Responsabilité de l'État et indemnisation des victimes du chlordécone

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la reconnaissance de la responsabilité de l'État et à l'indemnisation des victimes du chlordécone, présentée par M. Dominique Théophile.

Discussion générale

M. Dominique Théophile, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) J'ai l'honneur de vous demander de reconnaître la responsabilité de l'État dans les préjudices moraux et sanitaires infligés aux habitants de la Martinique et de la Guadeloupe exposés au chlordécone. Il est des scandales si profondément enracinés qu'ils traversent les décennies sans perdre leur force d'indignation.

De 1972 à 1992, l'État a autorisé la mise sur le marché de ce produit pour lutter contre le charançon de la banane, ignorant l'avertissement sur sa toxicité formulé dès 1968 par la commission interministérielle d'étude de l'emploi des toxiques en agriculture.

En 2019, la commission d'enquête menée par les députés Benin et Letchimy insistait sur la responsabilité de l'État.

Aujourd'hui, le constat est sans appel : les Antilles sont au premier rang mondial des cancers de la prostate, et le risque de récidive est multiplié par 2,5 avec l'exposition au chlordécone.

L'exposition au chlordécone est susceptible de réduire la durée de la grossesse et de provoquer des malformations, voire des décès d'enfants. L'exposition des parents est associée, pour les enfants, à des troubles neurodéveloppementaux, des leucémies, des tumeurs cérébrales, au bec de lièvre ou encore à des malformations sexuelles.

Tout cela est documenté par la science : le cancer de la prostate a été inscrit en 2021 comme maladie professionnelle.

L'enquête Ti-Moun a conclu au risque de réduction de la grossesse quand les femmes ont une concentration dans le sang supérieure à 0,52 microgramme par litre.

Dans un arrêt du 11 mars 2025, les juges de la cour administrative d'appel de Paris reconnaissaient que des maladies graves étaient susceptibles de se développer en cas d'exposition au chlordécone : cancer de la prostate chez l'homme, prééclampsie chez la femme, cancers pédiatriques.

La cour a condamné l'État à indemniser une dizaine de requérants en réparation du préjudice d'anxiété.

Ma proposition de loi vise à permettre aux Martiniquais et Guadeloupéens d'obtenir une réparation de leur préjudice d'anxiété sans passer par un recours administratif, mais aussi aux personnes malades d'obtenir une juste indemnisation. C'est pourquoi je propose la création d'une autorité administrative indépendante (AAI) chargée de définir les conditions d'indemnisation.

J'ai donc été étonné par le rejet du texte par la commission, au motif qu'il n'était pas assez équilibré, argument difficile à entendre pour toutes les personnes exposées et position injuste, car le présent texte se fonde sur un consensus scientifique international.

L'article 1er reconnaît la responsabilité de l'État et fixe le principe d'une indemnisation. Il organise également une campagne de prévention à l'échelle nationale.

Dans son arrêt du 11 mars, la cour administrative d'appel de Paris a relevé que l'État a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité en Martinique et en Guadeloupe.

Les nuances que la commission souhaiterait introduire n'ont d'autre objet que de vider le texte de sa substance.

L'article 2 fixe les conditions de l'indemnisation prévue à l'article 1??. Il impose au demandeur la charge de la preuve pour le lieu et la durée de séjour et les préjudices indemnisés au titre de la proposition de loi. La liste des pathologies visées sera fixée par décret. Il entend limiter le délai de recours à l'indemnisation à six ans après l'entrée en vigueur de la loi. Une indemnisation du préjudice d'anxiété est aussi prévue.

L'article 3 prévoit que les éventuelles réparations déjà perçues, notamment au titre du fonds d'indemnisation des victimes de pesticides (FIVP), sont déduites du capital versé.

L'article 4 prévoit la création d'une autorité administrative indépendante, le comité d'indemnisation des victimes du chlordécone (Civic), et crée une présomption de causalité pour la victime. Une AAI nous prémunit de tout risque de partialité, à l'instar du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen).

L'article 5 aligne le régime prévu pour le chlordécone sur celui de l'amiante. Il faut que les indemnités soient exemptées d'impôt.

L'article 6 prévoit des financements du dispositif.

Notre ministre des outre-mer a annoncé en Martinique qu'il soutenait le texte. Le refuser, ce serait prolonger la rémanence, non plus celle des pesticides, mais celle de l'indifférence.

Je souhaite que nous prenions nos responsabilités, pour réparer, reconnaître et reconstruire. Je vous invite à soutenir ce texte, en l'état, pour réconcilier le peuple de Martinique et de Guadeloupe avec l'État. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, du groupe SER et du GEST)

Mme Nadège Havet, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Dans ses Mémoires d'espoir, le général de Gaulle disait : « Aussi l'État, qui répond de la France, est-il en charge, à la fois, de son héritage d'hier, de ses intérêts d'aujourd'hui et de ses espoirs de demain. » Le présent texte s'inscrit dans cet esprit.

La République française a su endosser jusqu'aux souvenirs les plus vifs et honteux. Il s'agit ici des dommages subis par les victimes du chlordécone. Je salue l'engagement de Dominique Théophile.

Depuis début 2000, pas moins de cinq propositions de loi, principalement venues de l'Assemblée nationale, ont traité de ce sujet. Quelque cinq rapports d'information ont été publiés. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a réalisé en 2009 et février 2023 des travaux. Deux rapports d'information ont fait état de l'impact du chlordécone. Le rapport le plus récent traitait des conséquences sur les sols, la faune et la flore, les milieux aquatiques.

Notre collègue Nicole Bonnefoy, dans une mission commune d'information présidée par Sophie Primas, avait souligné les difficultés environnementales et sanitaires que posait l'utilisation des pesticides. Mme Bonnefoy mettait alors en avant un besoin de reconnaissance des dommages causés par les pesticides. Le FIVP a d'ailleurs été institué à son initiative en 2020 : il indemnise les personnes malades ayant obtenu la reconnaissance d'une maladie professionnelle, ainsi que les parents de victimes exposées in utero.

Ce fonds est un premier point d'entrée sur le long chemin de l'indemnisation. Depuis 2021, les victimes du chlordécone peuvent le saisir.

Lors de l'examen du texte en commission, selon notre gentlemen's agreement et la volonté de l'auteur, nous avons réservé le débat sur le texte à la séance publique, sans contester le bien-fondé du texte.

J'ai entendu quatorze personnes en huit heures d'audition. Je suis partie d'une feuille blanche ; mon cheminement résulte de mes échanges avec les experts et les victimes qui m'ont convaincue de la nécessité d'aboutir à un régime d'indemnisation. Néanmoins, des améliorations sont possibles : c'est le sens du travail et de la navette parlementaires.

Des précisions qui peuvent paraître sémantiques sont utiles. Nous précisons la portée de la responsabilité de l'État, en la circonscrivant aux « dommages sanitaires ». Nous passons aussi des « préjudices moraux et sanitaires », à la définition incertaine, à une notion juridique sans équivoque, sur le fondement du caractère certain, déterminé et direct du dommage. Le formalisme juridique se justifie pour faire face au soupçon de partialité supposée des institutions d'indemnisation.

C'est pourquoi j'ai déposé un amendement pour éviter d'ajouter une institution supplémentaire à l'édifice des AAI dénoncé en 2009 par Jacques Mézard. Nous pourrions nous appuyer sur le FIVP.

Nos espérances se tournent vers la recherche et les sciences, seules à même de définir un chemin crédible de réparation. L'article 2 pose le principe d'une indemnisation large. Personne ne conteste ce principe. Cependant, mes travaux ont fait apparaître un besoin de temps long, compatible avec le temps de la science.

Il est important d'établir un régime d'indemnisation crédible et proportionné, pour rétablir le lien entre la métropole et les Antilles. (Applaudissements sur les travées du RDPI, à l'exception de M. Dominique Théophile)

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins .  - Ce sujet est difficile et complexe, il emporte des enjeux historiques, sanitaires, environnementaux et sociaux. Il est le fruit de pratiques tardivement, mais heureusement, révolues. Il reste d'une actualité vive, car nos compatriotes de Guadeloupe et de Martinique vivent encore avec les conséquences de la pollution au chlordécone, en matière d'eau potable, de sols, mais aussi de santé personnelle et collective.

Cela engendre beaucoup de colère. Ce sont des sentiments légitimes, tout comme le sont les attentes des Martiniquais et des Guadeloupéens.

Monsieur le sénateur, votre proposition de loi soulève des enjeux légitimes : l'État doit y répondre sans détour, en responsabilité, en prenant le sujet dans sa globalité.

Je salue l'engagement de Dominique Théophile qui porte le sujet du chlordécone depuis de nombreuses années. Votre proposition de loi est une nouvelle étape sur la voie de l'indemnisation des victimes.

Elle vise d'abord la reconnaissance de l'État en la matière. Or elle a déjà été établie par la justice et reconnue par le chef de l'État dans son discours au Morne-Rouge en septembre 2018.

J'accueille favorablement votre souhait de porter cette reconnaissance dans la loi. Cela ne pose pas de difficulté. Je vous remercie de l'échange musclé que nous avons eu au téléphone et qui m'a fait prendre conscience des enjeux, moi, simple élu de l'Isère, au territoire bien éloigné de chez vous.

La formulation proposée par la rapporteure est à la hauteur des enjeux. Elle reconnaît la responsabilité des pouvoirs publics, à une époque d'aveuglement collectif.

Graver la responsabilité assumée et établie de l'État dans le désastre du chlordécone est un préalable symboliquement essentiel. Mais la responsabilité de l'État est de continuer d'agir toujours mieux : réparer les préjudices, protéger la santé des habitants et informer sur les risques.

Depuis 2020, le FIVP a dédommagé les professionnels directement affectés par les pesticides. L'article 2 renforcera les possibilités d'indemnisation pour dommage sanitaire. C'est juste et légitime. Mais ce nouveau régime d'indemnisation doit reposer sur des preuves scientifiques pour établir le préjudice dû au chlordécone. Sur ce point, je salue l'important travail réalisé par la rapporteure.

Un État qui prend ses responsabilités, c'est un État qui reconnaît, mais aussi qui répare et agit. Notre stratégie chlordécone publiée en 2021 a trois objectifs : informer, protéger et réparer, en nous fondant sur la science, l'écoute et le dialogue.

Nous proposons des mesures très concrètes : pour tous les habitants, contrôles renforcés de l'eau et des aliments, prise en charge des surcoûts de traitement de l'eau potable par l'État ; pour les pêcheurs et les agriculteurs, analyses de sols gratuites, aides techniques et financières pour les pêcheurs et éleveurs bovins.

Tout cela est soutenu par un budget inédit, de 92 millions d'euros, rehaussé à 130 millions d'euros. En quatre ans, plus de 48 millions d'euros de fonds publics ont déjà été engagés, soit 22 millions de plus que les crédits engagés sur le plan 2014-2020.

Je m'appuierai sur ces moyens renforcés pour avancer sur deux points. Premièrement, la recherche pour l'amélioration continue des connaissances scientifiques, notamment sur la santé des femmes et la dépollution des sols. Deuxièmement, le dépistage et la prévention, car la présence de chlordécone dans le sang n'est pas systématiquement dangereuse ; elle est réversible, notamment grâce à des actions sur l'alimentation.

J'accorde toujours une attention particulière à la situation des outre-mer. Le dépistage du chlordécone doit devenir un réflexe en Guadeloupe et en Martinique, pour accompagner plus vite et mieux ceux qui en ont besoin.

Je respecte votre engagement. Vous pouvez compter sur le mien. Cette nouvelle étape est autant un sujet de santé publique et environnementale qu'une marque de considération pour les habitants de Martinique et de Guadeloupe. (MM. François Patriat et Bernard Buis applaudissent.)

M. Frédéric Buval .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce texte transpartisan va dans le sens de l'histoire. Il s'agit de réparer une injustice faite à des millions de nos compatriotes. Comment ne pas entendre le cri de douleur de nos concitoyens guadeloupéens et martiniquais à 90 % marqués dans leur chair par ce pesticide cancérogène ? Comment ne pas entendre la demande légitime de réparation d'un préjudice volontairement causé par l'un des derniers scandales d'État du XXe siècle ?

La pollution au chlordécone est un scandale environnemental dont souffrent la Martinique et la Guadeloupe depuis des années, rappelait le Président de la République. Des années 1970 à 1993, nous avons choisi de continuer à l'utiliser, alors que d'autres territoires l'avaient interdit bien plus tôt. Pendant des décennies, les sols des Antilles ont été sciemment empoisonnés : sciemment, car l'État connaissait la toxicité du chlordécone depuis 1968, avant l'autorisation de la molécule.

Cette autorisation a été plusieurs fois reconduite par les autorités administratives et sanitaires, pendant plus de vingt ans, malgré l'interdiction du chlordécone dès 1976 aux États-Unis. Or la Martinique détient le triste record mondial du nombre de cancers de la prostate.

En l'absence de réponse politique, des associations de droits de l'homme se sont tournées, en vain, vers la justice nationale et internationale.

Cette proposition de loi offre des avancées pour la reconnaissance des maladies professionnelles. Mais seuls 150 dossiers ont été traités à ce jour, alors que 12 700 personnes travaillent dans les bananeraies.

Notre groupe appelle le Gouvernement à aller plus loin, en dépistant systématiquement le cancer de la prostate dès 47 ans, et en imposant le zéro chlordécone dans l'alimentation. Il faut aussi communiquer davantage sur la gratuité des tests sanguins. Enfin, nous demandons la création d'un institut dédié aux soins oncologiques, notamment pour les ouvrières agricoles, dont les cancers du sein ou de l'utérus ne sont toujours pas reconnus comme maladie professionnelle.

Le code civil est pourtant clair : l'auteur d'un dommage doit le réparer. Aimé Césaire disait : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. » Faisons preuve de courage politique, en votant ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe SER et du GEST ; M. Robert Wienie Xowie applaudit également.)

M. Henri Cabanel .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Problèmes de fertilité, naissances prématurées, malformations congénitales, difficultés et retards de développement moteur et cognitif : voici les effets du chlordécone sur la santé humaine.

Pas moins de 95 % des Guadeloupéens ont des traces de chlordécone dans le sang. La molécule peut rester jusqu'à 700 ans dans la nature. Plusieurs milliers d'hectares de terre sont contaminés. Le secteur de la pêche est durement affecté. Ce scandale sanitaire a nourri la défiance des populations antillaises à l'égard de l'État.

La cour d'appel de Paris a reconnu la responsabilité partagée de l'État pour la commercialisation du chlordécone et son épandage dans les Antilles. L'État a failli dans ses missions.

Ce texte permet à toutes les victimes de demander une indemnisation complète de leurs préjudices. Le RDSE l'aborde favorablement.

Les produits que nous utilisons dans nos champs, nos constructions et nos terres peuvent avoir des impacts sociaux et économiques majeurs. Rappelons ici le scandale de l'amiante. La protection de nos filières passe par la mémoire des leçons du passé : prudence est mère de sûreté.

Il faut résorber la crise de confiance envers l'État. Les collectivités et les associations demandent réparation pour les Antilles. La réponse de l'État doit marcher sur deux jambes : une exigence de vérité et de clarté, des actions concrètes et ambitieuses pour réparer les préjudices. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI)

Mme Jocelyne Guidez .  - (M. Jean-François Longeot et Mme Solanges Nadille applaudissent.) Chacun d'entre nous aborde la discussion du texte avec un certain malaise, pour ne pas dire un malaise certain. Le chlordécone est un scandale sanitaire avéré, un scandale d'État.

Dès le début, l'État savait. Les faits sont là, têtus et glaçants. Dès 1968, la commission interministérielle d'étude sur les pesticides avait explicitement exclu l'usage du chlordécone en raison « de sa grande persistance et de sa toxicité ». Pourtant, en 1972, elle autorisait son utilisation à titre dérogatoire pour lutter contre le charançon de la banane. Et l'autorisation a été reconduite pendant vingt ans.

Comment avons-nous pu reproduire cette autorisation, alors que les États-Unis, qui ne sont pas un parangon de vertu sanitaire, n'y avaient pas recours depuis les années 1970 ? Ce qui a été instauré dans les bananeraies des Antilles ne l'aurait sans doute pas été dans les vergers d'Occitanie ou les vignobles de Bourgogne. C'est révoltant.

Près de 90 % de la population des Antilles est contaminée par le chlordécone. Ne nous faisons pas d'illusion : le produit a été répandu pendant plus de vingt ans, et il ne s'est pas arrêté au pied des bananiers. Tous les milieux sont concernés. Les tubercules comme le dachine, essentiels dans le régime alimentaire des Antillais, sont contaminés.

Actuellement, les conditions d'ouverture des droits à l'indemnisation sont très restrictives, et l'indemnisation est forfaitaire. Ainsi, ce texte inscrit dans la loi une reconnaissance pleine et entière de l'État et crée un régime général d'indemnisation. L'État a déjà créé un régime analogue pour les victimes de l'amiante ou des essais nucléaires.

Or, ce texte a été rejeté par la commission.

L'État ne serait pas seul responsable, dit-on ; les industriels le sont aussi. Il n'y aurait pas de consensus scientifique sur le lien entre l'exposition au chlordécone et les pathologies. Argument technique : comment articuler le FIVP et sanctionner juridiquement le préjudice d'anxiété ? Enfin, argument budgétaire : sans étude d'impact, comment connaître les coûts ?

Tous ces arguments s'entendent en métropole, mais pas dans les Antilles. Nous ne pouvons nous en tenir à l'existant : la présente proposition de loi ne saurait être une énième tentative d'avancer sur le sujet. Le Gouvernement, juge de paix, doit trouver une solution pour reconnaître les souffrances des populations et réparer les préjudices qu'ils ont subis. Notre groupe votera ce texte, sur le fondement du consensus qui se dégagera des amendements gouvernementaux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDPI et du RDSE)

M. Robert Wienie Xowie .  - (M. Alexandre Basquin applaudit.) Il n'est jamais trop tard pour reconnaître et corriger ses erreurs. C'est particulièrement vrai pour le chlordécone, produit classé cancérogène probable en 1979 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et interdit dès 1977 aux États-Unis. Il a fallu treize ans pour obtenir son interdiction en France, en 1990, tandis que sa vente a perduré trois ans de plus en Guadeloupe et en Martinique.

Pas moins de 77 % des travailleurs des bananeraies ont été exposés, et 92 % des Martiniquais et 95 % des Guadeloupéens sont contaminés, selon Santé publique France.

Risque de naissances prématurées, conséquences sur la croissance, risque de cancers de la prostate... Tout cela est connu. Mais pourquoi cette différence entre les Antilles et l'Hexagone ?

Depuis 2020, un fonds d'indemnisation existe, mais seulement 200 dossiers ont été déposés, 154 ont été validés, et toutes les indemnités ne sont pas encore versées.

Les arguments pour justifier le rejet du texte en commission pourraient prêter à sourire, s'il n'était pas question d'un sujet aussi important.

La proposition de loi prévoit une indemnisation généralisée. Or le rapport évoque un « exceptionnalisme », concurrent du régime général d'indemnisation des victimes de pesticides. L'État avait moins de mal à faire des exceptions lorsqu'il autorisait la vente d'un produit dangereux.

Un exceptionnalisme ? Cette proposition de loi vise à reconnaître une injustice. Elle ne doit pas se traduire par une injustice supplémentaire.

Il faut indemniser les victimes de ce scandale sanitaire. Mais il faut aussi aller plus loin, par exemple en cessant de reporter l'interdiction du glyphosate. En 2017, Emmanuel Macron avait pourtant promis son interdiction dans les trois ans. En 2018, à propos du chlordécone, il dénonçait un aveuglement collectif, qui devait nous pousser à nous battre contre des logiques analogues.

En 2022, le FIVP a reconnu le lien entre le glyphosate et les malformations. Combien de personnes faudra-t-il encore indemniser avant d'interdire sa vente ?

La santé et l'environnement doivent être des priorités. La justice aussi. Notre groupe votera pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Alexandre Basquin et Victorin Lurel applaudissent également.)

M. Jacques Fernique .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Responsabilité pour faute, carences et négligences fautives, manquement au devoir d'information des citoyens, faillite dans ses missions de contrôle, graves impérities administratives : la coupe de l'État est pleine !

La responsabilité de l'État est admise juridiquement. Il faut la reconnaître solennellement ; c'est l'objet du premier aliéna de l'article 1er du texte. Cela n'exonère pas les acteurs privés de leurs torts partagés. Pourquoi la commission a-t-elle cru lire dans cette formulation une responsabilité exclusive de l'État ? Je constate qu'aucune autre proposition n'a été faite.

Les dégâts sanitaires sont colossaux : l'Anses et Santé publique France ont détecté du chlordécone chez plus de 90 % des Guadeloupéens et des Martiniquais.

La version initiale du texte pose les bases ambitieuses d'un dispositif d'indemnisation à la hauteur des dommages, face à l'insuffisance du premier geste que constitue le FIVP. Seules 178 personnes professionnellement exposées ont reçu une proposition favorable.

On ne peut balayer leur légitime demande en arguant du contexte budgétaire contraint, ou en disant que ce serait légiférer à l'aveugle. Comme pour l'amiante, nous risquons d'agir un demi-siècle trop tard !

En se bouchant les yeux, certains ont autorisé la vente d'un produit dont la dangerosité était connue dès 1968. Des intérêts économiques s'imposent contre les droits des personnes et les droits environnementaux : de l'amiante aux néonicotinoïdes, jusqu'aux PFAS, quand tirerons-nous les leçons de ces désastres ?

Après son rejet en commission, l'ambition du texte sera rabotée par les amendements de la rapporteure et du Gouvernement. Ils font peser la charge de la preuve sur les victimes, ce qui limitera leur capacité à obtenir réparation, le lien entre exposition et maladie étant souvent difficile à prouver.

L'injustice serait encore plus lourde si l'amendement n°4 était voté. La commission a supprimé la notion de préjudice d'anxiété, pourtant reconnue.

La réparation forfaitaire est une réparation au rabais.

Si nous suivons le Gouvernement et la commission, plus question d'autorité administrative indépendante, et donc plus de respect du contradictoire !

Plus question de financer l'indemnisation par une taxe additionnelle sur les industriels phytosanitaires : on n'indemnisera qu'avec les moyens que l'on a déjà, soit pas grand-chose.

Mon groupe, qui a cosigné cette proposition de loi, craint que la portée du texte soit réduite par le Gouvernement et la majorité sénatoriale. Franchement, tout ça pour ça ? (Applaudissements sur les travées du GEST, des groupes SER et CRCE-K, du RDPI et du RDSE)

Mme Nicole Bonnefoy .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je remercie Dominique Théophile. Le chlordécone fait partie des pesticides de synthèse à base de chlore. Il a pollué les sols, les eaux... Sa toxicité est établie scientifiquement ; c'est un perturbateur endocrinien, notamment pour les femmes.

Dans mon rapport de 2012, j'indiquais clairement que l'exposition au chlordécone multipliait le risque de développer un cancer de la prostate chez les hommes.

Le chlordécone n'est pas digéré par la nature, sa structure moléculaire se dégrade difficilement. De plus, 14 % des adultes guadeloupéens et 25 % des Martiniquais dépassaient la valeur toxicologique de référence interne voulue par l'Anses.

Face à ces chiffres, nous pourrions réexaminer certaines dispositions récentes du Sénat sur les néonicotinoïdes. (MM. Ronan Dantec et Victorin Lurel renchérissent.)

En tant que législateurs, nous avons une responsabilité évidente pour les générations futures. En étant sourds aux alertes de nos agences sanitaires et scientifiques, nous prenons des risques inconsidérés pour l'environnement et la santé humaine.

Par ailleurs, je m'étonne de l'incohérence des textes inscrits à l'ordre du jour de cet après-midi par le RDPI : le second vise en effet à autoriser l'épandage des pesticides par drones, notamment dans les bananeraies...

M. Victorin Lurel.  - En effet, c'est étrange !

Mme Nicole Bonnefoy. - C'est un pas en avant, puis deux en arrière. Mais si les hommes manquent de mémoire, ce n'est pas le cas des sols : on y récolte ce qu'on y a semé.

La preuve : la rémanence du chlordécone dans de nombreux produits alimentaires locaux, jusqu'aux poissons et crustacés.

Cette proposition de loi reconnaît la responsabilité de l'État dans l'exposition des populations à cette substance entre 1972 et 1993 et prévoit un régime d'indemnisation spécifique. Elle s'inscrit dans la continuité des travaux menés par notre ancienne collègue Hélène Vainqueur-Christophe, notre collègue Victorin Lurel et le député Élie Califer.

J'ai moi-même été à l'origine de la création d'un fonds d'indemnisation pour les victimes des pesticides, dont la portée a hélas été réduite : les indemnisations ne sont pas intégrales, mais forfaitaires, et seules les maladies professionnelles y donnent droit. J'aurais préféré qu'on élargisse ce fonds aux victimes du chlordécone. Toutefois, compte tenu de la gravité des faits, vécus sur place comme un scandale qui nourrit la défiance vis-à-vis de l'État, nous soutenons l'article 1er.

Cette proposition de loi donne corps à un engagement présidentiel non tenu et confirme l'arrêt récent de la cour administrative d'appel de Paris. Mais c'était compter sans les amendements de dernière minute de la rapporteure et du Gouvernement, qui reviennent sur la reconnaissance des préjudices moraux, l'autorité administrative indépendante et la réparation intégrale. Leur adoption conduirait à une version moins-disante du texte : ce serait dommageable.

Je me félicite toutefois que le Gouvernement maintienne la reconnaissance des victimes professionnelles et non professionnelles : c'est un progrès.

Notre position finale dépendra de l'issue de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Christopher Szczurek .  - Trop méconnu dans l'Hexagone, le scandale du chlordécone témoigne de l'abandon structurel de nos outre-mer.

De 1972 à 1993, cet insecticide a été largement utilisé en Guadeloupe et en Martinique, notamment après le passage du cyclone David, en 1979. Cette molécule s'est instillée dans l'eau, les sols et les corps de nos compatriotes des Antilles. Résultat : de nombreux cancers, troubles reproductifs, malformations... Le chlordécone n'a été interdit qu'en 1993.

Ce scandale historique illustre aussi l'absence d'une volonté de développement autonome de nos territoires ultramarins. De fait, la monoculture intensive de la banane représente des milliers d'emplois.

Plus largement, les pollutions agricoles et industrielles sont un scandale dans de nombreux territoires : du bassin minier du Pas-de-Calais aux Antilles, l'État doit assumer ses responsabilités et indemniser les victimes.

Je le redis, c'est aussi l'abandon structurel de nos territoires ultramarins qui est mis en lumière. Quelle économie de la mer, quelle autonomie productive ? L'État n'a jamais répondu à ces questions : c'est aussi pour cela qu'il a préféré maintenir l'utilisation du chlordécone, avec l'appui de forces économiques locales.

Ce texte va dans le bon sens : nous le voterons, même si nous regrettons le dépôt d'amendements qui l'affaiblissent. Il est du devoir de l'État de réparer les dommages causés aux populations.

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Nous sommes nombreux à regretter que le Sénat n'ait pas été saisi de la proposition de loi examinée par l'Assemblée nationale l'année dernière. Certes, elle est perfectible, mais nous aurions gagné du temps.

Nous saluons le travail de la rapporteure Havet sur ce sujet sensible.

Ce qui s'est passé aux Antilles pendant vingt ans est inacceptable et inexcusable. Aucun Guadeloupéen, aucun Martiniquais n'ignore le scandale du chlordécone, ce pesticide utilisé entre 1972 et 1993 contre le charançon du bananier. La terre, les nappes phréatiques et la chaîne alimentaire sont contaminées pour 600 à 700 ans.

Les conséquences sanitaires sont dramatiques pour les populations, bien au-delà des seuls professionnels et sur plusieurs générations : infertilité, cancers, malformations liées à l'exposition in utero. Les Antilles détiennent le triste record du taux de cancers de la prostate.

Or cette situation résulte non d'une catastrophe, mais d'une succession de décisions administratives. Le chlordécone a d'abord été autorisé temporairement, puis cette autorisation a été renouvelée chaque année, y compris après l'interdiction du produit en métropole, en 1990.

Pourtant, les États-Unis avaient interdit l'utilisation du chlordécone dès 1976. En France, sa nocivité avait été reconnue dès 1968. Difficile, dès lors, de ne pas comprendre l'indignation des victimes. À qui la faute ? À l'État, sans conteste, mais pas seulement : la responsabilité est partagée entre de multiples acteurs, y compris au niveau local.

L'équilibre est délicat à trouver entre préservation d'une activité économique, avancées de la connaissance et prévention des risques sanitaires. La filière de la banane est précaire aux Antilles : comme d'autres cultures dans d'autres parties du pays, elle doit relever les défis du changement climatique, de la multiplication des maladies et du renouvellement des générations agricoles, tout en affrontant une concurrence qui ne s'exerce pas toujours dans des conditions équitables.

Il est indispensable d'investir dans la recherche et le développement pour mettre au point des techniques plus durables et pour dépolluer les sols.

Quant aux milliers de victimes, elles méritent réparation. Nous soutenons donc l'esprit de ce texte, car toutes les responsabilités doivent être clairement établies et reconnues.

Mme Annick Petrus .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Frédéric Buval et Jean-François Longeot applaudissent également.) Je salue l'initiative de Dominique Théophile, qui porte haut la voix de celles et ceux qu'on n'a pas voulu entendre pendant trop longtemps. Ce texte est un acte politique, un acte de justice et d'espoir.

C'est avec une émotion particulière que je prends la parole, car le chlordécone est un désastre sanitaire, écologique et humain qui marque la Caraïbe, et pour longtemps.

En dépit d'une toxicité connue, son usage a été autorisé et prolongé. Ce n'est pas une imprudence, mais une faute.

Les terres sont polluées pour des siècles et les corps porteront longtemps les traces de la contamination et de l'angoisse. S'y ajoute le sentiment d'avoir été abandonné.

Reconnaître la responsabilité de l'État est essentiel pour commencer à panser les blessures ; c'est la condition de toute réparation et de toute réconciliation.

Saint-Martin n'a pas connu le chlordécone, mais j'exprime notre solidarité à nos frères et soeurs de Guyane et de Martinique.

Je voterai sans réserve cette proposition de loi qui pose des bases nécessaires. Elle ne réglera pas tout, mais dit à ceux qui souffrent : la République vous voit, vous croit et vous doit. Reste à transformer ces paroles en actes pour rendre enfin justice aux victimes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER, du RDPI et du GEST)

M. Victorin Lurel.  - Bravo !

M. Stéphane Piednoir .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'interviens dans cette discussion comme président de l'Opecst, qui a été pionnier dans l'analyse approfondie de la pollution par le chlordécone.

En 2009, un premier rapport a été établi par notre ancienne collègue Catherine Procaccia et mon prédécesseur à la tête de l'Office, le député Jean-Yves le Déaut ; le chlordécone y est qualifié d'« alien chimique ».

Cette substance persistante a gravement contaminé les sols, les eaux et jusqu'aux milieux marins. Ces conséquences rendent nécessaires une cartographie des dommages et des recherches actives sur les techniques de dépollution. De même, un suivi s'impose des populations exposées.

En 2023, Catherine Procaccia a réalisé un nouveau rapport, consacré aux avancées de la connaissance scientifique et de l'action de l'État. Notre ancienne collègue y formulait vingt-quatre recommandations : renforcer la communication auprès des populations antillaises sur la « chlordéconémie », mieux surveiller les produits consommés... Monsieur le ministre, certaines de ces recommandations ont-elles été mises en oeuvre ?

Je regrette que mon amendement étendant l'indemnisation aux personnes ayant été exposées sur place pendant plusieurs années ait été déclaré irrecevable.

En revanche, je considère que l'extension de la réparation aux ayants droit va trop loin.

J'assure tous nos concitoyens antillais du soutien total de l'Opecst dans leur combat pour faire reconnaître les conséquences de la pollution au chlordécone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.)

Mme Marie Mercier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Bientôt vingt ans que la pollution au chlordécone fait l'objet de débats réguliers. Elle constitue un traumatisme collectif local, qui se double d'une incompréhension face aux tergiversations de l'État.

Ma conviction, c'est qu'il y a des sujets qui ne se discutent pas. Qui d'autre que l'État pourrait être responsable ? C'est lui qui a autorisé sur place ce qui était interdit ailleurs, notamment aux États-Unis.

Je comprends le souci de la rapporteure de laisser la porte ouverte à une voie judiciaire.

J'adhère à ce texte, qui reconnaît la responsabilité de l'État et ouvre la voie à une indemnisation. Les travaux de la commission ont abouti à un texte équilibré : je salue ce travail de recentrage et de concrétisation. Il est indéniable que la contamination a été source d'anxiété, mais l'ériger en principe d'indemnisation serait complexe.

La recherche a encore des marges de progression certaines. Les travaux doivent être poursuivis, afin de rétablir la confiance. L'histoire est une biographie collective : celle du chlordécone marquera les Antilles, hélas, pour longtemps. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Discussion des articles

Article 1er

M. le président.  - Amendement n°16 rectifié de Mme Havet, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Mme Nadège Havet, rapporteure.  - Nous proposons de centrer le premier alinéa de l'article sur les dommages sanitaires subis par les populations de Guadeloupe et de Martinique. Nous reconnaissons la responsabilité de l'État, indubitable, sans exclure la recherche future de coresponsabilités par les tribunaux.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Avis favorable à cet amendent qui recentre la responsabilité de l'État sur les dommages sanitaires liés aux négligences fautives commises par celui-ci. Ce dispositif prévoit l'indemnisation des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, dont le préjudice moral.

Toutefois, comme l'a déclaré le Président de la République en 2018 au Morne-Rouge et comme la justice administrative et judiciaire l'a confirmé, la pollution au chlordécone est le fruit d'un aveuglement collectif qui a conduit tous les acteurs à accepter cette situation.

M. Victorin Lurel.  - Je suis assez estomaqué qu'on prétende ne reconnaître que le préjudice sanitaire. La cour administrative d'appel a pourtant bien reconnu un préjudice d'anxiété ! Je m'élève contre cette approche réductrice, pour ne pas dire minimaliste. La proposition de loi de M. Califer intègre les préjudices sanitaires, moraux et environnementaux. M. Théophile a été raisonnable, ne visant que les préjudices sanitaires et moraux. Il a bien travaillé, restons-en à sa rédaction. Nul ne peut nier les multiples préjudices qui persistent ! J'habite moi-même dans une zone contaminée et subis des analyses chaque année.

M. Yannick Jadot.  - C'est la deuxième fois que le ministre parle d'aveuglement collectif. Je suis sidéré qu'on puisse prétendre qu'on ne savait pas : les études, les alertes, tout était déjà là ! Non, le cynisme, la cupidité et le mépris ne sont pas un « aveuglement collectif », mais un crime et un scandale d'État.

M. Jacques Fernique.  - L'amendement de la commission maintient la responsabilité de l'État, ce qui est positif. Mais il la limite aux dommages sanitaires, ce qui constitue un recul. Nous voterons contre.

M. Dominique Théophile.  - La suppression de la notion de préjudice moral aurait pour conséquence la disparition de tout fondement pour l'indemnisation du préjudice d'anxiété. Cela priverait d'indemnisation 80 % des personnes exposées, alors qu'elles ont peur.

Pourtant, la cour administrative d'appel de Paris a reconnu ce préjudice d'anxiété. Il est impératif de ne pas faire disparaître cette mention, sans quoi le texte serait moins-disant par rapport à la jurisprudence. Soyons cohérents, sinon nous ne réglerons que partiellement l'affaire.

Mme Nadège Havet, rapporteure.  - Je précise que seul le premier alinéa de l'article est modifié par notre amendement.

M. Frédéric Buval.  - En accord avec mon groupe, je souhaite déposer un sous-amendement pour rétablir le préjudice d'anxiété.

M. le président.  - Mon cher collègue, un sous-amendement doit modifier l'amendement sur lequel il porte. Il ne peut pas s'agir d'un nouvel amendement.

Mme Nicole Bonnefoy.  - Il faut voter contre l'amendement de la commission !

M. François Patriat.  - Je sollicite une brève suspension de séance.

La séance est suspendue quelques instants.

M. Frédéric Buval.  - Je renonce à déposer le sous-amendement que j'ai annoncé.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Monsieur Jadot, les mots ont un sens. Le préjudice d'anxiété, c'est la crainte de développer une maladie. Le préjudice moral, la douleur morale liée au fait d'être atteint. Les deux sont donc bien distincts.

Les alinéas 2, 3 et 4 de l'article 1er sont inchangés par l'amendement de la rapporteure. La formulation qu'elle propose est plus correcte juridiquement, mais, je le répète, le préjudice moral sera bien pris en compte.

M. Victorin Lurel.  - Et l'anxiété ?

M. Yannick Neuder, ministre.  - Nous n'irons pas sur ce terrain.

À la demande de la commission, l'amendement n°16 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°259 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l'adoption 189
Contre 135

L'amendement n°16 rectifié est adopté.

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié de M. Piednoir et alii.

M. Stéphane Piednoir.  - Une campagne de prévention paraît pertinente dans les territoires concernés, non sur l'ensemble du territoire national.

Mme Nadège Havet, rapporteure.  - Qu'en pense le Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre.  - En cohérence avec l'amendement qui vient d'être adopté, sagesse.

M. Ronan Dantec.  - Les personnes potentiellement exposées peuvent se trouver partout sur le territoire ! Comme ministre de la santé, vous devriez être défavorable à cet amendement.

Mme Nadège Havet, rapporteure.  - Je sollicite le retrait de l'amendement.

M. Stéphane Piednoir.  - Nous faisons confiance à la rapporteure et retirons l'amendement. Mais il s'agit d'une campagne de communication sur la chlordéconémie : tous ceux qui ont travaillé ou habité aux Antilles sont bien au courant de la situation.

L'amendement n°2 rectifié est retiré.

À l'issue d'une épreuve à main levée déclarée douteuse, l'article 1er, modifié, mis aux voix par assis et levé, n'est pas adopté.

Rappels au règlement

M. Dominique Théophile, auteur de la proposition de loi.  - Je retire ma proposition de loi.

La proposition de loi est retirée.

M. Patrick Kanner.  - Mon intervention se fonde sur l'article 32 de notre règlement, relatif à la qualité des débats.

Ce qui vient de se passer est proprement désespérant pour les populations de Martinique et de Guadeloupe. Nous avons assisté à une forme de mascarade, s'agissant d'un texte que nous étions prêts à soutenir, comme les députés socialistes l'ont fait pour celui d'Élie Califer.

Nous en sommes là, monsieur le ministre, parce que vous n'avez pas voulu prendre vos responsabilités, mais continuer à procrastiner. Je regrette vivement ce rendez-vous manqué avec les populations des Caraïbes. Cette séquence restera marquée d'une pierre noire.

M. Jacques Fernique.  - J'interviens à mon tour sur le fondement de l'article 32. Je comprends la décision de M. Théophile, mais ce débat avorté est, en effet, un rendez-vous manqué. Faisons mieux la prochaine fois.

Mme Frédérique Puissat.  - Rappel au règlement sur la base du même article. Monsieur Kanner, assumez vos choix ! C'est vous qui avez voté contre l'article 1er de la proposition de loi.

M. Patrick Kanner.  - Le scrutin public sur l'amendement, c'est vous !

M. Victorin Lurel.  - Une méchanceté !

M. Stéphane Piednoir.  - C'est faux : le scrutin a été demandé par la commission.

M. Yannick Jadot.  - Rappel au règlement sur le même fondement que les précédents. Guadeloupéens et Martiniquais attendent depuis des années une réparation sur le plan sanitaire comme sur le plan moral. Hélas, on a voulu faire du « en même temps », comme le Président de la République qui, lors du grand débat, avait mis en doute devant des élus d'outre-mer la responsabilité du chlordécone dans les cancers. On retrouve toujours la même ambiguïté dans les débats sur les pesticides : vous n'arrivez pas à trancher en faveur de la santé plutôt que des intérêts économiques.

Quel mépris pour les préjudices sanitaires et pour l'anxiété de nos compatriotes antillais !

Mme Frédérique Puissat.  - C'est vous qui avez voté contre l'article 1er.

M. Stéphane Piednoir.  - C'est la politique de la terre brûlée !

M. Yannick Jadot.  - (S'indignant) La politique de la terre brûlée, c'était le chlordécone !

Acte est donné des rappels au règlement.