemblé une forme d'unanimité. L'idée n'était pas seulement d'être méchant avec les méchants, mais de taper au portefeuille le haut du spectre. La commission d'enquête a formulé 35 recommandations ; beaucoup ont été reprises dans ce texte.
Que reste-t-il de cette unanimité dans le texte issu de la CMP ? Le travail du Pnaco ne se limitera pas au seul trafic de stupéfiants : nous saluons cette approche globale, adaptée à la juste échelle de ces mafias. Mais évitons toute centralisation excessive.
S'attaquer au blanchiment et à la corruption est de bon aloi. Malgré certaines réserves, nous avions voté le texte en première lecture, car celui-ci se concentrait sur le haut du spectre, alors que nous constations l'échec des opérations Place nette XXL. Plus de saisies, plus de personnes en prisons... Pourtant, les trafics augmentent.
Quels moyens seront mis en oeuvre ? La juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) n'a pas bien fonctionné, en raison d'un manque de moyens financiers et humains. Or nous nous apprêtons à voter des mesures qui coûtent de l'argent.
Il y a du bon, donc, mais aussi des manques. Rien sur la prévention, rien sur une grande cause nationale, rien pour les personnes en grande précarité, rien sur les mesures d'information pour éviter l'entrée dans la consommation, aucune mesure de santé publique. Rien sur le volet économique et social, rien sur la politique de la ville, rien sur l'insertion par l'école et le travail, rien sur l'accompagnement des victimes du narcotrafic et des familles.
Certaines mesures restent trop attentatoires aux libertés. La loi a été phagocytée par MM. Darmanin et Retailleau. La porte-parole du Gouvernement, Sophie Primas, a d'ailleurs expliqué les attaques contre les prisons par une réaction du milieu après les décisions courageuses de MM. Retailleau et Darmanin en matière de lutte contre le narcotrafic. Jeudi dernier, lors d'une conférence de presse, Bruno Retailleau se félicitait de l'adoption prochaine de ce texte.
Or la création de la commission d'enquête a d'abord été réclamée par trois sénateurs de gauche des Bouches-du-Rhône.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Moi aussi je suis de gauche. (Sourires)
M. Jérôme Durain. - Mais pas des Bouches-du-Rhône.
M. Guy Benarroche. - M. Retailleau se réjouissait que la loi augmente les pouvoirs des préfets en matière d'interdiction de paraître ou de fermeture des blanchisseuses. Notre groupe y voit un détournement regrettable de l'objectif de cette proposition de loi, car ces mesures ne s'attaquent pas au haut du spectre. Le consensus de la commission d'enquête du Sénat n'existe plus, je le regrette.
Le scénario de la loi Immigration se répète : nous ne pouvons voter une loi qui comporte des mesures inconstitutionnelles. Nous rejetons des mesures d'affichage et nous ne souhaitons pas rejeter la responsabilité de leur censure sur le Conseil constitutionnel. Par conséquent, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Jérôme Durain . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce texte - et je serai en léger décalage avec ce qu'a dit Guy Benarroche - est bien un texte du Sénat, avec des amendements du Gouvernement, dans une configuration originale.
Nous sommes satisfaits de la suppression de l'article 8 ter : introduire par amendement une mesure si lourde n'est pas de bon aloi.
Les réécritures du dispositif relatif à l'extension du renseignement algorithmique ont été éclairées par l'avis du Conseil d'État : un équilibre a été trouvé.
La création du Pnaco, véritable chef d'orchestre, est un acquis majeur.
J'en viens aux prisons. Les propositions du garde des sceaux ont suscité des interrogations à gauche.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - J'étais là depuis trois jours !
M. Jérôme Durain. - Le groupe SER est fier de défendre l'héritage de Robert Badinter, qui avait contribué à fermer les quartiers de haute sécurité.
Mais nous voulons aussi incarner une gauche responsable. La commission d'enquête avait mis le doigt sur le danger qui pèse sur les prisons, à savoir l'adaptation de la criminalité au milieu carcéral. La CMP a réduit à douze mois la durée d'affectation dans ces quartiers - cette évolution nous est chère et lève plusieurs inquiétudes.
L'actualité des prisons est terrible pour notre pays. Tout au long des travaux de la commission d'enquête, nous nous sommes interrogés : exagérons-nous les menaces ? Désormais, plus personne ne doute de leur réalité. (Mme Corinne Narassiguin acquiesce.)
Cette loi permettra beaucoup, mais pas tout. Notre société doit s'interroger. Les consommateurs malades, par exemple, sont-ils suffisamment accompagnés ? Au-delà des mesures répressives, il faut aborder toutes les questions avec sérénité.
Le groupe SER votera ce texte en pleine responsabilité. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du GEST)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Bravo !
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°262 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l'adoption | 325 |
Contre | 0 |
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements)
M. le président. - S'agissant de la proposition de loi organique, en l'absence d'amendement, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.
La proposition de loi organique est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°263 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 341 |
Contre | 0 |
La proposition de loi organique est adoptée.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Bravo !
La séance est suspendue quelques instants.