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Table des matières
Introduction de la proportionnelle pour les élections législatives
Mme Mélanie Vogel, auteure de la proposition de résolution
Préservation et reconquête de la haie
M. Daniel Salmon, auteur de la proposition de loi
M. Bernard Buis, rapporteur de la commission des affaires économiques
Quel avenir pour le pass Culture ?
M. Laurent Lafon, pour le groupe UC
Mme Rachida Dati, ministre de la culture
Mme Sonia de La Provôté, pour le groupe UC
Structures, comités, conseils et commissions « Théodule »
Mme Nathalie Goulet, auteur de la proposition de loi
M. Hervé Reynaud, rapporteur de la commission des lois
Intitulé de la proposition de loi
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois
M. Hervé Reynaud, rapporteur de la commission des lois
Mises au point au sujet de votes
Ordre du jour du lundi 3 février 2025
SÉANCE
du jeudi 30 janvier 2025
48e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Loïc Hervé, vice-président
Secrétaire : Mme Nicole Bonnefoy
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Décès d'un ancien sénateur
M. le président. - J'ai le regret de vous annoncer le décès de notre ancien collègue Roger Hesling, sénateur de la Moselle de 1997 à 2001.
Introduction de la proportionnelle pour les élections législatives
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, appelant à l'introduction de la proportionnelle pour les élections législatives, présentée par Mme Mélanie Vogel et plusieurs de ses collègues, à la demande du GEST.
Discussion générale
Mme Mélanie Vogel, auteure de la proposition de résolution . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Notre groupe a souhaité ouvrir le débat sur un sujet démocratique très important, que 74 % des Français souhaitent voir avancer concrètement : la manière dont nous élisons nos députés.
La crise politique ne date pas de la censure du 4 décembre dernier, ni même de la dissolution du 9 juin, ni même tout à fait des élections législatives de 2022, qui ont donné une Assemblée nationale sans majorité absolue. Elle trouve son origine profonde dans le fonctionnement de la Ve République.
Ce n'est pas un hasard si les gilets jaunes et les manifestations contre la réforme des retraites ont formulé des demandes démocratiques, dont le référendum d'initiative citoyenne (RIC) et l'abrogation du 49.3. Une conviction progresse dans le pays : nos institutions sont une pièce maîtresse de la crise et, sans renouveau démocratique, la France ne pourra relever les défis qui s'imposent à elle.
Nous devons nous hisser au rang des démocraties modernes et matures, capables de faire face à une situation, somme toute, d'une grande banalité et d'une saine normalité : l'absence de majorité absolue pour une seule formation politique.
C'est pourquoi l'introduction de la proportionnelle aux élections législatives est nécessaire et plus urgente que jamais.
Le scrutin majoritaire alimente la crise politique, frustrant les électeurs et déresponsabilisant les élus. Toutes les voix ne comptent pas : les millions qui se portent sur des candidatures non présentes au second tour ne sont jamais entendues.
Lorsque je présidais le parti Vert européen, j'ai entendu un collègue autrichien expliquer que, aux dernières élections dans son pays, 7 % des voix n'étaient pas représentées. C'est beaucoup, mais c'est acceptable. Et en France, me suis-je demandé ? Sur la base du premier tour des législatives de 2022, on atteint 60 % de voix non représentées ; sur la base du second, avec la multiplication des triangulaires, c'est encore 45 %. Quelle démocratie peut accepter cela ?
Nombre d'électeurs ne votent jamais par conviction, estimant que leur vote sera inutile : ils se résignent à voter pour ceux qu'ils détestent le moins. Certains, usés, ne votent plus du tout.
Avec le scrutin majoritaire, un quart des voix peut permettre d'obtenir la majorité absolue aussi bien que ne donner aucun siège. Cela sape la légitimité de l'Assemblée nationale.
Un Parlement peu représentatif, c'est la fabrique mécanique de la trahison et du mépris. Les artefacts majoritaires atrophient le travail parlementaire et coupent les élus de l'opinion, nourrissant ressentiment et colère. En faisant apparaître des majorités plutôt que de les construire patiemment, on encourage une culture de la paresse et de l'irresponsabilité ; et, quand la majorité n'est pas là, c'est l'impasse totale. Tout cela nous rend collectivement décevants pour les Français.
Le système majoritaire, c'est la culture de l'affrontement plutôt que celle du compromis - sénatrices et sénateurs, élus aux trois quarts à la proportionnelle, nous le savons bien. C'est aussi l'impossibilité de garantir une Assemblée nationale paritaire.
Toléré pendant des décennies au motif qu'il donnait des majorités stables et tenait l'extrême droite à l'écart, le scrutin majoritaire voit ses promesses voler en éclats. Aujourd'hui, c'est lui qui fabrique de l'instabilité et constitue le plus court chemin vers la conquête du pouvoir par l'extrême droite.
Il est temps que le Parlement français représente la société française dans sa complexité et sa pluralité. Chacun doit savoir que sa voix compte. Les forces politiques doivent passer plus de temps à construire des projets que des stratégies d'alliance électorale.
M. François Bonhomme. - Berceuse !
Mme Mélanie Vogel. - C'est ainsi que nous conjurerons l'instabilité politique, qui nourrit le raidissement autoritaire.
Un parlementarisme mature, ce n'est pas l'instabilité ou le compromis mou. Tous les pays européens ont la proportionnelle, et ils connaissent souvent une stabilité politique remarquable grâce à des coalitions solides. Voyez l'Allemagne, l'Autriche, ou le Luxembourg.
M. François Bonhomme. - Et pas la Ve République ?
Mme Mélanie Vogel. - Ces pays ont un cap clair, quand nous vacillons dans la confusion.
La proportionnelle n'est pas un facteur de fragmentation. Nous avons déjà l'un des parlements les plus fragmentés d'Europe !
Elle n'éloigne pas non plus les élus des territoires.
M. François Bonhomme. - Bien sûr ! C'est ce qu'on voit aux élections européennes.
Mme Mélanie Vogel. - C'est même l'inverse !
M. François Bonhomme. - Plus c'est gros, plus ça passe...
Mme Mélanie Vogel. - En Seine-Saint-Denis, 100 % des députés sont issus du Nouveau Front populaire (NFP), alors que les sénatoriales donnent des résultats plus équilibrés. Les Français de l'étranger sont représentés à 90 % par des députés Renaissance, alors que le NFP est arrivé en tête du premier tour des législatives. Peut-on expliquer à un électeur écologiste du Var qu'il est représenté par un député vert de Paris ?
Engageons un travail parlementaire sur le sujet, conformément aux engagements de Michel Barnier et de François Bayrou et aux attentes des Français. Cette proposition de résolution ne tranche pas, mais énonce des principes fondamentaux pour un futur modèle : représentativité réelle, équilibre entre les territoires, lisibilité, applicabilité sans réforme constitutionnelle.
Répondons à la demande citoyenne en renforçant la démocratie ! (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Olivia Richard et MM. Éric Kerrouche, Ahmed Laouedj et Bernard Pillefer applaudissent également.)
Mme Isabelle Florennes . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de résolution porte sur un thème bien connu du groupe UC. C'est un axe historique au centre et à gauche et un thème de prédilection de François Bayrou. (Marques d'ironie sur certaines travées du groupe Les Républicains)
Députée, j'ai déposé une proposition de résolution pour une représentation plus juste des Français à l'Assemblée nationale - M. le ministre s'en souvient sans doute... (M. Patrick Mignola sourit.)
Il peut paraître étrange que nous débattions du mode de scrutin de nos collègues députés. Mais cette proposition de résolution s'inscrit dans un contexte où les débats sont riches et contradictoires sur ce sujet. Elle s'inscrit aussi dans un cycle long : en 1848 déjà, les tenants du système majoritaire expliquaient que les citoyens ne devaient voter que pour un homme qu'ils connaissent ; la proportionnelle était synonyme de complot.
Jean Jaurès puis Aristide Briand ont défendu la proportionnelle. Ce dernier a même vu son Gouvernement renversé sur cette question en 1913, au Sénat.
Le débat sur la proportionnelle a traversé toutes les périodes politiques, et nous avons connu plusieurs applications de ce scrutin : 1919, 1946 et 1986. Dans plus de 70 % des départements, nous, sénateurs, sommes élus à la proportionnelle. Les européennes et les municipales obéissent aussi à ce mode de scrutin.
Pourquoi abandonner le scrutin majoritaire ?
M. François Bonhomme. - Bonne question !
Mme Isabelle Florennes. - La voix de l'électeur minoritaire y est sans valeur : ce couperet frustre nos concitoyens et les pousse à l'abstention ou à un vote purement stratégique. Avec le scrutin proportionnel, chacun voterait selon ses convictions et l'Assemblée nationale représenterait plus fidèlement les divers courants d'opinion.
La proportionnelle peut prendre des formes diverses : intégrale ou partielle, seuils variables, circonscriptions plus ou moins étendues. En fonction des modalités choisies, le lien avec les électeurs est plus ou moins distendu.
M. François Bonhomme. - Cela reste du poison.
Mme Isabelle Florennes. - Les auteurs de la proposition de résolution avancent que nos électeurs se sentent de plus en plus mal représentés et que la défiance citoyenne explose. Un changement de mode de scrutin répondra-t-il à cette crise ? (On ironise sur les travées du groupe Les Républicains)
Soyons réalistes : modifier la façon de voter n'est pas un remède miracle au malaise démocratique. Nous devons mener une triple démarche : réappropriation du politique pour agir sur le réel et éviter les dérives césaristes ; régulation des nouveaux modes de communication, qui dysfonctionnent de plus en plus ; responsabilisation des élus, dont certains adoptent des comportements qui nourrissent le rejet du politique. Sachons accepter des compromis et faire des concessions quand l'intérêt du pays est en jeu.
Le groupe UC est composé d'une diversité de sensibilités. Dans sa majorité, il votera la proposition de résolution. (Applaudissements sur des travées du groupe UC et sur les travées du GEST, du groupe SER et du RDSE)
Mme Cécile Cukierman . - La Constitution de la Ve République est à bout de souffle. Seuls 21 % des Français considèrent nos institutions comme démocratiques, 12 % comme représentatives et 7 % comme justes. Un fossé immense s'est creusé entre eux et leurs représentants.
Il ne doit pas être séparé des problèmes économiques et sociaux : à la désindustrialisation lourde a succédé une précarisation qui frappe tous les secteurs. Face à ce nouveau monde imposé par le capitalisme mondialisé, le pouvoir politique a accumulé les promesses pour ensuite les oublier. Emmanuel Macron, qui appelait à une révolution, a poussé ce décalage à son paroxysme.
La crise démocratique est profonde. C'est vrai aussi dans le monde du travail, où l'individualisation croissante brise le collectif. Au niveau local, nos collectivités subissent une réduction de moyens continue. Au niveau national, l'hyper-présidentialisation, accentuée par la mise sous tutelle du scrutin législatif par la présidentielle, a aggravé le problème. Nous ne parvenons pas à sortir de la crise dans laquelle la dissolution du 9 juin nous a plongés.
Nous avons toujours défendu l'exigence d'une remise à plat démocratique globale. La proportionnelle est une arme de premier plan pour une meilleure représentation de la société, mais elle ne réglerait pas tout. Par ailleurs, ses modalités d'application peuvent être très diverses : proportion de sièges concernés, prime majoritaire ou non, seuil d'accès à la représentation, périmètre des circonscriptions.
En 2018, Emmanuel Macron et Édouard Philippe ont proposé d'élire 15 % des députés à la proportionnelle, ce qui aurait pu répondre au voeu de cette proposition de résolution. Mais ils voulaient aussi réduire de 30 % le nombre de parlementaires et affaiblir les prérogatives du Parlement en remettant en cause la navette et le droit d'amendement. Preuve qu'on peut vouloir introduire la proportionnelle et, en même temps, affaiblir le Parlement.
Ne nous faisons pas d'illusions : le scrutin proportionnel ne résoudrait pas d'un coup de baguette magique une crise dont la profondeur dépasse largement le cadre électoral.
M. Roger Karoutchi. - Ça c'est sûr...
Mme Cécile Cukierman. - Nous n'avons pas d'a priori pour ou contre la proportionnelle, l'enjeu étant dans ses modalités d'application. Nous nous abstiendrons donc. (M. Jean-Jacques Panunzi applaudit.)
M. Olivier Paccaud. - Sage décision !
M. Yannick Jadot . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Il est intéressant de voir nos collègues Les Républicains applaudir notre collègue communiste lorsqu'elle dit, en substance : soit on change tout, soit il est inutile de commencer par le début...
À l'évidence, il y a une crise de défiance. Des réformes institutionnelles profondes doivent être engagées. Nous vous proposons de commencer par le début.
Le front républicain du 7 juillet a été une magnifique nouvelle politique, mais c'est une anomalie démocratique.
M. François Bonhomme. - De l'avis général...
M. Yannick Jadot. - Nombre de Français n'en peuvent plus de voter contre plutôt que pour et d'être gouvernés par des minorités.
Dans les pays où le Parlement est élu à la proportionnelle, les citoyens peuvent être mécontents des coalitions formées, mais elles sont majoritaires dans l'électorat. Nous voulons que chaque électrice, chaque électeur, soit pris en compte.
L'esprit de compromis est essentiel ; il consiste à assumer le pays dans sa complexité. Au Sénat, nous le connaissons bien, mais, ailleurs, l'invective remplace les arguments et les affrontements l'emportent sur le sens du compromis. Au Parlement européen, où j'ai siégé, l'esprit de compromis est encore plus fort, en l'absence de majorité installée.
Le scrutin majoritaire est présenté comme gage de stabilité de nos institutions, mais les politiques publiques, parce qu'elles sont décidées par des minorités, sont plus facilement remises en cause de scrutin en scrutin.
Pendant longtemps, on a cru que le scrutin majoritaire permettait au moins d'éviter l'extrême droite. Ce n'est plus le cas : nous pourrions assister à un raz-de-marée de l'extrême droite à la faveur du scrutin majoritaire.
M. François Bonhomme. - Plus facile de changer les règles que le peuple...
M. Yannick Jadot. - Envoyons un signal pour redonner confiance dans la politique, faire reculer l'abstention et installer l'exigence de compromis. (Applaudissements sur les travées du GEST et du RDSE)
M. Éric Kerrouche . - Ce débat ravive la querelle centenaire entre erpéistes et arrondissementiers, entre partisans et détracteurs des « mares stagnantes » et de la « funeste erreur ».
Ce débat peut sembler éloigné des préoccupations des Français, mais il est essentiel. Fixer les règles électorales, c'est déterminer qui peut voter les lois de la République et donc décider des politiques publiques. La règle doit être la plus démocratique possible, pour que chaque bulletin ait son utilité.
L'absence depuis 2022 d'une majorité absolue, pour la première fois depuis 1962, a relancé le débat, non sans un paradoxe : l'Assemblée nationale n'a jamais été aussi proportionnelle, sinon en 1986. Alors que nous vivons un moment de bascule avec un retour en force du Parlement, certaines idées volent en éclats, à commencer par la prétendue vertu du scrutin majoritaire pour la stabilité.
Comme sous la IVe République, c'est l'émiettement du système des partis qui provoque l'instabilité. En Europe, nombre de pays ont la proportionnelle sans instabilité : les gouvernements durent en moyenne cinq ans, contre dix-huit mois en France.
Reste l'argument du barrage à l'extrême droite. Le glissement de conviction du RN est à cet égard révélateur : pour la première fois, le scrutin majoritaire pourrait lui profiter, alors que la proportionnelle le priverait de majorité absolue.
L'effet amplificateur du scrutin majoritaire est écrasant : en 2017, La République en Marche a obtenu 28,2 % des voix, mais 308 sièges à l'Assemblée nationale !
Les Français finissent par voter contre plus souvent que pour, pour que leur voix ne soit pas perdue. La France, un des seuls pays où la représentation est disproportionnelle, est aussi le plus touché par ce phénomène. Un déplacement de 1 % des résultats peut entraîner un déplacement de 4 % en sièges. Cette disproportionnalité est structurellement un problème démocratique.
Les effets de la proportionnelle sont variables, car sa gamme est infinie. Les seuils de qualification et la magnitude de la circonscription sont des facteurs décisifs. En fonction des modalités retenues, on pourrait observer les effets exposés par Mme Vogel : accroissement de la participation, car chaque voix compte, parité et inclusivité, diminution de la violence politique par la nécessité du compromis. (M. Roger Karoutchi est dubitatif.)
L'instauration de la proportionnelle permettait aussi de déprésidentialiser la vie politique. Aujourd'hui, le risque de perdre son siège en cas de dissolution est très élevé ; il ne le serait pas avec la proportionnelle, ce qui encouragerait moins la soumission. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. François Bonhomme. - Tout est dit !
M. Éric Kerrouche. - La dissolution deviendrait alors un « sabre de carton », selon l'expression de Marie-Anne Cohendet.
Mais la formule électorale ne suffit pas : il faut réfléchir aussi au calendrier électoral, à la géographie électorale et au système partisan lui-même. Simplicité et lisibilité comme représentativité territoriale sont des conditions essentielles d'un changement réussi.
Pour que chaque voix compte et pour déprésidentialiser notre régime, nous sommes favorables à la poursuite de la réflexion parlementaire et voterons cette excellente proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur de nombreuses travées du groupe UC ; M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. Pierre-Jean Verzelen . - Je ne voudrais pas gâcher la fête, ...
M. Olivier Paccaud. - Vous pouvez !
M. Pierre-Jean Verzelen. - ... mais je défendrai un point de vue différent.
La Ve République a résisté à tout. Depuis soixante ans, elle permet stabilité et alternances, malgré les cohabitations, le quinquennat et les majorités relatives, voire très relatives. Elle porte en elle les ressources qui lui permettent de tenir.
Depuis juillet dernier, nous sommes dans une situation complexe et incertaine. Il faut se méfier de ce qui paraît évident, des fausses bonnes idées qui plaisent à l'opinion mais dont les effets interrogent ensuite. Voyez le cumul des mandats, que tout le monde voulait supprimer mais auquel on cherche aujourd'hui à revenir. (On le conteste sur les travées du GEST.) Et voyez le quinquennat ou l'introduction de la proportionnelle en 1986 - qui n'a visiblement pas emporté l'adhésion, puisque le scrutin majoritaire a été rétabli quelques mois après...
La proposition de résolution que nous examinons est un peu vague... S'agit-il d'une proportionnelle départementale, régionale, nationale ? À un tour ou à deux ? Il y a autant de combinaisons qu'au loto ! (On renchérit sur les travées du groupe Les Républicains.)
La tripartition électorale entre banlieues, centres-villes et campagnes est telle qu'on pourrait dire : dis-moi où tu habites, je te dirai pour qui tu votes. Résultat : nous avons une Assemblée nationale qui n'a jamais été aussi représentative - les conséquences ne sont guère encourageantes...
Ce qui compte, c'est le profil des candidats investis.
M. Olivier Paccaud. - Absolument !
M. Pierre-Jean Verzelen. - Avec la proportionnelle, ce seront les mieux vus du chef !
M. Éric Kerrouche. - Ce n'était pas le cas en 2017 ?
M. Pierre-Jean Verzelen. - La proportionnelle ferait reculer l'abstention ? J'en doute. Chez nos voisins, les taux de participation ne sont pas forcément plus élevés - c'est parfois même le contraire.
Ce débat suppose du temps et de l'apaisement. Je ne suis pas certain que les conditions politiques soient réunies. Essayons plutôt de faire en sorte que les prochains mois soient utiles au pays. Une grande partie du groupe Les Indépendants votera contre la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains ; M. Jean Hingray et Mme Christine Herzog applaudissent également.)
M. Roger Karoutchi . - Si la démocratie pouvait être sauvée par un mode de scrutin, on le saurait...
La crise de la démocratie est générale. Depuis plusieurs décennies, un hiatus s'est formé entre les forces politiques et la volonté populaire. Comment cela se règle-t-il ? Par une meilleure adaptation des forces politiques, une transformation profonde de la démocratie, un projet commun. Un changement de mode de scrutin n'y fera rien. Il y a des démocraties malades avec un scrutin proportionnel et d'autres qui le sont avec un scrutin majoritaire...
Le général de Gaulle a veillé à ce que le mode de scrutin ne soit pas dans la Constitution. Il s'agit d'un simple outil, qui peut être modifié au gré des nécessités ; il ne relève pas du fonctionnement des institutions.
La crise actuelle est due à l'affaiblissement du pouvoir politique, des familles politiques, de l'État.
Le mode de scrutin majoritaire a assuré pendant cinquante ans la stabilité de la démocratie française. (Mme Nadine Bellurot renchérit.) Il a donné à un gouvernement solide et sûr de lui la capacité d'agir. Or qu'attend-on d'un Parlement ? Qu'il donne au gouvernement les moyens d'agir dans l'intérêt du pays. Pas qu'il garantisse aux députés qu'en cas de dissolution, ils seront réélus. (On approuve avec vigueur à droite.) Je suis vice-président de la commission d'investiture de mon parti : avec la proportionnelle, je serais élu à vie !
Examinons-nous d'abord nous-mêmes : sommes-nous toujours à la hauteur de ce qu'attendent les Français ? Ils veulent un Gouvernement qui agisse pour leur bien, pas qu'on change le mode de scrutin. Les Britanniques, qui ne sont pas des antidémocrates, ont un scrutin majoritaire à un tour et ne veulent pas en changer. D'autres pays, qui ont la proportionnelle, envisagent d'adopter une part de scrutin majoritaire.
Ce qui change la donne, c'est la force des partis, leur capacité à convaincre. Dans nos formations politiques, avons-nous fait les transformations nécessaires pour être proches des gens ? La démocratie, c'est un gouvernement, soutenu par une majorité stable, qui agit au service de pays. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur quelques travées du groupe UC)
Mme Nadège Havet . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) En juillet dernier, les législatives ont conduit à une Assemblée nationale éclatée, sans majorité claire. Nous avons pu douter de l'efficacité du scrutin majoritaire pour assurer la stabilité. C'est la quadrature du demi-cercle, celui de nos hémicycles... Le tout dans un contexte de crise démocratique, une lame de fond qu'on ne peut ignorer.
Nous soutenons l'idée d'un débat sur la proportionnelle et avons accordé notre confiance au Gouvernement notamment pour mener ces discussions.
La récente censure, qui n'a pas été pas sans conséquences, notamment économiques, a confirmé la nécessité d'une évolution. Mais, comme le demande Julien Jeanneney, « le moment de prise en conscience des affres d'une assemblée sans majorité claire est-il le mieux choisi pour proposer un système tendant à pérenniser une telle situation » ?
Un peu de nuance s'impose. Ne serait-ce que parce que la proportionnelle recouvre un grand nombre de réalités. D'autre part, gardons-nous de faire un usage instrumental ou court-termiste de la révision de nos institutions. Il y va de la Constitution comme des lois électorales : il faut y toucher avec prudence et une réflexion globale. Enfin, si le système existant peut susciter des critiques, il n'est pas certain qu'un autre serait par principe le remède, ni que celui-ci ne serait pas pire que le mal...
Le mode de scrutin proportionnel n'a jamais trouvé d'enracinement dans notre pays. Ses thuriféraires sont parfois devenus des détracteurs. À une échelle globale, la proportionnelle peut éloigner les représentants des électeurs. Elle peut aussi pousser à la radicalité, rendant moins crédibles de futures coalitions - l'exemple espagnol doit nous faire réfléchir. Quant à la stabilité recherchée, l'exemple belge doit également interpeller. (M. Roger Karoutchi renchérit.)
Et si l'objectif est d'affaiblir le Rassemblement national, attention, si je puis dire, au retour de flamme. Ils défendent eux-mêmes le scrutin proportionnel avec un correctif majoritaire très fort - une version différente de celle défendue par Mme Vogel dans sa proposition de loi.
Sénatrices et sénateurs, nous avons la possibilité de rencontrer la totalité de notre électorat, qui identifie en retour la totalité des membres de nos listes. Au reste, la proportionnelle sénatoriale s'applique au niveau départemental, un échelon de proximité.
Le RDPI votera majoritairement la proposition de résolution, car le débat doit se tenir ; mais la réflexion doit être prudente et associer nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Olivier Paccaud. - Le « en même temps » !
M. Ahmed Laouedj . - Je remercie nos collègues du GEST de susciter ce débat.
La mécanique démocratique s'est enrayée et la défiance de nos concitoyens atteint des niveaux préoccupants. L'abstention explose, ce qui est profondément décevant au regard du combat historique en faveur du droit de vote.
Une assemblée parlementaire doit-elle être le parfait miroir de la société ? Condorcet s'y attelait au XVIIIe siècle avec ses modèles mathématiques, mais la somme des préférences individuelles peut être irrationnelle. Difficile, en la matière, de dégager une vérité absolue.
On pouvait croire que le système majoritaire assurait la stabilité. Mais l'actuelle Assemblée nationale est proche de ce que donnerait une proportionnelle.
Mon groupe, partagé, considère qu'un éventuel changement de mode de scrutin devrait prendre place dans une réforme plus globale, limitant la présidentialisation du régime, qui ne favorise pas la culture du compromis. Nous devons apprendre à former des coalitions et réfléchir aussi à la taille des circonscriptions pour garantir la proximité avec les électeurs et éviter la mainmise des appareils partisans.
Nous avons la responsabilité de créer les conditions d'un plus grand engagement citoyen, comme l'a tenté le RDSE avec la proposition de loi d'Henri Cabanel. Pour éloigner nos concitoyens des votes extrêmes, il faut fixer un cap d'espérance.
Au sein du RDSE, les avis sont partagés. Pour ma part, je voterai la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST)
M. Olivier Paccaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Marianne est malade : elle souffre d'un spleen inquiétant depuis longtemps, bien avant le capharnaüm de la dissolution et l'échafaud de la censure. Poison de l'abstention, chêne lierre de l'antiparlementarisme, bordélisation de l'Assemblée par des olibrius furieux : autant de stigmates de la crise de notre République. Qui peut nier les douves quasi infranchissables qui séparent désormais le peuple souverain et les élites gouvernantes ?
Sociologues, philosophes et éditorialistes déploreront que le citoyen soit devenu un consommateur accro aux réseaux sociaux, que l'exigence des droits ait balayé le sens des devoirs, que l'intérêt général et le bien commun soient devenus des notions désuètes. Comment renouer la confiance et revivifier la démocratie ?
Voilà qu'un carillon joyeux s'élève : on aurait trouvé la pierre philosophale électorale, le Graal de la citoyenneté... La proportionnelle !
Mme Raymonde Poncet Monge. - Qui dit cela ?
M. Olivier Paccaud. - Permettez-moi d'être un peu moins enthousiaste... Car la proportionnelle est tout sauf une innovation miraculeuse. Souvenez-vous de la IVe République, le temps des combinaisons et des gouvernements éphémères ; de 1986 et du florentin François Mitterrand, machiavélique ingénieur de la proportionnelle pour limiter la victoire de la droite en offrant trente-cinq députés au Front national.
La proportionnelle, c'est le vice au bras de la vertu électorale. (On apprécie la formule à droite ; M. Éric Kerrouche la récuse.) La vertu, indéniable, c'est la représentativité partisane. Mais l'Assemblée nationale actuelle n'offre-t-elle pas une représentation quasi parfaite ? Le vice, c'est le régime des partis, des copains et des coquins, des copines et des coquines, une pluie de parachutés médiocres et un lien distendu avec les territoires. (Murmures désapprobateurs sur les travées du GEST)
M. Akli Mellouli. - Arrêtez de fumer !
M. Olivier Paccaud. - La baguette magique de la fée proportionnelle a ainsi permis à une conseillère régionale d'Île-de-France de se transplanter dans le Nord-Pas-de-Calais ou à une sénatrice de l'Oise de devenir en quelques heures sénatrice du Val-de-Marne. Nul doute que notre démocratie y a beaucoup gagné...
La proportionnelle repose sur une liste, validée par le parti, à Paris. Certes, les modalités possibles sont diverses. On peut même imaginer un subtil alliage de proportionnelle et de scrutin majoritaire. Tout est possible, mais tout n'est pas souhaitable.
En tout état de cause, le second tour est un précieux temps de réflexion et une opportunité de correction. « La France gouvernée par une assemblée unique, c'est l'océan gouverné par l'ouragan », disait Victor Hugo. Le tour unique, c'est le saut dans le vide sans parachute.
La République vacille, et le remède miracle n'existe pas. Mais la proportionnelle ne serait qu'un placebo aux effets secondaires ravageurs. Marianne a besoin d'un sursaut républicain et d'une refondation civique, sans quoi c'est la nation elle-même qui sera en péril. Le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Patrick Mignola, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Je remercie le GEST d'avoir inscrit à l'ordre du jour cette proposition de résolution. J'aborde ce débat avec humilité, en saluant la qualité des interventions des orateurs, entre force rhétorique et nuances.
On entend souvent qu'il faudrait s'occuper d'autres priorités avant le mode de scrutin. Mais je crois, moi aussi, qu'il doit être au coeur de notre attention : c'est la source de la légitimité démocratique qui est en jeu.
Il faut une réconciliation entre l'action du Parlement et nos concitoyens. Plus les élus au Parlement seront légitimes, plus leur capacité à agir sera grande.
Comme l'a dit Yannick Jadot, c'est aussi l'acceptabilité qui est en jeu : si les électeurs se sentent mal représentés au Parlement, une décision difficile sera plus rudement contestée.
S'interroger sur une meilleure représentativité des modes de scrutin peut conduire à améliorer l'efficience de l'action publique.
L'instabilité ? En toute humilité, notons qu'en 1986, le scrutin proportionnel, paradoxalement, a conduit à une majorité à l'Assemblée nationale, fût-elle plus courte qu'annoncée. De même, les sénateurs sont majoritairement élus au scrutin proportionnel, et il existe bien une majorité ici !
Conservons le sens de la nuance. Nous sommes les seuls en Europe à ne pas avoir inscrit le scrutin proportionnel dans nos institutions. On peut être attaché à l'originalité de la République française, mais reconnaissons que quand on a raison seul, on a rarement raison... (Sourires sur les travées du GEST)
Mme Cécile Cukierman. - Amusant : c'est le même argument que pour les retraites !
M. Patrick Mignola, ministre délégué. - J'ai apprécié l'approche nuancée de ceux qui soutiennent un débat en faveur du scrutin proportionnel.
Le scrutin proportionnel améliore la représentativité des opinions - les électeurs de droite de Seine-Saint-Denis, les électeurs de gauche de Neuilly seraient mieux représentés.
Le scrutin de liste améliore la représentativité sociétale, en confortant la place des femmes, ainsi que la diversité sociale.
M. François Bonhomme. - Ce sont des choix politiques.
M. Patrick Mignola, ministre délégué. - Le scrutin proportionnel peut mener à une évolution des cultures politiques. Mon intervention est respectueuse et prudente (Mme Nadine Bellurot le confirme avec amusement), car j'appartiens à un gouvernement qui est le fruit d'un compromis, où les avis sur le sujet divergent.
Dans une Assemblée nationale émiettée, les députés, pourtant nombreux à être de bonne volonté, ont du mal à trouver le chemin du compromis car ils doivent leur élection à une logique d'écrasement des uns par les autres - censée dégager une majorité absolue...
La culture du compromis est indispensable face aux difficultés du pays. Prétendre avoir raison seul conduit à la contestation et au blocage.
Le débat, dans les prochaines années, sera celui du comment : comment éviter l'émiettement, comment conserver un lien avec les électeurs ? Plusieurs intervenants ont appelé à toiletter le cumul des mandats, sujet sensible... À quel échelon appliquer la proportionnelle ?
Il ne faudrait pas que le choix du scrutin proportionnel aboutisse à donner tout pouvoir aux appareils.
M. François Bonhomme. - C'est bien le problème !
M. Patrick Mignola, ministre délégué. - Mais dans un système majoritaire aussi, le poids des commissions d'investiture peut être décisif... (Rires sur les travées du GEST et du groupe Les Républicains)
La réflexion sur le meilleur lien entre élus et électeurs doit être élargie. Il faut poser la question de l'inscription sur les listes électorales ; de la sécurisation des procurations ; du vote par correspondance, qui existe déjà dans les comités d'entreprise ; du vote électronique, pratiqué avec succès en Estonie ; de l'accessibilité du vote pour les personnes en situation de handicap ou en perte d'autonomie. La banque de la démocratie voulue par le Premier ministre évitera que nos campagnes électorales ne dépendent d'intérêts privés ou d'ingérences étrangères.
Merci pour votre réflexion sur ce sujet d'actualité.
La démocratie est l'organisation sociale qui porte au plus haut la conscience et la responsabilité des citoyens, disait Marc Sangnier. Nous sommes tous animés par la volonté d'y parvenir. (Applaudissements sur les travées du GEST, du RDSE, du RDPI et sur plusieurs travées du groupe UC)
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°183 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 314 |
Pour l'adoption | 162 |
Contre | 152 |
La proposition de résolution est adoptée.
(Applaudissements sur les travées du GEST, du groupe SER, du RDSE et sur plusieurs travées du RDPI et du groupe UC ; M. Gérard Lahellec applaudit également.)
La séance est suspendue quelques instants.
Préservation et reconquête de la haie
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi en faveur de la préservation et de la reconquête de la haie, présentée par M. Daniel Salmon et plusieurs de ses collègues, à la demande du GEST.
Discussion générale
M. Daniel Salmon, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Lucien Stanzione applaudit également.) Ce n'est pas sans émotion que je vous présente cette proposition de loi pour la reconquête de la haie. Je salue tous ceux qui ont travaillé à des compromis pour renforcer la portée de ce texte transpartisan.
Au spectacle de la nature, les haies sont discrètes, en fond de parcelle, en bordure de chemin ; elles n'intéressent que quelques amoureux de l'aubépine et du fusain, comme le souligne Sonia Feertchak dans son Éloge de la haie.
Pourtant, la haie structure nos paysages, royaume peuplé d'un monde grouillant, rampant ou ailé. Elle sépare l'espace mais lie le vivant.
Elle permet une synergie entre agriculteurs, élus locaux, associations de chasseurs, associations environnementales ou entreprises agroalimentaires à la recherche de bois durable. Ses bénéfices nous rassemblent sur tous les bancs.
Il y a urgence. Depuis 1950, 70 % des haies ont disparu, soit 1,4 million de kilomètres, malgré leurs nombreuses aménités, agronomiques, environnementales et économiques. Elles abritent une biodiversité importante et sont une réponse aux aléas climatiques. Elles régulent les flux d'eau et luttent contre l'érosion des sols, brisent le vent et abritent bétail et cultures, ce qui augmente les rendements. Elles stockent le carbone, produisent une biomasse feuillue, maintiennent un patrimoine arboré et sont un outil de diversification du revenu agricole.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France s'engage dans le remembrement de ses terres agricoles, pour les redistribuer, rationaliser les déplacements, améliorer les rendements et faciliter la mécanisation. En Bretagne, région de bocage, le paysage est mis à l'équerre. Le génie rural considérait talus et haies comme des obstacles à l'utilisation rationnelle du sol. On a arraché les haies, les pommiers, arasé les talus, comblé les ruisseaux, effaçant l'agriculture vivrière au nom de la productivité, de la foi dans le progrès.
Le remembrement a bouleversé les écosystèmes, accentuant les déséquilibres hydriques, renforçant sécheresses et inondations. Autre conséquence, l'utilisation de la chimie et des énergies fossiles.
Le remembrement a bouleversé toute une société paysanne. Dans sa Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, Giono explique combien le paysan est un être social particulier, combien son corps et sa terre ne font qu'un. J'ai une pensée pour cette paysannerie fière et autosuffisante, dont le mode de vie a été détruit.
Certes, il ne faut pas idéaliser le passé : la vie était rude, très rude. Mais reconnaissons que si le remembrement a eu des effets positifs, il a aussi vidé les campagnes. Nous en payons toujours le prix. Auparavant, l'agriculture produisait pour l'échelle locale. Puis les circuits se sont allongés. Les parcelles ont troqué leurs noms pour des numéros. Ces blessures sociales et psychologiques ne sont pas toutes refermées.
« Je me reproche de ne pas avoir fixé une limite au remembrement », confiait Edgar Pisani en 2009. Pour André Gorz, le mouvement écologique est né d'une protestation spontanée contre la destruction de la culture du quotidien par les appareils de pouvoir économique et administratif - car la nature doit être comprise comme le monde vécu, où les individus maîtrisent l'aboutissement de leurs actes.
Ne perpétuons pas les erreurs du passé.
Les haies reviennent de loin. Leurs fonctions écosystémiques sont désormais mises en évidence.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - C'est vrai.
M. Daniel Salmon. - Des actions publiques régionales sont venues soutenir les replantations bocagères - je pense à Breizh Bocage. Cela s'est traduit par des projets de recherche, par la structuration de filières et d'une communauté professionnelle - je pense à l'Association française arbres champêtres (Afac) Agroforesterie.
Mais nombre d'agriculteurs vivent toujours la haie comme une contrainte. La haie porte sa croix, accusée de prendre une place qui pourrait être dédiée à la culture.
Malgré la prise de conscience des pouvoirs publics et les programmes de plantation, on estime à 23 000 km par an le linéaire disparu entre 2017 et 2021. Il faut stopper cette spirale de destruction.
Cette proposition de loi se veut complémentaire du pacte en faveur de la haie, lancé en 2024. Elle propose une stratégie, un cadre incitatif et rémunérateur, en se concentrant sur le linéaire existant.
Son article 1er inscrit dans la loi des objectifs chiffrés, crédibles et atteignables : 100 000 km de haie en gestion durable en 2030 correspondent à 2 000 agriculteurs labellisés par an. C'est possible, avec le crédit d'impôt voté à l'unanimité dans le PLF - dont nous espérons qu'il sera maintenu à l'issue de la CMP...
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - On l'espère !
M. Daniel Salmon. - L'article 2 instaure un label Haie ouvrant droit au crédit d'impôt. Avec le rapporteur, nous avons trouvé un compromis sur la définition des certifications de la gestion durables.
Pour remplir ses fonctions, la haie doit devenir un atelier économique à part entière des exploitations. Elle peut contribuer au revenu agricole : bois-énergie, litière animale, reconnaissance des services environnementaux dont le stockage de carbone... Les initiatives ne demandent qu'à se massifier - d'où le crédit d'impôt prévu l'article 3.
Ce texte projette la haie en dehors de la seule sphère agricole, pour l'inscrire dans de nouvelles dynamiques territoriales. La haie, c'est notre patrimoine, nos paysages, notre imaginaire. Je souhaite qu'elle construise la transition agroécologique, qu'elle réenchante nos territoires. Comme l'écrit Robert Michael Pyle, c'est en prenant conscience de ce qui nous reste qu'on prend conscience de ce qui peut disparaître. (Applaudissements sur les travées du GEST, des groupes CRCE-K, SER et du RDSE)
M. Bernard Buis, rapporteur de la commission des affaires économiques . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) C'est un honneur de vous présenter les travaux de la commission sur cette proposition de loi, trait d'union entre respect de l'environnement et économie rurale.
La haie n'a pas toujours été considérée comme l'outil « tout-en-un » que nous promouvons. Dans les années 1930, le géographe Louis Poirier, plus connu sous le nom de Julien Gracq, prédisait la disparition du bocage, qualifié de « forme de vie économique fossile ». Il n'avait pas tort, à l'approche du remembrement.
Bocage harmonieux avant-guerre, remembrement après-guerre, replantation aujourd'hui ? Gardons-nous de ces visions simplistes.
Autrefois, la haie était une culture, source de bois de chauffage, de fourrage, de litière - loin des représentations idéalisées.
L'essor des préoccupations environnementales, n'a pas empêché l'accélération de la perte nette de haies : 10 500 km par an entre 2006 et 2014, 23 500 km par an entre 2017 et 2021.
Il y a cinquante ans, l'État subventionnait l'arrachage des haies, aujourd'hui il finance leur plantation.
Les haies sont des couteaux suisses : elles brisent le vent, assurent la régulation thermique, stockent du carbone, protègent la biodiversité, retiennent l'eau, luttent contre l'érosion, abritent la petite faune.
Si ces bénéfices écologiques sont diffus, les motivations économiques, elles, sont palpables. C'est ce que promeut cette proposition de loi, qui vise à changer notre regard sur les haies. Elle s'appuie sur une certification garantie par l'État pour valoriser la gestion durable, à l'article 2 ; promeut la valorisation énergétique du bois bocager, à l'article 3 ; et apporte un soutien fiscal aux agriculteurs, à l'article 4 - car la revalorisation du bonus haie de 7 à 20 euros par hectare ne suffit pas pour répondre aux défis.
On pourrait nous objecter que l'article 1er, instituant une stratégie pour la reconquête de la haie, est satisfait par le pacte Haie de 2023, abondé de 110 millions d'euros par an, qui vise le gain net de 50 000 km de haies. Mais la réduction de 73 % des crédits alloués dès sa deuxième année a montré la fragilité du dispositif.
Au contraire, cette consécration législative apporterait continuité et prévisibilité. Nos auditions ont confirmé le soutien des acteurs, notamment de la filière bois-énergie. Les seules réserves portent sur les objectifs chiffrés et la coordination avec le pacte Haie, le PLF 2025 ou le futur projet de loi d'orientation agricole.
L'article 4 de la proposition de loi prévoyait initialement un crédit d'impôt de 3 500 euros. Nous avons donc déposé un amendement à la première partie du projet de loi de finances, cosigné par Daniel Salmon, Laurent Duplomb et 65 collègues de tous les groupes, qui rend 60 % des dépenses de gestion durable des haies éligibles à un crédit d'impôt, plafonné à 4 500 euros. Adopté avec un double avis de sagesse, nous espérons qu'il survivra à la CMP... Tout le sens de la proposition de loi en dépend.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Exactement.
M. Bernard Buis, rapporteur. - La haie ne doit plus être perçue comme un coût par les agriculteurs, alors qu'elle peut être valorisée et rend des services écosystémiques.
La commission s'est attachée à articuler la proposition de loi avec le pacte Haie, dont nous faisons la première déclinaison de la stratégie nationale, tout en fixant des objectifs plus ambitieux à l'horizon 2050.
Avec pragmatisme, nous avons retenu plusieurs certifications de gestion durable, reconnues par arrêté ministériel, plutôt qu'une certification publique unique. De même, j'ai souhaité que le cahier des charges national s'adapte aux spécificités pédoclimatiques locales. Cependant adaptation ne signifie pas affaiblissement des exigences. Pour l'heure, seul le label du Réseau Haies France, ancienne Afac-Agroforesteries, satisfait les principes fixés dans la loi, mais nous n'avons pas voulu créer de monopole.
Le travail en commission a abouti à un texte équilibré. Daniel Salmon, qui place la cause de la haie au-dessus de sa personne, a consenti à intégrer certaines dispositions de son texte par amendement à l'article 14 du projet de loi d'orientation agricole ; je remercie Laurent Duplomb et Franck Menonville pour leur esprit de compromis.
Nous souhaitons que la logique incitative prime la logique punitive : la carotte financière plutôt que le bâton fiscal. Ce texte ne crée aucune obligation, la démarche étant complètement volontaire.
Madame la ministre, nous vous présentons un texte équilibré, entre ambition et réalisme. Nous avancerons à vos côtés, main dans la main, sur le terrain de l'économie et de la transition environnementale.
Je souhaite une promulgation rapide de ce texte. Nous aurons alors fait oeuvre utile pour l'environnement, pour le revenu de nos agriculteurs et pour la résilience de notre agriculture. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, des groupes SER et CRCE-K, et du GEST ; Mme Dominique Estrosi Sassone applaudit également.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche . - Je partage votre constat : bien plus qu'une simple frontière, la haie est un instrument au service de la transition écologique et de l'agriculture. Elle rend des services environnementaux et agronomiques. Elle limite l'érosion des sols - surtout en période de pluies abondantes - , abrite la biodiversité, filtre l'eau. Elle est un atout pour l'élevage, stocke du carbone et fournit de la biomasse pour les chaudières.
Gérée durablement, la haie contribue autant à l'atténuation du dérèglement climatique qu'à l'adaptation, et aussi à la lutte contre l'effondrement de la biodiversité.
Mon ministère s'est emparé du sujet via le pacte en faveur de la haie lancé en 2023, avec pour objectif d'enrayer le déclin du linéaire et d'atteindre un gain net de 50 000 km d'ici à 2030. Celui-ci prévoit un appui au développement des pépinières, à la gestion durable, à la plantation, à la formation à l'agroforesterie. Un observatoire a été lancé, et des dispositifs de soutien ont été lancés : le bonus haie, revalorisé de 7 à 20 euros ; la possibilité de souscrire à une mesure agroenvironnementale et climatique (Maec) pour compenser surcoûts ou pertes de revenus ; des paiements pour services environnementaux. Les résultats sont encourageants, et d'ici à la fin de l'année, plus de 900 exploitants auront obtenu le label « haie ». Nous avons également inclus les haies dans nos dispositifs de financement innovants.
Il n'existe pas de modèle autoportant incitant à la plantation et à la gestion durable des haies. Nous devons mûrir nos dispositifs de soutien et développer une filière d'utilisation de la biomasse issue de la haie.
Nous visons aussi la restauration des continuités écologiques. Nous protégeons la haie dans les documents d'urbanisme. Enfin, nous avons lancé la marque « Végétal local » pour renforcer la résilience des haies au dérèglement climatique grâce à leur diversité génétique.
Cette proposition de loi, antérieure au pacte, promeut la même ambition. Si ses ajouts sont utiles, convenez que, si nous ne voulons pas alourdir le travail de nos agriculteurs et de l'administration, le pacte doit rester une feuille de route souple et agile, qui ne donne pas prétexte à contentieux. Il serait prématuré, voire contre-productif, d'inscrire des objectifs quantifiés dans la loi, car les trajectoires peuvent évoluer en fonction des données de l'observatoire de la haie, en cours d'installation. Restons-en à l'objectif de 50 000 km nets d'ici à 2030.
De même, je ne suis pas favorable à l'inscription de plusieurs niveaux de certification ou à une formalisation trop détaillée du comité de suivi. À trop complexifier, à trop formaliser, on risque de décourager.
En revanche, la loi peut définir les grandes lignes de la gestion durable et prévoir ses modalités de contrôle - qui pourront être précisées par arrêté interministériel.
La reconnaissance des certifications durables, notamment dans la filière de l'énergie, assurera la valorisation économique des haies.
Cette proposition de loi contribue à ancrer les haies dans nos territoires et dans notre stratégie de transition écologique. Je salue l'unanimité dont elle a fait l'objet en commission et souhaite que nos débats s'inscrivent dans le même esprit de coconstruction. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du GEST)
M. Gérard Lahellec . - Merci à Daniel Salmon pour son initiative. Quelque 23 000 km de haies disparaissent chaque année. La Bretagne, terre de bocage, ne fait pas exception. Dans le Trégor, 159 km de haies ont disparu au cours des vingt dernières années. Le bocage y est divers : talus nus en bord de mer, talus plantés à l'intérieur des terres, haie plantée... Outre sa contribution au maintien de la biodiversité, la haie façonne, organise nos territoires.
À Plouaret, 85 km de routes et 45 km de chemins sont enchâssés entre deux talus plantés. La gestion de ces bois de bocage alimente deux chaudières à bois.
Ensuite, la haie sert notre agriculture. D'abord en permettant de tenir les fermes. Dans le Trégor, les agriculteurs devenaient propriétaires des haies, via les « convenants ». Ce mode d'appropriation a favorisé le développement des haies. Les haies ont aussi une utilité pour les éleveurs, en abritant les bêtes été comme hiver.
Associées aux talus, elles retiennent les eaux de pluie et alimentent les rivières. Des minibassines, en quelque sorte ! (Sourires sur les travées du GEST)
L'entretien des bocages repose sur les agriculteurs : moins il y aura d'agriculteurs, moins il y aura de haies. Sachons nous en souvenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du RDPI)
M. Ronan Dantec . - (Vifs applaudissements sur les travées du GEST) Je salue l'auteur et le rapporteur, qui ont su trouver des compromis. C'est bien ce qui est demandé à la représentation nationale - nous l'avons vu tout à l'heure. Les 1 000 déplacés d'Ille-et-Vilaine et les maires de Loire-Atlantique qui font face à la montée des eaux nous demandent non pas de faire de nos hémicycles des lieux de brutalisation du débat public, mais de trouver des solutions.
Il faut ralentir le grand cycle de l'eau : c'est ce que vient de voter, à l'unanimité, le Conseil national de la transition écologique (CNTE), de la FNSEA à France Nature Environnement, en passant par le Medef. Nous connaissons bien le rôle des haies en la matière, éponges précieuses pour limiter l'inondation des plaines - voyez ce qui est arrivé à Saffré.
Nous connaissons aussi l'importance des haies pour la biodiversité et la biomasse, comme l'a montré l'avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese), présenté hier par une représentante du WWF et un représentant des chasseurs et qui reprend plusieurs points de notre texte : l'observatoire, les trajectoires chiffrées, le soutien financier.
Le consensus sociétal est donc très fort : à nous de trouver les traductions politiques pratiques.
J'insiste sur la rétribution du monde agricole pour son action sur les externalités et les aménités : biodiversité, bois-énergie, lutte contre les inondations. Le bocage n'a pas été créé pour faire joli, mais pour ses fonctionnalités. Il est inéluctable que la société demande demain au monde agricole de développer encore ces services essentiels.
Je ne doute pas d'un vote massif du Sénat en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; Mme Nadège Havet et M. Bernard Buis applaudissent également.)
M. Lucien Stanzione . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) C'est avec solennité que je m'adresse à vous au sujet des haies. Je ne parle pas des jolis arbustes alignés dans les clôtures autour de nos maisons, mais d'une bataille pour notre avenir. Nous examinons une proposition de loi historique, adoptée à l'unanimité en commission. Je salue le travail de Daniel Salmon et de Bernard Buis.
Je déplore quelques reculs par rapport au texte initial, mais chaque pas en avant compte. Le groupe SER votera cette proposition de loi.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : depuis les années 1950, 70 % des haies ont disparu, en raison notamment du remembrement lié à la politique agricole productiviste d'après-guerre. La destruction des haies n'appartient pas encore au passé : on détruisait 11 500 km par an entre 2006 et 2014, 23 500 depuis.
Cela tourne à la tragédie pour nos écosystèmes, nos sols, nos cultures et notre climat, car les haies sont de véritables infrastructures qui jouent un rôle clé pour freiner l'érosion, stocker l'eau, climatiser les espaces, servir de gîte, de couvert et de corridor à la faune. Elles améliorent les rendements agricoles en protégeant les cultures et les élevages, et permettent la diversification des revenus grâce à la biomasse. C'est aussi un élément d'aménagement du territoire. Mais ces multiples bienfaits ont été trop longtemps négligés.
Dans la plaine de Carpentras, le mistral a conduit les agriculteurs à façonner un maillage dense de haies, conçues pour résister aux vents violents et qui sont cruciales pour le maraîchage et la viticulture.
Dans le parc naturel régional du Mont Ventoux, sur plus de 94 000 hectares, 20 exploitations agricoles sont engagées dans un programme innovant de préservation des paysages et de gestion durable grâce à l'agroforesterie. Mais ces efforts, qui dépendent de financements publics, sont encore fragiles.
Les haies sont non pas de simples vestiges du passé, mais des clés pour l'avenir ! (Applaudissements à gauche)
M. Cédric Chevalier . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La Marne est le département du Grand Est qui le plus planté de haies dans le cadre du programme « Plantons des haies ! » - sans besoin de texte... Début 2021, l'État a lancé ce programme dans le cadre de France Relance. Dans la Marne, l'association Symbiose a mis en place un guichet unique, avec un réel succès : plus de 110 agriculteurs volontaires, 84 projets, 167 km de haies plantées !
Les haies, à la fois outil et ressource, remplissent de multiples fonctions : aménagement du territoire, biodiversité, ressource économique. Les haies peuvent aussi être pédagogiques, comme à Courcy dans la Marne, où les scolaires ont aidé à la plantation.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - À Michery dans l'Yonne aussi !
M. Cédric Chevalier. - Je salue le travail du rapporteur, qui a révisé les objectifs chiffrés initiaux. Nous soutiendrons le Gouvernement pour mettre en cohérence ce texte avec les engagements déjà pris dans la stratégie nationale biodiversité 2030 (SNB) et le pacte en faveur de la haie.
L'idée du label public unique a été abandonnée au profit d'une reconnaissance officielle des labels existants. Un principe d'adaptation territoriale des certifications tient compte des spécificités locales.
Je reste toutefois perplexe : même si la certification est volontaire, les exigences ne doivent pas dissuader les agriculteurs de s'y engager. Nous voterons donc l'amendement du Gouvernement.
Chacun est convaincu du rôle des haies. À l'heure où il faut faire des économies, pourquoi un observatoire de la haie ? Il serait dommage que nous devions un jour le supprimer dans une proposition de loi sur les comités Théodule, comme celle que nous examinons cet après-midi. (Sourires)
Le crédit d'impôt sera-t-il maintenu dans le PLF ? Si oui, à quoi bon ce texte ? Pour franchir une étape, comme dans une course de haies ? (Sourires)
À quelques jours de l'examen du projet de loi d'orientation agricole, maintenons la ligne : simplification normative et limitation des millefeuilles administratifs. Nous soutenons les haies, mais pas celles de la complexification. Les haies législatives mériteraient un coup de sécateur. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
Mme Béatrice Gosselin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.) Pour la Manche, terre de bocage, cette proposition de loi est capitale. Certes, elle s'inscrit dans un contexte budgétaire difficile. Dans le PLF, le pacte en faveur de la haie a été fortement amputé, malgré des amendements venus de tous les bancs. Cette baisse dramatique affaiblit notre capacité à atteindre nos objectifs. Je salue cependant la création d'un crédit d'impôt, avancée notable.
Les attentes des agriculteurs de simplification administrative ne peuvent être ignorées. Quatorze réglementations s'appliquent, souvent contradictoires ou redondantes. Il faut un cadre clair et unique.
La définition de la haie dans la PAC, qui reconnaît la diversité des haies, est pertinente. Elle reflète la réalité du terrain dans les bocages normands, comme dans d'autres régions. Une telle harmonisation avec un guichet unique départemental offrirait un cadre cohérent.
L'Assemblée nationale a permis une avancée notable : la prise en compte des spécificités locales dans la gestion des haies. Un décret en Conseil d'État prévoit des compensations territorialisées, selon la densité des haies, et leur valeur écologique. Chaque département pourra définir des interdictions de travaux sur les haies : cette année, les travaux ont dû être reportés, la pluie ayant détrempé les terrains. Dans la Manche, 50 000 km de haies représentent en moyenne 100 mètres par hectare, alors que c'est seulement 13 mètres par hectare dans l'Eure. Une cartographie départementale régulièrement mise à jour donnera plus de lisibilité.
Si l'ambition d'une certification nationale est louable, elle doit prendre en compte les spécificités territoriales. Les agriculteurs manchois sont réservés sur la pertinence du label. Le bocage normand nécessite une approche adaptée : il faut parfois déplacer une haie. La vitesse de pousse, la typologie des sols et les pratiques agricoles de mon territoire ne sont pas les mêmes qu'ailleurs. Il faut une gestion durable et pluriannuelle des haies. Là où le bocage représente un patrimoine agricole, écologique et identitaire, il faut associer les acteurs locaux et le préfet pour que cette valorisation soit pertinente et opérationnelle.
Pour atteindre les objectifs de cette proposition de loi, nous devons garantir des moyens financiers suffisants et accompagner nos agriculteurs.
Ce texte est une occasion unique de concilier économie, écologie et agriculture, avec un cadre économique simplifié et des financements pérennes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, du RDPI et du GEST, et du groupe SER)
M. Frédéric Buval . - Ce texte est très important pour nos paysages et pour nos agriculteurs. Les haies sont bien plus que des éléments du paysage rural : un rempart contre l'érosion des sols, un refuge pour la biodiversité, un régulateur thermique, un allié pour la gestion de l'eau, un puits de carbone... Elles protègent les cultures et les élevages contre les aléas climatiques.
Pourtant, leur disparition s'accélère. Depuis les années 1950, 70 % du linéaire bocager a disparu. Leur rythme de disparition a même doublé depuis 2017. Si nous ne réagissons pas, nous risquons de voir disparaître un élément structurant de notre paysage rural.
L'article 1er définit une stratégie nationale, avec des objectifs précis. Pour que les haies soient entretenues et replantées, nous devons changer notre regard sur leur rôle économique. L'article 2 prévoit une certification nationale de gestion durable, qui prend en compte les spécificités de chaque territoire. Cette démarche facultative permettra aux exploitants d'être rémunérés pour leurs bonnes pratiques.
L'article 3 fixe des objectifs concrets pour accroître l'utilisation du bois bocager dans les filières de biomasse. La haie devient donc un levier de développement territorial.
Enfin, ce texte apporte une solution au coût de l'entretien des haies. Dans le PLF, nous avons voté un crédit d'impôt - initialement prévu à l'article 4. C'est essentiel pour permettre aux agriculteurs de franchir le pas et d'investir sans crainte. Il faudra un vrai budget dédié. Nous espérons que cette mesure sera maintenue dans le PLF.
Ce texte conjugue ambition écologique et réalité économique. C'est une vraie opportunité pour les territoires hexagonaux, mais aussi outre-mer. Le RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Philippe Grosvalet . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.) Au début des années 1960, on m'enseignait à l'école publique les bienfaits de la haie. Mais, le dimanche, sur le chemin de la ferme de mes grands-parents, je croisais les bulldozers... J'ai compris que notre République indivisible pouvait avoir plusieurs visages.
Le remembrement a affecté le paysage de nos campagnes, notamment dans le Nord et l'Ouest de la France. Si certains bocages sont préservés, comme à Notre-Dame-des-Landes (on apprécie sur les travées du GEST), ils ont souvent disparu ailleurs.
Les bénéfices des haies sont pourtant nombreux : lutte contre l'érosion, enrichissement des sols, pollinisation, biodiversité, bien-être animal, stockage du carbone, participation au grand cycle de l'eau... Elles ont aussi une valeur économique : 100 mètres de haies produisent jusqu'à 10 tonnes de bois vert en une génération. C'est donc un enjeu agricole, environnemental et économique.
Il y a certes les aides de la PAC et le pacte en faveur de la haie, mais les moyens pour atteindre nos objectifs sont largement insuffisants - ils sont dégressifs de surcroît... Il fallait donc un nouveau souffle législatif.
Nous avons besoin d'une vision stable et à long terme. Le label permettra de prendre en compte les spécificités locales. L'article 3 vise à augmenter le volume de haies dans la biomasse : c'est conforme à nos objectifs de transition écologique. Le crédit d'impôt, incitatif, permet aux acteurs d'adhérer à cette stratégie, car la réintroduction de haies doit se faire avec le monde agricole, et non contre lui.
Je ne suis pas certain que cette proposition de loi entrera dans l'histoire au même titre que les accords de La Haye. (Applaudissements sur les travées du GEST et du RDSE ; M. Daniel Fargeot applaudit également.) Mais l'histoire retiendra au moins une chose : le RDSE votera cette loi à l'unanimité ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST)
Mme Marie-Lise Housseau . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Malgré sa singularité normative et grâce à la redécouverte récente de ses vertus, la haie fait l'objet d'un consensus politique sur la nécessité de la préserver et de la développer.
La haie présente de multiples avantages agronomiques, écologiques et économiques. Réservoir de biodiversité, elle est un outil précieux pour adapter nos territoires au changement climatique.
Pourtant, le rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) de 2023 fait l'amer constat de sa disparition : en quinze ans, nous avons perdu 15 % de notre patrimoine de haies, sous l'effet du remembrement et de la mécanisation de l'agriculture.
Le législateur a cherché des solutions pour faciliter le développement des haies et gommer certaines réglementations complexes, l'une des raisons du mécontentement agricole début 2024.
Notre mission est de combiner les mesures de cette proposition de loi avec les engagements du pacte en faveur de la haie de septembre 2023 et les crédits du PLF pour 2025. Cette mise en cohérence des objectifs gouvernementaux et parlementaires est nécessaire, pour une politique efficace - les agriculteurs sont demandeurs de plus de simplicité et d'outils appropriés. Cela nous permet aussi d'inscrire dans le marbre des objectifs ambitieux et crédibles.
Il existe une multiplicité de définitions de la haie, contradictoires. Cette question est renvoyée au projet de loi d'orientation agricole.
L'article 2 fixe des critères de gestion durable et prévoit une certification, plus adaptée à l'hétérogénéité des haies, avec des corrections bienvenues. Cette nouvelle législation devra aussi s'articuler avec les programmes régionaux préexistants.
L'article 3 fixe des trajectoires régionales d'approvisionnement des chaufferies en bois issu des haies gérées durablement. C'est judicieux, mais attention à la cohérence sur le long terme, car nous sommes régulièrement interpellés par les professionnels du bois de construction : alors que la loi Agec vise à réduire le prix des produits vertueux, l'écocontribution du bois est 15 à 30 fois supérieure à celle du béton ou de l'acier. Anne-Catherine Loisier a fait des propositions pour corriger ce déséquilibre.
La version initiale de cette proposition de loi prévoyait un crédit d'impôt, finalement intégré au PLF. Cela devrait compenser partiellement la perte de 72 % des crédits budgétaires du plan en faveur de la haie. Dommage qu'il n'y ait plus d'enveloppe stable.
Pour toutes ces raisons, le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE, du RDPI et du GEST ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente
Discussion des articles
Article 1er
M. Olivier Paccaud . - Élu de l'Oise, où le bocage modèle les campagnes en lisière de Normandie, je suis sensible à cette proposition de loi. La haie est un élément clé de nos paysages d'hier et de demain. La haie appartient aussi à notre histoire : guerres révolutionnaires de Vendée, bataille de Normandie... On peut penser aussi à l'onomastique et à l'anthroponymie, même si notre collègue Delahaye est absent...
La mécanisation et le remembrement auraient pu lui être fatals. Mais, fort heureusement, une prise de conscience a eu lieu et de nombreuses collectivités subventionnent désormais leur replantation. Il n'a pas été besoin de loi pour cela, mais l'appui de la législation n'est jamais inutile.
Cette proposition de loi va dans le bon sens. Mais attention à ce que la broussaille normative n'enlaidisse pas nos jolies haies !
Mme la présidente. - Amendement n°5 du Gouvernement.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Merci pour vos odes à la haie.
Cet amendement supprime les objectifs chiffrés sur les linéaires de haies gérées durablement. Conservons la référence au linéaire fixée dans le pacte en faveur de la haie, mais n'allons pas plus loin, faute de données précises sur l'état des lieux. Sinon, nous risquerions de freiner le mouvement que vous portez tous.
Mme la présidente. - Amendement n°8 de M. Buis, au nom de la commission des affaires économiques.
M. Bernard Buis, rapporteur. - Cet amendement vise à clarifier ce qui relève de la loi ou du règlement.
L'amendement du Gouvernement deviendrait sans objet en cas d'adoption du nôtre. Les objectifs de la proposition de loi ont déjà été réduits et sont atteignables : conservons-les dans la loi. Avis défavorable à l'amendement n°5.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Avis défavorable à l'amendement n°8.
M. Daniel Salmon. - Je comprends les réticences à s'engager sur des objectifs chiffrés, mais nous avons été plus que raisonnables. Notre objectif - 500 000 km en gestion durable - , c'est seulement 10 % du linéaire actuel. Des objectifs inatteignables désespèrent tout le monde, mais tel n'est pas le cas ici. Idem pour les 500 000 tonnes de matière sèche : c'est seulement le quart des 2 millions de tonnes prévues par le secrétariat général à la planification écologique (SGPE).
Ne restons pas dans le verbiage. Je suivrai le rapporteur.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - D'où partons-nous ? D'une situation où l'on arrache plus de haies qu'on en replante. Notre objectif, ambitieux, est cohérent avec la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et il a été négocié avec tous les acteurs de l'agriculture et de la filière biomasse.
Que ceux qui pensent que nos objectifs doivent se fonder sur la science et le travail collectif votent mon amendement !
M. Vincent Louault. - Je trouve vos arguments très bons, madame la ministre : on ne connaît pas le nombre de kilomètres de haies en France. L'observatoire devrait y remédier, mais l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) a du mal à distinguer les haies des rivières... Je voterai votre amendement.
L'amendement n°5 n'est pas adopté.
L'amendement n°8 est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°3 de M. Salmon.
M. Daniel Salmon. - Nous souhaitons ajouter un objectif relatif à la matière sèche en 2050. Cela peut paraître loin, certes ; c'est pourquoi nous ne fixons pas un objectif en tonnage, mais en pourcentage de biomasse produite par une gestion durable, dans le droit fil de l'objectif de l'Ademe. Nous faisons le pari que tous les ans, 2 000 agriculteurs de plus s'inscriront dans une gestion durable de la haie.
M. Bernard Buis, rapporteur. - En commission, nous avons considérablement réduit les objectifs 2030 pour les rendre crédibles et cohérents avec le pacte en faveur de la haie.
Mais la proposition de loi propose aussi d'intéressants objectifs à 2050, qui n'existent pas dans ce pacte. Il manquait toutefois un objectif relatif à la biomasse gérée durablement en 2050.
Les ministères arguent que des objectifs à si long terme sont difficiles à mesurer, mais un objectif à 2050 figure pourtant bien dans le projet de loi d'orientation agricole ! Une trajectoire ambitieuse et réaliste permettra de mobiliser tous les acteurs.
La fixation de cet objectif en pourcentage et non en valeur absolue est assez maligne. Sagesse, dès lors.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Retrait, sinon avis défavorable. Les haies, c'est 2,5 millions de tonnes de matière sèche ; la biomasse - toutes sources confondues - , c'est 335 millions de tonnes.
Vous vouliez probablement écrire que biomasse issue de la haie durable devrait constituer un certain pourcentage de la biomasse issue de la haie, mais ce n'est pas ce que votre amendement prévoit.
Quoi qu'il en soit, comme je l'ai déjà dit, je ne suis pas favorable à l'inscription dans la loi de nouveaux objectifs chiffrés.
M. Daniel Salmon. - Je relis l'amendement : « 70 % de matière sèche issue de haies gérées durablement ». Les gestionnaires de chaufferies collectives affichent déjà des ambitions fortes. Ainsi, Dalkia et Engie utilisent de plus en plus de bois issu de haies gérées durablement.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je relis moi aussi votre amendement : « sur le total de la biomasse mobilisée ». Il peut donc s'agir de déchets de palettes, de biomasse forestière, de biomasse importée... On ne parle pas de haies, mais de la totalité de la biomasse.
L'amendement n°3 est adopté.
L'article 1er, modifié, est adopté.
Article 2
Mme la présidente. - Amendement n°6 du Gouvernement.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Cet amendement opère plusieurs suppressions : la mention spécifique des exploitants agricoles, les différents niveaux de certification, le décret prévu pour fixer les exigences minimales de la certification et la référence à l'instance de concertation. Attention à ne pas complexifier le droit !
M. Vincent Louault. - Excellent !
Mme la présidente. - Sous-amendement n°10 de M. Buis, au nom de la commission des affaires économiques.
M. Bernard Buis, rapporteur. - Nous maintenons la fixation des critères de gestion durable dans la loi, et non pas dans un décret, et conservons la rédaction de la commission sur le cahier des charges national de la certification. Le texte initial créait un label public unique : la commission a souhaité éviter de créer un monopole.
Mme la présidente. - Amendement n°4 de M. Salmon.
M. Daniel Salmon. - Nous préférons une obligation de moyens, pesant sur les pratiques de gestion durable, car l'agriculteur est soumis à des aléas : climat, voisin, autres gestionnaires.
D'un naturel honnête, je reconnais qu'il y aura une petite évolution à apporter aux dispositions de l'amendement que nous venons d'adopter, madame la ministre. (Mme la ministre le confirme.)
M. Bernard Buis, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement n°4, qui améliore la rédaction de l'article et est compatible avec celui du Gouvernement sous-amendé.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Avis défavorable. Évitons d'inscrire dans la loi des dispositions qui rendront la gestion du cahier des charges plus complexe. Depuis six ans que je suis ministre, j'ai souvent constaté qu'à vouloir inscrire de bonnes intentions dans le marbre de la loi, on bloque toute évolution ultérieure, à rebours des objectifs poursuivis.
Est-ce la marque d'une défiance à l'égard de l'exécutif ? Dans ce cas, il faut davantage contrôler l'exécutif - mais laisser le pouvoir réglementaire s'adapter. Trop souvent, le droit environnemental sert à motiver des contentieux, qui ne sont pas portés par les défenseurs de l'environnement...
M. Vincent Louault. - Pour une fois que le ministère de l'environnement propose un amendement de simplification face à l'autoallumage législatif des parlementaires, nous voterons pour !
Le sous-amendement n°10 est adopté.
L'amendement n°6, sous-amendé, est adopté.
L'amendement n°4 est adopté.
L'article 2, modifié, est adopté.
Article 3
Mme la présidente. - Amendement n°7 de M. Buis, au nom de la commission des affaires économiques.
M. Bernard Buis, rapporteur. - Nous retirons le sous-objectif en matière de biomasse issue des haies, pour éviter une asymétrie avec le code de l'énergie. Les schémas régionaux, qui sont la déclinaison régionale de la stratégie nationale biomasse, me semblent plus adaptés pour fixer de tels objectifs.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Avis favorable.
L'amendement n°7 est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°9 de M. Buis, au nom de la commission des affaires économiques.
L'amendement rédactionnel n°9, accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 3, modifié, est adopté.
L'article 5 est adopté.
Vote sur l'ensemble
M. Daniel Salmon . - Je voterai pour ! (Sourires)
Madame la présidente, vous qui êtes d'Ille-et-Vilaine, permettez-moi d'abord d'avoir une pensée pour les Bretilliens qui sont sous l'eau.
Notre travail sur ce texte a été à l'image de ce que peut être le Sénat : une vraie coconstruction. Merci à mes collaborateurs, au rapporteur Buis, qui y a cru, aux services de la commission. Merci aux membres de mon groupe, que je bassine - microbassine - (sourires) avec mes haies, et qui ont compris que la seule solution pour se libérer de mon obsession était d'inscrire ce texte à l'ordre du jour réservé. Merci enfin à la présidente Estrosi Sassone et aux sénateurs des autres groupes qui nous ont soutenus - y compris chez Les Républicains ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
M. Cédric Chevalier . - Je félicite M. Salmon, même si nous nous abstiendrons... (Marques de déception sur les travées du GEST) Je salue le travail de la commission. C'est une belle image du travail parlementaire ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Vincent Louault . - Tout le monde est d'accord pour protéger les haies. Je regrette la complexification, cependant. Notre collègue Salmon peut être fier ; nous attendons qu'il soit bienveillant sur les sujets dont nous débattrons très prochainement ici... (Rires) Bravo à tous.
M. Lucien Stanzione . - Je félicite Daniel Salmon de cette initiative et salue le travail du rapporteur. J'espère que nous retrouverons cette même unanimité la semaine prochaine.
M. Vincent Louault. - Pas sûr !
M. Lucien Stanzione. - Notre groupe est heureux de s'associer à cette démarche.
Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente de la commission. - Bravo à Bernard Buis, dont c'était le premier rapport. (Applaudissements) Sa sagesse, son esprit d'ouverture lui ont permis d'avancer, tant avec Daniel Salmon qu'avec des collègues Les Républicains qui ne sont pas toujours les plus souples. (Sourires) Laurent Duplomb et Franck Menonville ont salué une proposition de loi qui privilégie l'incitation pour changer le regard sur les haies.
La CMP sur le PLF est en cours : souhaitons qu'elle maintienne le crédit d'impôt, pour que les haies ne soient plus considérées comme une charge. Sans lui, cette proposition de loi pourrait devenir une coquille vide. En accord avec les rapporteurs Duplomb et Menonville, ce texte pourra être intégré à l'article 14 du projet de loi d'orientation agricole.
Ce texte prouve le Sénat peut se retrouver et n'oppose pas économie et environnement. Merci, madame la ministre, d'être toujours précise dans vos arguments. (Applaudissements)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche . - Merci à tous. Je forme le voeu que l'esprit de concorde et de coconstruction qui prévaut dans cet hémicycle gagne d'autres enceintes. C'est la meilleure manière d'avancer, en particulier en matière de transition écologique et énergétique. Nous avons pu entendre dernièrement des propos inquiétants, contraires à la science. Je suis heureuse de voir qu'ici, c'est la science qui inspire. (Applaudissements)
À la demande du GEST, la proposition de loi, modifiée, est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°184 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 323 |
Pour l'adoption | 323 |
Contre | 0 |
La proposition de loi est adoptée.
Mme la présidente. - À l'unanimité ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
La séance est suspendue à 13 h 30.
Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente
La séance reprend à 15 heures.
Quel avenir pour le pass Culture ?
M. Laurent Lafon, pour le groupe UC . - Fer de lance de la politique d'accès des jeunes à la culture, le pass Culture est régulièrement ausculté, audité, signe que sa bonne adaptation à ses objectifs interroge. On constate son succès, mais aussi ses limites en matière de démocratisation ; il s'agit pourtant du deuxième opérateur du ministère de la culture.
Dans leur rapport budgétaire, nos collègues Didier Rambaud et Vincent Éblé ont posé en 2023 un diagnostic en demi-teinte : les résultats en volume sont bons, mais le pass ne diversifie pas assez l'accès à la culture. En 2024, l'inspection générale des affaires culturelles (Igac) y est revenue, quand, en décembre dernier, la Cour des comptes a insisté sur le dérapage budgétaire du dispositif.
Notre commission s'est montrée dubitative sur le choix d'une politique de l'offre, qui promeut une approche consumériste de la culture. Jean-Raymond Hugonet, Sylvie Robert et Karine Daniel se sont fait l'écho de ces doutes, qui dépassent les clivages partisans de notre assemblée.
Ainsi, nous avons alerté sur le risque que le pass Culture ne devienne l'unique politique publique culturelle en faveur des jeunes, au détriment de l'éducation artistique et culturelle (EAC), par exemple.
Toutefois, si le pass Culture a échoué à être le sésame de la démocratisation et de la diversification des pratiques culturelles des jeunes, sa suppression serait irréaliste et préjudiciable.
Tout d'abord, l'outil est désormais plébiscité : 84 % des jeunes s'en sont saisis. Ils nous ont dit, au Sénat, qu'ils appréciaient l'autonomie qu'il offre, représentant une véritable « poche de liberté » qui leur permet de rompre avec le déterminisme socioculturel de leur milieu.
Ensuite, le pass a aussi donné un nouvel élan à la lecture. Nous nous réjouissons que les livres constituent le premier poste de dépenses du pass Culture. Les libraires se réjouissent de voir des jeunes franchir pour la première fois le seuil de leur librairie.
Il ne serait pas opportun non plus de supprimer d'un trait de plume un dispositif à 200 millions d'euros. Il n'est pas sûr que Bercy consente, dans le contexte budgétaire que nous connaissons, à réattribuer les fonds au ministère de la culture.
Enfin, nous risquerions de fragiliser les librairies, les salles de spectacle et les cinémas indépendants.
Madame Dati, vous avez ouvert la voie à une réforme du pass Culture, totem présidentiel, comme l'est le service national universel (SNU). Nous devons réfléchir collectivement au recalibrage stratégique et budgétaire du pass.
Quels contours la réforme prendra-t-elle ?
Le principe de libre choix des jeunes doit être préservé. Par ailleurs, sans accompagnement spécifique pour susciter leur curiosité, les jeunes pourraient ne pas s'en saisir. Ensuite, les montants de la part individuelle du pass Culture doivent être lissés, car il y a trop d'écart entre les montants versés à 15, 16 et 17 ans d'une part et à 18 ans d'autre part. Enfin, pourriez-vous nous dire où en est le projet de modulation des montants sous conditions de ressources ?
Selon nous, le développement de la médiation culturelle est un préalable à toute réforme. Nous attendons des garanties à ce sujet.
Autre préoccupation : l'accès aux infrastructures culturelles pour les jeunes des territoires ruraux. La prise en charge des frais de transport est-elle à l'étude ?
Le continuum entre la part individuelle et collective doit être repensé, car les deux se nourrissent mutuellement. Avez-vous avancé avec votre collègue de l'éducation nationale ?
Une bonne coordination avec les collectivités territoriales est nécessaire. Le ministère de la culture doit rester vigilant. Nous nous réjouissons de la création du fonds d'innovation territoriale, qui place les directions régionales des affaires culturelles (Drac) au centre de cette politique. Toutefois, nous courons un risque de désengagement des collectivités territoriales face à la montée en puissance du pass Culture. Nous sommes convaincus que le soutien à la création, à l'éducation artistique et culturelle et aux établissements d'enseignement passe par un dialogue approfondi entre État et collectivités territoriales.
Lors du PLF, nous avons défendu un rééquilibrage du budget du pass, qui était devenu presque indécent. Cela dit, le budget de la SAS pass Culture échappe au contrôle du Parlement. Pouvez-vous nous assurer qu'elle deviendra un opérateur de l'État ?
S'il est repensé, le pass Culture mérite un avenir moins houleux que ses premières années de vie. (Applaudissements)
Mme Rachida Dati, ministre de la culture . - Le groupe UC m'a proposé de débattre du pass Culture, notamment de sa part individuelle, et je l'ai accepté bien volontiers. Certains m'ont fait part de leurs très vives critiques. Je les entends, et je les ai même partagées. Cela dit, ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain...
Il faut réfléchir à la façon dont il peut accomplir sa mission au service d'une culture plus démocratique. Il répond à deux enjeux : aller chercher les jeunes les plus éloignés de la culture et diversifier les pratiques culturelles des jeunes.
Vous avez dit qu'il s'agissait d'un totem présidentiel, mais je rappelle que le ministère a bénéficié de 1,4 milliard d'euros de crédits supplémentaires depuis 2017. Ce n'est pas rien !
Le pass Culture est un outil volontariste : on part de l'attente des jeunes. Cette politique s'inscrit dans la continuité de l'éducation artistique et culturelle, fondamentale pour que tous les jeunes, quels que soient leurs conditions sociales et leur territoire, puissent avoir accès à la culture.
Venons-en maintenant aux écarts constatés entre les ambitions et la réalité.
En l'état, le pass Culture n'est pas assez démocratique. Il peut même renforcer la reproduction sociale.
Les résultats sont là sur le plan quantitatif : 87 % des jeunes de 18 ans l'ont utilisé. Ce sont autant de jeunes qui ont acheté une place de cinéma - Almodovar ou un blockbuster - ou poussé la porte d'une librairie pour acheter un roman, un manga, ou même le code civil ! De ce point de vue, ce n'est pas un échec.
Je souligne le rôle des librairies indépendantes, des cinémas d'art et d'essai. Le pass est souvent la première porte d'entrée dans le monde de la culture.
Cependant, les inégalités persistent : neuf enfants de diplômés sur dix sont inscrits au pass Culture, contre sept enfants de non diplômés sur dix. La différence est importante.
Le problème réside dans la diversification des pratiques. Le spectacle vivant ne représente que 6 % des consommations du pass Culture et les musées moins de 1 %, alors qu'ils constituent l'essentiel de la part collective. Cela s'explique par une médiation inexistante.
J'ai donc pris l'initiative de recevoir les acteurs de l'éducation populaire, qui n'avaient pas été reçus au ministère de la culture depuis plus de quarante ans. Il est nécessaire d'éditorialiser l'application du pass Culture, sans quoi les jeunes s'y perdront ou ne rechercheront que ce qu'ils connaissent déjà.
Oui, la SAS pass Culture deviendra un opérateur du ministère de la culture. Nous y travaillons.
J'ai demandé à renforcer la communication et l'accompagnement avec les missions locales, les accompagnateurs de quartiers et les foyers ruraux. Nous renforçons les partenariats avec tous les réseaux d'éducation populaire.
Nous avons déjà commencé à travailler sur l'éditorialisation, en favorisant ce qui n'est pas spontanément plébiscité.
Autre point crucial : la mobilité en milieu rural. Nous avons développé la géolocalisation. Nous avons également expérimenté, dans le Grand Est, la convention Caravelle : les collectivités territoriales financent les coûts de mobilité. Je signerai avec François Sauvadet, président de Départements de France, une convention pour éviter tout désengagement et encourager encore plus la mobilité, afin de renforcer l'accès à la culture.
Le budget du pass Culture sera de 244 millions d'euros cette année. Il aurait été de 249 millions d'euros sans réforme, et de 254 millions d'euros en 2026.
Nous avons revu les critères d'attribution.
Nous travaillerons sur la conditionnalité : nous connaissons tous des jeunes dont les parents ont les moyens, mais qui ne sont plus à leur charge - il n'y a pas de raison qu'ils soient pénalisés. Nous proposerons une dotation supplémentaire pour les boursiers.
Nous reverrons aussi les montants alloués aux différents âges. Avec la réforme, la part individuelle commencera à 17 ans.
Je réformerai également le comité stratégique et la gouvernance du dispositif.
Le pass Culture est un sujet passionnant et emblématique de l'accès à la culture, ce n'est pas l'écume. Si nous devons réduire les budgets, nous devons aussi le préserver. Il faudra tenir compte cette année des 3 millions de jeunes déjà inscrits.
Mme Monique de Marco . - Le pass Culture a été créé il y a cinq ans sur une belle idée : offrir à tous les jeunes la possibilité d'accéder à des activités culturelles dans les mêmes conditions.
Cela dit, il ne permet pas de diversifier l'accès à la culture - l'algorithme n'encourage pas des secteurs peu plébiscités, comme le spectacle vivant - et ne permet pas de lutter contre une forme de reproduction sociale.
Il ne réduit pas non plus les inégalités territoriales. Dans le Médoc ou à Bordeaux, l'offre culturelle n'est pas la même, ce qui explique que les jeunes de mon territoire consacrent la majorité de leur pass à des offres numériques.
Les enseignants font un usage formidable de la part collective. Il serait dommage qu'elle disparaisse avec le pass Culture.
Comment comptez-vous résorber les inégalités territoriales ? Pourquoi ne pas identifier un référent dans les établissements ?
Le rapport de 2024 sur les enjeux de mobilité culturelle préconise d'intégrer une offre de mobilité à l'application. Y songez-vous ?
Mme Rachida Dati, ministre. - Je partage votre constat, depuis longtemps. Nous avons fait bouger les choses en matière d'inégalités : en moins d'un an, grâce à une expérimentation probante, la part du spectacle vivant a augmenté de 30 %.
Intégrer les frais de mobilité dans le pass Culture, c'est réduire d'autant la dotation culturelle... Les enseignants s'en plaignent. Je préfère signer des conventions avec les collectivités sur ce point, comme je l'ai dit.
Dans tous les établissements scolaires, il y a un référent culturel - ce sont parfois les enseignants. J'ai discuté avec eux : ils mettent moins de temps à trouver l'activité culturelle que le moyen de transport. La mobilité, c'est ce sur quoi nous devons travailler.
Enfin, il faut faire de la médiation pour élargir le public, ce que nous faisons avec les instituts médico-éducatifs, les apprentis ou encore les lycées agricoles.
Mme Karine Daniel . - Je me réjouis de ce débat, qui s'inscrit dans la suite des travaux de la commission de la culture, qui ont permis de bousculer nos idées reçues sur le pass Culture et les habitudes culturelles des jeunes.
Les jeunes sont avant tout attachés au principe d'universalité. Les prescripteurs en matière culturelle sont d'abord les jeunes entre eux, car ils ont des habitudes culturelles collectives. Les libraires constatent une augmentation du nombre de jeunes qui viennent en librairie, puis qui repartent avec d'autres livres que ceux qu'ils étaient venus a priori chercher.
Dans une période d'économies de moyens, il faudra faire des efforts sur le fonctionnement de la SAS. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Rachida Dati, ministre. - Nos constats sont les mêmes ; notre volonté aussi.
Nous voulons préserver la part individuelle. J'ai déjà souligné la hausse de fréquentation des librairies par les jeunes grâce au pass Culture. La prescription se fait par le libraire, qui est lui-même un médiateur, et par les jeunes.
La médiation et la géolocalisation sont les nouvelles avancées du pass. Ainsi, un jeune à Marseille voit l'offre culturelle disponible à côté de chez lui, et pas ce qui se passe à Paris !
J'ai souhaité réformer le comité stratégique, car il n'était pas assez en lien avec le monde de la culture ; j'ai donc décidé d'y intégrer les représentants des lycées professionnels, ou encore de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), sur la recommandation de la Défenseure des droits.
M. Marc Laménie . - Merci au groupe UC pour ce débat. Je partage les propos de la ministre, ainsi que du président Lafon.
Le pass Culture a bénéficié à 4 millions de jeunes, mais des critiques ont émergé, sur la rémunération des opérateurs chargés de sa mise en oeuvre mais aussi sur son budget, avec un financement de la part individuelle passé de 92 à 200 millions d'euros. On peut aussi critiquer l'insuffisance de l'adoption du pass Culture par les classes populaires.
Le pass Culture se heurte aux réalités du monde rural, où l'offre est réduite, l'accès au numérique parfois difficile et où des problèmes de déplacement se posent. Quelles actions prévoyez-vous en faveur des jeunes ruraux afin de favoriser l'égalité d'accès à la culture ?
Mme Rachida Dati, ministre. - Le budget a augmenté car le nombre de jeunes accédant au pass Culture a été multiplié par trois.
Il est plus cohérent qu'il y ait une part collective qui fonctionne bien, au collège et au lycée, tout en ciblant la part individuelle sur les 17-18 ans. Tous les jeunes le disent : c'est au moment où l'on en a le plus besoin que l'on n'a plus rien.
Le salaire des employés de la SAS pass Culture est fixé par Bercy. Quant aux frais de fonctionnement, ils sont inférieurs à 10 %. Le changement de gouvernance devra améliorer l'efficacité.
Vous m'avez interrogée sur les dispositifs de mobilité et d'offre culturelle pour les territoires ruraux. Il peut être plus facile d'aller à Disneyland en TGV qu'au petit théâtre du coin. Plus nous consoliderons l'accès à la culture par la mobilité, plus nous renforcerons les compagnies locales.
M. Marc Laménie. - Le soutien à la ruralité et à l'équité dans tous les territoires est une priorité.
M. Max Brisson . - Le 18 janvier, j'ai appelé votre attention sur la mise à l'écart de certains spectacles pourtant plébiscités par le public. J'ai pointé du doigt l'entre-soi des choix réalisés. Vous avez reconnu que certains dirigeants du comité stratégique favorisaient la reproduction sociale, voire « se faisaient plaisir ». Est-ce là la règle de droit d'imposer à tous sa subjectivité ? Ces polémiques dégradent l'image d'une structure pourtant appréciée du public.
La transformation du comité va dans le bon sens. L'ensemble des manifestations culturelles seront-elles bien éligibles, même si elles déplaisent au comité ? Les modalités d'éligibilité seront-elles bien revues pour préserver le pass Culture de toute polémique ? Selon quel calendrier ?
Mme Rachida Dati, ministre. - Nous avons parlé ensemble d'un spectacle, la dernière fois : la réponse avait été défavorable, car la demande concernait l'ensemble de l'entrée au parc d'attractions accueillant le spectacle, et non le spectacle lui-même. Or les parcs d'attractions ne sont pas éligibles.
Le spectacle du Puy du Fou est désormais éligible. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER). On vous invite !
Plusieurs voix sur les travées du groupe SER. - On ira ensemble ! (Rires)
Mme Rachida Dati, ministre. - Les critères seront revus et objectivés, en toute transparence. Le comité change aussi. Ces modifications sont imminentes.
M. Max Brisson. - Merci pour ces précisions. Quant aux sourires sur la partie gauche de l'hémicycle, ils font écho à l'entre-soi dont nous parlions.
Mme Nadège Havet . - L'année 2024 a été une année record pour le cinéma et l'olympisme, tandis qu'il n'y a jamais eu autant d'intermittents qu'en 2022 - ce sont eux qui font vivre les festivals dans nos territoires.
Le pass Culture s'est ajusté. En décembre, la Cour des comptes soulignait un travail de démocratisation inachevé. En effet, 7 % des jeunes de 18 ans non entrés dans le dispositif ne sont pas scolarisés, alors qu'ils sont 20 % en population générale. Il existe donc des déséquilibres sociaux.
En Bretagne, le taux de couverture des établissements scolaires est de 95 %. Les bénéficiaires sont les grandes librairies indépendantes et le festival des Vieilles Charrues.
Mais des disparités territoriales existent. La problématique de la mobilité culturelle se pose. N'est-il pas primordial de faciliter l'accès aux lieux de culture ? Vous avez évoqué des discussions avec les collectivités territoriales pour la prise en charge du transport. Où en sommes-nous ?
Mme Rachida Dati, ministre. - La première région utilisatrice du pass Culture est la Bretagne (Mme Sylvie Robert renchérit), où il y a aussi beaucoup de territoires ruraux.
Nous avons noué des conventions avec les collectivités territoriales. Mes déplacements m'ont montré qu'il n'y avait pas de désert culturel ; mais, par la mobilité, on renforce l'offre accessible. La géolocalisation nous aidera à identifier là où il faudra renforcer la mobilité. Nous voulons soutenir des innovations, comme les plateformes de covoiturage, notamment pendant la période des festivals.
Quelque 66 % des jeunes ont découvert grâce au pass Culture une nouvelle pratique culturelle. C'est pourquoi il faut renforcer tout ce qui fonctionne.
Géolocalisation, mobilité et soutien des acteurs culturels locaux... ces axes pourront être financés dans le cadre du plan France ruralités.
M. Bernard Fialaire . - Depuis sa création en 2019 et sa généralisation en 2021, le pass Culture est plébiscité par les jeunes : plus de 50 % des 15 ans et 84 % des 18 ans l'utilisent.
Même s'il ne permet pas à lui seul de corriger les inégalités, il contribue à une certaine démocratisation culturelle. Les librairies constatent l'arrivée d'un nouveau public, qui continue de venir ensuite.
Madame la ministre, vous souhaitez que les utilisateurs se tournent plus vers les librairies indépendantes, la presse écrite et le spectacle vivant. Mais certains jeunes vivent dans des zones blanches, avec peu d'institutions culturelles et d'offre de transport. Comment répondre aux difficultés matérielles d'accès à la culture ?
Certains proposent de faire varier le montant du pass selon la condition économique de l'utilisateur. Il me semble préférable de préserver l'universalité et l'unicité du dispositif pour éviter le non-recours aux aides par peur de la stigmatisation. Le pass fonctionne aussi parce qu'il est égalitaire. C'est aussi, pour certains jeunes, une première expérience de gestion d'un budget et, surtout, une vision de la culture qui n'est pas condescendante. Continuez à défendre le pass Culture !
Mme Rachida Dati, ministre. - Comptez sur moi !
L'accès à la culture, c'est aussi l'accès à ses droits fondamentaux.
Je rappelais ce matin que la culture doit aussi être présente dans les campings, qui sont des lieux de vie et de villégiature qu'affectionnent les Français. Arrêtons de nous pincer le nez avec mépris !
Les jeunes femmes cherchent parfois de l'information sur la contraception ou l'avortement. Elles ont besoin d'accéder à des livres ou des documentaires sur leurs droits. Parmi les ouvrages achetés, il y a le code civil, mais aussi des documents sur l'accès aux droits fondamentaux.
Le fléchage vers les librairies indépendantes n'est pas possible, mais la géolocalisation fera connaître le petit libraire du coin.
Le règlement européen sur les aides à la presse empêche pour l'instant d'intégrer la presse au pass Culture, mais nous cherchons à la rendre éligible.
Mme Nathalie Goulet . - Je suis arrivée de la commission des finances pleine de certitudes, notamment sur le coût du pass Culture. Et puis, j'ai écouté les uns et les autres le défendre avec énergie et je me dis que, finalement, les chiffres ne font pas tout.
Nous sommes ici trois élues de Normandie : le pass Culture n'est pas utilisé qu'en Bretagne. (Sourires) Je rappelle qu'il a été développé par la région Normandie.
Je comptais adresser de nombreuses critiques au pass Culture, mais, madame la ministre, vous y avez répondu par avance. (Sourires)
Me trouvant dépourvue quand la bise fut venue, je reformule ma question : comment coordonnerez-vous les nouveaux dispositifs avec ce que font les régions et les départements ?
Mme Rachida Dati, ministre. - La réforme est lancée, car je fais toujours le plus vite possible ce que je préconise : nous avons expérimenté en 2024 ; des partenariats ont été signés, avec la Charente-Maritime par exemple ; le pass Culture a été intégré au plan ruralité ; la gouvernance évolue ; nous expérimentons avec certaines régions de nouvelles formes de mobilité, dont du covoiturage pour les festivals. Les contrats de territoire sont rédigés sur mesure, avec les moyens nécessaires.
Si je me suis battue pour mon budget, c'est pour pouvoir déployer ces nouveaux dispositifs en direction des jeunes éloignés de la culture, notamment les jeunes ruraux.
Mme Nathalie Goulet. - Il serait utile d'associer les parlementaires à ce travail, y compris la commission des finances du Sénat, qui serait ainsi plus éclairée le moment venu.
Mme Rachida Dati, ministre. - Bien sûr, comme nous associons déjà les élus locaux.
Depuis 48 heures, j'essaie de rattraper la petite coupe budgétaire... Le budget raboté me permettra de financer le pass Culture des jeunes qui ont eu 18 ans en 2024, mais pas au-delà, notamment pas celui des nouveaux publics que nous souhaitons viser.
Mme Nathalie Goulet. - Il faudra aussi réfléchir au mécénat pour financer le pass Culture.
M. Pierre Ouzoulias . - Mes collègues vous le confirmeront : jusqu'à présent, j'ai toujours voté contre le pass Culture, estimant que ce qui manque le plus à la culture, c'est la médiation, comme le président Lafon l'a dit.
Et puis mon libraire, à Bourg-la-Reine, Benoît, m'a dit que le pass Culture représentait 10 % de son chiffre d'affaires. Cela m'a fait réfléchir. Bien sûr, il voit des gamins acheter des mangas, mais, après avoir désacralisé le lieu, ces jeunes reviennent pour acheter autre chose, car le libraire est un formidable médiateur culturel. Voilà pourquoi, pour la première fois, cette année, je n'ai pas voté contre le pass Culture.
Je suis néanmoins très inquiet sur le prix unique du livre. Amazon - soutenue par le nouveau gouvernement américain - risque de partir à son assaut, et si l'Europe cède, nous n'aurons plus de librairies. N'abandonnons pas le prix unique du livre, corollaire indispensable de notre politique de culture pour tous !
Mme Rachida Dati, ministre. - Je suis ravie que nous nous rejoignions. Peut-être sur Notre-Dame de Paris aussi ? Je ne désespère pas... (Sourires)
M. Pierre Ouzoulias. - Ou sur le musée du judaïsme ?
Mme Rachida Dati, ministre. - Nous en avions parlé : j'ai tenu mon engagement !
M. Pierre Ouzoulias. - Je vous en remercie.
Mme Rachida Dati, ministre. - Chacun sait que j'ai toujours été engagée sur l'accès à la culture.
Moi aussi, j'ai critiqué le pass Culture, mais conservons ce qui marche : l'accès à la culture et notamment à la lecture.
Certains voulaient que le pass Culture devienne un moyen de paiement. Je m'y refuse, car je veux que le jeune se rende dans la librairie. Comme l'enseignant, le libraire est un médiateur culturel. Les jeunes repartent avec un manga - pourquoi pas - et, la fois suivante, ils repartiront avec un autre livre.
J'ai reçu les acteurs de l'éducation populaire et de la médiation. Les moyens sont là.
Vous avez raison, nous avons une inquiétude sur le prix unique du livre. Nous avons donc saisi le Médiateur du livre. Nous devrons nous battre collectivement au niveau européen, mais aussi au niveau national, pour préserver le prix unique et nos librairies.
Mme Colombe Brossel . - Nous avons tous le souci d'améliorer le pass Culture pour le rendre encore plus utile et démocratique. Ce n'est qu'un outil, mais il représente 25 % du programme budgétaire en faveur de la démocratisation culturelle.
Mais je ne doute pas que la dépêche AFP ne retiendra que l'entrée du Puy du Fou dans la programmation !
Mme Rachida Dati, ministre. - Seulement le spectacle : soyez précise ! Avec vous, c'est toujours la polémique !
Mme Colombe Brossel. - L'un des péchés originels du pass Culture, c'est le choix d'une délégation à une SAS, ce qui limite les contrôles. Heureusement, la Cour des comptes nous a appris que 16 millions d'euros avaient financé des escape games : stupeur !
Vous nous avez dit souhaiter transformer le pass Culture en opérateur public. Quel est le calendrier de cette réforme, s'agissant notamment du budget et du personnel ?
Mme Rachida Dati, ministre. - Vous ne pouvez pas vous empêcher de polémiquer ! Nous ne sommes pourtant pas au conseil de Paris... (Protestations sur les travées du groupe SER) On est tranquilles, entre gens civilisés et, contrairement à ce qui se pratique au conseil de Paris, ici, on ne dit pas n'importe quoi (les protestations redoublent). Ce n'est pas le Puy du Fou qui est inclus dans le pass Culture, c'est le spectacle du Puy du Fou. Soyons précis.
Mme Colombe Brossel. - Répondez à la question !
Mme Rachida Dati, ministre. - C'est ce que je fais. La réforme est lancée : la présidence a changé ; pour le comité stratégique, c'est en cours ; les critères sont en place. Cette réforme prendra son plein essor en 2025. J'y crois et je constate qu'elle porte ses fruits.
Et je le redis : il s'agit du spectacle du Puy du Fou.
M. Max Brisson. - Comme pour le spectacle de la Fête de l'Humanité...
Mme Colombe Brossel. - J'entends donc que, au 31 décembre prochain, il n'y aura plus de SAS, mais un opérateur public. Mais quid du budget et du personnel ?
Mme Rachida Dati, ministre. - J'ai déjà répondu : la SAS pass Culture va devenir un opérateur public avant le 31 décembre prochain ; c'est en cours. Mais sachez qu'une SAS peut être opérateur public culturel.
Mme Colombe Brossel. - Merci de ces délicieux enrichissements mutuels... J'en déduis que le personnel sera transféré et le budget, conservé.
M. Cédric Vial . - Madame la ministre, simplification, décentralisation, voilà les leitmotivs de notre assemblée.
Nous partageons les objectifs du pass Culture : l'accès à la culture des plus jeunes et la démocratisation. Cependant, le volet individuel est également pris en charge par les départements ou les lycées. Sans parler de doublon, comment faire pour accompagner de manière plus décentralisée les collectivités territoriales, sans ajouter de couche supplémentaire ? (M. Pierre Ouzoulias renchérit.)
Mme Sylvie Robert. - Très bien !
M. Cédric Vial. - Aujourd'hui, l'accès au pass Culture est conditionné à l'âge, fixé entre 15 et 18 ans. Pourquoi ne pas prendre plutôt pour critère la scolarisation, pour permettre, par exemple, à des élèves ayant sauté une classe d'y avoir accès en seconde ?
Enfin, le volet collectif est effectivement un moyen de faire venir les jeunes au spectacle vivant. Mais pourquoi créer un opérateur de l'État, alors que le ministère de l'éducation nationale pourrait le gérer directement avec les établissements placés sous sa tutelle ? Cela simplifierait les choses...
Mme Rachida Dati, ministre. - Vous souhaitez que le ministère soit en régie directe ? Mais dans ce cas, on recloisonnerait. Avec le système que nous envisageons, on sait ce qu'on peut proposer au sein de l'école et en dehors.
Certes, il existe des doublons. Maire d'arrondissement, j'avais créé un pass Culture avant celui de l'État, pour que les élèves découvrent le riche patrimoine de leur arrondissement. Mais ces dispositifs culturels n'existent pas dans tous les territoires. Aussi, le pass Culture permet de remplir l'objectif d'universalité.
Vous avez raison, il y a parfois beaucoup d'offres culturelles. Les contrats de territoire passés entre le ministère et les départements via les Drac contribuent précisément à éviter les doublons. Dans un département disposant déjà d'un dispositif culturel adapté, le pass Culture est moins utilisé. Cela ne se fait pas rue de Valois mais en proximité.
La convention que je vais signer avec Départements de France intégrera ce système, qui favorise l'équilibre, sans gaspillage.
Le médiateur rendra son rapport en février, monsieur Ouzoulias. (M. Pierre Ouzoulias en prend acte.)
Mme Catherine Morin-Desailly . - Au vu des rapports sévères parus sur le pass Culture, il était plus qu'urgent de le reprendre en main pour justifier son maintien.
La Cour des comptes a critiqué l'absence de sélectivité des offres. J'ai également été surprise d'apprendre que 16 millions d'euros ont été dépensés dans des escape games ; je n'ai rien contre, mais ne confondons pas culture et divertissement. A contrario, les structures du spectacle vivant bénéficient peu du pass Culture et peinent à maintenir leurs programmes d'éducation artistique et culturelle. (Mme Sylvie Robert approuve.) J'attends d'ailleurs avec impatience le rapport de la Cour des comptes sur l'éducation artistique et culturelle.
Ensuite, la Cour des comptes critique le manque de sélectivité des bénéficiaires. Alors que nous fêtons les 20 ans de la loi Handicap, personne ne parle des personnes handicapées et de l'accessibilité de tous à la culture, des personnes en fauteuil roulant, mais également des personnes malentendantes ou ayant un handicap psychique. Madame la ministre, pouvez-vous vous engager à élargir le volet collectif aux établissements qui font de la médiation à destination de ces jeunes ?
Mme Rachida Dati, ministre. - Les rapports n'ont pas été seulement sévères. Ils reconnaissent l'intérêt du pass Culture, y compris pour sa part individuelle. Les chiffres du président Lafon le démontrent : de nombreux jeunes n'ayant jamais eu accès à la culture, notamment aux librairies, ont pu y accéder. Même s'ils ne sont que dix, c'est toujours dix jeunes de plus.
Nous luttons tous contre le séparatisme et le communautarisme, qui conduisent à la radicalisation. J'ai travaillé sur ces sujets. Or que disent les jeunes radicalisés ? D'abord, on se radicalise avec l'interdiction d'accès à la culture : plus de livres, ni de musique, ni de sorties ; plus de contacts ni de socialisation... Le dispositif a l'avantage de rompre l'isolement et de contrer certaines personnes, voire associations, qui disent que la culture est dangereuse. Il faut donc améliorer la part individuelle du pass Culture pour toucher de nouveaux publics.
Nous avons introduit un fléchage sur le spectacle vivant, mais il faut l'amplifier et l'améliorer.
M. Adel Ziane . - Effectivement, nous avons un peu souri sur le Puy du Fou, non pas par ironie, mais en raison de la timidité de Max Brisson.
M. Max Brisson. - Toujours en nuance...
M. Adel Ziane. - Je suis allé plus de quinze fois au Puy du Fou par mes attaches familiales : je connais bien ses spectacles. Pour autant, nous avions envie d'évoquer ce sujet.
Élu de Seine-Saint-Denis, conseiller municipal de Saint-Ouen, je m'interroge sur l'universalité du pass Culture : seuls 68 % des jeunes issus de milieux populaires ont activé leur pass.
La Cour des comptes critique le manque de diversité culturelle, la faible place accordée au spectacle vivant et l'absence de médiation culturelle gratuite.
Nous devons renforcer les partenariats avec les acteurs culturels locaux : librairies indépendantes, compagnies de théâtre...
Le ciblage des bénéficiaires est impératif. Comment comptez-vous agir pour faire du pass Culture un levier de démocratisation culturelle, notamment dans les quartiers populaires ?
Mme Rachida Dati, ministre. - Je connais bien votre département, que j'ai visité pour travailler à la pérennisation de certains dispositifs culturels.
Vous avez raison sur la reproduction sociale. C'est plus facile pour certains de se servir de l'application.
Les 68 % que vous citez reposent sur le niveau de diplôme des parents. Selon la Cour de comptes, 87 % des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ont accès au pass Culture sur la part individuelle. C'est flatteur, mais l'utilisation est inégale selon les territoires. Et les jeunes qui l'utilisent le plus sont ceux qui bénéficient d'un environnement familial favorisé.
Il faudra corriger cela. La réforme commence à porter ses fruits. Je veux qu'elle prenne son plein essor en 2025.
Mme Pauline Martin . - Le rapport d'information de la commission des finances de juillet 2023 se demandait si le pass Culture répondait au défi de la diversification des pratiques culturelles.
Le pass Culture n'est-il pas un simple effet d'aubaine, confirmant des habitudes culturelles ? C'est ce que semble d'ailleurs confirmer la Cour des comptes. Certains secteurs comme le spectacle vivant, le patrimoine ou la presse sont laissés de côté.
Quelle est la capacité du pass Culture à orienter les jeunes vers une offre diversifiée, sans l'ombre d'un doute sur des dérives mercantiles ou idéologiques ?
Mme Rachida Dati, ministre. - Nous rendrons la presse éligible.
Nous modifions la tranche d'âge pour diversifier les pratiques.
M. Olivier Paccaud . - Vous avez déjà un peu répondu... (Sourires) Selon le rapport de la Cour des comptes, hormis les 6 % des contributeurs de la plateforme, le pass Culture est financé par l'État. On est loin du financement à 20 % par l'État. Les dépenses n'ont cessé d'augmenter, passant de 93 millions d'euros en 2021 à 244 millions d'euros en 2024. Les dépenses ont augmenté de 50 % ces deux dernières années, si l'on cumule part collective et part individuelle. Le coût de cette dernière est en outre systématiquement supérieur aux dotations initiales.
La Cour des comptes a présenté trois pistes d'économies : réduire le montant du crédit, le soumettre à des conditions de ressources ou cibler les bénéficiaires selon des critères sociaux ou territoriaux. Il faudrait, selon elle, transformer la SAS pass Culture en opérateur public. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, notre Haute Assemblée a ponctionné 65 millions d'euros sur les crédits du dispositif lors de l'examen du PLF 2025. Pour quels ajustements ?
Mme Rachida Dati, ministre. - La croissance des dépenses est figée pour 2025. Nous nous y tiendrons. La SAS pass Culture deviendra un opérateur public, avec davantage de contrôle du ministère.
En février 2024, je voulais créer un fonds de dotation susceptible d'accueillir du mécénat ou des financements de la Caisse des dépôts, par exemple. Mais en tant qu'opérateur public, il sera ouvert au mécénat, y compris au mécénat d'entreprise, qui aide à la réinsertion des jeunes.
Mais la coupe budgétaire brutale m'empêchera d'intégrer les nouveaux venus.
M. Olivier Paccaud. - Vive le Puy du Fou...
M. Pierre Ouzoulias. - Et la Fête de l'Humanité !
M. Olivier Paccaud. - ... admirable écrin du spectacle vivant, puisant aux sources du roman national, qui exporte son concept mémoriel fédérateur. (On s'en amuse à gauche.)
Bravo d'avoir intégré la Cinéscénie, mais les spectacles, M. Ziane l'a dit, mériteraient également d'être inclus dans le pass Culture. (M. Francis Szpiner applaudit.)
Mme Béatrice Gosselin . - Je crains de ne pas être très originale. Le pass Culture a certaines limites en milieu rural. L'offre collective est un véritable atout pour faire découvrir aux publics scolaires des offres culturelles à moindre coût. J'ai ainsi reçu au Sénat des lycéens de la Manche, qui ont assisté à une pièce de théâtre et visité le Panthéon grâce au pass Culture. Reste néanmoins le problème du financement. Madame la ministre, j'ai entendu votre réponse concernant la nécessaire coordination avec les collectivités.
Je remercie M. Ouzoulias de son engagement en faveur du prix unique du livre - c'est primordial pour nos librairies. (M. Pierre Ouzoulias apprécie.)
Les structures du spectacle vivant souffrent de l'opacité de l'attribution des agréments. Il faut ouvrir le spectre. Quelles mesures concrètes comptez-vous prendre pour clarifier et assouplir ce processus ?
Mme Rachida Dati, ministre. - Les dispositifs expérimentés en 2024 pour renforcer la mobilité du pass seront généralisés en 2025.
Les critères d'éligibilité deviendront plus transparents. Il sera donc plus facile de postuler et, éventuellement, d'engager des recours.
La géolocalisation permet aussi d'avoir de nouvelles offres. Cela favorisera tout le spectacle vivant et les activités culturelles locales. Le plan Fanfare, qui a très bien fonctionné en 2024, ce dont je suis très fière, sera poursuivi en 2025. Le plan Cabaret concernera 200 cabarets en France, pour une activité très française. Tout cela trouvera sa place.
Certes, envoyer un enfant de 14 ans au cabaret n'est pas idéal, mais ce sont aussi des métiers d'art. (M. Patrick Chaize le confirme.) Plus on discute avec les élus locaux, plus on aura une offre culturelle riche, comme l'est la France de sa culture.
Vous avez raison, nous devons maintenir le prix unique du livre, exception culturelle française. (Mme Béatrice Gosselin apprécie.)
Mme Sonia de La Provôté, pour le groupe UC . - En ces temps incertains, notre action ne peut s'appuyer que sur du consensus.
Or, justement, chacun est d'accord pour dire qu'il était plus que temps de débattre du pass Culture. Et je remercie le groupe UC d'avoir pris cette initiative.
Le dispositif doit être réformé. La part collective donne satisfaction et doit être développée. Les enseignants se sont approprié l'outil, qui participe à l'éducation artistique et culturelle. En revanche, la part individuelle est davantage critiquée. Pour reprendre vos mots, madame la ministre, ce dispositif peine à être un outil d'émancipation culturelle et d'accès à la culture pour ceux qui en sont le plus éloignés. Or la part individuelle coûte 250 millions d'euros par an à l'État, trois fois plus que la part collective.
Les avis convergent pour dire que si le pass ne se surpasse pas, il va trépasser... (On s'en amuse ; Mme Rachida Dati sourit ; M. Pierre Ouzoulias applaudit.)
Quelque 84 % des jeunes sont inscrits, mais en bénéficient-ils ?
Le recours à la médiation culturelle a renforcé l'utilisation en faveur du spectacle vivant, qui a augmenté de 30 % en quelques mois.
Il faut recentrer le dispositif. Compte tenu de son coût, le pass ne doit pas aller vers l'impasse ni faire l'objet d'un tour de passe-passe. (Mme Rachida Dati s'en amuse.) La commission de la culture a refusé la baisse trop brutale de ses crédits pour vous permettre de présenter sa réforme.
Il faut démocratiser la part collective en l'élargissant aux maisons des jeunes et de la culture (MJC) et maisons de quartier, et élargir la part individuelle, par exemple aux jeunes apprentis. Il faut lutter contre la ségrégation culturelle par le lieu d'habitation, en finançant les déplacements vers l'offre culturelle, dans une démarche d'« aller vers ». Il faut renforcer le spectacle vivant par la médiation, la médiatisation - meilleur outil pour l'accès à la culture.
La géolocalisation valorisera l'offre de proximité, financée par les collectivités territoriales.
Il faut rendre la gouvernance plus transparente : ouvrons le capot pour voir comment cela fonctionne. Une SAS publique était incongrue et difficile à suivre.
Des zones d'ombre demeurent. Les ressources extérieures - normalement 80 % du financement - ne sont toujours pas là.
Le pass Culture doit faire partie du plan Culture et ruralité.
Le pass Culture aura atteint ses objectifs quand les déterminants sociaux, territoriaux, familiaux et le handicap n'en limiteront plus l'usage. C'est ambitieux, le pass Culture n'est qu'une pierre dans la politique des droits culturels qui restent à construire. Nous serons attentifs à ces questions. Pour que le pass ne soit ni une passade, ni de passage, il doit être rendu plus efficient. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe SER ; Mme Nadège Havet et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
Mme Rachida Dati, ministre. - Je vous remercie de ce débat et de nos échanges constructifs. J'espère vous avoir convaincus de la nécessité de maintenir la part individuelle du pass Culture, face au séparatisme. Puissé-je avoir été entendue... De nombreux jeunes ont besoin de la culture, il ne faut pas les lâcher, car ce sont leurs droits fondamentaux et leur émancipation qui sont en jeu.
La séance est suspendue quelques instants.
Structures, comités, conseils et commissions « Théodule »
Discussion générale
Mme Nathalie Goulet, auteur de la proposition de loi . - Il est rare qu'un texte peu ambitieux fasse l'unanimité contre lui et ce faisant contre son auteur. Je ne suis pourtant pas irresponsable, n'en déplaise à ceux qui l'ont dit hier en commission des lois, non plus que mes collègues du groupe UC qui ont choisi de l'inscrire dans leur niche. On m'a même suggéré de le retirer de l'ordre du jour... Mais ce n'est pas le choix du groupe, qui préfère débattre.
La lecture des documents budgétaires est une source inépuisable de surprises... Le jaune annexé comprend ainsi la liste des 317 instances placées auprès du Premier ministre. Or, comme l'a souligné Samuel-Frédéric Servière de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP), on n'a aucune information sur le nombre de leurs effectifs supports, ni sur leurs coûts de fonctionnement : comptes rendus, rédactions d'avis, etc. Certaines instances disparaissent d'une année sur l'autre... Ainsi, la commission des conseillers en génétique figure au jaune de 2024, mais pas à celui de 2025. Les données sont livrées brutes, sans consolidation ni synthèse, ce qui les rend difficiles à manier. L'affirmation du « zéro coût » est incertaine. À ce propos, j'aimerais savoir combien coûte l'élaboration d'un jaune budgétaire.
Dans ces conditions, prenez ce texte comme une version martyre, selon l'expression éditoriale. C'est un ballon d'essai pour des projets plus ambitieux de refonte du fonctionnement de nos administrations. J'attends d'ailleurs avec intérêt le travail de la commission d'enquête sur les opérateurs de l'État.
Alors Premier ministre, Gabriel Attal voulait supprimer les instances ne s'étant pas réunies dans la dernière année. Nous devons aussi balayer devant notre porte : certaines instances ont été créées par le Parlement.
Je suis donc partie de la liste des comités relevant du domaine législatif qui ne s'étaient pas réunis et dont l'utilité n'était pas, de mon point de vue, avérée. Je reconnais une erreur d'appréciation sur la Commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires (CCSCEN), à l'égard notamment de nos collègues ultramarins - elle a été corrigée.
On nous dit que le Comité du secret statistique ne peut être supprimé, au risque d'une perte de confiance. On a proposé de le fusionner avec le Conseil national de l'information statistique (Cnis).
Le Gouvernement ne s'intéresse pas au Haut Conseil de l'éducation artistique et culturelle, me dit-on. Au contraire, il semble s'y intéresser puisqu'une enquête de l'inspection générale des affaires culturelles (Igac) a été déclenchée... Les tenants de son maintien seraient bien en peine de citer un seul de ses membres : aucun n'a été renouvelé ! Aidons le ministère à « réduire la voilure », supprimons-le !
Qui pourrait croire que le désengorgement de la justice passera par le Conseil national de la médiation (CNM), qui ne s'est pas réuni ?
Je proposais la fusion de l'Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) avec le Conseil national des villes (CNV). On m'a rétorqué que la rareté de ses réunions ne prouvait pas son inutilité. Mais s'il ne réunit pas, monsieur le ministre, comment évaluer son utilité ? Commission de la rémunération équitable : aucune réunion. Mais on me dit qu'elle doit être maintenue. Dont acte. Idem pour l'Observatoire de l'alimentation, que je voulais fusionner avec le Conseil national de l'alimentation (CNA).
Et je garde le meilleur pour la fin, concernant la Commission supérieure nationale du personnel des industries électriques et gazières. On me dit : « En l'absence d'éléments prouvant son inutilité, maintenons-la ». Bienvenue en Absurdistan ! Il faut changer de logiciel, monsieur le ministre. Je reconnais que la méthode n'a pas été bonne, et que le texte aurait dû être plus précis, mais tout de même.
Le Sénat a voté une proposition de loi sur les cabinets de conseil ; or Bercy a lancé le 17 décembre un appel d'offres de 3 millions d'euros relatif à des prestations d'appui à l'administration dans le cas de restructuration ou de transformation d'entreprise - un sujet pour lequel on a déjà des outils !
Ce texte est une invitation à débattre. Je le sais, vous êtes, comme votre prédécesseur, très impliqué sur cette question.
On pourrait acter un principe : suppression des organismes inactifs ou fusion en cas de proximité avec une entité voisine, hors instance critique. Cela dit, cela pourrait avoir des effets pervers : certains remuent la queue quand on veut leur couper la tête... Ainsi des « plans ambitieux » ont été lancés récemment par des comités dont on n'avait guère entendu parler depuis bien longtemps.
J'en conviens, les coûts budgétaires sont peu élevés, mais en période d'économies budgétaires, cela compte. C'est pourquoi le groupe a choisi de maintenir ce texte qui visiblement, n'intéresse pas grand monde...
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - On est là !
Mme Nathalie Goulet. - ... mais peu importe, il nous intéresse, nous !
Monsieur le ministre, saisissons la balle au bond. Il faudra beaucoup de courage aux collègues du groupe Les Républicains pour la commission d'enquête. Vous nous trouverez à vos côtés pour réformer l'État. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Marc Laménie et Mme Muriel Jourda applaudissent également.)
M. Hervé Reynaud, rapporteur de la commission des lois . - Le 26 septembre 1963, à Orange, le général de Gaulle déclarait : « l'essentiel, pour lui, ce n'est pas ce que peuvent penser le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte, l'essentiel, pour le général de Gaulle, Président de la République française, c'est ce qui est utile au peuple français, ce que sent, ce que veut le peuple français. » Seul le comité Théodule est resté dans l'histoire.
Le nombre exact de ces comités est resté inconnu, jusqu'à ce que la loi de finances pour 1996 impose un recensement annuel, sous la forme du jaune budgétaire annexé au PLF, dont Nathalie Goulet a rappelé la perfectibilité.
Le 15 février 2007, le Sénat a adopté un rapport précurseur sur les instances consultatives ou délibératives placées auprès du Premier ministre. On en recensait à l'époque 800. Nos précurseurs appelaient à une « rationalisation du paysage administratif ».
Nous avons entamé ce travail, au service des citoyens et des entreprises.
Depuis 2008, les gouvernements successifs se sont approprié cette volonté, en adoptant de bonnes pratiques. Le nombre d'instances a ainsi été réduit de plus de 60 % en quinze ans et les créations ont été limitées par l'instauration, en 2012, de la règle du « un pour un », devenue « deux pour un » en 2018 - deux suppressions, pour une création. Les instances réglementaires ont vu leur durée d'existence limitée à cinq ans et leur renouvellement conditionné à la réalisation d'une étude d'impact.
Cette réduction a également pris la force de suppressions régulières. Ainsi, la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (Asap) de 2020 a supprimé treize instances ; le projet de loi de simplification de la vie économique en a supprimé cinq autres.
La maîtrise du nombre de ces instances reste néanmoins un souci constant, tant leur création constitue parfois une solution de facilité, pour le Gouvernement comme pour le législateur. En 2022 et 2023, leur nombre a augmenté. En 2024, seule une instance a été supprimée.
Cette proposition de loi s'inscrit dans la volonté du Sénat d'oeuvrer pour la rationalisation administrative.
Si son objet est vaste, les instances délibératives et consultatives qu'elle mentionne sont l'arbre qui cache la forêt. Leur nombre, leur coût et leurs prérogatives sont sans commune mesure avec les opérateurs de l'État, dont le coût et la lenteur ont des effets plus lourds sur nos finances publiques. Je salue néanmoins l'ambition de ce texte. Il faudrait d'ailleurs entamer ce travail dans nos territoires.
Je me réjouis de la création d'une commission d'enquête sur les opérateurs de l'État par le bureau du 29 janvier.
La rationalisation exige de la rigueur, de l'objectivité et de l'exactitude. Les instances dont nous débattrons la suppression disposent d'une base législative, ce qui signifie que nous les avons nous-mêmes approuvées, parfois très récemment. (Mme Muriel Jourda le confirme.)
Gardons-nous de supprimer des instances utiles au Parlement ou à la prise de décision politique et administrative, mais ne cédons pas pour autant à l'excès de prudence. Ne perdons pas de vue l'objet du texte : faciliter la vie administrative de nos concitoyens et de nos entreprises.
La commission des lois a cherché à apprécier l'utilité de chaque instance au regard de son objet, de la réalité de son activité et de la nécessité d'une base législative.
Nous avons écarté la suppression de quatre instances, qui éclairent utilement le Parlement et le Gouvernement. La commission des lois a également jugé utile de fusionner certaines instances. J'ai proposé aussi de supprimer cinq instances, inactives depuis fort longtemps, ne figurant pas dans le texte initial.
Avec objectivité et rigueur, je défendrai certaines instances, dont la suppression serait plus regrettable que le maintien. Ne supprimons que les instances réellement inutiles, en prévoyant le réexamen régulier de l'opportunité de la suppression des autres. À cet égard, je souhaite que ce texte en appelle d'autres, sur le modèle des propositions de loi issues de la mission « Bureau d'abrogation des lois anciennes et inutiles », dites lois « Balai ».
Je n'ai pas l'âme d'un collectionneur, mais je veux souligner combien le travail parlementaire gagnerait à disposer d'outils de suivi plus précis quant à la réalité de l'activité de ces instances. Chaque instance pourrait ainsi publier un bilan détaillé des activités qu'elle conduit. La méthode de calcul des coûts de fonctionnement présentés dans le jaune budgétaire mériterait aussi de gagner en transparence. J'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous donner des perspectives en ce sens. Nous avons besoin d'éléments plus factuels et plus objectifs. (Mme Nadège Havet applaudit.)
M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification . - Nous avons un point commun : la référence au général de Gaulle - c'est un bon début, monsieur le rapporteur. (M. Hervé Reynaud apprécie.) « L'essentiel pour lui, ce n'est pas ce que peuvent penser le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte, l'essentiel pour le Général de Gaulle, président de la République française, c'est ce qui est utile au peuple français, ce que sent, ce que veut le peuple français. »
Cette expression de comité Théodule est à l'image des comités qu'elle décrit : à force, plus personne ne sait d'où elle vient ni ce qu'elle représente.
Je partage votre souhait de supprimer ces comités qui brouillent la lisibilité de l'action publique et parfois nuisent à la lisibilité de l'État. Mais s'attaquer au millefeuille administratif s'inscrit dans un chantier plus vaste, que je compte mener : la simplification.
Le cap est clair : moins de gestion administrative pour plus - et mieux - de service public. Ma priorité en tant que ministre sera de coordonner l'action des membres du Gouvernement pour simplifier la vie des entreprises et des Français. Pour y parvenir, je reprendrai d'abord la main sur le projet de loi de simplification de la vie économique, avec Éric Lombard. Ce texte sera examiné prochainement à l'Assemblée nationale. Puis, au printemps, je réunirai les collègues du Gouvernement pour qu'ils présentent des mesures de simplification, sous l'égide du Premier ministre.
Simplifier pour simplifier n'a pas de sens. Il faut que ce soit utile aux Français.
L'effort de suppression ne réalisera pas de grandes économies budgétaires. Cependant, il concourt à une meilleure lisibilité de l'action publique - c'est l'étage symbolique de la simplification. Cette proposition de loi alimentera les réflexions de l'Assemblée nationale sur l'article premier du projet de loi de simplification de la vie économique.
Je salue la volonté du Sénat et du président Darnaud de s'attaquer au chantier des opérateurs et agences de l'État. Cela permettra d'évaluer finement leurs coûts et leurs missions. Je suivrai avec attention les travaux de cette commission d'enquête.
Vous le savez, le Premier ministre souhaite réformer l'organisation de l'État et rationaliser l'action des agences. Cette décision s'inscrit dans un effort au long cours - on ne peut pas dire que l'État n'a pas agi en la matière. Depuis 2010, le nombre de commissions est passé de 799 à 313, soit une baisse de 39 %. Sous Édouard Philippe, leur nombre a considérablement diminué. Nous devons aller plus loin. Il est faux de dire que l'État n'a pas été au rendez-vous.
Faisons notre propre examen de conscience : les parlementaires, dont j'étais moi-même il y a peu, sont souvent à l'origine de nombreuses créations - deux tiers des commissions sont d'origine législative. Simplifier, c'est aussi mieux légiférer.
Si je voulais être populaire, je promettrais du sang, des larmes et des coups de tronçonneuse... Mais je ne ferai pas de communication. Pour simplifier, il n'y a pas de solution magique. À voir le nombre d'amendements de rétablissement de comités que vous avez déposés, je crois que cette vision est partagée par de nombreux groupes. Il faut trier le bon grain de l'ivraie. Quand on rase une forêt au bulldozer, on abat aussi des arbres en bonne santé.
Je n'aurai pas la main qui tremble pour supprimer des comités à l'inefficience avérée, mais agissons avec discernement, en tenant compte de trois critères : la redondance avec d'autres services ; l'activité effective du comité ; l'impact de sa suppression sur la lisibilité sur l'action publique. La charge de la preuve doit être inversée. Regardons ce que le comité apporte à nos concitoyens. Sortons de la critique facile, pour une analyse objective. C'est ce que les Français attendent de nos travaux.
Voilà le contexte de la politique de simplification dans lequel s'inscrit ce texte, et tel est mon état d'esprit : simplifier, avec intelligence, méthode, clairvoyance, équilibre et rigueur. Il ne nous reste plus qu'à étudier ensemble les comités au cas par cas. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Marc Laménie et Mme Isabelle Florennes applaudissent également.)
M. Christophe Chaillou . - Cette proposition de loi supprime désormais 17 organismes dits Théodule, et non plus 27 comme à l'origine.
Je reconnais la légitimité de cette démarche. Toutefois, j'ai fait part à l'auteur de la proposition de loi de ma perplexité sur les critères de suppression retenus. Ce sentiment s'est renforcé au fur et à mesure des débats.
L'exposé des motifs précise qu'il faudrait de l'imagination pour maintenir ces comités. Les amendements en ont fait preuve !
En désignant ces comités comme inutiles, la vision qui domine est partiale. Vous le reconnaissez, d'ailleurs, madame Goulet : vous vous êtes principalement appuyée sur le jaune budgétaire, en prenant en compte le nombre de réunions. Or la situation est plus complexe : on ne peut en juger sur un seul critère.
Il convient de mettre le nombre de réunions en regard des objectifs et des missions des comités. Mme Goulet l'a dit elle-même : elle a commis une erreur sur la CCSCEN.
Nous devons utiliser une méthode objective et précise.
Je salue le travail du rapporteur qui a fait preuve de beaucoup de pragmatisme, de rigueur et de discernement. Sont désormais exclus le Conseil national des opérations funéraires (Cnof), la commission d'évaluation de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, la Commission nationale de coopération décentralisée, qui se réunit très régulièrement.
Malgré ces évolutions, le texte demeure insatisfaisant. Le rapporteur suggère de nouvelles suppressions d'articles, soit autant de maintiens de comités, réduisant, de fait, l'ambition du texte.
Certains articles suscitent toujours des interrogations, car ils portent sur des organes majeurs. Prenons comme exemple le Conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire (CSESS), dont les contributions sont utiles à l'élaboration des politiques publiques.
La proposition de suppression du Comité du secret statistique conduirait le Cnis à créer en son sein une sous-commission. Quel progrès y aurait-il là ?
La volonté de supprimer d'autres comités a entraîné une forte mobilisation. Certains sont utiles, notamment pour l'éducation artistique et culturelle ou pour prévenir les violences dans le sport.
Cette proposition de loi est dans l'air du temps, mais elle ne répond pas à l'objectif, partagé, de simplification.
Lors de la réunion de la commission des lois du 23 janvier dernier, nous avons proposé la création d'un groupe de travail transpartisan en vue d'effectuer un travail méthodique sur les 313 comités.
Le Sénat a déjà créé ce type de dispositif, notamment à l'occasion de la proposition de loi visant à améliorer la lisibilité du droit, à la suite de la mission Balai, le Bureau d'abrogation des lois anciennes et inutiles.
Il ne nous est pas possible de voter aujourd'hui cette proposition de loi.
M. Marc Laménie . - Je remercie l'auteur de la proposition de loi et ses collègues pour cette initiative. Il y a une semaine, nous votions la loi de finances initiale pour 2025.
Malheureusement, tout est financier. Après plusieurs décennies d'accroissement de notre dette, nos finances publiques connaissent une situation alarmante. Le Gouvernement envisage de limiter le déficit à hauteur de 5,4 % du PIB, ce qui reste loin de l'objectif des 3 %. Le groupe Les Indépendants estime que la réduction du déficit ne peut pas être atteinte par une hausse des impôts, qui se situent déjà à des niveaux records.
Nous n'avons d'autre choix que de nous attaquer à l'hydre de la dépense publique - 56,7 % du PIB en 2024.
Le périmètre de l'État est trop étendu. À vouloir trop faire, il fait mal.
La prolifération des normes et comités est regrettable ; Boris Ravignon, mon collègue des Ardennes, travaille sur le millefeuille de l'État.
De nombreuses procédures ont été mises en oeuvre pour freiner la création des comités, voire leur suppression. La profusion des comités suscite des interrogations légitimes. Mme Goulet lutte contre cette dispersion en proposant de supprimer 27 des 313 comités ; c'est moins de 10 % du stock.
Le faible montant des rémunérations laisse espérer que le pantouflage y est moindre qu'au sein des agences de l'État. Dans ces dernières, le nombre d'ETP - 2 millions - témoigne de cet éparpillement.
Selon Benjamin Constant, « la multiplicité des lois flatte dans les législateurs deux penchants naturels, le besoin d'agir et le plaisir de se croire nécessaires. » Ce qui est vrai pour les lois l'est aussi pour les comités consultatifs. Certains sont utiles : ne les supprimons pas trop hâtivement.
Une commission d'enquête sur les agences et opérateurs de l'État verra bientôt le jour.
Nous sommes convaincus que les frais de fonctionnement, les emplois et les locaux occupés méritent d'être évalués par la représentation nationale.
Nous souhaitons que cette proposition de loi ouvre la voie à un travail de rationalisation. Nous devons mieux évaluer les conséquences des lois que nous votons.
Le groupe INDEP votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC)
Mme Pauline Martin . - Le groupe Les Républicains salue l'intention vertueuse de cette proposition de loi, dans le prolongement du discours sur la simplification de l'action publique. Il s'agit là des prémices d'un long cheminement d'évaluation de l'efficacité de chaque comité - cela s'inscrit pleinement dans la mission de contrôle du Sénat.
Le document annexé au projet de loi de finances nous donne la liste exhaustive des comités. On en trouve près de 40 près du ministère de l'économie et des finances qui compte lui-même déjà 130 000 agents. Même chose au ministère de la culture.
Je m'interroge notamment sur la commission de rémunération équitable : comprenant 39 membres, celle-ci ne s'est pas réunie depuis trois ans, alors qu'elle rémunère en 2023 une présidente à hauteur de plusieurs milliers d'euros.
Au ministère de la transition écologique, près de 60 conseils bénéficient de budgets parfois importants, et que dire du secteur agricole !
Il ne s'agit pas de remettre en cause la compétence de ces personnes travaillant dans ces structures, même s'il peut être tentant d'examiner de près les liens entre les nommés et ceux qui les nomment. (Sourires) Surtout, nous voulons rendre l'action publique plus lisible, dans une période où des efforts financiers sont réclamés aux Français. Vous pouvez compter sur le Sénat pour trouver de nouvelles pistes d'économies, monsieur le ministre.
Nous devons nous interroger sur l'usage des productions de ces comités. Si le sport national est parfois de censurer à tous crins, il y en a un autre : on démultiplie les rapports, qui ne servent qu'à caler les portes des placards !
Une piste d'amélioration : imposer des obligations de résultat plutôt que de moyens, en exigeant que les comités formulent des propositions concrètes.
Le Conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP) pourrait ainsi formuler des propositions d'économies directement applicables.
Je plaide pour des rationalisations et des fusions, plutôt que des suppressions brutales ; à cet égard, je salue le travail bienveillant du rapporteur.
Bien sûr, des ajustements seront proposés tout à l'heure : serions-nous sur la voie de la guérison ? Aurions-nous trouvé le vaccin contre l'inutilité ou les actions faisant doublon - à en faire pâlir les complotistes les plus aguerris ? Tout cela va dans le sens de la rationalisation des instances.
Ces comités justifient leur existence par le fait de complexifier le quotidien de l'État et des collectivités territoriales.
Le groupe Les Républicains est plutôt favorable à cette proposition de loi. Il souhaite aller plus loin : c'est pourquoi il a utilisé son droit de tirage en vue de créer une commission d'enquête sur les agences et opérateurs de l'État. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP ; Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Mme Nadège Havet . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Nous partageons pleinement votre ambition de supprimer les comités Théodule dont l'utilité n'est pas prouvée. Plus largement, le RDPI est attaché à la simplification de l'action publique.
La commission des lois a adopté à l'unanimité cette proposition de loi. Certaines instances ont été préservées, mais cinq autres ont intégré la liste des suppressions. Certaines seront fusionnées.
En 2008, le nombre de commissions consultatives s'élevait à 799. La rationalisation mise en oeuvre a abouti à un nombre de 317 en 2025.
L'ancien Premier ministre Gabriel Attal avait proposé la suppression de tous les comités ne s'étant pas réunis durant les douze derniers mois.
Le coût de ces instances a augmenté de 16 % pour atteindre 30 millions d'euros.
La commission des conseillers en génétique émet un avis lorsqu'un ressortissant d'un État membre de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen (EEE), non titulaire d'un diplôme français souhaite exercer en tant que conseiller en génétique. Ne faudrait-il pas conserver ce filtre d'expertise ?
L'article 6 supprime le comité de suivi et de propositions de la convention visant à améliorer l'accès à l'emprunt et à l'assurance des personnes présentant un risque de santé aggravé : pourquoi le supprimer - son coût est nul - , alors qu'il pourrait laisser un vide pour les droits des personnes malades ?
Je voterai l'amendement à l'article 9 revenant sur la suppression de la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC). Même chose pour le CSESS dont le coût est quasi nul.
Si certaines structures n'ont pas démontré leur importance, d'autres méritent une évaluation plus substantielle. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Michel Masset . - Ce texte ne me satisfait pas vraiment, malgré des intentions louables.
L'ensemble du RDSE est attaché à la maîtrise des dépenses publiques et à la simplification de l'action publique. Cela renforce le consentement à l'impôt et la lisibilité des politiques publiques.
Je remercie Nathalie Goulet et Hervé Reynaud.
Cette discussion nous appelle à l'humilité : nous supprimerons des instances dont le législateur est à l'origine.
Christian Bilhac se bat contre le recours excessif aux agences dans la gestion publique.
Je suis perplexe sur la méthode : pourquoi supprimer certains organismes sans que cela s'inscrive dans une réforme globale ? J'entends que ceux-ci ont été sélectionnés selon leur activité ou le chevauchement de compétences, mais il faudrait une concertation plus large, afin de ne pas créer de tensions dans les secteurs concernés.
Je suis satisfait du travail du rapporteur, qui a identifié des instances devant être maintenues : cela doit nous inciter à la prudence. Je défendrai un amendement revenant sur la suppression du conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire.
Cette proposition de loi est une invitation pertinente à la discussion. Nous devons apporter une réponse à la hauteur de la situation budgétaire de notre pays. Que nous l'adoptions ou non, ce premier travail doit être suivi d'une évaluation méticuleuse d'identification des conséquences de la suppression ou du maintien d'une structure. Cela me semble une obligation pédagogique.
Ces réserves énoncées, chacun des membres du RDSE se prononcera en toute liberté.
Mme Nadia Sollogoub . - Cette proposition de loi est un test, un premier jalon démontrant notre volonté de rationaliser l'action publique. Ce texte doit être le témoin de notre volonté de rendre l'administration plus efficace, plus adaptée aux défis contemporains.
Le nombre de comités a été divisé par deux ces dernières décennies. Mais nous sommes encore loin du compte.
La lutte contre toutes les formes de violences dans le sport est une préoccupation majeure. En revanche, le caractère inexistant des réunions de la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives nous interroge : aucune réunion en 2022, et une seule en 2023. Pourquoi ne pas confier ses missions à l'Agence nationale du sport (ANS) ?
Nous avons conscience que la lisibilité de l'action publique conditionne la confiance que les citoyens accordent à nos institutions.
Cette prolifération déraisonnable peut susciter l'ironie. En simplifiant le paysage administratif, nous démontrons que l'État est capable de se remettre en question.
Inspirons-nous des maires, ces élus qui produisent chaque année des budgets en équilibre, et qui ne subventionnent que les associations actives. Aucun n'aurait l'idée de s'abonner à une revue qui ne publie rien ou de donner une subvention à une association qui ne fait rien.
Il n'y aura pas d'économies miraculeuses.
En votant cette proposition de loi, nous manifestons notre volonté de supprimer des instances obsolètes ; nous enclenchons la marche vers la rationalisation. C'est essentiel.
Au-delà du stock, n'oublions pas que nous devons aussi être vigilants aux flux, et ne pas alimenter la création de ces instances dans nos projets et propositions de loi. Je salue le travail d'Hervé Reynaud, mais suis réservée sur le raisonnement privilégiant la démonstration de l'inutilité d'une structure pour accepter sa suppression plutôt que la preuve de son utilité pour justifier son maintien.
Nathalie Goulet a souvent le tort d'avoir raison avant tout le monde. En 2020, elle a défendu un texte martyr luttant contre la fraude sociale. Cette proposition fut considérée comme marginale ; pourtant, c'était mettre un pied dans la porte. Désormais, c'est une cause majeure, unanimement partagée.
Cette proposition de loi est le premier jalon d'une réforme nécessaire.
Si ce texte se concentre sur certaines instances nationales, un effort similaire devra être engagé au niveau local.
La commission d'enquête sur les opérateurs et agences de l'État devra faire des coupes courageuses pour supprimer doublons et branches mortes. Cela dit, de nombreux comités ne sont pas du ressort du législateur, et doivent être supprimés par l'exécutif.
Dans un rapport de 2021, la Cour des comptes s'est interrogée sur le recours à ce mode de gestion du service public.
Voter ce texte, c'est affirmer une volonté politique claire : celle d'un État qui n'hésite pas à se réformer.
Les sénateurs du groupe UC soutiendront l'efficacité de l'action publique en votant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)
Mme Cécile Cukierman . - L'utilité est un objectif contre lequel il est difficile de lutter : nous reconnaissons là l'audace de l'auteure de cette proposition de loi. Cependant, j'apporterai quelques nuances : l'utilité est une notion subjective. Le coût et la fréquence de réunions ne suffisent pas à juger de l'utilité d'une instance.
Les suppressions proposées ne contribueront en rien à la baisse des dépenses publiques : le coût des instances est faible.
On peut se réunir beaucoup avec peu d'utilité, mais l'on peut aussi se réunir peu de façon très utile.
Mme Nathalie Goulet. - C'est vrai.
Mme Cécile Cukierman. - Ce sont les élus locaux, les acteurs économiques, nous parlementaires, qui avons créé ces comités !
Face à la réduction croissante du nombre de fonctionnaires, aux nouveaux enjeux et aux besoins d'accompagnement, ces structures se sont multipliées. Et elles seraient devenues obsolètes, coûteuses et inutiles ?
Nous devrions avoir un débat beaucoup plus approfondi : ne donnons pas l'impression que l'objet de ces instances n'entre plus dans le champ des politiques publiques, qui doivent être plus efficaces.
Prenons garde : nous, parlementaires, avons une responsabilité et un devoir.
Notre groupe s'opposera toujours à la casse de l'État, si chère au nouveau président américain et à ses amis milliardaires, mais si néfaste pour la société.
L'efficacité d'un État, d'un comité, se mesure sur le temps long.
L'impatience est parfois mauvaise conseillère. Cette proposition de loi comporte de trop nombreux effets de bord, trop d'imprécisions. Elle risque d'être contreproductive.
L'article 19 vise à supprimer les dispositions législatives de la Commission supérieure nationale du personnel des industries électriques et gazières, qui n'aurait aucun impact sur les finances publiques, mais qui aurait des conséquences désastreuses pour le secteur.
L'article 6 supprime le comité de suivi de proposition de la Convention visant à améliorer l'accès à l'emprunt et à l'assurance des personnes présentant un risque de santé aggravé. De nombreux combats ont été menés pour ces personnes. Ils ne peuvent être balayés par notre empressement.
Combien de fragilités cette proposition de loi comporte-t-elle ? Nous ne pourrons voter pour ce texte en l'état. Nous serons attentifs au sort réservé aux amendements, et nous ne nous opposerons certainement pas au vote de ce texte.
M. Guy Benarroche . - Alors que la tendance internationale est aux coupes aveugles à la tronçonneuse, ce texte prévoit, à juste titre, de supprimer comités et commissions à l'utilité trop faible. Nous sommes aussi attachés au sérieux de la dépense, surtout après dix ans de gestion catastrophique des comptes de ce pays.
Cela dit, nous sommes plus mesurés : la plupart des comités supprimés sont nécessaires à nos yeux, à l'instar de la Commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, très utile pour nos compatriotes du Pacifique. En Polynésie française, les représentants des victimes - j'en ai rencontré encore récemment - doivent se battre pour obtenir réparation. La Commission est fondamentale pour l'indemnisation des victimes, alors que 400 000 personnes ont été exposées aux retombées radioactives.
La démarche adoptée est nonchalante : je m'inquiète de retenir comme seul critère la périodicité des réunions, souvent déterminée par la loi. Nous avons déposé un amendement de suppression de la suppression du Conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire.
Il faut régler le problème structurel de sous-déclaration des accidents du travail. En attendant, il faut en évaluer la réalité et ainsi assurer la compensation entre la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) et la branche maladie. La proposition de loi ne propose pas d'alternative. Nous remercions la commission d'avoir fait un pas en ce sens.
Oui, il faut supprimer les structures obsolètes. Mais ne supprimons pas les commissions dont les enjeux sont concrets, par exemple la commission d'autorisation d'exercice pour la profession de conseiller en génétique. Celle-ci permet de vérifier les compétences de personnes travaillant sur ce sujet. Cette démarche est nécessaire et doit être menée de façon uniforme sur l'ensemble du territoire. Une alternative serait-elle plus économe ? Rien n'est moins sûr.
Nous sommes sensibles au toilettage du droit et à la rationalisation des finances publiques, mais cette démarche doit reposer sur une analyse fine des coûts et des enjeux. Une suppression prématurée, sans alternative, présente un danger réel.
Faire des économies n'est pas un objectif suffisant - surtout que le résultat n'est pas démontré. Nous restons ouverts à la discussion sur ces comités, sur les agences et leurs doublons, mais nous ne pouvons pas voter ce texte qui tranche trop aveuglément des structures dont l'utilité est bien réelle.
Discussion des articles
Article 1er
M. Jean-Baptiste Lemoyne . - Nos débats sont utiles et féconds. Certaines commissions figurent dans la loi et utiles, d'autres sont inutiles, parce qu'elles sont obsolètes, notamment : aucun problème pour les supprimer, donc. D'autres commissions ne figurent pas dans la loi, mais sont utiles, comme le Comité de la filière tourisme. Au reste, une commission est souvent l'occasion de réunir tous les acteurs pour une bonne gouvernance du secteur.
La démarche de ce texte est utile, mais, compte tenu des réactions suscitées, le Parlement n'est pas forcément bien outillé pour examiner la pertinence de ces comités. Je le regrette : le Sénat devrait avoir plus de moyens pour proposer des simplifications réelles, et non superficielles.
Mme la présidente. - Amendement n°21 rectifié de M. Gremillet et alii.
M. Laurent Burgoa. - Défendu.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Cette commission est inactive depuis plusieurs années. Certes, son coût de fonctionnement est nul, mais le Sénat s'était déjà opposé à sa suppression, à l'occasion de l'examen du projet de loi Simplification de la vie économique.
Cette instance peut saisir l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) pour avoir des moyens à la hauteur de ses ambitions.
Sagesse, à l'heure où la France relance sa filière nucléaire.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Cette commission, qui a vingt ans, ne s'est plus réunie depuis trois ans. D'autres organes, telle l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), sont chargés de concevoir et de mettre en oeuvre les solutions dans ce domaine. L'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) pourrait aussi traiter du sujet.
Je maintiens que la commission visée par cet article crée une forme de redondance. Dès lors, demande de retrait de l'amendement.
M. Laurent Burgoa. - M. Gremillet tient à son amendement, je ne le retirerai pas.
L'amendement n°21 rectifié est adopté et l'article 1er est supprimé.
Après l'article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°30 rectifié de M. Longeot et alii.
Mme Nathalie Goulet. - La Commission nationale d'aménagement commercial (Cnac) constitue une instance superflue dans la chaîne de décision pour les projets d'aménagement commercial. Supprimons-la.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Avis défavorable. Ancien élu local, je ne partage pas l'avis sur le caractère superflu. La moitié des décisions rendues par les commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) font l'objet d'un recours devant la Cnac : 181 saisines en 2023. C'est une chambre d'appel très importante pour les élus locaux.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Même avis, pour les mêmes raisons.
Mme Cécile Cukierman. - Cette commission permet l'exercice du droit au recours ; elle est véritablement utile au service de l'aménagement local et permet de s'affranchir des pressions économiques de quelques acteurs de la grande distribution.
Mme Nadia Sollogoub. - Voilà pourquoi M. Longeot a déposé cet amendement : bien souvent, la décision départementale et la décision nationale ne vont pas dans le même sens.
Mme Cécile Cukierman. - C'est faux !
Mme Nadia Sollogoub. - Ne multiplions pas les niveaux.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Je rejoins Mme Cukierman : il est important de conserver une chambre d'appel des décisions des CDAC. Les décisions sont parfois complexes, et certains intérêts - pas uniquement économiques, d'ailleurs - peuvent peser. D'où l'importance d'un règlement au niveau national.
Maintenons la Cnac, mais réduisons les délais de décision, ainsi que le souhaite M. Longeot : ainsi, nous aurons fait oeuvre utile, sans casser un outil indispensable.
Mme Nathalie Goulet. - Je regrette que cet amendement n'ait pas été frappé d'irrecevabilité au titre de l'article 45 de la Constitution.
Mme Cécile Cukierman. - Tout à fait.
Mme Nathalie Goulet. - Cet amendement ne s'inscrit pas dans le périmètre de cette proposition de loi.
Le débat est plus large et porte sur des questions de fond, telles que les voies de recours et les conflits d'intérêts. La commission des lois, habituellement si attentive, n'aurait pas dû maintenir cet amendement, qui n'a rien à voir avec le périmètre limité de la proposition de loi.
L'amendement n°30 rectifié n'est pas adopté.
Article 2
Mme la présidente. - Amendement n°23 rectifié bis de M. Lozach et alii.
Mme Sylvie Robert. - L'article 2 prévoit la suppression de la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives. Si les dérives du supportérisme doivent être combattues, nous défendons cette structure sans laquelle le ministre de l'intérieur pourrait dissoudre trop facilement les associations de supporters. Le dialogue entre les associations de supporters, les clubs, les ministères et le Parlement doit être renforcé. Nous prônons des sanctions individualisées et des peines fermes. Supprimons cet article.
Mme la présidente. - Amendement identique n°31 de M. Reynaud, au nom de la commission des lois.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Cette commission ne se réunit que lorsque la suspension ou la dissolution d'une association de supporters est envisagée, d'où la fréquence peu élevée des réunions.
Elle permet l'exercice du contradictoire et ainsi d'assurer la robustesse juridique des décisions de suspension.
Son coût est nul : le secrétariat est assuré par la direction des libertés publiques du ministère de l'intérieur.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Avis favorable. Le coût de cet organisme est nul. Le supprimer enverrait un très mauvais signal.
La violence dans le monde du sport est un sujet prégnant - on le constate souvent, hélas, le week-end durant les matchs de football - et je le dis d'autant plus clairement que c'est mon sport préféré... (M. Jean-Baptiste Lemoyne renchérit.)
Mme Nathalie Goulet. - J'ai compris la position du rapporteur. J'ai compris que le nombre de réunions n'est pas un critère permanent. Mais beaucoup d'agences traitent déjà de ce sujet : pourquoi ne pas le leur confier ?
J'ai compris que nous allons profiter de ce texte imparfait pour lancer une méthode. La lutte contre la violence dans le sport - question essentielle - doit être confiée à une autre structure pour plus d'efficacité.
Les amendements identiques nos23 rectifié bis et 31 sont adoptés et l'article 2 est supprimé.
L'article 3 est adopté.
Article 4
Mme la présidente. - Amendement n°9 rectifié ter de Mme Lassarade et alii.
Mme Nadège Havet. - La commission d'autorisation d'exercice pour la profession de conseiller en génétique joue un rôle important pour vérifier les compétences des experts. Mon groupe votera cet amendement de Mme Lassarade.
Mme la présidente. - Amendement identique n°32 de M. Reynaud, au nom de la commission des lois.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - La commission s'est réunie en 2024 en visioconférence pour ne pas engendrer de frais liés au déplacement de ses membres.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Cette commission ne s'est réunie qu'une fois en 2024 et ne concerne qu'un faible nombre de professionnels. Toutefois, sagesse.
Mme Nathalie Goulet. - Merci pour votre avis de sagesse, monsieur le ministre.
Je comprends l'intérêt de cette commission, mais, là encore, sa suppression est une restructuration envisageable : le Comité consultatif national d'éthique ou le Conseil national de l'ordre des médecins pourraient exercer cette compétence.
Les amendements identiques nos9 rectifié ter et 32 sont adoptés et l'article 4 est supprimé.
L'article 5 est adopté.
Article 6
L'amendement n°10 rectifié quater n'est pas défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°20 rectifié de M. Lemoyne et alii.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Cet amendement supprime l'article 6, qui lui-même supprime le comité de suivi de la convention Areas. C'est une convention qui permet aux personnes qui ont souffert de pathologies comme le cancer de s'assurer et d'emprunter.
En 2022, le Sénat a renforcé le droit à l'oubli. On sait combien il peut être difficile de mener la vie la plus normale possible quand on a souffert d'une telle pathologie.
L'amendement identique n°28 rectifié bis n'est pas défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°33 de M. Reynaud, au nom de la commission des lois.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Maintenons ce comité, qui s'est réuni cinq fois en 2023. La loi Lemoine a prévu que les signataires de la convention engageraient une négociation sur l'élargissement de la liste à de nouvelles pathologies.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Avis favorable. Il s'agit de personnes particulièrement vulnérables.
Mme Nathalie Goulet. - Je me suis rangée à l'avis du rapporteur. C'était un choix inopportun.
Les amendements identiques nos20 rectifié et 33 sont adoptés et l'article 6 est supprimé.
Article 7
Mme la présidente. - Amendement n°11 de M. Chaillou et du groupe SER.
M. Christophe Chaillou. - Nous ne sommes pas favorables à la suppression du comité du secret statistique et au transfert de ses missions au Cnis. C'est une fausse bonne idée, pour trois raisons : le coût de son fonctionnement est nul, avec un président bénévole et un secrétariat assuré par l'Insee ; il joue un rôle essentiel en matière de statistiques publiques ; sa disparition supprimerait des garanties essentielles, dont l'obligation de secret statistique pour les bénéficiaires de l'accès aux données. Êtes-vous prêt à prendre ce risque ?
Mme la présidente. - Amendement identique n°34 de M. Reynaud, au nom de la commission des lois.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Certaines commissions ont parfois des noms abscons, mais certains réalisent un vrai travail : les demandes de transmission de données personnelles, venant de l'administration fiscale notamment, sont en augmentation - le comité a été saisi de 574 demandes en 2023. Avis favorable.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Même avis.
Mme Nathalie Goulet. - Pourquoi maintenir ce comité ? J'entends qu'il ne coûte rien, mais quid de son articulation avec la Cnil ? Monsieur le ministre, travaillerez-vous à cette rationalisation ? Nous débroussaillons à l'occasion de ce texte. Comprenez que le sénateur Camember s'interroge.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - La commission d'enquête que le Sénat s'apprête à créer pourra s'en saisir. Supprimer cette instance n'est pas une bonne idée, pour l'heure.
Mme Nadia Sollogoub. - Vous comprenez bien que ce sont non pas ces sujets, importants, qui posent problème, mais l'existence des comités qui en sont chargés. Ne multiplions pas ces instances, mutualisons plutôt !
Les amendements identiques nos11 et 34sont adoptés et l'article 7 est supprimé.
Article 8
Mme la présidente. - Amendement n°29 du Gouvernement.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Il s'agit de rétablir les comités ministériels de transaction (CMT) dont la suppression complexifie plus qu'elle ne simplifie. Leur coût de fonctionnement est nul pour l'État. La commission propose de fusionner les différents CMT en un comité interministériel de transaction, mais ce serait purement cosmétique et n'améliorerait en rien son efficacité, puisque les problèmes sont propres à chaque ministère.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - La commission ne souhaite pas supprimer les CMT, mais les mutualiser au niveau interministériel : une telle fusion - de cinq organismes, nous passerions à un - nous semble de bon aloi. Avis défavorable.
L'amendement n°29 est adopté et l'article 8 est supprimé.
Article 9
Mme la présidente. - Amendement n°1 rectifié bis de M. Rietmann et alii.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Cet amendement, cosigné par M. Rietmann, président de la délégation sénatoriale aux entreprises, revient sur la suppression de la commission d'examen des pratiques commerciales. Un patron de PME m'a confirmé combien elle est précieuse pour résoudre des conflits commerciaux - qui ne manquent pas ! Elle ne coûte que quelques milliers d'euros et se réunit régulièrement.
Mme la présidente. - Amendement identique n°25 rectifié de Mme Havet et alii.
Mme Nadège Havet. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°35 de M. Reynaud, au nom de la commission des lois.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Nous avons pu mesurer la portée et l'utilité des travaux de cette commission.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Avis favorable.
Les amendements identiques nos1 rectifié bis, 25 rectifié et 35 sont adoptés et l'article 9 est supprimé.
Article 10
Mme la présidente. - Amendement n°2 rectifié bis de M. Benarroche.
M. Guy Benarroche. - L'article 10 supprime le CSESS sur le seul fondement de son faible nombre de réunions. Pourtant, la loi prévoit qu'il ne se réunit que tous les trois ans. Plusieurs membres du groupe d'études de l'économie sociale et solidaire du Sénat s'alarment de cette suppression.
Le CSESS est un lieu d'échange qui comprend notamment des parlementaires, et des associations d'élus. Ses commissions thématiques se réunissent plusieurs fois par an. Il va prochainement contribuer à l'élaboration d'une feuille de route nationale, conformément aux obligations européennes de la France.
Je remercie les acteurs de l'économie sociale et solidaire, qui font vivre ce mouvement vertueux et qui veulent que ce comité soit préservé.
Mme la présidente. - Amendement identique n°3 rectifié de M. Chaillou et du groupe SER.
M. Christophe Chaillou. - Le CSESS n'est pas inutile. Il permet des échanges entre les nombreux partenaires de l'économie sociale et solidaire et contribuera à la rédaction de la feuille de route stratégique nationale de l'économie sociale et solidaire, demandée par la Commission européenne.
Élus locaux, sénateurs, nous savons que l'économie sociale et solidaire est importante, avec ses emplois locaux non délocalisables. Supprimer le CSESS serait une grave erreur.
Mme la présidente. - Amendement identique n°7 rectifié bis de M. Masset et alii.
M. Michel Masset. - Le CSESS est précieux pour l'ensemble des acteurs. Ses nombreuses commissions sont très actives et ses travaux sont attendus. Dans mon département du Lot-et-Garonne, l'économie sociale et solidaire représente 15 % des emplois.
Mme la présidente. - Amendement identique n°26 de Mme Havet et alii.
Mme Nadège Havet. - La France accueillera le forum mondial de l'économie sociale et solidaire à Bordeaux cette année. Supprimer son conseil supérieur enverrait un mauvais signal à tous les acteurs.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Avis favorable.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Même avis.
Mme Nathalie Goulet. - Il ne s'agit absolument pas de remettre en cause l'économie sociale et solidaire - qu'il n'y ait pas de malentendu ! Simplement, cette structure ne nous semble pas adaptée. La ministre chargée de l'économie sociale et solidaire était députée de l'Orne - je ne voudrais pas me fâcher avec elle... (M. Laurent Marcangeli en rit.) Avec le rapporteur, compte tenu du prochain forum international, nous nous sommes mis d'accord pour maintenir ce conseil.
Les amendements identiques nos2 rectifié bis, 3 rectifié, 7 rectifié bis et 26 sont adoptés et l'article 10 est supprimé.
Article 13
Mme la présidente. - Amendement n°27 de Mme Havet et alii.
Mme Nadège Havet. - Cet amendement revient sur la suppression du Conseil national de la médiation, installé en juin 2023. Commençons par évaluer son fonctionnement.
Mme la présidente. - Amendement identique n°36 de M. Reynaud, au nom de la commission des lois.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Il est prématuré de supprimer cette instance installée en juin 2023 et qui s'est réunie deux fois en 2023 et trois fois en 2024 ; celle-ci a remis un premier rapport d'étape, avec des recommandations. La médiation judiciaire allège la charge de travail des juridictions.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Avis favorable.
Les amendements identiques nos27 et 36 sont adoptés et l'article 13 est supprimé.
Article 15
Mme la présidente. - Amendement n°12 de M. Chaillou et du groupe SER.
Mme Sylvie Robert. - Cet amendement revient sur la suppression du Haut Conseil de l'éducation artistique et culturelle. Créée en 2015, c'est une instance collégiale, placée sous la double tutelle des ministères de la culture et de l'éducation nationale. Il accompagne les démarches des collectivités territoriales dans le cadre du plan « 100 % EAC ».
Ne serait-il pas inconcevable, alors même que Mme Dati souhaite développer l'éducation artistique et culturelle, qu'on le supprime ?
Tout à l'heure, lors du débat relatif au pass Culture, nous avons tous réaffirmé l'importance de l'éducation artistique et culturelle à l'école.
Si le Haut Conseil ne s'est pas réuni ces deux dernières années, c'est en raison de l'instabilité ministérielle.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Avis défavorable. Son utilité n'est guère évidente : toute politique publique n'a pas besoin d'une instance de pilotage national ; ce pilotage peut être académique ou préfectoral. Dans ma commune de Saint-Chamond, j'ai installé le « 100 % EAC » sans recourir au Haut Conseil.
Cette instance a pris différentes formes, sans jamais faire ses preuves. Elle n'a jamais réalisé la mission d'évaluation qui lui avait été demandée. Elle ne s'est pas réunie depuis 2022. C'est l'illustration même du comité Théodule.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Je comprends vos préoccupations sur l'éducation artistique et culturelle. Cela dit, il n'y a pas eu de réunion en 2022, 2023, 2024... Avis plutôt défavorable.
Mme Sylvie Robert. - On retiendra de cette séance que le Sénat a fait du Haut Conseil un comité Théodule, après avoir rappelé l'importance de développer l'éducation artistique et culturelle lors du débat sur le pass Culture. Politiquement et symboliquement, nous envoyons un très mauvais signal.
Vous n'avez peut-être pas eu besoin de l'aide du Haut Conseil, mais la charte qu'il a élaborée a été très utile à bien des petites communes, dont désormais 157 sont labellisées.
Les ministres de l'éducation nationale et de la culture se satisferont-elles de notre vote ?
Mme Nathalie Goulet. - Un rapport plutôt sévère de l'Igac de 2023 recommande sa suppression.
Mme Sylvie Robert. - Pas du tout !
Mme Nathalie Goulet. - C'est écrit noir sur blanc : le ministère de la culture souhaite sa suppression ; celui de l'éducation nationale, son évolution. Et s'il n'a pas été réuni, c'est parce que ses membres n'ont pas été renouvelés ; il n'y a plus qu'un président.
Faute d'être actif, ce comité doit être supprimé.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Nous avons beaucoup échangé, notamment avec l'AMF, qui nous a confortés dans notre position.
L'amendement n°12 n'est pas adopté.
L'article 15 est adopté, de même que l'article 16.
Article 17
L'amendement n°8 rectifié ter n'est pas défendu.
L'article 17 est adopté.
Article 18
Mme la présidente. - Amendement n°24 de M. Chaillou et du groupe SER.
M. Christophe Chaillou. - Cet article supprime l'Observatoire national de la politique de la ville, pourtant utile. Son faible nombre de réunions n'est pas un critère pertinent, puisqu'il a publié huit études en 2024. Les associations d'élus locaux ont fait valoir son utilité et même demandé la hausse de ses moyens. Dominique Estrosi Sassone, Viviane Artigalas et Valérie Létard ont préconisé son renforcement dans un rapport de 2022.
Mme la présidente. - Amendement identique n°37 de M. Reynaud, au nom de la commission des lois.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - C'est une instance active : sept rapports l'an passé, sur des sujets variés.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Les associations d'élus sont attachées à cet observatoire. J'ai moi-même été maire d'une ville transformée par la politique de la ville. Mais il se réunit assez peu et son rôle est redondant avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et l'Agence nationale de renouvellement urbain (Anru).
Je comprends toutefois vos réticences : sagesse.
Mme Nathalie Goulet. - Encore une fois, on ne s'attaque pas à la politique de la ville, mais à la construction en Lego de ces instances. Ces missions pourraient être transférées au CNV.
Cette proposition de loi torpille non des politiques, mais leur organisation. Je souhaite vraiment la suppression de cet observatoire.
Mme Nadia Sollogoub. - Nous nous attaquons aux doublons. Dans mon département, nous avons constaté que 22 instances s'occupaient d'insertion par l'emploi, soit 22 présidents, 22 directeurs, 22 locaux, 22 photocopieuses... Il faut réorganiser.
Les amendements identiques nos24 et 37 sont adoptés et l'article 18 est supprimé.
Article 19
L'amendement n°22 rectifié n'est pas défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°38 de M. Reynaud, au nom de la commission des lois.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - La commission supérieure nationale du personnel des industries électriques et gazières est une instance paritaire représentant 157 entreprises et près de 136 000 salariés. Son coût de fonctionnement est nul et ses missions sont utiles pour le secteur. Sa suppression n'est donc pas justifiée.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Avis favorable. Je suis attaché au dialogue social ; or c'est un espace unique d'échanges entre l'État, les employeurs et les syndicats.
L'amendement n°38 est adopté et l'article 19 est supprimé.
Article 20
Mme la présidente. - Amendement n°19 rectifié de Mme Robert et M. Chaillou.
Mme Sylvie Robert. - Cet article supprime la commission des droits d'auteur et droits voisins dont la mission est de faciliter la conclusion d'accords relatifs au droit d'auteur des journalistes ou au partage de la rémunération au titre des droits voisins des éditeurs de presse et des agences de presse. En la supprimant, les journalistes n'auraient plus la garantie de percevoir une « part appropriée et équitable » de la rémunération des droits voisins perçue par les éditeurs de presse auprès des plateformes numériques.
C'est un mauvais signal, alors même que la ministre a annoncé un projet de loi reprenant les conclusions des états généraux de l'information, qui ont notamment porté sur les droits voisins.
Mme la présidente. - Amendement identique n°39 de M. Reynaud, au nom de la commission des lois.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Cette commission prend des décisions - elle n'émet pas simplement des avis. Elle permet de lever des blocages dans les négociations collectives et mérite d'être conservée.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Avis favorable.
Les amendements identiques nos19 rectifié et 39 sont adoptés et l'article 20 est supprimé.
Article 21
Mme la présidente. - Amendement n°4 rectifié bis de Mme Darcos et alii.
M. Marc Laménie. - Cet article supprime la commission de la rémunération équitable, dont la mission est de définir le barème et les modalités de versement de la rémunération due aux artistes-interprètes et aux producteurs de musique enregistrée. Si nous la supprimons, le ministère de la culture deviendra juge et partie.
Mme la présidente. - Amendement identique n°40 de M. Reynaud, au nom de la commission des lois.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Nous avons échangé avec l'auteure de la proposition de loi, sans trouver d'autre instance à laquelle transférer ces missions. Cette commission se réunit de manière subsidiaire, lorsqu'il est nécessaire de revoir les barèmes.
Mme Sylvie Robert. - Oui, mais c'est important !
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Si elle ne s'est pas réunie en 2022 et 2023, elle s'est réunie en 2024 et nous annonce des réunions mensuelles en 2025.
Mme Nathalie Goulet. - Elle est ressuscitée...
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Son utilité est reconnue par l'autorité judiciaire, qui a enjoint au ministère de la culture de nommer un président à l'été 2023. La nouvelle présidente a élaboré un programme de travail ambitieux allant jusqu'en 2027. Avis favorable.
Mme Nathalie Goulet. - Heureuse d'avoir suscité la résurrection de cette commission ! Jusqu'à récemment, la seule rémunération équitable de cette commission était celle de sa présidente...
Nous étudierons de près son activité.
Les amendements identiques nos4 rectifié bis et 40 sont adoptés et l'article 21 est supprimé.
L'article 23 est adopté, ainsi que l'article 24.
Après l'article 24
Mme la présidente. - Amendement n°5 de Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. - Cet amendement est une tentative pour intégrer le Comité national de l'initiative française pour les récifs coralliens au sein de l'Office français de la biodiversité (OFB), récemment sacralisé...
Finalement, faute de temps et d'expertise, ce texte ne nous aura pas permis de beaucoup restructurer. Mais la vertu de cette séance quelque peu crucifiante réside probablement dans la méthode que nous installons.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Avis défavorable. Ce comité se réunit une fois par an en formation plénière à Paris, mais ses comités locaux se réunissent dans les outre-mer. Heureusement qu'on ne les réunit pas toujours à Paris... 2025 sera l'année de la mer.
Nous aurons l'occasion de reparler de l'OFB dans le cadre des travaux de la commission d'enquête.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Avis défavorable.
L'amendement n°5 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°6 Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. - Une ultime tentative... C'est de l'acharnement thérapeutique. (Sourires) Je souhaite fusionner l'Observatoire de l'alimentation avec le Conseil national de l'alimentation, qui coûtent environ 500 000 euros chacun.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Retrait, sinon avis défavorable. Nous avons beaucoup hésité, mais ces deux instances n'ont pas la même vocation : le Conseil national de l'alimentation est une instance de concertation, tandis que l'Observatoire de l'alimentation est une instance scientifique. Il faudra y retravailler.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Ces deux instances traitent de l'alimentation, mais leur rôle est différent. À l'avenir, il faudra entrer davantage au fond des choses. Avis défavorable.
L'amendement n°6 est retiré.
Intitulé de la proposition de loi
Mme la présidente. - Amendement n°41 de M. Reynaud, au nom de la commission des lois.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Rédactionnel.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Avis favorable. Finalement, ce texte consacre plus la non-suppression d'instances, que la suppression d'autres. Au nom du Gouvernement, je serai particulièrement attentif aux travaux du Sénat sur la simplification : il faut passer aux actes.
L'amendement n°41 est adopté.
La proposition de loi est ainsi renommée.
Vote sur l'ensemble
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois . - Je remercie Mme Goulet de cette proposition de loi d'appel qui a le grand mérite de passer du constat - le poids de notre complexité administrative - à l'exécution.
Ces comités sont souvent d'origine législative et insérés dans des procédures. La seule question qui vaille est donc celle du périmètre de l'État. Il était bon que nous ayons ce débat. Nous devrons poursuivre cette réflexion. (M. Marc Laménie applaudit.)
M. Hervé Reynaud, rapporteur de la commission des lois . - Je salue le travail de Mme Goulet, fructueux - je le dis sincèrement. Nous devons persévérer et poursuivre cette démarche, annuellement. Mais nous avons besoin aussi de stabilité institutionnelle, afin de travailler en interministériel et d'obtenir davantage de réponses du Gouvernement.
La reconnaissance de nos incertitudes nourrit notre recherche du vrai. (M. Jean-Baptiste Lemoyne renchérit.) Le besoin de simplification est réel, mais toujours sur des arguments fondés. La crédibilité fait la force du Sénat.
Mme Isabelle Florennes . - Je remercie Mme Goulet pour son engagement sincère et son travail de fond, très documenté. Elle a montré que l'enfer était pavé de bonnes intentions et qu'il faudra bien du courage pour avancer.
On voit combien il est difficile de réformer notre État en douceur et avec pragmatisme - les Français nous le reprochent.
La vraie question, c'est celle de l'efficacité de l'action publique. J'espère que la commission d'enquête du groupe Les Républicains nous permettra d'avancer sur cette question cruciale.
M. Christophe Chaillou . - Il reste à l'évidence peu de chose de la proposition de loi initiale. Mme Goulet aura peut-être ressuscité certains comités et relégitimé d'autres.
Nous devons poursuivre la réflexion, sans a priori. J'y suis tout à fait disposé.
Compte tenu du sort réservé à l'amendement de Sylvie Robert sur le Haut Conseil de l'éducation artistique et culturelle, nous ne voterons pas cette proposition de loi.
M. Marc Laménie . - Merci à Mme Goulet pour son initiative. La tâche est immense. Restons positifs et faisons confiance à l'ensemble des partenaires. Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi.
M. Michel Masset . - Je salue le travail de l'auteur et celui du rapporteur. Il fallait du courage pour ouvrir ce dossier. C'est le début d'une aventure qui se poursuivra. Peut-être avez-vous eu raison trop tôt ?
Mme Nathalie Goulet . - Je remercie le ministre et la commission des lois. Quand on s'écarte des sujets confortables - la fraude, le terrorisme - , Man muss gefährlich leben - il faut vivre dangereusement.
Les planètes s'alignent. Notre débat sur la méthode sera utile à la commission d'enquête. En commission des lois, certains sénateurs avaient des solutions encore plus radicales, mais ils étaient absents aujourd'hui. Je remercie mon groupe d'avoir maintenu ce texte dans notre niche. On dit que dans chaque niche, il y a un chien qui aboie. Là, tous les comités ont aboyé en même temps. (M. Gérard Lahellec lève les bras au ciel.) Nous entamons un travail que nous devrons mener ensemble, sans créer un comité pour surveiller les comités ou un observatoire pour surveiller les observatoires !
J'espère que nous adopterons quand même les quelques articles qui n'ont pas été supprimés.
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
Mises au point au sujet de votes
M. Michel Masset. - Lors du scrutin public n°182, M. Philippe Grosvalet souhaitait voter contre. Lors du scrutin public n°183, Mme Véronique Guillotin souhaitait s'abstenir. Lors du scrutin n°184 Mme Mireille Conte Jaubert souhaitait s'abstenir.
Mme Nadia Sollogoub. - Lors du scrutin public n°183, MM. Stéphane Demilly, Hervé Maurey, Vincent Delahaye, François Bonneau, Jean Hingray, Mmes Anne-Sophie Romagny, Anne-Catherine Loisier, MM. Guislain Cambier, Jean-Marie Mizzon et Patrick Chauvet souhaitaient voter contre.
En revanche, MM. Ludovic Haye, Pierre-Antoine Levi, Mme Amel Gacquerre et moi-même souhaitions nous abstenir.
Acte en est donné.
Prochaine séance lundi 3 février 2025 à 16 h 30.
La séance est levée à 19 h 05.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du lundi 3 février 2025
Séance publique
À 16 h 30 et le soir
Présidence : M. Gérard Larcher, Président, M. Didier Mandelli, vice-président, M. Alain Marc, vice-président
Secrétaires : Mme Catherine Di Folco, M. Mickaël Vallet
. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'urgence pour Mayotte (texte de la commission, n°283, 2024-2025)